Degré d'oxygénation : 6 sur 10
La voiture se gare dans une petite rue sombre qui jouxte une avenue bien éclairée. Je claque la portière, les pieds légers et le sourire du voyage toujours plaqué sur mon visage. Sébastian rabat la capote et verrouille la voiture.
Alors que nous marchons vers son immeuble, je dois m'accrocher à lui parce que je titube. Il en profite pour me coller la main aux fesses. Je riposte par une tape sur son bras en rigolant à moitié. Je tente de sonder son regard, mais ses yeux paraissent moins clairs et limpides que ses cheveux blonds qui continuent de resplendir dans cette semi-obscurité.
– Est-ce que tu m'aimes ? me lance-t-il subitement.
C'est forcément une plaisanterie. Je m'abstiens de répondre devant l'absurdité de la question.
– Et si je te dis que je t'aime, est-ce que tu tomberas amoureuse de moi ? me relance-t-il.
La question a monté d'un cran niveau absurdité. Je lui balance d'un ton catégorique :
– Non !
– Pourquoi ?
– Parce que c'est ridicule. On se connait à peine.
– Tu ne crois pas au Destin ?
– Je crois surtout que tu as trop bu.
– Tu as bu plus que moi, me fait-il remarquer. Je t'ai payé deux Lucky Litchee, un Kiss me Quick et un Julep.
On dirait qu'il les a comptés.
– Mais moi l'alcool ne me fait pas dire des âneries.
– Tu as dit que j'étais beau...
– Ça, ce n'est pas une ânerie.
– Je sais, renchérit-il d'un air orgueilleux.
Je lève la main pour le punir d'une nouvelle tape sur le bras, mais ma main atterrit dans ses cheveux parce qu'au même moment il m'embrasse.
– Tu as un cœur en bêton, me murmure-t-il alors que ses lèvres s'écartent.
J'ignore pourquoi il me sort ça, mais je le prends comme un compliment. Un cœur en bêton, c'est un cœur qui peut tout endurer.
La porte s'ouvre sur un hall qui ressemble aux parties communes, sauf que l'escalier ne donne accès qu'à un seul appartement perché en hauteur comme une mezzanine. C'est plutôt miteux comparé à la décapotable. Peut-être que ce sont ses parents qui lui ont offert la voiture. Sebastian referme la porte à double tour derrière lui, puis glisse la clef dans une veste accrochée au porte-manteau. Lorsque je monte les marches, j'arrive directement dans la cuisine. Une kitchenette d'étudiant avec son lot de vaisselle sale et son frigo sans doute à moitié vide. Il y a une porte devant moi et une porte à ma gauche. J'attends que Sebastian m'indique laquelle est celle de sa chambre lorsque la porte de gauche s'ouvre.
Un type à la peau noire apparaît. Son regard me jauge de haut en bas en faisant une escale sur mon décolleté et je maudis l'ampoule grillée de ma chambre qui est la seule responsable du choix de ce caraco. Il jette un coup d'œil furtif à mon visage, mais ne me regarde pas dans les yeux. Je croise les bras, un peu gênée.
– Hé ! Tu devais pas sortir avec Letty ce soir ? s'exclame Sebastian derrière moi.
– Si, mais je suis rentré. Il est presque deux heures du mat.
Sebastian enroule un bras autour de mes épaules.
– Le temps passe vite quand on est en bonne compagnie. Comment tu la trouves ? demande-t-il à l'inconnu au regard fuyant.
– Mignonne.
– C'est ce que je me suis dit, renchérit Sébastian en me touchant les cheveux.
Ils parlent de moi comme si je n'étais pas là. Ça me dérange. Ce mec ne m'a même pas dit bonjour. Il n'a pas esquissé le moindre petit sourire en me découvrant. Il ne m'inspire pas du tout confiance. Je ne sais même pas ce qu'il fait là.
– Je te présente M.T., mon coloc, finit par annoncer Sebastian.
– Tu ne m'avais pas dit que tu avais un coloc, je souligne avec une pointe d'accusation dans la voix.
Il sourit, visiblement amusé, en jetant un regard de connivence à M.T.
– Allez, détends-toi un peu, princesse, me raille-t-il en enroulant ses bras autour de ma taille pour me pousser à avancer. Viens voir ta chambre.
M.T. s'écarte pour nous laisser passer. À nouveau je sens un malaise s'installer lorsque son regard se pose sur moi.
