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À douze ans, Sofia rêvait d'être une star de cinéma, de se casser de son hameau du fin fond de la cambrousse, de renier toute sa famille, de cracher sur son héritage, de danser, de rire avec les plus grands, d'être acclamée dans les théâtres, d'être reconnue dans la rue.
À seize ans, Sofia s'est enfuie jusqu'à la ville la plus proche. C'était pas encore la capitale, mais y avait un port, des beaux quartiers, la fumée des usines. Des gamins qui s'affrontent dans la rue toute la nuit.
À dix-huit ans, Sofia a rencontré Park Jimin. Alors elle a compris comment elle allait pouvoir arriver ses fins. Pas grâce à lui, non. Grâce à tous les autres qui étaient trop aveuglés par leur égo pour se méfier d'elle.
Elle allait leur faire la peau.
Min Yoongi, c'était une occasion en or. Jimin ne comprenait rien. C'était facile, avec tous ces nigauds. Un mois avant eux, elle savait déjà tout, dans les moindres détails. Elle savait que Min Yoongi n'aimait pas le whisky trop cher, qu'il avait pris des cours de piano à douze ans avec l'argent de la caisse de l'église, qu'il voyait Jung Hoseok deux fois par semaine dans un café miteux, depuis un an déjà. Et bien sûr, comme tout le monde, elle connaissait l'histoire de Finsbury.
Du gamin un peu cinglé qui met le feu à l'église en pleine nuit. Tout le monde a dit qu'il voulait juste se faire remarquer. Mais Sofia croit avoir compris. Min Yoongi aime profondément jouer avec le feu.
C'est ainsi qu'il se retrouve dans cette chambre d'hôtel avec elle, armée jusqu'aux dents, avec la ferme intention de lui soutirer chaque chose qu'il possède.
Avec un peu de chance, ça lui paiera même le voyage jusqu'à la côte !
Mais tout de même, elle se méfie. Min Yoongi connaît les flammes par cœur. Qui sait s'il n'a pas tout compris, lui aussi. Qui sait s'il ne sait pas tout ce qu'elle sait.
Ah grand dieu ! C'est compliqué.
Mais c'est aussi parfaitement absurde.
Min Yoongi est appuyé à la fenêtre, une main dans la poche de sa veste, l'autre autour d'une tasse de café. Les volets sont fermés. Trois heures de l'après midi et pas un gramme de soleil.
- Alors, qu'est-ce que t'as à m'apprendre qui vaudrait quoique ce soit ?
- Le moyen de neutraliser Park.
Il sourit un peu. Évidemment, c'est plus inquiétant qu'autre chose.
- Je sais qu'il veut ma peau mais, à vrai dire, je m'en inquiète pas trop. Comment va sa jambe ?
Sofia garde son calme. Il abat déjà ses cartes. Comme s'il avait un full house dissimulé dans la manche droite. Elle préfère garder les siennes.
- Ça fait très longtemps que je l'ai pas vu dans le coin, de toute façon.
Le sourire de Min Yoongi s'élargit. C'est imperceptible, et pourtant déjà bien trop. Elle veut jouer, il jouera aussi. Est-ce qu'ils ne font pas ça depuis le début, de toute façon ?
Il sait depuis très longtemps qu'elle travaille pour Park. Cette réponse lui confirme qu'elle travaille surtout pour elle-même.
- Et la vraie identité de Jeon Jungkook ?
C'est étrange, comme si cette information ne valait rien. Pourtant c'est déjà une petite bombe. Pas de musique dans cette scène. On veut de la tension, du suspense, qu'on entende le souffle des deux protagonistes qui se regardent dans le blanc des yeux.
Min Yoongi ne répond pas. Pas une réaction, pas un signe d'étonnement. Il finit calmement son café, pose la tasse au coin de la table. Au dernier millimètre avant la chute.
Sofia ne veut pas croire qu'elle a réussi à le surprendre. C'était à peine un brelan de valets.
Un rien désinvolte, elle pose une photo à côté de la tasse.
Gros plan. Jungkook deux ou trois ans plus jeune, cheveux courts, casquette limée enfoncée sur le crâne. Riant avec celui qui semble être son aîné, voire son frère aîné.
Yoongi retourne la photo.
Jin et Jungkook chez leur père.
(On remarquera sans trop le dire le manque d'imagination dont fait preuve le scénariste)
Gosse de riche, enfant des beaux quartiers ? Rien qu'un gamin des taudis comme les autres, oui.
Yoongi est satisfait. Il tient dans ses mains la preuve de ce qu'il a toujours supposé, et une merveilleuse raison de haïr les deux frères de la même manière. Une belle famille de traitres opportunistes sans honneur.
Le pire, c'est que Taehyung se doute de rien. Et le pire du pire, c'est que les deux nigauds sont sans doute vraiment amoureux. À croire qu'ils ont oublié d'où ils viennent. L'amour, c'est rien que des coups de feu au fond de la nuit.
- Tu m'apprends pas grand chose. Il en faudra plus, Sofia.
Un frisson. Il a soufflé son nom comme une menace. La tension monte. Toujours pas de musique.
On aurait pu couper la scène là. Laisser Jin et Jungkook faire la peau à Yoongi, laisser Yoongi foutre le feu à tout le quartier et s'en tirer en sauvant Taehyung au passage.
Sauf que Sofia n'a plus grand chose du personnage secondaire.
Deux pas en direction du gars un peu cinglé qui la regarde comme s'il attendait son prochain coup. La tête très légèrement penchée sur le côté.
Une main sur son torse.
Une main qui ne recule devant rien.
- Y a bien quelque chose qui pourrait me faire mériter cet argent, Yoongi. N'est ce pas ?
C'est drôle. Elle aussi a prononcé son nom comme on tire un dé. Dans un souffle.
Sofia pose ses lèvres sur celles de Yoongi.
Il a la main gauche sur son revolver. Elle a la main droite sur le sien.
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