11 - Voyage de Presse



*

La chaleur était étouffante à Régio Calabria, Mme Archibald et sa frêle carcasse ne résistèrent pas aux quarante degrés du ciel Italien. Elle sombra, évanouie dans les bras de Gianluigi, le propriétaire des vergers qui fournissait BDC en fleurs de Bigaradiers.

La dame reprit conscience, mais fut trop épuisée pour poursuivre l'activité. On la raccompagna à l'hôtel, afin qu'elle puisse récupérer.

Marylin, la chargée de communication de BDC demanda à Ceska de reprendre le flambeau. Entourée d'une vingtaine de journalistes, curieux d'en savoir plus sur l'utilisation des matières premières dans la parfumerie, Ceska stressa.

Elle, si discrète et peu bavarde en public, endossa ce rôle à contre-coeur. Elle préférait largement l'intimité de son laboratoire dans lequel elle travaillait les matières, leurs essences, et composait des fragrances.

Mais renseigner les médias faisait aussi partie de ses prérogatives, et puisqu'elle était censée être aussi compétente qu'Astrid Archibald, elle devait assurer.
— Excusez-nous pour cette attente, c'est vrai qu'il fait très chaud. Maintenant que Mme Archibald est en sécurité, nous allons poursuivre notre découverte avec Franceska, expliqua Marylin.
— Nous disions donc que la fleur de Bigaradier avait un parfum très puissant. Reprit Ceska mal assurée. Vous sentez cette odeur mandarinée ?
— Franceska, je suis Nora Thomas, journaliste au magazine « Senteurs », quel est le nom du fruit issu du bigaradier ?
— Et bien c'est la bigarade. On l'appelle communément l'orange amère. C'est un croisement entre le pamplemousse et la mandarine. C'est de là que vient sa note fruitée. Ce qui est magnifique avec le bigaradier, c'est que tout s'exploite. Depuis son fruit jusqu'à son écorce, tout s'utilise.
— Et vous ? Comment l'utilisez-vous ?
— Chez Blue Divine & Coldchester nous exploitons sa fleur pour produire l'absolu de Neroli et l'huile de Neroli, répondit Ceska.
—  Bonjour, Yvan Clerc, journaliste au magazine en ligne « Olfaction », qu'elle est la différence entre la fleur de bigaradier et celle Neroli ?
— Aucune. Mais si je veux être exacte, je dirai que la fleur de Neroli, n'existe pas. Pour la petite histoire, c'est au dix-septième siècle que la princesse de Nerola, mit à la mode l'essence d'orange amère en l'utilisant comme parfum. Depuis lors, le nom de Néroli est utilisé pour décrire cette essence.
— Intéressant, lança une journaliste.
— Franceska, je suis Simona Ruggieri, du journal « corriere della sera », il semblerait que l'essence de Neroli ait des vertus aphrodisiaques, vous confirmez ? 
— Malheureusement chère Simona, je n'ai pas encore eu l'occasion de m'en servir de cette façon, s'esclaffa Ceska. Je ne saurai me prononcer.

Les médias la suivirent dans son éclat de rire. Ceska se débrouillait bien malgré la lourdeur de l'air ambiant et les questions toujours plus pointues des journalistes.

Après cette longue après-midi dans les vergers en fleurs, la petite brigade reprit le car et retourna à l'hôtel pour un repos bien mérité. Là, les attendaient une collation à l'italienne. Cognés par la chaleur, ils se ruèrent sur les rafraîchissements.

Ceska profita de ce moment pour s'éclipser. Elle monta voir Mme Archibald qui ne voulut pas la recevoir.  La petite dame l'envoya bouler sans ménagement, puis lui ordonna de ne plus venir la déranger. Ceska fut embêter car elle n'avait aucune idée de la suite du programme. Elle aurait aimé mieux se préparer.

