Salma et la Clef des Sept Chemins
Mes doigts s'engourdissaient à force de frotter les tables de bois. Le chiffon était déjà terne et commençait à s'effilocher. Je me redressais et remis une mèche de cheveux roux et frisés derrière mon épaule. Je retournais à la cuisine pour rincer le chiffon et je regardais par la fenêtre. Le soleil se couchait déjà, faisant rayonner la mer qui s'étendait à perte de vue.
- Toujours à admirer le paysage, Salma?
Je me tournais vers ma mère. Elle était légèrement plus grande que moi et se tenait dans l'encadrement de la porte, un sourire fleurissant sur les lèvres.
- La vue est si belle. répliquais-je, rêveuse.
- La journée touche à sa fin, nous allons pouvoir fermer l'auberge. m'assura-t-elle en me rejoignant.
Je vérifiais qu'il ne restait pas de vaisselle sur les tables et retournais dans la cuisine pour aider ma mère à nettoyer. Alors que nous rangions les dernières assiettes, la porte claqua. La gérante des lieus alla accueillir le client :
- Bonsoir Madame. Vous arrivez juste à temps, nous comptions fermer. Que pouvons-nous pour vous?
Je m'approchais pour voir la nouvelle-venue. C'était une femme aux longs cheveux bouclés couleur jais qui lui arrivaient au milieu du dos. Ses yeux verts perçants et ses traits fins lui conféraient un air audacieux et autoritaire qui m'intimida aussitôt. Je reconnus la pirate, car elle avait été souvent citée et décrite dans le village. C'était Lyzidore la Brave, la chevaucheuse des mers impitoyables. Elle portait un chemisier blanc surmonté d'un haut en cuir rouge et un pantalon de toile brune. Lorsqu'elle marchait, ses bottes faisaient résonner le parquet et cliqueter les fins bracelets d'or qui pendaient à ses poignets.
- Je ne suis ni venue manger ni boire. trancha la pirate. Qui y a-t-il d'autres, ici?
Je fonçais les sourcils et sentis mon cœur tambouriner plus fort dans ma poitrine. On m'avait parlé des pirates comme étant des personnes dangereuses, qui pillaient et brûlaient les villages pour repartir aussitôt, qu'ils avaient trouvé ce qu'ils voulaient ou non. Aussi, je me méfiais de cette femme.
- Seulement ma fille, Salma, qui est dans la cuisine. répondit ma mère, troublée.
La pirate toisa la femme quelques instants, comme pour s'assurer de sa fiabilité, et ordonna :
- Faites-la venir.
Je me raidis devant son ton sec et vis ma mère faire un effort pour ne pas afficher qu'elle avait été blessée également.
- Salma, s'il te plaît? me demanda cette dernière.
Qu'elle m'appelle n'avait pas été nécessaire, j'avais déjà fait quelques pas en direction de l'inconnue. Lyzidore me dévisagea puis reporta son attention sur la dirigeante de l'établissement. Elle devait me considérer trop chétive pour pouvoir représenter la moindre menace.
- Je cherche la Clef des Sept Chemins. expliqua la pirate, franche.
Je me sentis pâlir. D'après ce que les marins qui venaient ici disaient, la Clef des Septs Chemins ouvrait une porte, qui renfermait un miroir pouvant servir de passage pour n'importe quel lieu de l'univers. D'après la légende, sept chemins permettaient d'accéder à cette porte. Cependant, aucun n'avait été trouvé jusqu'alors et la clef avait disparu au fil des années. Un tel objet entre les mains des pirates s'avérerait désastreux pour notre monde! Un frisson parcourut mon dos alors que je songeais aux conséquences que la découverte de cette clef impliquerait.
- La Clef des Sept Chemins? répéta ma mère, incrédule. Mais ce n'est qu'une légende!
- Elle est pourtant bien réelle. assura la pirate en faisant un pas supplémentaire. Et je vais la trouver!
Ma gorge se serrait alors que j'imaginais la scène. Si Lyzidore cherchait cette clef ici et qu'elle ne la trouvait pas, car il n'y avait aucune clef autre que celles de l'auberge, ici, elle réduirait notre maison en ruine et en cendres, ferait de ma mère et moi... Ses esclaves! Je songeais soudain. Et si par malheur, elle trouvait la Clef des Sept Chemins, que nous arriverait-il, à ma mère et moi? Qu'est-ce que cette clef permettrait de réaliser entre les mains de cette pirate? Je me sentis perdre l'équilibre, faible tout d'un coup.
Ma mère me prit par les épaules, la mine inquiète.
- Salma, tu vas bien?
- Oui, oui. répondis-je, en me redressant. Un vertige.
Lyzidore m'observait, suspicieuse. Elle s'approcha de moi, me faisant frissonner de peur.
- Que lui voulez-vous? demanda ma mère, voulant me protéger.
- Où est la clef? me demanda-t-elle d'une voix suave.
Je plongeais mes yeux dans son regard, terrifiée :
- Je... Je l'ignore.
- Vraiment? fit-elle en me relevant le menton.
- Ne la touchez pas. s'offusqua ma mère.
- Je ne sais pas où se trouve votre clef. répétais-je.
La femme aux cheveux noirs me dévisagea quelques instants :
- C'est ce que nous verrons.
Elle me lâcha enfin et fit le tour de la pièce, renversant tables, chaises, ce qui d'après moi était un acte odieux de sauvagerie gratuite, puis fouillant et renversant les meubles. J'étais tétanisée. Ma mère mit moins de temps que moi à se ressaisir et héla la femme, la voix tremblante :
- Arrêtez cela tout de suite! De toute façon, même si vous vouliez fouiller tout l'établissement, cela vous prendrait des jours.
