Exécution
Les minutes passent. Je commence vraiment à croire que, cette fois, je l'ai perdu. J'ai l'impression de revivre l'instant où Phébé m'a annoncé que Loïs était mort. Autour de moi, le visage de chaque personne est marqué par ce qui est en train de se dérouler. Ségal a les yeux embués de larmes, contrairement à Telia et Gaïa qui paraissent avoir accepté l'inéluctable. Je sens Loïs me serrer de plus en plus fort dans ses bras. Puis, alors que tout semblait perdu, le corps de Phébé émet un soubresaut et sa bouche s'entrouve légèrement, comme pour laisser pénétrer un léger souffle de vie, une bouffée d'air, un retour parmi les vivants.
- Phébé ! crié-je, en m'extirpant des bras de Loïs et en m'agenouillant vers lui. Phébé ! Nous sommes là ! Tu vas t'en sortir ! Tiens le coup !
Mais Néven me ramène vite à la réalité et vient stopper net mon optimisme un peu trop précoce.
- Il n'est pas encore sorti d'affaire Manéa. Aidez-moi à le remettre dans la voiture ! intime-t-il aux autres, en le soulevant de terre. Il faut le conduire au plus vite à Altis.
- Je les appelle, rétorque Gaïa, en attrapant sa radio accrochée à sa taille. Je leur demande d'envoyer un véhicule médical à notre rencontre.
Ségal et Loïs chargent Phébé à l'arrière de la jeep. Je me place à côté de lui, sa tête sur mes genoux. Je lui caresse les cheveux tendrement. Ses vêtements sont couverts de sang et il respire à peine. Je prie pour qu'il tienne le coup. Je me souviens de nos soirées passées ensemble, quand Loïs avait disparu. Où serais-je aujourd'hui sans lui ? Il restera à jamais mon meilleur ami, avec Ségal.
Alors que nous roulons à vive allure, sur les sentiers escarpés qui nous emmènent à Altis depuis un bon moment déjà, j'entends Gaïa m'informer que le véhicule médical arrive.
L'instant d'après, un fourgon s'arrête à notre hauteur. Des soldats en sortent et récupèrent précipitamment Phébé. Je le vois s'éloigner dans le véhicule. Loïs s'approche de moi.
- Ça va Manéa ? Tu tiens le coup ? me demande-t-il. Je perçois l'anxiété qui l'anime au son de sa voix.
- Oui, ne t'inquiète pas, le rassuré-je. J'ai juste envie d'être enfin à Altis et de revoir ma famille !
- Encore quelques heures et nous retrouverons les nôtres, m'encourage-t-il.
Puis il me regarde, un sourire malicieux sur le visage.
- Ça te dirait de finir le chemin avec moi sur la moto ?
Je le fixe étonnée. Cette proposition est vraiment trop tentante et elle arrive à point nommé. Comment sait-il toujours ce qu'il me faut pour aller mieux ? Il me connaît par cœur. Je saute immédiatement hors de la voiture. Il se met à rire.
- Allez viens, plaisante-t-il, en me tendant la main, je t'emmène sur mon cheval blanc tel un seigneur emportant sa princesse !
J'éclate de rire.
- Avec plaisir mon prince !
Je saute sur la moto et je m'accroche à lui, les cheveux au vent. Après toutes ces heures terribles que nous venons de vivre, ce moment de liberté est le bienvenu. Nous filons rapidement vers Altis, là où nos parents nous attendent. La matinée est déjà bien avancée quand nous atteignons notre destination. Nous pénétrons à l'intérieur et nous nous dirigeons vers la cantine, là où tous les réfugiés sont installés.
Un brouhaha ininterrompu nous parvient de la salle alors que nous y entrons. Nous découvrons des dizaines de personnes installées autour des tables du réfectoire, par petits groupes. Les gens sourient, pleurent, se prennent dans les bras. D'autres discutent allègrement, éclatent de rire. Je cherche des yeux ma famille, tout en avançant dans la cantine. J'aperçois Tessie, dans un coin, qui me fait un signe de la tête. Ses parents ont l'air de pleurer. Je pense qu'elle vient de leur annoncer la perte de leur fils. Je sens Ségal me dépasser. Il vient d'apercevoir sa famille au fond de la pièce. Loïs et Néven se tiennent toujours derrière moi. Ce dernier, comme Tessie, devra aussi annoncer la mort de sa sœur à ses proches. J'ai de la peine pour lui. Loïs m'attrape par l'épaule.
- Mes parents sont là-bas, dit-il, en me montrant une table sur la gauche. Viens, je veux te les présenter.
- Tout à l'heure Loïs, je lui réponds. Je voudrais d'abord retrouver mes parents.
- D'accord, fait-il en m'embrassant. On se revoit plus tard.
