Chapitre 33: Lila

Évidemment, elle ressent le besoin d'encore plus l'irriter. Je pense à lui rendre la monnaie sa pièce. Mais, une fois dans la serre, je me dégonfle en beauté. Adossée contre le plan de travail, je reprends enfin mes esprits.

-J'ai perdu la tête...affronter une tueuse en série à cause d'une maudite tasse de thé ?

Ma vie vaut vachement plus que ça. Je vais lui faire sa maudite tasse de thé. Peut-être que ça lui permettra d'être plus gentille et plus douce. Tiens, pourquoi je n'essaierai pas la recette que Madame Stevenson m'a donné ? Après tout, je lui avais promis d'essayer et il n'y aura pas meilleure occasion.

J'ai tout ce qu'il me faut! Et, à présent que j'ai rajouté quelques plantes dans la serre, une belle atmosphère y règne. Une atmosphère qui me donne envie de me mettre au travail. J'ai bien fait de faire ce ménage et de ranger. C'est beaucoup mieux !

À présent, c'est beaucoup plus facile de suivre la recette. Donc, je sors le petit bout de papier que j'avais rangé dans l'un des tiroirs et le pose sur le plan de travail. Puis je vais chercher tous les ingrédients et les ramène. Maintenant il faut passer à la pratique et je ne suis pas aussi optimiste que je le voulais.

Heureusement Madame Stevenson a déjà fait la préparation. Il ne me reste plus qu'à réchauffer le liquide se contenu dans le thermos qu'elle m'a donné. Puis je le verse dans une tasse en porcelaine et rajoute des fleurs cristallisées.

–J'attends ma tasse Lila.

–Je me dépêche, Madame.

Qu'est-ce qu'elle peut être énervante celle-là ! Heureusement j'ai déjà fini. J'ai aussi pris le temps de faire quelques douceurs, pour mieux faire passer le tout et compenser, si jamais j'ai merdé quelque part. Puis je prends le plateau, y mets ma préparation et traverse la serre, en espérant silencieusement qu'elle s'étouffe avec les pétales cristallisés. Même si cela ne risque pas d'arriver.

Lorsque j'arrive dans le salon, elle est toujours assise dans son grand fauteuil et me lance toujours son regard sombre. Mais lorsque je pose le plateau devant elle, il change. J'y lis une certaine curiosité. À moins que ce soit de la surprise. Dans tous les cas, il semble s'adoucir légèrement.

–Où tu as trouvé ça ?

–Je l'ai fait.

Évidemment, elle n'en crois pas un mot.

–Toute seule ?

–Pas vraiment, je confesse en la servant. Disons que j'ai reçu l'aide d'une petite fée.

–Une petite fée ? elle répète avec un brin de malice.

Elle doit bien se douter que je parle de Madame Stevenson. Elle a compris, en un regard échangé. Puis je lui tends sa tasse de thé et laisse les pâtisseries à proximité.

–Vous avez besoin d'autre chose, Madame ?

Je me place près d'elle et attend silencieusement sa réponse. Elle prend un moment pour déguster son thé. D'habitude, il n'en prend qu'une gorgée mais aujourd'hui elle en la boit en totalité. Puis elle dépose sa tasse sur la table et se tourne vers moi.

–Décidément, tu es remplies de surprises Lila. Tu sais que Madame Stevenson ne donne pas aussi facilement ses recettes...

Puis elle se laisse séduire par des pâtisseries.

–Vous vous connaissez toutes les deux ?

–Elle est ma voisine.

–Oh. Tu connais aussi son fils Tom ?

–Oui. Il porte le même nom que mon frère. On s'amuse à les appeler « Tom 1 » et « Tom 2 »!

Étonnamment, cela la fait rire. C'est bien la première fois que j'entends ce son et je dois avouer qu'il est assez agréable.

-C'est si nul que c'est marrant...

-Merci.

C'est bien le premier compliment qu'elle me donne.

–Et si tu t'asseyais?

Son talon tapote légèrement le sol et je comprends. Je viens m'assoir à ses pieds, bien heureuses de l'avoir enfin s'ouvrir un peu. C'est la première fois qu'on partage un petit moment de complicité et où tout ne se termine pas par une dispute inutile.

On pourrait même dire qu'elle apprécie ma compagne. Même si, pour l'instant, elle se contente de déguster dans le calme quelque pâtisserie, en me lançant de temps en temps des regards curieux.

–Tu ne parle jamais de ta famille.

Cette remarque si soudaine me prend un peu au dépourvu.

–Mes parents sont décédés. Il ne me reste que mon frère Tom.

La vérité est que certaines fois j'en oublie leur destin funeste. Après tout, cela fait tellement de temps que je vis avec Tom et Sonia. Je les considère à présent comme ma seule famille.

–Comment ils sont morts ?

–Dans un accident de voiture.

