Douche à l'écossaise

— Logan, réveille-toi.

J'entrouvre les yeux, la bouche pâteuse. Je vois Morgane en double. Ses yeux tirés sont cerclés du noir étalé de son mascara. Elle arrache une brindille de foin de son chignon tombant et demande du renfort. C'est donc Erwan et Julien qui me soulèvent par les bras. Affectueusement, Julien me tapote la poitrine :

— Ça va aller, mec. On va te faire prendre une douche.

Ma vision se stabilise, mon monde cesse de tourner. Tout en tâchant de garder l'équilibre sur mes jambes flageolantes, je déglutis, passe ma langue sur mes lèvres et articule de ma voix éraillée :

— Il est quelle heure ?

— Les cours poney vont commencer, donc huit heures sans doute, répond Morgane en bâillant.

— J'ai l'impression de ne pas avoir dormi, soupiré-je.

— C'est normal. On s'est couché y'a vingt minutes.

Les informations mettent du temps à parvenir à mon cerveau éreinté. Je ne me souviens de rien. Je sens la peau de mon front se tendre avant même de comprendre que je suis en train de réfléchir. Il y a eu le Pangaré, le retour et... Je grimace : une migraine lancinante interfère avec mes connexions neuronales.

— Mais... C'est... con... lancé-je.

— On n'a pas tenu le coup. Et c'est Johanna qui nous a réveillé pour qu'on libère le club house.

— Pourquoi je ne porte pas de chaussures ? hoqueté-je.

— Même cuit, on sait qu'on ne dort pas avec des chaussures, décrète Morgane.

— Et les bouteilles ? m'inquiété-je soudainement.

Je tente de tourner la tête, d'évaluer l'état de la salle après ce qui semble avoir été la cuite de l'année. Un début de torticolis m'en dissuade.

— T'inquiète, rit Julien. Tout est sous contrôle.

Nous marchons, moi plus difficilement que les autres, jusqu'à la petite salle de bain.

— On maintient l'entraînement de cet après-midi ? s'enquiert Julien.

— Oui ! marmonné-je.

— Alors je vais vérifier le matos, dit Erwan en s'éclipsant.

Le départ d'une de mes béquilles nous déstabilise tous, je m'affale sur Julien pour ne pas tomber, mais, par conséquent, c'est lui qui manque de chuter. Morgane vient au renfort en se glissant sous mon épaule.

— Bon, je dois prendre une douche moi aussi, j'espère que ça ne te dérange pas, expédie notre brunette.

Ce disant, elle pousse Julien hors de la pièce, ferme à double tour et se déshabille en un geste. Sa robe bleue tombe au sol, rejoignant ses talons enlevés. Son ventre strié de lignes abdominales m'apparaît, surplombé d'une poitrine fournie qu'elle libère de son soutien-gorge. Bouche bée, je bafouille :

— Morgane, mais...

Enjouée, elle m'intime de me taire. Sa paire de collants et sa culotte s'échoient à leur tour. Je les fixe, ne peux rien contre l'érection qui me fait me sentir à l'étroit dans mon pantalon.

Son sac, posé dans l'évier, m'indique que sa démarche était peut-être préméditée. Je me sens trop faible pour protester ou ne serait-ce que détourner le regard. Mon mal de crâne grandit alors que Morgane extirpe un tube de démaquillant et s'affaire à se nettoyer le visage, ses fesses entièrement nues pile en face de moi. Je me rapproche, inconsciemment. Je la vois sourire dans le miroir, m'arrête, fais demi-tour et m'engouffre dans la cabine. Je prie pour que l'eau me sauve de mon engourdissement.

J'allume le jet de mon poing fermé, maladroitement. La gifle glaciale de l'eau m'arrache un râle. Je frémis, me secoue, reviens sur terre, plus lucide que jamais. Je m'accoutume de la température, glisse ma tête sous les gouttes et m'ébouriffe les cheveux frénétiquement.

Maintenant que je suis réveillé, je perçois les effluves alcoolisées qui nous enveloppent, Morgane et moi. Qu'a dû penser Johanna en nous voyant dans cet état ? Non pas que cela soit la première fois mais... à force, elle pourrait définitivement penser que nous sommes uniquement une bande de fêtards.

J'élude ces préoccupations de mes pensées et évite de reluquer Morgane, bien que l'envie ne manque pas.

— Logan... murmure-t-elle avec tendresse.

Je ne réponds pas, buté.

— Logan.

Je persiste à lui tourner le dos, comme sourd à ses appels.

— Logan !

Cette fois-ci, Morgane me chope l'épaule et me repousse en arrière :

— T'es habillé, idiot.

Je jette un coup d'œil à ma chemise et mon jean trempé puis baisse les yeux sans céder à la tentation, tel un enfant accusé d'une bêtise. Comment lui avouer l'avoir fait exprès, pour qu'elle ne remarque pas les effets qu'elle a sur mon corps ?

— Je suis propre, annoncé-je.

Je fais mine de partir. Elle me retient :

— Tu ne peux pas sortir, sinon la porte ne sera plus verrouillée. Je n'en ai pas pour longtemps.

Je soupire, l'observe faire rouler l'eau sur son dos.

Elle semble parfaitement sobre, alors pourquoi une telle désinhibition ? En temps normal, je n'hésiterais pas à lui dire à quel point elle me gêne... Là, elle en profite, et je ne suis pas suffisamment conscient pour la recaler.