Depuis l'incident « BabyGirl », Astrid Archibald ne pouvait plus encadrer sa protégée. Et son ressentiment grandit encore lorsque le prince héritier du sultanat d'Oman encensa les idées de Ceska. Il alla jusqu'à déclarer à la direction que désormais, il désirait n'avoir à faire qu'à elle. La pilule fut très dure à avaler pour Mme Archibald qui se voyait mise de côté.

Quoi qu'il en soit Ceska devait savoir ce que Mme Archibald avait prévu, elle en parla avec Marylin qui visiblement n'en savait pas plus.
— Astrid verrouille tous ses projets. Elle m'informe au jour le jour, il faut qu'on trouve une solution. Vois ce que tu peux faire de ton côté.

Sans Mme Archibald pour diriger le navire, Ceska devait gérer. Dépassée par la situation, elle appela Héléna à la rescousse. Elle lui réclama le programme des prochains jours.

Devant le refus de cette dernière, Ceska rappela que ce voyage de presse de trois jours était une opération de communication majeure pour la société et que sans ce document tout allait capoter. Héléna ne pouvait l'ignorer. Elle n'eut pas d'autre choix que de désobéir à sa patronne et elle transféra immédiatement le document détaillé à Ceska.

En le consultant, la jeune femme apprit que Caleb Coldchester arriverait le soir-même, accompagné d'un journaliste TV qui réalisait un reportage sur BDC.

Quelle poisse, pesta-t-elle !

Bien que le cadre de cet hôtel italien soit idyllique, Ceska eut tout de suite envie de partir. Impossible de rester ici avec M. Coldchester. Car à chaque fois qu'elle le rencontrait, il faisait monter sa température. Il avait une sorte de pouvoir invisible sur elle.

La jeune femme s'enferma un moment dans sa suite et appela Chen pour lui raconter ses mésaventures. Chen eut un fou rire en apprenant la nouvelle.
— C'est digne d'une comédie romantique ma Ceska. Vas-tu pouvoir résister au beau blond ?
— Je ne le laisserais pas m'approcher. Tu oublies Cassidy ou quoi ?
— Tu sais que Caleb a mes faveurs. Je l'ai vu te regarder l'autre jour avec le prince, j'ai bien cru qu'on cramerait tous dans cette salle tellement c'était le feu dans ses yeux !
— Je n'aurais jamais dû te parler de tout ça, regretta Ceska.
— J'aimerai avoir ta vie, avec ces hommes riches et beaux à mes pieds. Au lieu de ça, je fricote avec les gars de mon quartier. La loose !
— Arrêtes de dire n'importe quoi !
— Bon je dois te laisser, j'ai un labo à faire tourner, je ne vis pas la Dolce Vita moi.
— Chen ! Que va-t-on faire de toi ?

*

Avant de rejoindre à nouveau les journalistes pour le dîner, Ceska prit une douche. Elle s'enveloppa dans le peignoir moelleux de l'hôtel et enroula ses tresses mouillées dans une serviette microfibre. Elle se servit un verre de limoncello et se dirigea sur la terrasse de sa luxueuse suite. La vue était si belle, elle inspira et sentit précisément l'air iodée de la méditerranée.

Au même moment, quelqu'un tapa à sa porte. Elle ouvrit à Marylin qui l'informa de l'atterrissage de l'hélicoptère d'Oldchester.
— Zut ! Crotte ! Flûte ! Je ne suis pas prête.
— Tu t'en sors très bien Franceska et les journalistes t'adorent.

Pas plus rassurée, elle se fit une beauté rapide. Elle enroula ses longues tresses dans un joli chignon et enfila une combinaison blanche qui mit sa peau noire ébène en valeur.

Puis, elle sortit de sa chambre et descendit les marches en marbre gris de l'escalier central. Son coeur rata quelques battements lorsqu'elle vit les yeux clairs de son patron se fixer sur elle.

