Dans ses pas

Le réveil sonne. Une main s'abat dessus avec une précision qu'elle n'a pas. Moi, je l'ai. Pas elle.

C'est moi qui ouvre les yeux, pas Lila. C'est moi qui prends une grande inspiration en sentant l'odeur familière de sa chambre : un mélange de linge propre et de bougie à moitié consumée. Elle dort encore, au fond de nous. Ce n'est pas son tour aujourd'hui.

Je me lève, l'esprit clair. Pas comme elle. Elle est toujours dans le brouillard, perdue, à chercher des réponses. Moi, je sais. Je n'ai pas toutes les pièces, mais j'en ai assez pour avancer. Pas besoin de tout comprendre. Parfois, avancer suffit.

Je me dirige vers la salle de bain. Son reflet m'accueille dans le miroir, mais ce n'est pas elle que je vois. Ses traits sont les mêmes, mais l'énergie est différente. Je relève ses cheveux, les attache rapidement. Pas de maquillage. Ce n'est pas important. J'ouvre le robinet, l'eau froide sur sa peau m'ancre dans ce corps que nous partageons.

— Encore toi ?

Sa voix résonne dans un coin de ma tête. Fatiguée, agacée.

— Oui, c'est moi. Tu devrais te reposer.

Elle ne répond pas. C'est mieux ainsi.

Le téléphone sur le bureau vibre. Une notification. Isa, encore. Lila hésiterait, mais moi, je n'ai pas le temps pour ça. J'ouvre le message.

« Tu vas mieux ? Tu veux qu'on parle ? »

Je réfléchis une seconde, puis je réponds.

« Ça va. Rien de grave. T'inquiète pas. »

Isa est gentille, mais elle ne comprendrait pas. Pas encore. Et franchement, on n'a pas besoin de ça aujourd'hui.

Je quitte la maison, le vent frais du matin frappant son visage. La lumière est aveuglante, mais ça ne me dérange pas. J'aime cette sensation : la force, la clarté. Marcher dans ce monde avec un but, sans les hésitations de Lila.

Au café du coin, je commande un thé – son préféré, pour ne pas attirer l'attention. La serveuse me sourit.

— Comme d'habitude ?

Je hoche la tête. Elle ne remarque pas que ce n'est pas Lila aujourd'hui. Personne ne remarque jamais.

Pendant un instant, je ressens un pincement. Une colère sourde contre ce monde si aveugle, contre ceux qui n'ont jamais vu que nous étions plus d'une. Mais je la repousse. Ce n'est pas leur faute. Nous sommes douées pour cacher.

Je m'assieds près de la fenêtre, les mains autour de la tasse chaude. Les gens passent, pressés, le regard vide. Je les observe, me demandant parfois ce qu'ils cachent, eux. Parce que personne n'est entier, pas vraiment.

Lila murmure à nouveau, plus fort cette fois.

— Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu prends ma place ?

Je ferme les yeux.

— Parce que tu en as besoin. Parce que sans moi, tu te perds.

Elle se tait, mais je sais qu'elle n'est pas convaincue. Elle veut comprendre, toujours. Moi, je veux avancer. Et c'est ça qui nous sauve.

Quand je me lève pour partir, je laisse un billet sur la table, un peu trop, mais ça m'est égal. Je croise mon reflet dans la vitrine du café en sortant. Pour un instant, je crois apercevoir son regard, le sien, derrière mes yeux.

— À bientôt, Lila, murmuré-je doucement, sans savoir si elle m'a entendue.

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