Je goutte, inonde le sol, patauge avec une moue de dégoût. Je suis si stupide.

Soudain, quelqu'un toque et je reconnais la voix d'Erwan à travers le battant :

— Logan. Johanna a besoin de toi genre... immédiatement.

— Euh... bafouillai-je, prenant toute conscience de mon pantalon dégoulinant.

Je vais très certainement me faire passer un savon et j'ai tout sauf l'envie de me présenter en pareil état devant la gérante.

Morgane se presse, sort de la buée et s'enroule d'une large serviette. Avec son accord, un simple hochement de tête, j'ouvre la porte. Stoppé net par la découverte de Morgane, à moitié en tenue d'Ève, dans les probables explications qu'il souhaite me transmettre, Erwan se décompose :

— Tu...

Son regard chute sur moi. Il siffle, presque admiratif :

— C'est qu'il disait vrai, le p'tit Julien ! Eh beh, si j'avais imaginé !

Conscient que cette scène prête à confusion et incapable de me justifier de manière crédible, je dévie la conversation :

— Johanna ? Qu'est-ce qu'il se passe ? Un problème avec un poney ? Une chute ?

Morgane se place derrière moi afin d'écouter les informations tout en s'essorant les cheveux silencieusement. Erwan, les yeux rivés sur elle, continue distraitement :

— Le cours est fini depuis longtemps. Elle a besoin de toi pour faire descendre un cheval du van.

— Quel cheval ? m'étonné-je. Il n'y a aucun débourrage prévu pour cette semaine...

— Un nouveau.

Savoir que Johanna nécessite mon intervention provoque la reconnexion directe de mes neurones. Mentalement, je suis déjà opérationnel.

— Je me mets en tenue et j'arrive, déclaré-je, éveillé et réactif.

Erwan s'en va promptement. J'enroule mon t-shirt pour le sécher, m'en sers pour écoper le surplus d'eau dans ma tignasse. L'effet n'est évidemment que peu concluant et je n'insiste pas. Je quitte Morgane, traverse le club house, enfile mes baskets. Mes pas sont agrémentés du bruit de l'éponge qu'on essore. Je dégouline. Les passants dont j'ignore l'identité se retournent à mon passage, ceux que je connais hésitent à me saluer. Je jure que ces flaques que je sème seront la dernière preuve de mon abus.

Johanna a des ennuis, je dois assurer.

Les cris que j'entends ne présagent rien de bon. J'ai tardé à venir et je le regrette déjà.

Des hommes vocifèrent comme les jockeys désespérés sur la ligne d'arrivée. Je me hâte, l'angoisse présente. Je ne sais toujours pas de quoi il en retourne.

— TENEZ-LE !

Je débouche à l'arrière de l'écurie, aperçois le van, lui-même cerclé de cinq hommes, dont Jeff, et de Johanna, secouée dans tous les sens ; elle tient une longue longe avec détermination. De là où je suis, je vois son visage soucieux, crispé de douleur.

Le cheval responsable de tout ce chaos m'est encore caché par le camion. En revanche, il est impossible de ne pas remarquer sa présence : un hennissement strident retentit, suivi de violents impacts dans la carrosserie, probablement dus aux coups de sabots.

Une chambrière claque sur le sol. Enfin, le cheval émerge de sa cachette et s'emballe en traînant les gars et Johanna sur plusieurs mètres. Mon sang se glace. J'esquisse un bond en avant. Les autres gaillards s'agitent pour encercler l'immense bête sauvage, à la robe brunâtre. Le rond de longe galvanisé est grand ouvert. Ils comptent l'y pousser.

Replié sur lui-même, Jeff s'appuie contre une poutre et reprend visiblement son souffle. Quelque chose dans sa posture me dit qu'il ne va pas bien. Il n'avait rien à faire dans une cohue pareille à son âge ! Je dévie de ma trajectoire :

— Jeff ! hurlé-je.

Le palefrenier se retourne, son air circonspect se défait, au profit d'un grand soulagement. Il clopine jusqu'à moi et m'attrape les épaules :

— Logan ! Enfin !

— Bon Dieu mais Jeff ! Qu'est-ce que tu as à la jambe ?!

— Rien ! fit-il en balayant l'air de sa main. Ce stupide canasson m'a juste écrasé le pied.

— Quoi ?! Mais...

— Johanna, me coupe-t-il. Va l'aider, vite !

Je me tourne vers la scène juste à temps pour voir l'opération fonctionner : le cheval se met à galoper vers l'infrastructure. Les hommes sont prêts à fermer la porte.

Soudain, je cherche Johanna du regard. Où est-elle ? Je n'ai détourné les yeux que quelques secondes, pour parler à Jeff. Elle n'a pas pu disparaître...

Au même instant, je distingue le t-shirt violet aux motifs africains qu'elle affectionne tant. Elle se situe pile en face de l'équidé, entièrement vulnérable.

— JOHANNA ! rugis-je, par-dessus les multiples mises en garde des hommes qui, comme moi, ont vu le danger.

Je me remets à courir, mais il est trop tard : l'animal la percute de plein fouet, ignorant ses grands gestes.

Johanna est projetée en arrière. Son corps heurte le métal et s'échoue sur le sable. Le bai manque de l'écraser dans sa folie destructrice.

Bien que terrifiés, les gars finissent leur boulot en condamnant l'issue.

— Appelez les secours ! ordonné-je en sautant par-dessus la grille.

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