Millim : Partie 1
Ma conscience se réveille petit à petit et mes paupières se relèvent. Sans détours, je tombe sur deux orbes d'une majestueuse couleur améthyste qui luisent d'inquiétude. C'est alors que je remarque que je suis allongée, la tête sur ses genoux. Et de là où je suis, je ne peux que remarquer le haut de son kimono, entièrement noir.
— Prince Millim, comment vous sentez-vous ?
Je cligne des yeux. Elle me regarde avec insistance et tendresse, telle une mère veillant sur son petit. Et là, je percute ce qu'elle vient de me dire.
— Prin... Prince ? Comment ça ?
Je me relève dans la précipitation et me recule de quelques pas. Mes pieds laissent des traces dans un parterre constitué d'éclats de verres écarlates. Surprise, je tourne sur moi-même afin d'analyser mon environnement. Et je remarque le ciel.
Le ciel morcelé, telle un miroir fissuré.
Mes yeux s'ouvrent en grand, horrifiés.
— Mais qu'est-ce que... Où... Qui...?
Je suis perdue.
Ces paysages désertiques aux teintes rougeoyantes. Ce ciel comme prophète de l'apocalypse. Cette inconnue.
Je ne reconnais rien.
La femme se relève, plus à son aise que moi auparavant. Son kimono flotte autour de sa silhouette et une cape tout aussi sombre que je n'avais pas remarqué se déploie derrière elle.
— Que se passe-t-il, mon prince ? me questionne t'elle, anxieuse quant à ma réaction avant de s'avancer vers moi et de s'arrêter en me voyant reculer ; Je suis Kurotatsu, mon prince... La démone chargée de votre protection...
J'entends dans sa voix qu'elle est déboussoler, mais comment suis-je censée réagir ? À mes yeux, elle n'est qu'une inconnue... Tel ce sauveur...
D'ailleurs... S'agissait-il d'un rêve ?
Ça paraissait si réel... Et toutes ses sensations que j'ai ressentit ne fait qu'augmenter cette impression !
Mais si ce n'était qu'un songe... Alors où sont mes souvenirs ? Pourquoi est-ce que je me considère comme étant une fille alors... Alors que je suis dans un corps de garçon ? Où est la vérité ?
Je me prends la tête de mes deux mains, ne comprenant rien à ce qui m'arrive. Je vois ces miroirs, cette surface que je traverse, la promesse de cet inconnu, et maintenant cette démone, Kurotatsu, qui prétend être ma protectrice... Rien n'a de logique !
J'explose.
— Mais qui suis-je à la fin !
Mes poings serrent des touffes de ma chevelure abondante, mes yeux s'agitent sans savoir quoi regarder, sur quoi se concentrer. Mon cœur est une enclume qui s'échoue au plus profond de mes entrailles. Tous les problèmes s'ajoutent les uns après les autres sur mon âme et l'enfoncent au plus bas.
Soudain, je sens une main sur le haut de mon crâne. Et une légère berceuse emplit mon ouïe, me délestant du poids de mes maux. Peu à peu, mon cœur s'allège alors qu'une voix mélodieuse et ensorceleuse s'élève.
— Vous êtes le Prince de Cendréale, Royaume des Anges Écarlates.
Je lève mes yeux vers Kurotatsu alors que l'information s'enregistre petit à petit dans mon cerveau. C'est une démone, ma protectrice, et cet endroit dont je suis prince est celui des Anges Écarlates...? Une question fait alors son chemin jusqu'à mes lèvres, jusqu'à les dépasser.
— Anges... Est-ce que...?
Serait-il possible que je sois un de ces êtres célestes ? Mais pourquoi alors suis-je protégée par une démone ? Les deux ne sont-ils pas censés être ennemis ? Comment se fait-il que toutes ses pensées me viennent ? Que toutes ses interrogations me submergent ? Si je suis née ici, cela ne devrait pas être le cas ! Je ne devrais pas avoir oublié !
