Une réalité de sable

Telyo essuya des énièmes gouttes de sueur qui perlaient sur son front. Cela faisait une semaine que lui et sa chamelle Nâga avançaient dans cette mer de sable qu'était le Sahara. Le soleil était encore haut dans le ciel, et bien qu'il portait son foulard shemagh, l'homme avait l'impression qu'il pouvait perdre connaissance à tout moment.
- On devrait s'arrêter là. finit-il par soupirer. Cette oasis, dont tu m'as parlé, n'est toujours pas en vue et je ne sens plus mes jambes.
- Nous y sommes pourtant bientôt. s'obstina la chamelle. Je le sens. Tiens bon, Telyo.

L'homme acquiesça, ne pouvant rien faire d'autre de toute façon. Il avait acheté Nâga à un marchand peu avant de partir en route pour El Obeid. Le marchand lui avait affirmé que l'animal était d'une vive intelligence. Telyo n'en avait pas espéré autant. Durant les six premiers jours, Nâga était restée muette, sans doute mal à l'aise de voyager avec un inconnu. Puis en début de journée, elle avait parlé, lui réclamant de l'eau. Telyo avait été sous le choc et s'était cru perdre la raison, mais l'animal avait ri et lui avait assuré qu'il était parfaitement sain d'esprit. Encore maintenant, cette aptitude chez la chamelle lui était troublant.
- Cela fait des heures que tu dis ça, Nâga. la reprit l'homme.
- Parce que cela fait des heures que l'on s'en approche.

Telyo se crispa sur sa monture, irrité. Sa bouche était sèche, son chemisier blanc le grattait et il sentait les coups de soleil s'intensifier sur toutes les parties de son corps qui étaient exposées à l'astre cuisant. Et il ne pouvait rien y faire. Sa gourde était vide, ainsi que toutes ses bouteilles d'eau.

D'après son informateur, leur destination devait être en vue depuis une journée déjà. Telyo craignait s'être trompé de route. S'ils allaient dans la mauvaise direction, ils risquaient de ne pas avoir suffisamment de vivres pour rectifier leur route. Mais comment se repérer dans le désert?

Et Nâga qui lui avait promis pouvoir les conduire à un point d'eau non loin d'ici et sur leur chemin. Quelle idée avait-il eue de faire confiance à son animal? Il n'aurait jamais cru en venir à placer ses espoirs en sa chamelle un jour.

Une nouvelle bourrasque souffla. Le voyageur remonta son foulard sur sa bouche et son nez. Il se protégea le visage avec sa main. Hélas, cela ne l'empêcha pas de recevoir du sable dans les yeux et dans le nez. Malgré le vent, ils poursuivirent leur route.

Quand le vent cessa enfin, Nâga secoua sa tête. L'homme voulut retirer le sable qu'il avait dans les yeux mais ses mains en étaient couvertes et il ne fit qu'empirer les choses. Il se contenta donc de débarrasser son foulard du sable qui s'y était empêtré, et qui l'alourdissait d'au moins trois fois son poids. Il le baissa sous son menton. Telyo humecta ses lèvres en vain. Elles étaient gercées au point d'en être douloureuses et sa bouche était trop sèche pour produire un minimum de salive.
- Tu vas bien? adressa-t-il à sa chamelle qui éternua un grand coup.
- J'ai du sable dans les naseaux, dans les yeux. Ça me démange un peu partout. Sinon, je vais bien. Et toi?
- Je suis dans la même situation que toi.

Il redressa son foulard qui lui tombait sur les yeux.
- Nous y sommes. annonça Naga, alors qu'ils arrivaient en haut d'une dune.

Ils surplombaient un lac à l'eau turquoise, entouré de palmiers.
- Je suis en train de rêver, n'est-ce pas? souffla Telyo, bouche bée.

L'apparition était tellement inespérée qu'elle lui semblait irréelle. Pendant un instant, Telyo oublia les tempêtes et le soleil qui le brûlait depuis des jours. La chamelle s'esclaffa :
- Cette eau est aussi vraie que toi et moi.
- Je ne peux pas le croire.

Prudemment, mais non sans une certaine excitation, les deux voyageurs descendirent le flanc de la dune. Ils n'étaient pas arrivés que l'homme descendit de sa monture pour marcher droit vers le lac. Son corps ne lui obéissait plus. Il était comme hypnotisé par l'eau face à lui, par son irrésistible appel. Il sentait les brindilles craquer sous ses pas et les herbes hautes sur ses bras et ses mains tandis qu'il avançait. Nâga le suivait à distance, les yeux pétillants.

Le voyageur tomba à genoux dans l'herbe humide. Il mit ses mains en coupe et se pencha pour boire goulûment. Il se sentait comme reprendre vie alors que l'eau coulait dans sa gorge. Il but avec une telle avidité qu'il avala de travers. Une forte toux le prit alors.
- Si j'étais toi, j'arrêterais ; le conseilla Nâga, qui était restée à l'écart ; tu vas te rendre malade.
- Viens donc boire, Nâga. lui dit l'homme après s'être essuyé la bouche. Cela fait des jours que l'on espère un point d'eau comme celui-ci. L'eau est claire en...

La nausée l'interrompit. Ses oreilles sifflaient. Le décor bascula autour de lui puis devint noir tandis que l'homme perdait connaissance.

