Seconde Partie
David Setis retira sa main.
'Je suis désolé', dit-il en laissant porter son regard par-dessus les épaules abaissées de Simon. 'Cette chose doit être oubliée. Je te crois lorsque tu dis que tu ne donnes aucun crédit aux histoires de Julia, mais au nom de ma sanité, je dois te dire la vérité, celle qui est derrière la légende - et crois-moi, Simon, il y a une vérité!'
Il se redressa et marcha jusqu'à la fenêtre qui donnait sur la rue en contrebas. Il s'égara dans l'espace un instant, silencieux. Puis il se retourna et descendit les yeux vers son fils.
'Tu n'as entendu que la version de la légende qui provient de ta tante, Simon. Elle était sans nul doute propulsée dans une enveloppe qui la rendait bien plus hideuse qu'elle ne l'était en réalité - si c'est possible! Elle a aussi probablement parlé de cet endroit où aurait péri un de mes ancêtres, à Berlin. Il se pourrait aussi qu'elle ait mentionné ce livre, Vampires, qu'un autre Setis aurait écrit. Et alors elle a certainement parlé de tes deux frères cadets - mes propres enfants, privés de leur mère - qui furent sucés de tout leur sang dans leurs landeaux...'
Simon Setis passa une main sur ses yeux. Ces mots, si souvent répétés par cette sorcière de tante, réveilla en lui les mêmes horreurs qui avaient privé de sommeil ses nuits d'enfance. Il avait du mal à les entendre à nouveau, surtout alors qu'ils provenaient de l'homme qu'ils accusaient.
'Ecoute, Arthur', reprit l'aîné d'une voix cadenassée de douleur, 'Tu dois connaître cette base de vérité qui a tant nourri la haine de ta tante. Tu dois prendre connaissance de cette malédiction - la malédiction du vampirisme qui est supposée avoir suivi les Setis depuis cinq siècles d'histoire française, mais que nous pouvons camoufler en superstition, si communément liée aux familles anciennes. Mais je dois te dire que cette partie de la légende est vraie:
'Tes deux frères sont bien morts dans leurs landeaux, d'exsanguination. Et j'ai été accusé de leur meurtre, et mon nom fut sifflé à travers toute l'Europe avec une telle inhumanité qu'il força ta tante à t'emmener avec elle en Amérique, me laissant sans enfant, haï et ostracisé du monde entier.
Je dois te raconter cette terrible nuit au Château Setis. J'avais travaillé jusque tard sur des volumes historiques de Cresper et Prinn, et sur ce maudit bouquin, Vampires. Je dois te parler de cette douleur dans ma gorge et du poids du sang qui courait dans mes veines... Et de cette présence , qui n'était ni humaine ni animale, mais que je sentais respirer quelque part, ni dans le château ni à l'extérieur, pourtant plus proche de moi que mon coeur et plus effrayante que la Faucheuse...
J'étais à mon bureau dans la bibliothèque, ma tête nageant dans un délire qui me laissa engourdi, privé de mes sens jusqu'à l'aube. J'ai fait des cauchemars qui m'ont terrifié - qui m'ont terrifié, MOI, Simon, un homme dans la force de l'âge qui avait disséqué d'innombrables corps dans des morgues et des écoles médicales. Je savais que quelque chose n'allait pas, qu'une pourriture pervertissait mon corps comme une fièvre.
Je ne peux me souvenir de ma sanité ou de si j'étais conscient. Cette nuit reste vive, inoubliable mais pourtant si sombre, si mystérieuse, complètement cachée dans les ténèbres. Lorsque j'avais trouvé le sommeil - si, grand Dieu, c'était bien du sommeil - j'étais étendu sur mon bureau. Mais lorsque je me reveillai, j'étais allongé sur le ventre dans le sofa. Alors tu vois Simon, je me suis déplacé durant la nuit, et je ne m'en suis pas rendu compte.
Ce que j'ai fait et où je suis allé durant ces heures sombres resteront à jamais un mystère impénétrable. Mais je sais ceci. Au matin j'étais déchiré de mon sommeil, secoué de cris de fantômes et de coups contre une porte. Je me suis dirigé en titubant vers la porte de mon bureau, et dans la garderie je vis ces deux bébés, là, morts, blancs et secs comme des momies, avec des trous jumeaux dans leurs cous - des trous noircis par leur propre sang séché...
