8. Que jamais minuit ne vienne


Quand Hoseok apprit qu'il allait mourir, il supplia. Il se jeta par terre, hurla, pleura. Mais au bout du compte, il dût se rendre à l'évidence : il allait mourir jeune. Et rien ni personne ne pouvait empêcher ça. La machine ne mentait pas.

Quand son téléphone sonna, Hoseok sursauta. Il fut pris par une sueur froide qui recouvrit tout son corps. Il était minuit. Le premier jour d'octobre venait de débuter. C'était donc aujourd'hui. S'il connaissait le jour de sa mort, il ne connaissait pas l'heure. Il lui restait donc un maximum de vingt-quatre heures pour profiter de la vie. C'était court et affreusement long en même temps. Depuis qu'il savait, il s'appliquait à faire tout ce dont il avait envie sans jamais réfléchir au lendemain.

Au début, il avait espéré que ce soit une erreur. La machine pouvait se tromper. Mais il avait fini par constater qu'elle ne se trompait jamais. Il n'avait rien dit à ses proches, il ne voulait pas leur faire vivre cet enfer de l'attente. Il avait testé cette machine dans le secret de tous, par curiosité. Il regrettait.

Hoseok finit par se lever. Il n'avait pas beaucoup dormi, il ne se sentait pas très bien. Il ne pouvait s'empêcher de se demander ce qui allait se passer. Allait-il souffrir ? Il espérait que non. Avec les années, il avait fini par accepter sa mort. Mais il n'acceptait pas la souffrance. Ca non. C'était déjà assez horrible de mourir aussi jeune. Il prit sa douche en prenant son temps. Il voulait être propre et beau pour son dernier jour. Puis il mangea quelque chose, il allait avoir besoin de forces. Il était maintenant une heure du matin. Plus que vingt-trois heures tout au plus. Hoseok s'installa alors sur sa petite table. Avant de se coucher, il avait disposé quelques feuilles et un stylo. Il était temps de dire au revoir à ses proches. Il aurait pu le faire avant, pour être sûr d'avoir le temps d'écrire ses adieux, mais il avait refusé de laisser tout ça devenir dramatique. Et il avait peur que quelqu'un tombe dessus avant sa mort. Il coucha alors ce qu'il ressentait sur le papier puis plia le papier en trois pour le laisser en évidence sur la table. Sur le dessus, il avait inscrit "A ceux que j'aime".

« A ma famille, à mes amis,

Si vous lisez cette lettre aujourd'hui, c'est que je ne suis plus là pour vous donner des explications. Je vous aime, et j'espère que vous accepterez mon choix. Si je ne vous ai rien dit, c'est parce que je ne voulais pas vous voir souffrir. Ca aurait été trop dur pour vous.

Il y a trois ans, j'ai fait une grave erreur. Lors d'un pari, j'ai gagné un ticket pour tester la Machine. Celle dont tout le monde parle et qui prédit le jour de votre mort. Comme j'y croyais pas trop, parce qu'elle n'avait pas encore fait ses preuves, j'y suis allé. Je n'aurais pas dû. Depuis qu'elle existe, elle ne s'est jamais trompée. Elle a prédit des milliers de morts. Dont la mienne. Comme vous vous en doutez, c'est aujourd'hui que je pars. Je sais que je ne peux rien y faire, et vous non plus. J'ai profité de chaque instant, sachant parfaitement qu'ils étaient précieux.

J'espère que vous avez été heureux à mes côtés. Que ces dernières années, brûlées par les deux bouts, vous ont procuré autant de bonheur qu'à moi. Je ne sais pas comment ça va se passer, ni quand. Mais s'il vous plaît, ne pensez pas trop à ça. Pensez à tous mes sourires, tous nos moments ensemble. Ne retenez que ça de moi. J'ai aimé la vie, et vous devez l'aimer vous aussi.

Merci pour tout ce que vous m'avez donné. Je vous aime infiniment. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureux que vous ayiez fait partie de ma vie. Je vous aimerai toujours, même après mon départ. S'il vous plaît, continuez de m'aimer vous aussi.

Adieu.

Hoseok. »

Hoseok se rendit compte en mettant sa veste qu'il pleurait. Il ne comptait pas rentrer à son appartement avant la fin de la journée, s'il était encore en vie à la tombée de la nuit. Mais il ne savait pas vraiment quoi faire, à vrai dire. Il s'était juré de profiter de cette journée du début à la fin, il ne savait pas comment s'y prendre. Que pouvait-il faire à cette heure-là ? Il pensa alors qu'il pouvait aller dans un karaoké. Ils étaient toujours ouverts, à toute heure, même la nuit. Lui qui aimait chanter, c'était parfait. Alors il s'y rendit.