La chambre est plus grande que je l'imaginais. Peut-être est-ce l'absence de décoration et le peu de meubles qui créent cette illusion d'espace. Je remarque tout de suite qu'il n'y a qu'un lit. Un lit pour une personne.
Or nous sommes trois.
Mais je me rappelle aussitôt qu'il y a une autre porte. Peut-être qu'ils vont dormir tous les deux dans l'autre pièce. Je tente de m'en convaincre, même si mon cerveau commence à ressentir un léger glissement d'atmosphère.
– Tu veux une bière ? me suggère Sébastian.
– Non, merci, je crois que j'ai assez bu.
Il pointe le menton vers M.T. qui s'en va aussitôt dans la cuisine et revient avec deux bouteilles décapsulées. Je m'assieds sur la seule chaise disponible pendant qu'ils trinquent. Le bureau est encombré de livres universitaires. Sebastian m'a dit qu'il étudiait la psychologie. Je soulève un livre et je me mets à le feuilleter parce que je ne sais pas quoi faire de mes mains. Je me sentais beaucoup moins à l'étroit assise dans la décapotable. J'aurais préféré qu'on roule toute la nuit.
– Bon ben, je vais faire un tour chez le saxophoniste, déclare soudain M.T. lorsqu'il a fini sa bière.
– Ouais, c'est ça. Prends ton temps.
Je redresse la tête, plisse les yeux et les observe à tour de rôle. Ils ont exactement le même petit sourire au coin des lèvres. J'ai l'impression qu'ils parlent d'autre chose. Je mettrais ma main au feu que M.T. ne connait aucun saxophoniste. Quelque chose cloche, je le sens. Un inquiétant pressentiment. Mais mon cerveau refuse de s'attarder sur ce détail. C'est peut-être le surnom qu'ils donnent à l'un de leurs copains. Je veux juste que M.T. s'en aille. Peu m'importe où il va.
Il quitte la pièce sans m'adresser un mot, ce qui ne m'étonne pas et me confirme à quel point ce type est désagréable. Mes épaules se relâchent au bruit des pas qui font craquer les escaliers. Assis sur le lit, Sebastian m'adresse un petit sourire qui sous-entend : Maintenant nous voilà tous les deux. Je me lève pour le rejoindre, m'assieds sur ses genoux et le laisse enrouler ses bras autour de ma taille. Sa main me caresse la cuisse. J'entends la porte d'entrée qui s'ouvre. Puis un second bruit qui me glace.
Clic-clac
Clic-clac
M.T. a verrouillé la porte derrière lui.
J'ai le « Pourquoi ? » qui crépite à l'orée de mes lèvres, mais encore une fois je tente de me convaincre qu'il y a sans doute une explication rationnelle. Un problème de porte qui ferme mal. Un réflexe machinal. Une raison qui n'implique pas qu'il ait voulu nous enfermer. D'ailleurs aucune inquiétude ne se lit sur le visage de Sebastian, alors je me détends. Je me rappelle qu'il est entré avec ses propres clefs tout à l'heure, ce qui signifie qu'il a un double.
– On met de la musique ? je suggère en quittant ses bras pour m'approcher du poste.
Cinq malheureux CD sont empilés sur le dessus. Pour quelqu'un qui se prétend passionné de musique, il n'est pas très bien approvisionné.
– Tu n'as que ça ? je m'étonne en soulevant le premier boîtier.
– Je suis très sélectif.
Je fronce les sourcils.
– J'en ai revendu beaucoup récemment, ajoute-t-il comme s'il devait à tout prix se justifier.
Même si le choix est restreint, je prends du temps à choisir. Je sais que le petit cercle argenté que je vais glisser dans ce poste capturera à jamais cette nuit. Chaque fois que j'entendrai cette musique, je verrai surgir le visage de Sebastian.
– Tu vas regarder mes CD toute la nuit ? se plaint-il dans mon dos.
Je m'empresse d'appuyer sur PLAY. Les premières notes de With or Without you réchauffent la pièce qui paraît tout à coup plus romantique. J'ai écouté cette chanson un nombre incalculable de fois avec Julian. Dès que je le mets, je me sens un peu comme dans une bulle.
– Allez, viens là ! m'intime Sebastian en tapotant la place à côté de lui.
Ses lèvres s'étirent en un sourire irrésistible. Je m'approche comme s'il venait de tirer sur un fil invisible. Je suis aimantée par sa beauté. Rassurée par cette vague ressemblance qu'il partage avec Julian.
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