Oh, je ne te blame pas pour ton incrédulité, Simon. Je n'y crois pas moi-même, et je n'y croirai jamais. Y croire me ferait me suicider; et déjà, en douter m'horrifie.
Toute la France doutait, et même les érudits qui défendaient mon nom lors du procès avaient découvert qu'ils ne pouvaient ni expliquer ni nier les faits de cette nuit. L'affaire fut étouffée par la République, puisqu'elle aurait pu faire s'effondrer la science par les fondations et détruire le piédestal de la religion et de la logique. J'ai été libéré de mes charges; mais je ne m'étais pas moi-même libéré du meurtre.
Les légistes ayant examiné les minuscules cadavres les avaient trouvés tous deux secs, entièrement vidés de leur sang, mais personne n'avait retrouvé de sang dans la pièce ou dans les berceaux. Quelque chose d'infernal avait rampé dans les hall du château cette nuit. Toi aussi, mon fils, tu serais mort et vidé de ton sang si tu n'avais pas dormi dans une autre pièce, verrouillée de l'intérieur.
Tu étais un enfant timide, Arthur. Tu n'avais que sept ans, mais tu étais imprégné du folklore fou de ces Lombards et de la poésie de ta tante. Durant cette même nuit, alors que j'étais quelque part entre le paradis et l'enfer, toi aussi tu avais entendu les bruits de pas dans le couloir de pierre et la main qui tentait d'ouvrir ta porte, puisqu'au matin tu t'es plaint d'un courant d'air et de terribles cauchemars qui te terrifiaient dans ton sommeil... Mais grâce à Dieu ta porte était condamnée!'
La voix de David Setis s'étrangla dans un sanglot qui ramena une larme dans son œil. Il s'arrêta un instant pour se frotter le visage.
'Tu comprends, Simon, que pendant vingt ans, sous serment, je ne pouvais ni te voir ni t'écrire. Vingt ans, mon fils, que tu as passé à grandir et à me haïr, à cracher sur mon nom. Tu ne t'es pas appelé Setis publiquement jusqu'à la mort de ta tante... Et maintenant tu viens me voir, en disant que tu m'aimes comme un fils devrait aimer son père.
Peut-être que c'est Dieu qui m'accorde son pardon. Maintenant, enfin, nous serons ensemble, et ce terrible passé, inexplicable, sera enterré pour toujours...'
Il remit son mouchoir dans sa poche et marcha lentement jusqu'à son fils. Il se laissa tomber sur un genou, et agrippa les bras de Simon.
'Mon fils, je ne puis te dire quoi que ce soit de plus. Je t'ai dit la vérité comme moi seul la connait. Il se pourrait que je sois, à vrai dire, quelque goule créée par Satan sur Terre. Je suis peut-être un tueur d'enfants, un vampire, un vrykolaka - une chose que la science ne peut expliquer.
'Peut-être que la légende morbide des Setis est vraie. Uriel Setis fut jugé coupable du meurtre de son frère de la même monstrueuse manière en 1548, et il mourra sur le bûcher. Jean Setis, en 1811, se fit exploser le crâne avec un revolver artisanal après avoir retrouvé son fils mort, d'anémie. Et il y en a d'autres, dont je ne peux pas parler par manque de courage, qui te glaceraient l'âme si tu entendais leurs histoires.
'Alors tu vois, Simon, il y a une tradition infernale dans notre famille. Un héritage qu'aucun Dieu sain d'esprit aurait pu autoriser. Le futur des Setis repose en toi, puisque tu es le dernier de l'espèce. Je prie de tout mon cœur que tu vivras une vie tranquille, en laissant les autres Setis derrière toi. Et si je sens une fois de plus cette présence comme je l'ai sentie au château Setis, alors je mourrai comme Jean Setis, il y a tant d'années...'
Il se redressa, et son fils fit de même.
'Si tu es prêt à tout oublier, Simon, nous monterons dans le Maine, dans ce chalet. Il y a une vie que nous n'avons jamais connue qui nous attend. Nous devons trouver cette vie, et nous devons trouver le bonheur qui nous échappe depuis des décennies...'
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