*

Le dîner subtil et délicieux commandé par BDC ravit tout le groupe. Ceska en
profita pour discuter avec chacun des journalistes dans l'objectif d'alimenter positivement leurs articles. Marco Dovani, l'un d'entre eux, lui fit même des avances :
— Ma, il colore della vostra pelle è bella Franceska! Sei bella come il bagliore della notte !
— Qu'est-ce qu'il raconte Marylin ?
— Il dit que ta peau est magnifique est que tu es belle comme la lueur de la nuit, dit-elle en ricanant.
— Mon Dieu, il est temps qu'il aille se coucher celui-là. Et dire que je le trouvais charmant.

C'est vrai que Ceska était une belle femme !
Son corps sculptural, et ses lèvres ourlées de rouge obsédaient Caleb qui ne la quitta pas des yeux de la soirée. Agacé et surtout jaloux de tout le gring que Marco fit à Ceska, il prit sur lui pour éviter de réagir brutalement. Il alluma une clope et se mit à crapoter nerveusement.

Le DJ balança un son plus rythmé et tout le monde se leva pour danser. Marco devint plus entreprenant que jamais, il se colla derrière Ceska et se trémoussa de façon inappropriée. Gentiment, elle lui demanda de s'écarter et il s'en alla. Il changea alors de cible en embêtant Marylin, mais celle-ci n'hésita pas à l'éloigner férocement. Subitement, il s'isola sur un banc avant de revenir bestialement à la charge. Il saisit fermement la taille de Ceska, lui pinça les fesses et tenta aussi de l'embrasser.
— Oh Seigneur ! Ce pot de colle pue l'alcool, grimaça-t-elle.

Il ne fallut qu'une demi-seconde à Caleb pour recadrer Marco et le chasser des lieux, lui retirant par la même occasion son accréditation. Vu son état, on ne le laissa repartir seul, Marylin chargea un chauffeur de le reconduire à son domicile.
— Vous voyez Mlle Milembo, c'est tout l'effet que vous faites aux hommes, lâcha Caleb laconique.

Ce dernier ne laissa pas Ceska le remercier. Il lui tourna le dos, salua le groupe et rejoignit le calme de sa suite. La soirée continua sans lui dans une ambiance conviviale, puis chacun regagna sagement sa chambre pour la nuit.

*

Ne trouvant pas le sommeil, Ceska se posa sur la terrasse et s'assit sur une des chaises en rotin. Elle consulta son portable et vit quatre appels en absence, le dernier message déclencha son inquiétude.

« Ma Chérie, je sais que tu es en Italie, mais rappelle-moi quelle que soit l'heure ».

Elle regarda sa montre, qui affichait 01h02 du matin. Il était tard, mais sa maman attendait certainement alors elle la rappela :
— Mama qu'il y a-t-il ?
— Sonny est devenu fou Ceska.
— Dis-moi...
— On s'est disputé, et il m'a... il m'a...

Rosalie Milembo ne put retenir ses larmes, ses sanglots désespérés étouffaient sa voix. À cet instant, le coeur de Ceska se figea.
— Kolela té Mama. Ça va aller.
— Je me suis enfermée dans la maison, il a promis qu'il me...
— Je viens te chercher tout de suite Mama !
— Non, tu as ton travail. Je voulais juste... Au cas où...
— Ne dis pas ça. Il ne t'arrivera rien. Je viens te chercher dès que je peux Mama. Tiens bon d'accord ?
— Oui je vais essayer.
—  Il faut que tu dormes un peu Mama. Je garde mon téléphone près de moi. On reste en contact d'accord ?

Le coeur de Ceska cessa presque de battre, et de grosses larmes s'échappèrent de ses grands yeux noirs. Qu'arrivait-il à Sonny ? Ses assauts étaient de plus en plus violents et plus rapprochés aussi. Mais attaquer sa propre mère, ça il ne l'avait jamais fait !
— Est-ce que je peux t'aider Ceska ?
— Non mais c'est pas vrai Caleb, qu'est-ce que tu fais-là ?
— Je veux seulement parler avec toi.
— Je ne veux pas te parler. Ça devient ingérable cette façon de faire ! Tu ne peux pas t'imposer comme ça à chaque fois. Et puis, comment es-tu entré ici d'abord ?
— Premièrement, je ne suis pas entré par effraction. Deuxièmement, ta suite et la mienne partage la même terrasse.
— Comme par hasard, fit-elle en roulant les yeux au ciel.
— Troisièmement, je t'ai entendu et j'ai...
— C'est personnel Caleb. Mêle-toi de tes oignons !

