Retour à un semblant de calme. Ils sont dans cette maison sans vraiment de fenêtres, perdue au beau milieu des immeubles. Taehyung boit un café, Yoongi boit un whisky. On pourrait facilement croire qu'il ne s'est rien passé. Sauf qu'y a un corps sous un drap, et des traitres dans toutes les rues de la ville.

Ils parlent pas. Ils se regardent pas non plus. Aucun des deux n'a peur de l'autre, et c'est bien le problème. Parce qu'ils se font pas confiance, et Dieu sait qu'ils ont raison. Le mensonge de la vengeance marchera quelques temps, y aura un semblant de paix. Mais ça ne peut pas durer. Y a trop de sous-entendus, trop de trous sous les pavés. On les présente comme des acolytes, au début du film. Mais n'oubliez pas, c'est un genre d'histoire de gang. Il y a toujours des retournements de situation un peu prévisibles. 

Alors, évidemment, ce corps sous le drap n'est pas celui de Jungkook. 

Lui, il est vivant, quelque part dans un quartier pas si loin. Il a une chemise, bleue comme celle de la première scène, et attend sur un banc. Toujours un air sérieux, mais il fait un peu plus attention. Ce n'est qu'une question de temps.

Un autre gars vient s'asseoir à côté de lui. Plus vieux, une longue veste comme celle de Seokjin mais une richesse plus ancienne. Kim Namjoon n'est pas trafiquant d'armes, il est étudiant en histoire de l'art.

- Jungkook, ça fait longtemps.

- Désolé. J'étais...occupé.

- Avec un délinquant.

Jungkook relève la tête, Namjoon a un air à peine gêné.

- Tout le monde est au courant, tu sais.

- Je savais pour les autres. Mais je pensais pas que...

- Je suis au courant.

- Pourquoi t'as accepté de me voir, alors ?

- Je ne sais pas, je fais une expérience.

Il penche la tête sur le côté.

- T'as pas l'air de faire partie d'un gang.

- J'en fais pas partie.

- Et pourquoi t'as besoin de moi ?

Jungkook soupire. Bien sûr qu'il aurait voulu que ça se passe autrement.

- Tu connais bien un Kim Seokjin ?

- Ça se pourrait.

- Tu crois que tu pourrais nous arranger un rendez-vous ?

Namjoon a un petit sourire de travers et, comme ça, il a l'air diablement intelligent. Sans doute même qu'il l'est. 

- J'ose penser qu'il n'y a aucun intérêt amoureux là-dedans, alors oui. Je pourrais.

Jungkook ose à peine sourire. Un nouveau rouage est enclenché. On continue.

Pas très loin de là, y a Jimin et quelques gars assis sur les bancs délabrés de l'église de Finsbury. Jimin a un sacré bandage autour de la cuisse, déjà imbibé de sang. Mais comme il est pas très sain d'esprit, il discute stratégie près de la sacristie.

Les autres gars osent même pas jeter un regard à sa jambe, ils le respectent encore un peu. Ils ont tous des bleus plein les bras, des éraflures plutôt moches sur les joues. Personne n'a gagné la bataille de Lance avenue. Ils sont tous repartis en claudiquant, presque tous pas morts. Sauf Jeon Jungkook, et ça c'est dingue quand même.

- Kim Taehyung ne compte plus. On va détruire ce petit merdeux de Min.

Alors y a un bruit de talons dans l'église et, si c'était un film d'horreur, ça ferait presque peur. Ça résonne. Mais la fille qui arrive dans le champ est pas terrifiante comme on le pense. C'est pas une fille comme dans les magazines, c'est une serial killer.

- Sofia, tu vas t'en occuper.

Un des gars se dandine sur son banc, un peu gauche. Il a un hématome sur son l'épaule et un air gêné. Alors Jimin lui demande :

- Qu'est-ce que t'as, toi ?

Il répond pas tout de suite, ouvrant et refermant la bouche quelques fois. Quand il parle finalement, c'est sans respirer.

- Mais... il aime les filles Min Yoongi ?

Éclat de rire général. Jimin est celui qui rit le plus fort. Sofia ne rit pas du tout.

C'est tout ce qu'on saura.

Quelques heures plus tard, c'est le soir. Yoongi a abandonné Taehyung pour un autre bar, bien loin de leur territoire. Il boit son cinquième whisky au comptoir, casquette enfoncée jusqu'aux sourcils, quand Hoseok arrive depuis l'arrière cuisine, les cheveux toujours roses et un flingue en bandoulière. Mais personne le regarde. C'est un bar comme ça, où tout se sait et tout se demande. Y a même un vieux qui joue du fiddle dans un coin, et personne l'écoute.

Hoseok s'accoude en face de Yoongi, et d'un regard le barman disparaît quelque part, comme par hasard, entre les tables couvertes de gras, de bras tatoués et de cartes en mauvais état. Leurs visages sont si proches qu'ils n'ont qu'à chuchoter.

- Hoseok. On passe à la suite.

- Tu me remercies même pas ?

- Plus tard.

- Donc Kim Seokjin.

- Ouais. Et du propre, cette fois. T'as fais n'importe quoi avec le Tony.

- Park veut toujours du sale. Il est complètement cinglé.

- Qui ne l'est pas.

Hoseok rit.

- J'ai même pas le droit à une petite avance ?

Yoongi fixe circonspect la main tendue de l'autre, sous leurs mentons. Ils sont si proches que leurs nez se frôlent. Ils sont si proches et tout le monde s'en fout. Alors Yoongi embrasse Hoseok, les deux mains sur le comptoir.

- Bientôt.

Et puis il lui tourne le dos, et Hoseok sourit, une main sur son flingue et l'autre toujours sur le comptoir. Ces deux-là, personne y aurait vraiment cru, et pourtant tout le monde s'en fout.

Dehors, Yoongi jette un regard en arrière. Le boucher a déjà disparu, alors il s'autorise un sourire. Minuscule. À peine ridicule.

À travers la vitre embuée du bar, une fille écrase sa cigarette dans le cendrier. Un gars vient s'asseoir sur la banquette à côté d'elle et se relève, touché. Un regard noir, qu'elle a. Et elle a vu Min Yoongi sourire, malgré la fumée et la pâleur des lampadaires.

Cette fille s'appelle Sofia, et tout ce qu'elle sait, c'est qu'elle le tuera. D'une manière ou d'une autre.