Une fois dans la petite pièce où il pouvait s'amuser, Hoseok lança son téléphone pour se filmer. Il resta là deux heures, il commanda à manger, mais il ne but pas d'alcool. Il voulait avoir les idées clair pour son dernier jour sur terre. Quand il sortit, son téléphone plein de souvenirs et de déclarations d'amour à ses proches, il était quatre heures du matin. Plus que vingt heures maximum.

La ville n'allait pas tarder à se réveiller, même si elle ne dormait jamais réellement. Hoseok prit le temps d'acheter encore de la nourriture pour la donner à des gens dans le besoin. Il n'avait pas beaucoup d'argent, mais puisqu'il ne devait plus jamais se réveiller, il voulait en faire profiter à d'autres. Le temps passa, et au fil de ses divagation, Hoseok se retrouva au bord de la rivière Han. Il était six heures du matin, et dans une demie heure, le soleil allait se lever. Il resta assis là, dans la fraîcheur et l'humidité, à attendre de voir ce spectacle qu'il voyait pourtant souvent. Si ça devait être le dernier, il allait en profiter. Il prit quelques photos ainsi qu'un selfie sur lequel il avait un sourire éblouissant. Aussi loin qu'il s'en souvenait, il avait toujours été souriant. Il n'allait pas changer ça, même pour ses dernières heures.

Quand le soleil fut levé, Hoseok repartit et s'éloigna de la rivière pour retourner dans la ville. Il ne savait toujours pas quoi faire. En passant devant un cinéma, il eut l'idée d'aller voir un film. Il n'y allait pas souvent seul, il préférait de loin venir avec ses amis. Mais cette fois, ils n'étaient pas là. Il entra dans la pièce et profita de son dernier film avec plaisir. Hoseok passa le reste de sa matinée à se promener dans les rues, entrant parfois dans les magasins sans jamais rien acheter. Il prit soin de capturer ces instants pour que jamais personne ne puisse l'oublier. Il avait l'air heureux. Il l'était en partie. Il pensait à ceux qu'il aimait et qu'il aimerait toujours. Il voulait les voir sourire aussi fort que lui souriait. La fatalité allait lui prendre sa jeunesse, mais il ne devait pas pleurer pour ça. C'était comme ça.

Hoseok s'offrit un repas digne de ce nom dans un de ses endroits préférés pour le déjeuner. Il mangea avec plaisir, sachant que c'était sans doute le dernier repas de sa vie. Quand il sortit, il était treize heures passées. Plus que onze heures. Il savait que ça allait arriver, mais il priait toujours pour que le temps se fige. Pour que jamais minuit ne vienne. Mais il savait qu'il pouvait mourir à tout moment. C'était terrible. Il sentit son coeur le pincer. Il ne voulait pas partir. Il avait encore tant de choses à vivre. Il n'avait rien accompli, finalement. Il avait décidé de profiter de la vie à partir du moment où il avait appris la date fatale. Mais il aurait dû se rendre utile, faire quelque chose d'important. Mais non. il n'avait pensé qu'à son propre bonheur. Il allait partir sans laisser aucune trace de son existence. Il regrettait.

L'après-midi, Hoseok déambula dans les rues. Il se rendit dans un musée pour profiter d'oeuvres d'art une dernière fois. Il s'installa un instant dans un parc pour observer les enfants qui jouaient. Ils étaient encore tellement innocents. Alors que lui avait déjà perdu son innocence. Il sentit les larmes encore monter à ses yeux mais il les retint. Il prit un verre dans un cat café et fit le plein de tendresse féline. Puis il décida d'aller au Lotte World. Il était déjà tard, mais il voulait absolument faire une attraction. Une seule. La plus forte. Il devait faire ça au moins une fois dans sa vie, lui qui avait si peur des manèges à sensations. Et il la fit. Quand il sortit, il était presque dix-huit heures. Plus que six heures.

Il était tard et Hoseok devait manger. Il était heureux de prendre un repas de plus. La nuit n'allait pas tarder à tomber, aussi il décida de prendre quelque chose à emporter pour le manger chez lui. Il attendrait ensuite que la mort vienne le chercher. Il choisit avec soin le restaurant auquel il voulait commander pour la dernière fois. Des brochettes d'agneau. Il en mangeait rarement, pourtant il adorait ça. C'était un bon choix. Tout à coup déprimé, Hoseok retourna vers son logement, son sac à la main. Il n'arrivait plus à sourire. Il avait profité de sa journée, fait plein de choses. Et il avait espéré que ça arrive à un moment où il n'était pas seul. C'était mal de vouloir mourir au milieu d'une foule choquée, mais c'était tout de même son souhait. Sauf qu'il allait rentrer chez lui, maintenant. Il était fatigué, las d'attendre. Peut-être que la machine s'était réellement trompée cette fois et qu'il n'allait pas mourir ? Après tout, il restait un peu plus de cinq heures.