Elle s'essuya les yeux, et reprit de la contenance :

— J'ai pas besoin de toi, compris ?

Le jeune patron insista, il fit un pas vers elle et ressentit sa tristesse. Il voulut s'approcher encore, mais elle recula d'un bond.
— Je peux t'aider Ceska. Il n'y a aucune contrepartie, juste une main tendue.
— Mais oui c'est ça ! Je ne suis plus la truffe jeune et naïve que tu as connue autrefois.
— Tu dois aller chercher ta mère c'est ça ?
— Écoute-moi bien, hurla Ceska, maintenant, soit tu retournes dans tes appartements, soit je te laisse la terrasse, mais je refuse d'être au même endroit que toi.
— Je veux vraiment t'aider.
— J'ai pas besoin de toi, j'te dis.
—  Mais reviens Ceska !
— La ferme Oldchester !

Pétrie de colère Ceska abandonna Caleb sur place, elle claqua sa porte-fenêtre et tira les doubles-rideaux. Elle ne voulut plus l'entendre, exaspérée et contrariée par son manque total de discrétion.

« Décidemment, ce type se prend vraiment pour Dieu tout puissant ! »


*

Lunettes de soleil sur le nez, chapeau vissé sur la tête et brumisateur en main, Mme Archibald débarqua armée de toute sa combativité. Elle n'était pas complètement rétablie mais l'idée que Ceska puisse lui ravir sa place, lui rendit instantanément sa vigueur.
— Bonjour tout le monde ! Prêts pour ce second jour avec BDC ?

Les journalistes lui firent bon accueil, mais Ceska et Marylin beaucoup moins. Immédiatement, la possibilité de travailler à leur façon fut oubliée. Le général Archibal reprenait du service.
— Plus qu'une journée et demi Marylin, courage !
— Cette femme est un diable sur pattes. Comment fais-tu pour la supporter ?
— Elle n'est pas si méchante, elle peut même être charmante quand elle veut.
— Je travaille avec elle depuis sept ans, et jamais je ne l'ai trouvé charmante Ceska !

Le groupe entama la visite de la distillerie exploitée par Monsieur Gianluigi. Les journalistes visitèrent les stocks et la salle de distillation. L'endroit diffusait l'odeur douce et particulière du Neroli. Mme Archibald qui maîtrisait son sujet, répondit avec entrain à toutes leurs questions :
— Combien de fleurs faut-il pour obtenir l'essence ?
— C'est une tonne de fleurs, pour un kilo d'essence.
— Toute la fleur ?
— Non, pour une essence de qualité, il faut cueillir la fleur sans le vert.

Pendant ce temps, Caleb préparait son interview pour les besoins du reportage, la journée fut longue et studieuse. L'équipe fut ravie de rentrer à l'hôtel pour se reposer et partager ensemble un dernier dîner. Ceska qui s'inquiétait pour sa mère, s'écarta souvent du groupe pour tenter de la joindre.

Caleb vint la voir en souriant et elle stressa de plus belle :
— Tu n'as pas fini de gaspiller mon air ?
— Arrêtes de t'énerver et viens avec moi.
— Va-t'en Caleb, c'est mieux.
— C'est dommage, j'ai une surprise pour toi Ceska.
— Tant mieux pour vous Monsieur le PDG, dit-elle en continuant de tapoter son écran.

Caleb fit un signe de la main et une silhouette approcha. L'endroit où ils se trouvaient étant peu éclairé, Ceska eut du mal à distinguer ce qu'elle voyait. Soudain, elle retint son souffle de ses mains :

— Mama ?  Mama c'est toi ?


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J'espère que vous avez aimé !
À très vite pour la suite ❤️
Suzanne1808

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