chapitre 1
- Bonjour monsieur Humbert, ravie de faire votre connaissance !
Je dévisage la nouvelle venue. Il s'agit d'une femme d'une quarantaine d'années tout au plus, aussi âgée que moi. Elle a l'air pleine d'énergie, mais pourquoi, alors, je la trouve épuisée ? J'ignore qui elle est, mais elle, a visiblement l'air de me connaître. Qui peut-elle bien être pour venir troubler une de mes longues et lassantes journées en clinique. Dit comme cela, on pourrait croire qu'un petit bouleversement dans ma vie monotone pourrait être une bonne chose, mais je me suis habitué à cette routine, et en fin de compte c'est plutôt agréable. J'ai perdu la notion du temps, ce qui n'a rien d'étonnant vu ma maladie. C'est quelque chose qui a du bon. Cela me permet de vivre dans un monde parallèle, sans me soucier de rien.
- Qui êtes-vous ?
J'ai posé la question, pourtant nullement intéressé par la réponse. Uniquement par politesse.
- Je m'appelle Mme Perret, je suis chercheuse. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, je souhaiterai parler avec vous.
- Chercheuse en quoi ?
Un grand sourire éclaire son visage, mais pourtant, une lueur de tristesse brille dans ses yeux.
- Chercheuse en tout !
Étrangement, je n'ai aucun mal à la croire. On ressent qu'elle est passionnée. Elle fait partie de cette catégorie de gens qui rayonne d'émerveillement pour la vie, le genre de personnes avec qui j'ai du mal.
- Pourquoi voulez-vous me parler ?
- J'ai entendu parler de vos problèmes de mémoire, et j'aimerai beaucoup que vous vous souveniez !
- Vous êtes médecin.
Cette perspective ne m'enchante guère. Tous les médecins que j'ai connus jusque là n'ont toujours cherché que ce qui les intéressait. Ils étaient en quête de futiles détails, le reste ça leur passait à côté. Ils cherchaient à me faire recouvrer la mémoire sans se soucier du reste. Et mes trous de mémoire, c'est sans doute ce que je supporte le mieux.
- Non, non, détrompez-vous ! Je suis vraiment chercheuse ! Je fais également du bénévolat dans de nombreuses associations. Je trouve les humains très intéressants, si je fais tout cela, si je cherche, c'est pour comprendre...
- -...Les humains.
Elle s'explique avec tant d'enthousiasme, elle parle des humains comme si elle n'en était pas un.
Je fronce les sourcils. C'est une impression de déjà-vu, déjà ressentit. Je pose mes mains contre mes tempes. Impossible de me souvenir. À chaque fois, j'ai l'impression d'avoir la réponse sur le bout de la langue, avant que tout disparaisse. Je trouve ça insupportable.
- Monsieur Humbert ? Vous allez bien ?
Probablement alarmée par mon front plissé par l'effort et mes yeux brulants de rage, elle me dévisage, une réelle inquiétude dans le regard.
- Oui, oui, ça va. Un instant, j'ai cru... J'ai cru me souvenir.
La chercheuse écarquille les yeux.
- Vous avez aperçu quelque chose ? Qu'était-ce donc ?
- Rien. Juste une impression.
- Ah bon. C'est déjà un bon début non ? Enfin... Si vous acceptez de parler avec moi, si vous voulez bien que je vous aide à vous rappeler.
Je fais la moue.
- Beaucoup ont déjà essayé.
- Ha, Pardon ! Je ne promets rien, je voudrais juste essayer, je ne suis pas sûre...
Je l'interromps.
- Non, c'est bien. Si vous vous persuadez de pouvoir y arriver, si vous croyez en vous, ça finira par marcher. L'inverse est aussi vrai.
Elle sourit.
- Oui, c'est vrai. J'y arriverai. (Elle fait une petite pause puis reprend soudainement.) Ça veut dire que vous acceptez ?
Oui. (Je fixe mes pieds.) Vous avez une idée pour commencer ? Une piste ?
Mme Perret semble agréablement surprise par ma réponse.
Elle s'installe sur un banc, en face de moi.
- Bon ! Par quoi souhaitez-vous commencer ? Y a-t-il quelque chose que vous tenez à dire sur, une impression, un sujet qui vous passionne ?
Je réfléchis en silence. Il y a bien quelque-chose, que j'ai appris il y a des années et qui m'a tant marqué que je n'ai pu l'oublier.
- L'effet Pygmalion, lâché-je finalement, un goût amer dans la bouche.