La pirate s'immobilisa alors. Elle se retourna et afficha un sourire reconnaissant. À quoi pensait-elle donc?
- Vous avez raison. admit-elle. Je ne peux pas fouiller toute cette bâtisse, seule.
Elle cria alors :
- Je veux des renforts pour fouiller ce taudis! Et on n'a pas toute la journée!
Devant mes yeux effarés, une vingtaine d'hommes débarquèrent dans la salle avec de grands cris, pistolets et sabres au côté. Ma mère et moi étions impuissantes face à ces brutes qui semblaient ne laisser derrière eux que le chaos, renversant le comptoir, retournant et jetant au sol les tableaux. Une odeur nauséabonde emplissait l'air, provenant sans doute des intrus. Ils passèrent à l'arrière du bâtiment et à la cuisine. On entendait les vaisselles se briser sur le sol. Tout cela pour une clef qui n'était pour la plupart que le fruit de superstitions. La gorge nouée, j'espérais me réveiller de ce cauchemar. Ma mère me rejoignit et pressa ma main dans la sienne, priant comme moi pour que ces gens repartent au plus vite.
Alors, les pirates, estimant en avoir terminé avec le rez-de-chaussée, allèrent à l'étage. Leurs pas lourds faisaient pleuvoir la poussière des escaliers. Ils allaient détruire notre maison comme ils l'avaient fait avec l'auberge. Une colère sourde se muait dans mon ventre. Non. C'était hors de question. Ils comptaient fouiller nos bureaux, nos buffets, nos armoires pour trouver la Clef des Sept Chemins. Je n'allais pas les laisser faire. Alors que ma mère tentait de m'en empêcher, je m'élançais dans les escaliers. Un homme imposant, le crâne rasé, me barra la route.
- Où cours-tu, comme ça? m'adressa-t-il.
Son sourire m'aurait fait froid dans le dos si mon attention n'était pas portée sur ma chambre dont la porte avait été retirée, ou devrais-je plutôt dire, arrachée de ses gonds.
Je voyais d'où j'étais mon bureau sans dessus dessous, les documents qu'il contenait éparpillés sur le sol.
- Qu'est-ce qu'elle fait là, elle? lança un autre homme à celui qui me faisait face.
Je décidais de redescendre. Je me retournais pour me retrouver face à ma mère. Elle passa un bras autour de mes épaules, tout en fixant les deux hommes, protectrice.
- On redescend, Salma. m'intima-t-elle.
Au même moment, une voix de femme nous fit tous les quatre sursauter :
- On largue les amarres! Y a rien à trouver ici!
Je poussais un soupir de soulagement et je sentis ma mère se détendre à côté de moi tandis que les deux pirates maugréaient. Dans un brouhaha de cassures variées et de gromellements, la vingtaine de marins passèrent devant nous et descendirent les marches. Enfin, Lyzidore fit son apparition, une braise de fureur luisant dans son regard. Elle n'avait pas trouvé ce qu'elle cherchait et cela la mettait dans une rage sans nom. La femme s'arrêta devant moi, ses yeux suspicieux figés dans les miens. Je soutins son regard, n'ayant aucune crainte à avoir. À moins qu'elle ne décidât de s'en prendre à moi par frustration.
Lyzidore releva la tête, fière, et reprit son chemin. Je soupirais de soulagement tandis que la porte de l'auberge, miraculeusement intacte, claquait derrière elle.
Je pris ma mère dans mes bras, déboussolée. J'avais eu si peur. Tous ces gens chez nous avec leurs pistolets et leurs sabres, à crier et à casser ce qui se trouvait sur leur passage. Nous avions reçu la visite de bêtes viles et perfides, qui ne connaissaient ni les lois ni le respect.
Je rejoignais l'étage. Je pénétrais dans ma chambre, ou ce qu'il en restait. De ma fenêtre, je voyais le navire à trois mats de Lyzidore s'éloigner sur les flots, ses voiles noires et rouges gonflées par les vents. Je déplaçais mon armoire couchée sur le sol afin de libérer l'accès au mur. J'y apposais mes mains et la porte cachée dans les briques pivota dans un nuage de poussière. Un sourire victorieux illumina mon visage tandis que je saisissais la torche accrochée au mur pour m'enfoncer dans les escaliers.
L'odeur de l'humidité emplissait l'air, mais je ne m'en souciais pas. Au bout de longues minutes de marches, j'arrivais à la porte massive au bois décoré de motifs divers. Je sortis une imposante clef de ma poche et la glissais dans la serrure. Lorsque le cliquetis se fit entendre, j'ouvris la porte.
La pièce troglodyte me faisait face. Ses parois naturellement creusées par les eaux des centaines d'années auparavant donnaient au lieu un aspect mystique. Mais ce n'était pas la pièce en elle-même que je regardais. Mes yeux étaient posés sur la forme arrondie rouge et jaune qui trônait sur l'autel de pierre, au centre de la cavité. Je m'approchais à pas lents, envahie par une vague d'émotions, comme à chaque fois que je venais ici. Jamais Lyzidore n'aurait pu trouver cet endroit. J'avais eu tort de m'inquiéter lorsqu'elle et ses marins étaient montés. Je m'arrêtais devant l'autel, les yeux brillants, et clamais :
- Par les dieux des mers, de la terre, de l'air et du feu,
Qui, un jour, se rassemblèrent en ce saint lieu,
Je suis Salma, descendante de Merlin.
Donne-moi la Clef des Sept Chemins.
Les tentacules colorés qui composaient cette chose arrondie s'écartèrent pour découvrir une petite clef. Je la pris dans ma main, fébrile. La Clef des Sept Chemins.
Fin
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top