Le mal de tête que Telyo ressentait à son réveil le fit gémir. Il battit plusieurs fois des paupières. La première chose qu'il vit fut un pan de tissus aux motifs rectangulaires oranges et jaunes. Du bruit lui fit tourner la tête. Une femme aux cheveux blonds ramenés en chignon lui tournait le dos, occupée à presser des citrons. L'homme la regarda quelques instants, essayant de comprendre comment il s'était retrouvé ici et qui cette femme était. Il regarda autour de lui. Il était allongé sur un matelas brun et orangé, dans une grande tente de voyage, une khaïma. Une petite table blanche le séparait de l'inconnue qui se retourna, une tasse dans la main.
- Ah, vous êtes réveillé?

Elle sourit, faisant apparaître des pommettes sous ses yeux bleus.
- Je vais vous préparer une limonade, cela vous fera du bien. poursuivit-elle.

Telyo aurait aimé la questionner. Il n'en avait pas la force. Il ouvrit la bouche sans que son n'en sorte. Ses yeux se fermèrent et il retomba dans l'inconscience.

Quand il se réveilla, la voyageuse était assise dans un fauteuil, non loin de lui, une carte sur les genoux.
- Madame. parvint-il à murmurer.

Cette dernière se redressa et le rejoignit, s'accroupissant devant lui. Elle avait l'air soucieuse :
- Comment vous sentez-vous?
- Fatigué. J'ai l'impression de ne plus pouvoir bouger.

La femme hocha la tête.
- J'aimerais avoir à boire s'il vous plaît.

Elle se leva et lui apporta un verre de limonade.
- Qui êtes-vous? demanda l'homme quand il eut bu le contenu de son verre.
- Daneen. Une voyageuse. Et vous?
- Telyo. Je dois me rendre à El Obeid pour vendre des épices. Comment m'avez-vous trouvé?

Le convalescent voulut se redresser, mais Daneen l'en empêcha en posant sa main sur son épaule :
- Je vous ai trouvé inconscient en plein milieu du désert avec votre chamelle. lui répondit-elle avant de conseiller. Vous devriez rester allongé. Vous êtes encore faible.

Telyo se laissa retomber sur le matelas. De toute façon, il n'avait pas l'énergie nécessaire pour se redresser.
- Où est Nâga? demanda-t-il, inquiet, sans vraiment écouter ce que la femme disait
- Nâga? La chamelle? Elle est devant la khaima. Je lui ai donné de l'eau. La pauvre bête était assoiffée.

L'homme hocha la tête, absent. Son cerveau était surchargé par les informations.
- Depuis combien de temps voyagez-vous ainsi? se permit de lui demander sa sauveuse.
- Six jours.
- Six jours? Vous devez être partis de loin.
- De Buram.
- Vous vous êtes trompé de chemin dans ce cas. lui apprit-elle, navrée. Vous avez réalisé un bon détour par l'est.

Il la fixa quelques instants, sans comprendre.
- Nâga m'avait dit que l'oasis serait sur notre route. Finit-il par dire.
- La chamelle? répéta Dannen, perdue.
- Oui. C'est elle qui nous a guidés jusqu'a l'oasis.
- Mais quelle oasis?
- L'oasis près de laquelle vous m'avez trouvé.

Devant le visage effaré de la femme, Telyo sentit l'incertitude le gagner.
- Vous nous avez bien trouvés près d'une oasis, Nâga et moi, non? Insista-t-il d'une voix forte, ce qui lui donna le tournis.

Elle secoua la tête :
- Non, il n'y avait pas d'oasis. Juste du sable à perte de vue.
- Mais... J'ai bien vu l'eau et les palmiers. murmura l'homme. Je me suis même désaltéré. Nâga m'a dit d'arrêter, car elle pensait que j'allais me rendre malade...
- Telyo. le reprit Daneen. Je... Les chameaux... je pense que vous avez été sujet à une bouffée délirante à cause du soleil. C'est courant en plein désert, surtout si cela fait six jours que vous voyagez.
- Mais Nâga m'a parlé. Elle m'a guidé jusqu'à l'oasis...
- Il n'y avait pas d'oasis; coupa la femme; et si vous pensez que Nâga vous a dit d'arrêter de boire, cela a dû être votre inconscient qui s'est exprimé au travers d'elle pour vous éviter de vous étouffer avec le sable.

Le ton sec de Daneen laissa l'homme interdit.
- Je sais ce que je dis. continua-t-il d'une voix posée. Je comprends que vous ne me croyiez pas, mais je vous dis la vérité.

La voyageuse capitula. Telyo se redressa malgré la nausée et se leva. Il chancela et la femme dut le soutenir pour éviter qu'il ne tombe.
- J'aimerais voir Nâga. dit-il avant qu'elle n'ait pu lui demander ce qu'il faisait.

Elle soupira et le conduisit pas à pas jusqu'à l'extérieur. La nuit tombait et l'air s'était rafraîchi. Telyo inspira profondément. Son regard se posa sur sa chamelle, debout à quelques mètres d'eux.
- Nâga! lui lança l'homme.

La chamelle leva la tête et s'ébroua avant de trotter gaiement vers lui.
- Comment vas-tu, mon amie? lui demanda le voyageur en lui caressant le front.

Elle lui donna un coup de museau. L'absence de réponse troubla cependant Telyo.
- Eh, Nâga! lui murmura-t-il. Pourquoi tu ne me réponds pas? Est-ce Daneen qui te fait peur? C'est grâce à elle que nous sommes là, toi et moi. Tu n'as rien à craindre.

Hormis le silence de l'animal, Telyo avait la sensation que quelque chose avait changé chez Nâga. Elle semblait être redevenue la chamelle qu'elle était deux jours auparavant. Pour la première fois depuis son réveil, le voyageur douta. Se pouvait-il que son esprit ait inventé tout ceci?

Fin

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