–Et tu y étais ? Dans la voiture ?

–Oui. Mais j'étais bien trop petite pour m'en rappeler.

–Je vois.

Puis elle prend une autre gorgée de thé, bien pensive.

–J'ai aussi perdu mes parents...

La première fois que se confie à moi.

–Vraiment ? Cela a dû être si dure pour vous, Madame.

–Hum, pas vraiment..., elle répond en déposant sa tasse de thé. Je les ai tués. Avec l'aide de mon frère, Deimos. Nous aussi, nous sommes très proches.

Je reste sans voix. Et un malaise malsain s'installe.

–Tu sais...il est nécessaire, certaines fois, de pratiquer ce genre d'activité, pour renforcer les liens familiaux.

Je ne sais toujours pas quoi répondre. Tuer ses propres parents...comment est-ce qu'on peut faire une chose pareille ? Rien que d'y penser, cela me donnent des frissons. Et, d'un coup, je me sens très mal à l'aise. Madame Rose le remarque et se sent obligé de clarifier la situation.

–Ne t'inquiète pas, ils le méritaient! Je ne tuerais jamais d'innocents... enfin, pas volontairement.

C'est vrai que jusqu'ici elle n'a tué que des criminels. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi elle faisait toutes ces choses et pourquoi cela lui procurait autant de plaisir. Mais s'il y a une chose que je comprends bien, au fur et à mesure que je parle avec elle, c'est qu'il y a toujours une raison. Il y a toujours une raison pour finir entre ses griffes et ne pas mériter ça pitié. Enfin, si elle est capable d'en éprouver.

–Et votre frère, lui aussi a une cave, Madame, ?

Ma curiosité prend le dessus. Cela l'amuse.

–Non... lui, il aime le calme et le silence. Il nous fallait bien une différence.

-Oh. Je vois.

Je ne suis pas sûre de vouloir m'étaler sur le sujet. J'ai bien peur des choses que je pourrais apprendre. Et je préfère rester un peu plus dans le déni. Pourtant, je ne peux pas nier que, peu à peu, je ressens une étrange fascination pour cette femme forte. Si forte que cela devient inquiétant. Si forte que, chaque fois que je croise sa belle peau brune, j'ai envie de me prosterner et de lui baiser les pieds.

Il y a quelque chose en elle qui force le respect autant que la terreur. Et ce quelque chose me fait autant peur, qu'il m'excite.

–Dis-moi Lila, toi qui défends toujours la veuve et l'orphelin, et qui pense qu'il y a toujours du bon dans chaque être humain... comment tu te sens, en sachant que le meurtrier de tes parents, cet homme qui leur a foncé dessus avec sa berline noire, vit paisiblement sa vie ?

Puis elle reprend une gorgée de thé, comme si elle ne venait pas, en un instant, de me briser le cœur.

-Comment vous savez qu'il avait une berline noire?

–Tu pensais vraiment que je ne me renseignerais pas sur toi et ta famille ?

Je ne sais pas. Je n'ai pas l'habitude.

–Pour des raisons qui me sont personnelles, j'ai la rage contre d'affreuses personnes qui m'ont fait du mal et qui continue d'en faire à d'autres, Lila...

Puis elle saisit brusquement mon menton et me force à plonger mes yeux dans ses pupilles féroces.

–Et je sais que cette même rage sommeil en toi. Quelque part, je pense que c'est peut-être la raison pour laquelle je t'ai gardé. Même si tu n'est peut-être pas un parfait petit soldat qui suit mes ordres à la lettre...

–De la rage ?

–L'envie de vengeance est une force impossible à taire, Lila. Tu as beau l'enterrer sous toutes ces couches de douceur et d'innocence... tu as autant envie de tuer les hommes que moi. Ils ont gâché ta vie. Ils ont tué tes parents. Il t'ont fait perd ton boulot. Ils t'ont foutu dehors, toi et ton frère, sous la neige, sans le moindre remords. Parce qu'ils peuvent se le permettre. Ils peuvent tout se permettre. Ils ont tout! Et même si toi tu n'es toujours pas prêt à la laisser s'exprimer librement, moi j'attendrai. J'attendrai que le jour soit venu. Et quand ce sera le cas...

Elle se penche légèrement jusqu'à n'être qu'à quelques centimètres de mes lèvres.

-... Quand ce sera le moment Lila, je me battrai à tes côtés. Je leur ferai crier ton nom et implorer ton pardon.

Son doigt caresse ma lèvre et me fait légèrement frétiller.

-Tu va découvrir qu'il y a des choses au monde qui procurent plus de plaisir qu'une queue bien dure...

-Quoi donc, Madame?

-Une queue fendu en deux!

Cette femme est mon modèle 😭😭😭💕 je veux être à la place de Lila. J'irai faire le thé sans me plaindre !!!

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top