Hoseok mit ses mains dans ses poches, portant son sac autour de son poignet, une capuche sur la tête. Finalement, il ne voulait plus voir personne. Pourtant, quand il s'approcha de son immeuble, il entendit une voix l'appeler. Une silhouette s'élança vers lui et Hoseok se força à sourire. Il sortit la main de sa poche pour étreindre son ami quand il se jeta dans ses bras. Son cadet se détacha de lui en souriant.

- J'avais abandonné l'idée de te voir ce soir, hyung. J'étais en train de rentrer chez moi. Tu vas bien ?

- Je vais bien, et toi ? Comme tu vois, j'étais parti me chercher à manger !

Hoseok secoua son bras pour mettre son sac en évidence. L'odeur de la nourriture les entoura légèrement et son ami se mit à sourire.

- Brochettes d'agneau ? Tu m'invites ?

- Tu n'as pas encore mangé à cette heure ?

- Si ! Mais tu me donnes faim ...

- Allez, je dois bien en avoir assez pour deux.

Hoseok ne voulait pas que ça se passe comme ça. Mais il n'avait pas la force de renvoyer son ami chez lui. Ses angoisses le reprirent. Il ne voulait pas mourir seul, dans son petit appartement. Mais il ne voulait pas faire subir ça à son ami. C'était un dilemme terrible. Hoseok décida de ne rien faire de plus. Il ne pouvait pas refuser une présence familière, qu'il appréciait énormément. Les deux compères se mirent alors en route pour rejoindre son appartement. Il ne leur restait que la rue à traverser puis c'était le deuxième bâtiment sur la droite. Hoseok écoutait son ami parler, le regardait sautiller sur place en train de raconter son histoire de la journée. Le feu piéton passa au vert. Ils traversèrent.

Alors qu'ils étaient presque sur le trottoir, Hoseok entendit un crissement de pneu. Une voiture fonçait à vive allure sur eux. Et Jungkook allait se faire percuter.

- Jungkook ! Hurla Hoseok.

Il le poussa violemment sur le trottoir sans attendre de réaction de sa part. L'instant d'après, la voiture le percuta de plein fouet. Son corps fut propulsé dans les airs, ses membres se retrouvant ballotés dans tous les sens. Jungkook retomba au sol la seconde qui suivit. Le sac rempli de brochette d'agneau atterrit par terre lui aussi, la viande se répandant partout sur la route et sur le trottoir. Puis Hoseok retomba lourdement au sol, quelques mètres plus loin. Jungkook comprit tout de suite ce qu'il s'était passé. Il se releva immédiatement, malgré sa douleur dans le poignet. Il se précipita vers son aîné, se mettant déjà à pleurer.

- Hyung ! Hyung, ouvre les yeux !

Hoseok ouvrit les yeux, attiré par cette voix qu'il affectionnait. Il sourit tristement pendant que Jungkook pleurait à chaudes larmes. Le plus jeune sortit rapidement son téléphone de sa poche.

- Je vais appeler les secours. Ca va aller. Accroche-toi hyung.

Hoseok leva faiblement le bras pour l'en empêcher. Il ne voulait pas de ça. Jungkook attrapa sa main et la posa sur sa poitrine.

-Ca ne servira à rien, prononça faiblement Hoseok. Je savais que ça allait arriver aujourd'hui.

Jungkook passa sa main libre dans ses cheveux imprégnés de sang. Sa tête avait tapé. Il pouvait aussi sentir une douleur atroce dans son abdomen. Il avait sûrement de multiples fractures. C'était fini. Il le savait. Il le savait depuis le début de cette journée maudite. Il lui restait exactement quatre heures et quarante-trois minutes.

- Hyung, s'il te plaît, on doit au moins essayer !

Mais Hoseok tenait fermement sa main malgré sa faiblesse et sa douleur. Il sentit des larmes couler le long de ses joues, se mêlant au sang qui passait ses lèvres. Ces larmes, il les avait retenues toute la journée. Il se sentit commencer à partir. Il était rassuré. Il n'était pas seul. Il avait enfin accompli quelque chose dans sa vie. Quelle meilleure façon de mourir qu'en sauvant un ami ? Hoseok offrit son dernier sourire à Jungkook. Certainement le plus éclatant qu'il n'ait jamais fait.

- La machine ne ment jamais.

Hoseok entendit Jungkook hurler son nom quand il ferma les yeux. Il sentit son coeur battre terriblement fort dans sa poitrine. Trois fois. Puis il s'arrêta.

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