La démone esquisse vers moi un léger sourire tout en hochant la tête, confirmant mes doutes.
— Vous êtes bel et bien un Ange Écarlate, mon Prince. Le plus beau qui soit, si je puis me permettre.
Je recule d'un pas et regarde autour de moi. Le sable sous mes pieds se constituent de cristaux rougeâtres. Et à quelques pas se dessine le miracle de tout désert, un oasis encerclé de verdure tropicale.
Et qui dit oasis dit lac, autrement dit, un miroir d'eau.
Je fonce.
Je sens quelque chose dans mon dos, quelque chose de lourd qui me retient, qui me ralentit, mais j'en fais abstraction. J'use de toute l'énergie à ma disposition, de toute la force qu'il me reste.
J'ai besoin de savoir la vérité.
J'entends derrière moi que Kurotatsu me suit, elle aussi en courant. Mais je n'y fais pas attention. Tout ce qui compte, c'est ce que mon reflet va me révéler.
Suis-je réellement dans un corps de garçon ou se pourrait-il que le titre de Prince ne soit qu'un titre d'usage car le masculin l'emporte ? Et que signifie être un Ange Écarlate ?
Je saute vers le lac et mes paumes s'échouent juste devant, sur la rive, assez proche pour que je puisse voir l'image que l'eau me renvoie.
Un reflet irréaliste.
La surface de cet oasis est si clair que je réussis à discerner les moindres détails et couleurs de ma nouvelle apparence.
Ma longue chevelure paraît être de flammes, emmêlée dans des lianes de feuilles automnales. Mes yeux paraissent être d'un bleu sombre et pluvieux. Et ma peau est bronzée.
Sans oublier les deux ailes dans mon dos.
Ailes qui ressemblent à d'immenses feuilles mortes que l'automne laisse s'envoler.
— Un... Un Ange Écarlate ?! Plutôt un Ange d'automne...
Alors que j'essaye de bouger une de mes ailes afin de pouvoir l'observer avec plus de précisions, un détail apparaît comme un électrochoc dans mon cerveau.
Mes cheveux sont longs donc peut-être...
Avec un peu de chance...
Peu à peu, mes joues s'enflamment. Et avec une lenteur considérable, comme si je me trouvais hors du temps, je baisse mon regard vers le kimono que je porte. Un kimono aux arabesques de flammes et de pluies.
Je mord ma lèvre inférieure alors que la timidité compresse mon cœur et mes poumons.
Est-ce que...
Je suis...
Je soulève le bas de mon habit. Puis je tends assez mon sous-vêtement pour voir ce qu'il y a en-dessous et...
— Putréfaction !
Je lâche tout. Un volcan a explosé en moi et mes joues sont touchées par sa lave.
Je suis dans un corps de garçon !
Je suis dans le corps d'un putréfaction de garçon !
Pourquoi ça me dérange ?! Si c'est censé être mon corps d'origine alors, pourquoi...?
Je me sens mal. J'ai l'impression que le monde ne tourne plus rond. Je perd la tête. Et sans doute que quelques neurones ont cramés dans l'irruption.
La voix de la démone surgit derrière moi, inquiète.
— Mon Prince...?
Prince...
Prince...
Prince...
Pour la deuxième fois en quelques minutes, j'explose.
Mon cerveau vrille.
Je ne comprends plus rien.
— Ce n'est pas juste un putréfaction de titre ?! Non mais il se passe quoi à la fin ? J'ai fait quoi à la cocaïnée baveuse pour mériter ça ?!
Je me tourne soudain vers Kurotatsu qui a ouvert la bouche comme si elle semblait vouloir dire quelque chose, mais elle la referme. Il faut croire qu'elle a oublié. Ou qu'elle a peur de me dire ce qui lui est venu a l'esprit.
Mes lèvres tremblent et tendent vers un sourire, un faux. Un de ceux qu'on fait pour rassurer les autres ou soi-même.
