Round 5
Degré d'oxygénation : 2 sur 10
Soudain la porte d'entrée s'ouvre et son colocataire apparaît au bas des marches.
– Elle est encore là ? s'étonne-t-il.
– Tu la veux ? Elle est chaude comme la braise.
Ils parlent à nouveau de moi comme si je n'étais pas là. M.T. entame la montée des marches, le regard braqué sur mon pantalon entrouvert. Puis il lève les yeux vers mon visage. Je lui adresse une prière silencieuse. Arrivé à ma hauteur, je croise son regard pour la première fois et il me semble y déceler un soupçon d'apitoiement, une microscopique lueur d'empathie.
Il détourne rapidement les yeux comme si ce qu'il voyait dans mon regard ne lui plaisait pas.
– Non, ça va aller. Elle est peut-être mineure. Laisse-la partir. Ses parents doivent s'inquiéter.
Sebastian se met à ricaner, sans doute parce qu'il sait que mon unique parent ne s'est probablement même pas rendu compte que j'avais quitté ma chambre.
– En tout cas, tu pourras dire à ta mère que tu t'es bien fait baisée ! s'esclaffe-t-il en me donnant une petite tape sur les fesses.
Puisque personne ne me retient, je reboutonne mon pantalon et descends les marches. Sebastian m'emboîte le pas, puis se positionne devant la serrure et je me demande s'il va réellement me laisser partir. Un sourire suffisant plane sur son visage.
– C'est où tu veux, quand tu veux, August. Tu sais où me trouver.
Je reste bouche bée. On dirait qu'il pense sérieusement que j'en redemande, que tout cela m'a plu. À ma grande surprise, il ouvre la porte et me pousse sur le trottoir comme un jouet usagé. La nuit noire m'accueille telle une amie qui m'aurait trahie.
– Allez, rentre bien ! me lance-t-il en guise d'adieu.
Je me retourne pour bafouiller quelque chose à propos du fait que je ne sais pas comment rentrer. Il rigole de mon ignorance et se contente de me désigner la grande avenue au bout de la ruelle.
– Marche et tu finiras par trouver.
La porte se referme dans un clac sourd. J'oscille entre le soulagement d'être enfin de ce côté-ci de la porte – seule, saine et sauve – et la crainte d'être perdue. Je tente de me rappeler le trajet en voiture, les enseignes que nous avons longées pour me situer, mais tout s'embrouille dans mon esprit.
Lorsque je me mets à marcher, je me rends compte que mon corps souffre. Si mon cerveau a du mal à intégrer ce qui s'est passé, mon corps en revanche me le rappelle à chaque pas. Je marche péniblement sans savoir où je vais. La lumière blafarde des réverbères donne une cadence à mon errance. Dix pas dans l'ombre, trois pas dans la lumière. Au bout de l'avenue, je me retrouve face à un carrefour bordé par un parc. Je regarde les panneaux de signalisation et je reconnais le numéro d'une autoroute qui m'est familière. Mais combien d'heures devrais-je marcher pour rentrer chez moi ? Ou plutôt combien de minutes avant de me faire percuter par un poids lourd ? Cette possibilité m'apparaît soudain comme l'échappatoire la plus directe. Pas parce que j'ai vraiment envie de crever, mais parce que je n'ai plus le courage de déambuler dans l'obscurité.
Je voudrais juste me poser quelque part.
Je pense à ce quelque part où je devrais me trouver en ce moment précis si Julian ne m'avait pas rejetée. Et, tout à coup, mon cœur qui paraissait bâillonné se met à rugir, telle une bête anesthésiée qui viendrait de se réveiller, réalisant tout le mal qu'on lui a infligé.
C'est sa faute. C'est la faute de Julian si tout ça est arrivé. Une haine comme jamais je n'en ai ressentie auparavant me submerge. Je traverse ce maudit carrefour qui mène partout et nulle part à la fois, et je me mets à arracher les fleurs qui marquent l'entrée du parc. Mes ongles s'enfoncent dans la terre pour déloger les racines, déranger cette nature endormie. Quelques éclairs de phares m'éblouissent par intermittences tandis que ma haine s'amenuise à chaque motte de terre que j'arrache, à chaque brin d'herbe que je piétine. Je finis par m'écrouler au milieu de mon beau saccage tandis que les voitures défilent et que le flash des phares fait tressaillir mes paupières.
Je ne sais pas combien de temps je reste inconsciente, mais lorsque je me réveille, il fait toujours nuit. Cette nuit semble ne pas avoir de fin. Sous ma joue, les pétales de fleurs dégagent une odeur rassurante, en totale contradiction avec le décor qui m'entoure.
Je me redresse et cherche mon portable, puis je me souviens l'avoir fracassé sur le bitume après que Julian m'ait dit : « Ce n'est qu'une nuit. Ça ira mieux demain. »
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J'ai décidé de poster la fin de la scène avec Sebastian, comme ça vous pouvez juger la totalité de cette scène qui est la plus sombre du roman. Encore une fois, si quelque chose est trop dérangeant, dites-le.
Rassurez-vous, le reste du roman ne sera pas aussi sombre. Il y aura de la lumière et même de l'humour et de la gaieté, même si à ce stade c'est difficile à imaginer.
Est-ce que vous trouvez qu'elle a raison d'en vouloir à Julian ?
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