Je n'ai toujours pas repéré les miens. Puis, sur la droite de la salle, j'aperçois mon frère avec sa femme et, derrière lui, je reconnais le visage de ma mère. Mon dieu, comme elle a vieilli ! Je la reconnais à peine. Ses cheveux sont devenus aussi blancs que la cime enneigée des montagnes entourant Altis et elle paraît très amaigrie. Je m'approche d'eux. Lentement, ma mère lève les yeux vers moi. Elle semble si fatiguée. Pourtant, instantanément, à ma vue, elle se met debout pour venir me prendre dans ses bras.
- Manéa, ma chérie, comment vas-tu ? Laisse-moi te regarder. Tu es toujours aussi belle ! fait-elle, retrouvant son rôle de maman.
Je la dévisage puis je me mets à pleurer, me recroqueville contre elle, comme lorsque j'étais enfant et que j'étais triste. Elle pouvait me tenir serrée contre elle pendant des heures, jusqu'à ce que je me calme enfin.
- Maman, comme tu m'as manquée ! J'ai tellement eu peur pour vous.
Puis, tout d'un coup, je réalise que mon père n'est pas là et mon cœur ce met à battre plus fort.
- Mais où est papa ? demandé-je à ma mère.
Un voile de tristesse passe devant ses yeux et je comprends tout de suite l'insoutenable vérité. Je suis arrivée trop tard et je n'ai pas réussi à sauver mon père...
- Papa est mort, m'annonce ma mère, en me caressant le visage. Je suis désolée Manéa.
Je suis pétrifié. Savoir que je ne reverrai jamais mon père me remplit le cœur d'un vide sidéral. C'était le ciment de notre famille.
- Comment est-ce arrivé ? demandé-je, en m'asseyant à côté de ma mère. J'ai le corps qui tremble et j'ai peur de revivre la douleur que j'avais ressenti lors de la disparition de Loïs. Je ne suis pas sûre de pouvoir supporter cela à nouveau.
- Tu connais ton père, m'explique ma mère, en me prenant les mains dans les siennes. Quand il a compris ce que représentait l'Eden, il a tout de suite formé un groupe de résistants. Ils se réunissaient un peu comme à la maison, en secret, la nuit, quand tout le monde dormait. Ils essayaient d'organiser un plan pour s'évader de ce piège. Ton père désirait tellement vous revoir, toi et ton frère. Il s'inquiétait tellement pour vous.
Je regarde mon frère. Il semble aussi désemparé que moi. Sirice le soutient comme elle le peut, Manny dans les bras, en train de dormir, loin de se douter qu'elle n'aurait jamais l'occasion de partager des moments de bonheur avec son grand-père. J'en ai les larmes aux yeux. Ma mère continue courageusement son récit.
- Mais malheureusement, ils ont été dénoncés. On n'a jamais su par qui. Les soldats sont venus, un matin, les chercher.
Sa voix se brise, revivre ces événements doit être une torture pour elle.
- Je n'ai même pas pu lui dire au-revoir, l'embrasser une dernière fois. Les militaires les ont entraînés dans la cour, puis ils les ont alignés les uns à côté des autres.Un gradé était présent ce jour-là. Son visage restera gravé à jamais dans ma mémoire. Il était froid, sans aucune humanité. C'est lui qui a ordonné aux soldats d'exécuter ton père et ses amis. Il nous a obligés à regarder toute la scène. Jusqu'au bout, je n'ai pas quitté ton père des yeux. Il n'a pas tremblé une seconde. Puis, il est mort, assène-t-elle, comme une évidence.
- Oh maman, c'est de ma faute ! Si j'étais venue plus tôt j'aurais pu le sauver ! fais-je, remplie d'un énorme sentiment de culpabilité.
Je suis effondrée. J'imagine mon père face à ses bourreaux, son corps sans vie s'écrouler sur le sol.
- Ne dis pas de bêtises. Tu n'es pas coupable, tente de me rassurer ma mère. Ton père s'avait ce qu'il risquait. Il en était conscient.
Je suis épuisée, autant moralement que physiquement. Toutes ces atrocités m'enlèvent chaque jour des petits morceaux de vie. J'ai l'impression de mourir à petit feu, que tout ce qui comptait dans mon existence est en train de disparaitre peu à peu. Au milieu de ce désespoir, une question me vient cependant à l'esprit.
- Tu connais le nom du gradé qui a ordonné l'exécution de papa ?
Immédiatement le regard de ma mère se durcit. Ce nom, elle ne pourra jamais l'oublier.
- Follins, le commandant Follins.
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Coucou tout le monde,
Voilà, Phébé n'est pas mort. Je n'ai pas réussi à me séparer de lui 😊 même s'il va disparaitre quelques temps de mon histoire. Il pourra toujours revenir plus tard😉
Encore et toujours Follins est là, homme brutal et insensible. Comment va réagir Manéa maintenant qu'elle connait l'identité de la personne ayant ordonné l'exécution de son père ?
Je vous remercie de votre fidélité. N'hésitez pas à commenter et à voter 😍
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