— Nous sommes où ? Nous nous dirigions vers où ? Vers Cendréale ? Est-ce que j'ai eu un coup sur la tête ? Ça pourrait expliquer mon amnésie et mon incompréhension totale ?
Kurotatsu ne dit rien. Elle ne fait que me fixer de ses yeux. Elle semble analyser les fondements de mon âme et de mon esprit. La démone plisse ses yeux puis s'avance vers moi, et cette fois-ci, je ne recule pas, je reste figée. Le choc me paralyse.
Celle qui prétend être ma protectrice s'agenouille face à moi et pose sa main sur mon crâne.
— Nous sommes dans le désert cristallisé et nous allions vers Strategos. Vous n'avez pas eu de coup sur la tête, vous avez... Soudainement oublié...
Juste... Soudainement ?
Mais que s'est-il passé dans ma temporalité pour que tout change ?
Suis-je dans une réalité alternative de ma propre ligne temporelle ? Suis-je dans une dimension parallèle et dans le corps d'un autre ?
Quelle divergence a pu produire tout cela, en effaçant par la même occasion mes souvenirs ?
Je sens la main sur ma tête s'enlever puis se rabaisser alors que le visage de Kurotatsu semble plus qu'inquiet.
— Vous ne vous souvenez de rien, n'est-ce pas ?
Je dévie mes yeux, mal à l'aise. Et j'acquise.
Elle enlève sa main de ma tête pour pouvoir prendre mon menton avec et ramener mon regard vers le sien.
— Je peux peut-être délivrer votre mémoire, mon Prince. Je suis en possession d'un pouvoir interdit, comme tous les autres Démons. Mais si vous m'en faites la demande, je l'utiliserai. Je suis votre protectrice, je suis à votre service. Mon corps, mon âme, mon esprit et ma magie sont à votre entière disposition.
Aussi vite que la foudre, je place mes paumes devant moi afin de cacher mes joues ainsi que mes yeux. Non mais elle aussi, elle ne tourne pas rond, pour parler de cette façon !
— Je... Je n'ai pas besoin de... Ne parles pas comme ça, on dirait que tu es un esclave ou un objet ou je ne sais pas quoi...!
Kurotatsu penche sa tête sur le côté avec surprise alors qu'un petit rire sort de ses lèvres.
— Mais c'est ce que je suis, mon Prince. Je suis exactement ce que vous voulez que je sois.
Cette démone est complètement folle.
Je secoue la tête vivement. Il est hors de question qu'elle soit ainsi avec moi !
— Je refuse !
J'enlève mes paumes et je la fixe. Si je suis un garçon, peut-être qu'un regard noir de ma part l'intimidera et la forcera à reprendre ses esprits.
Kurotatsu sourit et met sa main sur ma tête.
— Vous êtes mignon avec ce regard de louveteau en colère, mon Prince !
Cette démone est folle.
— Et vous ne pouvez refuser, mais vous pouvez me dire ce que vous souhaitez que je sois.
Je sers mes poings et regarde le sable de cristaux. Si je ne peux pas lui dire que je refuse qu'elle soit ce que je veux, alors...
— Alors tu n'as qu'à être juste toi-même ! Juste Kurotatsu, la démone !
Elle me fait un grand sourire avant de reprendre la parole ;
— Et donc, m'autorisez-vous à user de cette magie afin de tenter de libérer votre mémoire ?
Je rassemble mes mains devant mes yeux. Retrouver la mémoire... Arrêter d'être perdu, d'avoir cette impression de ne pas être à ma place... Un sourire surgit sur mes lèvres à la vitesse de l'éclair.
— Si ça me permet de retrouver la mémoire, alors oui !
Kurotatsu acquise. Elle place l'une de ses mains dans mon dos et l'autre sur ma tête avant de fermer ses yeux.
J'ai l'impression que des heures et des heures se suivent les unes après les autres sans que rien ne se passe.
Jusqu'à ce que Kurotatsu ouvre les yeux.
Un regard noyé dans l'horreur.
— Votre mémoire... Elle est scellée par une malédiction.
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