Chapitre V
L'ambulance est arrivée plus rapidement que ce que Siare aurait cru. Ils la partageaient avec un vieil homme en état de choc qui marmonnait des choses incompréhensibles en finnois, la tête dans les épaules mais les yeux grands ouverts, vides.
Le linguiste se posait beaucoup de questions mais se refusait à s'en enquérir tant qu'il n'était pas fixé sur l'état de santé d'Antti.
Ses yeux s'étaient révulsés et il était tombé droit comme une planche contre le béton. Son crâne saignait à l'endroit où il avait frappé le sol mais les secours avaient conclu à une simple égratinure sans gravité. Ce qui les inquiétait, c'était le pouls excessivement rapide du luthier, bien que très régulier.
On demanda à Siare d'attendre en dehors de la salle où on plaçait Antti. Il n'avait pas eu le temps de demander s'il pouvait apporter son aide, ou même ce qu'ils allaient faire pour lui.
L'inquiétude et la confusion s'entremêlaient dans l'esprit du Suédois. Il parvint à se calmer après plusieurs minutes assis sur un banc dans la salle d'attente, et ne s'en leva que pour rejoindre la grande baie vitrée qui constituait un des murs de la pièce.
La grande tâche d'or était parfaitement visible, même dans le ciel bleu cyan du début d'après-midi. Elle avait paru très, trop claire ce matin, lorsqu'Antti avait perdu connaissance. Comme si une sorte d'artiste gigantesque avait photographié l'Humanité dans ses ténèbres en l'aveuglant le temps du flash. Et l'image qui rémanait dans la rétine de l'Humanité semblait ne pas quitter le dessus des têtes scandinaves.
Siare n'avait jamais vraiment suivi de parcours d'astronome, mais son instinct scientifique, développé au cours des études de centaines de langages terrestres, lui insufflait une curiosité sans limite, qu'il n'avait pas pris le temps de savourer jusqu'à maintenant.
Il se rappela un écrit d'Albert Einstein, après que celui-ci se soit rendu compte qu'il avait déterré plus de questions que de réponses grâce à sa théorie de la relativité:
Si je venais à mourir maintenant, je serais l'homme le plus heureux du monde. Non pas parce que je souhaite mourir, mais parce qu'aujourd'hui je baigne dans l'émotion humaine la plus fascinante qui soit: le mystère.
Siare acquiesça mentalement. Il ne voulait pas mourir non plus, et se jura de faire tout ce qu'il pourrait pour en savoir plus sur le Flash - autant que le peut un linguiste quand il s'agit d'une énigme astronomique.
¤¤¤
L'infirmière qui avait conduit le brancard d'Antti vers la salle où d'autres professionnels s'étaient occupés de lui revint après environ trois quarts d'heure d'attente.
Ses cheveux relevés en un chignon et son visage marqué (non pas par l'âge, mais par la fatigue) lui donnait un air sévère et impatient, pourtant lorsqu'elle ouvrit la bouche pour parler, ce fut une voix douce et compatissante qui glissa entre ses lèvres.
- Nous avons stabilisé son état, mais plusieurs choses à son propos nous semblent très étranges.
- Etranges? Vous pourriez m'éclairer? s'enquit Siare en plissant les yeux.
- Eh bien, lorsque vous avez appelé, vous avez communiqué l'état symptômatique d'Antti à nos services, c'est exact?
- Absolument. J'ai peut-être été hâtif dans ma démarche étant donné la situation... (ses yeux glissèrent un moment vers la baie vitrée et le Flash) ... mais j'ai vu Antti perdre connaissance et tomber à la renverse. Ses yeux étaient révulsés, il ne se réveillait pas...
- Et vous avez conclu à un évanouissement, sous l'effet d'un choc traumatique lié à... à ce qu'il y a dans le ciel.
- Oui. J'ai fait une erreur?
L'infirmière secoua la tête et ses sourcils se détendirent.
- Non. Ou alors, nous avons tous fait la même. En réalité, il n'a jamais perdu conscience.
- Mais il est...
- ...tombé à la renverse, oui. Ses muscles ne répondent pas, aucun réflexe oculaire... mais étant donné l'échec de toutes les tentatives de réveil, nous avons fait un scan cérébral. Et son cerveau n'a jamais été aussi actif.
Siare écarquilla les yeux. Le cerveau d'Antti était encore plus actif que lorsqu'il était éveillé? Pourquoi?
La question surgit de son esprit et de sa bouche en un même instant.
- Quelles régions de son cerveau sont les plus actives?
L'infirmière se renfrogna et prit une mine désolée, un peu comme si elle n'était capable que de délivrer des résultats sans pouvoir les expliquer.
- Ca ne vous parlera sans doute pas mais les parties de son cerveau qui sont les plus actives actuellement sont le noyau caudé et l'amygdale.
En temps normal, peu de gens s'intéressent réellement à la composition détaillée de l'encéphale, et à ses fonctions. Siare aurait fait partie de ceux-là s'il n'avait pas étanché sa soif de connaissance durant ses études de langues. Il se trouvait qu'il se rappelait bien du noyau caudé, ainsi que de l'amygdale.
Ce sont les parties du cerveau les plus actives lorsqu'il s'agit de ressentir des émotions ou lors d'un apprentissage quelconque.
En déduisant ces quelques faits de manière presque robotique, Siare n'avait pas vraiment cherché à en trouver le sens. Ce n'est qu'au bout d'une dizaine de secondes que sa bouche s'entrouvrit et que son regard se perdit dans le vide.
Antti était endormi, et il était en train d'apprendre quelque chose.
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