Aux aurores
Loïc, Erwan, Morgane et Julien s'activent pour rentrer chez eux se préparer.
— Rendez-vous dans une heure ! lance Morgane. N'oubliez pas les sacs de couchage, on finira la soirée ici !
Les phares percent l'obscurité nocturne qui s'installe et les moteurs brisent le silence. Le printemps a beau fleurir, la nuit tombe toujours vite. De la lumière éclaire encore la structure : Jeff, le palefrenier, s'occupe de la ration du soir et un cours est encore donné dans le petit manège, par Johanna Hubolls, la propriétaire du club.
Je récupère mon sac dans mon pick-up et me calfeutre dans la salle de bain privatisée. J'enclenche ma playlist, chantonne tout en me déshabillant. Ma tenue a laissé des sillons dans ma peau, mes bras sont écorchés par endroits. Je fouille dans le placard, désinfecte les plaies superficielles, attrape une serviette, fais couler l'eau et me glisse dans la cabine.
Le jet envoie ma sueur, la terre et la poussière se noyer dans les conduits. Je savoure la chaleur et mon retour à la propreté. Je savonne avec minutie mes membres chauds, frotte énergiquement ma tignasse foncée. Des grains de sable chutent dans le pédiluve, tenant compagnie aux brins de foin qui semblaient s'être collés dans mon dos.
Mes abdominaux tressautent encore au souvenir des figures que j'ai réalisé dans l'après-midi. Il faut plusieurs minutes avant que mon corps ne conçoive à se détendre. Quand les nœuds musculaires s'effacent, je ne m'attarde pas et me sèche.
La serviette autour de la taille, je discipline mes cheveux à l'aide de gel puis enfile des vêtements propres et une paire de basket plates. J'aère pour dissiper la buée, reprends mon sac avec ma tenue d'entraînement et ressors du bâtiment. Une brise fraîche me fait frissonner. Du haut des escaliers, j'ai une vue globale sur le centre. Je devine au loin les clôtures, m'attarde sur le mouvement sur le parking ; les derniers clients désertent l'écurie. La leçon doit être terminée.
Une fugace pensée pour mon lit, je me dirige vers le manège. Par-dessus le pare-botte, je hèle :
— Jo !
Johanna se tient au milieu, une barre d'obstacle écaillée rouge et blanche dans les mains. Sa queue de cheval défaite virevolte alors qu'elle se retourne.
— Enfin fini avec les galops 3 ? je m'enquiers.
— Oui !
— Comment c'était ?
— Éprouvant !
— Laisse-moi t'aider.
Je passe sous les fils. Elle m'arrête aussitôt :
— Oh, non, ne te salis pas !
Elle m'étudie de ses iris chocolat, esquisse un sourire en coin. Je me sens légèrement gêné, ainsi accoutré devant ma patronne.
— T'as sorti le grand jeu, plaisante-t-elle avec douceur. Si tu ne trouves pas la fille idéale ce soir, je ne comprends pas.
Je réajuste le col de ma chemise, fourre mes pognes dans mes poches de jean.
— J'attends les autres, on part boire un verre, ça te dit de venir avec nous ?
Elle grimace, décline :
— J'ai rendez-vous chez l'avocat demain matin...
— Pas de soucis. Ça ira ?
— Oui, oui ! Amusez-vous bien.
Je n'insiste pas et pars faire un dernier tour dans les écuries. Je croise Jeff, poussant vigoureusement une brouette de crottin. Il porte un béret sur la tête, mâchouille un brin d'herbe. Du haut de ses soixante ans, il incarne avec perfection les clichés du vieux fermier. C'était l'ami du père décédé de Johanna et il est à son service depuis le drame, vaillamment. Son travail est minutieux malgré ses rhumatismes ; l'amour des chevaux le maintient debout. Il lève les yeux de son chemin et s'étonne :
— Encore là, coach ?
— Je vais vérifier que Readera se porte bien. Il était pas mal essoufflé aujourd'hui.
— Tu pourras vérifier que tous les poneys ont correctement été rentrés dans la petite écurie ?
— Je m'en occupe, accepté-je. Rentre te reposer.
En plus d'être notre homme à tout faire, Jeff est également notre veilleur de nuit. C'est lui qui habite l'appartement adjacent à l'écurie. Johanna, elle, a un studio à l'autre bout de Sainte-Catherine.
Qu'elle vienne avec nous lui aurait fait du bien. En ce moment, avec son divorce, ses journées sont sombres. J'essaie de l'épauler du mieux possible mais ne suis guère d'une grande aide dans la gestion de son entreprise. Elle n'a qu'une trentaine d'années, un fils en garde partagée et une quarantaine de poneys et chevaux à charge. Outre l'admiration que j'éprouve à son égard, je ne peux m'empêcher d'avoir pitié d'elle. La vie ne l'a vraiment pas épargnée.
Je vérifie scrupuleusement les stabulations, le bon état des poneys et la fermeture de tous les verrous. Je caresse au passage Geronimo, le falabella le plus adorable de l'écurie. Il n'est pas notre mascotte pour rien, avec sa robe léopard et son air coquin. Je ferme ensuite les portes de part et d'autre et coupe la lumière.
— Bonne nuit les loulous, scandé-je.
Je cherche une pomme dans la réserve, remonte l'allée des pensions de propriétaires et me glisse avec précaution dans le dernier boxe du côté gauche. Readera m'adresse un appel sourd et vient immédiatement coller son nez à mon visage. Je joue avec ses lèvres pendantes, écoute sa respiration. Constatant que ses voies respiratoires sont dégagées, je lui tends la main ; il croque goulûment dans le fruit et me bave dessus. Je m'empresse de reculer afin de ne pas tâcher ma chemise tout en éclatant de rire.
Puis, je contemple l'étalon se régaler. J'aime chaque détail que l'on peut observer sur lui : de sa robe brûlée à l'arc de son encolure, de ses crins soyeux à sa carrure sportive. Il partage ma vie depuis cinq ans : il a été le cadeau d'anniversaire que m'ont offert mes parents.
— Logan ! appelle Johanna.
— Oui ? réponds-je en sortant la tête.
— Ils sont là, annonce-t-elle avec un clin d'œil.
— Super ! J'y vais. Merci.
Je me hâte, sans quoi mes coéquipiers me taperont sur les doigts. Derrière moi, les néons s'éteignent un à un, plongeant le club dans le noir.
J'extirpe mes clefs de voiture de la poche de mon sac et me mêle au groupe, déjà sur les chapeaux de roue. Loïc, Morgane et Julien s'engouffrent dans l'habitacle et s'entassent sur la banquette arrière tandis qu'Erwan prend ses aises à l'avant. En s'accoudant à la portière, la manche de son polo glisse et me révèle une énorme montre au bracelet en argent. C'est encore une surprise onéreuse de sa mère... Ou d'une de ses conquêtes.
— Ça ne serait pas mieux si c'était Morgane qui m'assistait au GPS ? hasardé-je.
— Si, si, mais elle peut le faire de derrière.
— Tu es assis sur ma robe, pousse-toi ! râle Morgane au même moment.
— J'ai pas de place ! se défend Loïc.
— Eh, les gars. Ne lui arrachez pas ses vêtements, enfin... pas tout de suite ! ricane Erwan.
Morgane lève ses yeux noircis au ciel. Elle est habituée aux remarques salaces de notre ami... Ce n'est pas pour autant qu'elle a appris à les supporter.
— C'est bon sur la banquette ? demandé-je avant de démarrer.
— Oui, roule ! ordonne Morgane, enfin délivrée.
Je m'exécute. Je sens qu'on va passer une sacrée soirée.
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