Une sensation désagréable qui revient chaque fois que je prononce ces mots.
-Qu'est-ce donc ? demande la chercheuse qui se penche en avant, intriguée.
Je la soupçonne de connaître ce phénomène, et de jouer l'ignorante afin de me faire parler, mais peu importe.
- L'effet Pygmalion est un phénomène psychologique. Il consiste à répéter de nombreuses fois la même chose à une personne jusqu'à ce qu'elle en soit convaincue. L'effet Pygmalion peut aussi être utilisé sur soi-même. Par exemple, vous avez sans doute déjà dit, ou entendu dire : "Arrête de te traiter d'idiot ou tu vas finir par le devenir." Eh bien il s'agit justement de l'effet Pygmalion. S'il est si facile de faire changer un être humain de cette façon, c'est car le cerveau à tendance à emmagasiner tout ce qui lui est familier comme étant la vérité, ce phénomène peut également être utilisé à bon escient, en répétant à un individu qu'il est très intelligent.
- C'est très intéressant, murmure Mme Perret l'air pensive.
Elle a une idée derrière la tête, ça se sent. Il faut dire, aussi, qu'étant passionnée par les comportements humains, il est normal qu'un phénomène psychologique ne la laisse pas indifférente.
- Il me semble que l'effet Pygmalion a été découvert suite au cas d'Edison.
- Edison !?
- Oui. Saviez-vous qu'Edison, petit, avait été renvoyé de son école car les professeurs disaient ne rien pouvoir faire pour lui ? Ils le prenaient pour un cas désespéré.
- Je l'ignorais. Difficile de croire qu'un génie comme lui a pu partir d'aussi bas avant d'entrer dans l'histoire...
- Attendez, le meilleur est encore à venir. Sa mère n'a pas du tout interprété la chose comme cela, elle a dit à son fils que c'était formidable, que l'on ne pouvait rien faire pour car il était intelligent. Elle en était persuadée.
Ellelâche un petit gloussement.
- Comme quoi, je reprends. Si Edison est devenu un tel génie, c'est sa mère n'a fait que lui répéter jour après jour qu'il était doté d'une intelligence supérieure à la norme.
- Je ne vous crois pas, l'intelligence ne peut pas se programmer comme ça.
- Non, mais tout est une question de conviction. Quand on veut, on peut. Et il est plus motivant de savoir que les gens croient en nous.
La chercheuse hoche la tête, avant de demander soudainement.
- Tout à l'heure, je vous avais dit de me parler, de me dire n'importe quoi, ce que vous vouliez. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
Je réfléchis à la question.
- Je l'ignore. J'ai découvert l'effet Pygmalion il y a des années mais je m'en souviens étrangement bien.
- Est-ce que ce souvenir, si l'on peut appeler ça comme cela, vous apporte quelque chose ? Est-il accompagné d'une impression ?
- une sensation désagréable, amère.
C'est ce que je ressens chaque fois que je pense à ce phénomène.
- Je pense que nous tenons une piste ! Creusez encore afin de préciser cette impression ! Je suis persuadée que cette sensation étant désagréable, vous n'avez chercher à voir ce qui se cachait derrière !
- Eh bien, ma foi, je dois bien admettre que je ne l'ai jamais tenté. Et honnêtement, je n'en ai toujours pas envie...
- Pourquoi donc ? Vous avez peur ?
Pour moi, qui ai toujours eu la réputation d'être fort, la véracité de son hypothèse me fait l'effet d'un coup de poing dans l'estomac.
- Oui... grommelé-je.
Le visage de mon interlocutrice s'attendrit.
- Je comprends.
Elle jette un coup d'œil à sa montre.
- Il se fait tard, je vais devoir vous laisser. Je reviendrai dans les prochains jours. D'ici là, essayer de creuser cette sensation, si vous vous en sentez capable ! C'était très agréable de discuter avec vous, vous êtes quelqu'un de très gentil, contrairement à ce que vous essayez de montrer !
Elle m'adresse un clin d'œil avant de quitter les lieux.
Je ressasse ses mots, en boucle, encore et encore. Moi ? Je suis gentil ? Pourquoi ai-je tant envie de la contredire ?
- Je ne suis pas gentil... murmuré-je pour moi-même. Je suis... Je suis... (Je prononce alors le mot qui me vient naturellement à l'esprit:) Je suis une brute.
Voilà pour le premier chapitre, qu'en avez-vous pensé ? :)
N'hésitez pas à me faire remarquez des fautes, ou à me faire des remarques !
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