Round 15

Degré d'oxygénation : 3 sur 10

Je me réveille en sueur au beau milieu de la nuit. Des images cauchemardesques plein la tête. Sebastian est revenu. Je sens encore tout son poids écrasant ma cage thoracique, sa respiration haletante hante mes tympans. Trois minuscules bulles d'oxygène se baladent dans la pièce et mes poumons peinent à les attraper. Machinalement je tends la main pour allumer ma lampe de chevet – j'ai acheté quatre ampoules en provision – et je saisis mon portable comme j'empoignerais une bouée de secours.

L'écran affiche deux heures du matin. La tonalité s'éternise, puis la boîte vocale s'enclenche.

Salut, c'est Julian. Désolé de ne pouvoir vous répondre. Je vous rappelle dès que possible.

Entendre sa voix me réconforte, même si je ne peux m'empêcher de penser à son ancien message, celui qu'il a effacé deux ans plus tôt où résonnait la mélodie de Chasing Cars jouée à la guitare. J'aurais aimé écouter ce message-là. Je donnerais n'importe quoi pour l'entendre à nouveau.

Je sais que ce coup de fil contredit ma décision de prendre mes distances, mais c'est la nuit et je me sens vraiment mal. De toute façon, j'ai juste appelé son répondeur. Je ne l'ai pas réellement dérangé. Je raccroche sans laisser de message et pose mon portable près de mon oreiller, comme un doudou. De la pièce d'à côté s'échappent une musique déprimante et quelques murmures.

Avant le sommeil était une échappée. Maintenant j'ai davantage peur de dormir que de rester éveillée. Quand je dors, je suis vulnérable. Je sens que Sebastian n'est pas loin, attendant que je baisse ma garde pour prendre possession des lieux.

Soudain la sonnerie de mon portable s'élève. Je décroche aussitôt. À l'instant où il me demande « Autumn, ça va ? » d'une voix embrumée, je réalise que je n'ai pas envie de parler.

– Parle-moi, je murmure. Dis-moi n'importe quoi, mais parle-moi. J'ai juste besoin d'entendre ta voix.

Un silence passe. Je l'imagine en train de se frotter les cheveux, les yeux encore embués de sommeil. J'entends le lit grincer, comme s'il s'asseyait ou cherchait une meilleure position.

– C'est l'histoire d'un petit garçon, commence-t-il tandis que je branche le haut-parleur et que je me cale confortablement sur l'oreiller. Il s'ennuie souvent. Il a plein d'amis, mais il trouve leurs jeux sans intérêt. Il ne comprend pas comment on peut rester captivé pendant des heures par des petites voitures en plastique.

– Attends, je l'interromps. Est-ce que Carly est avec toi ? je demande même si, au ton de sa voix, je devine la réponse.

Il ne me parlerait pas de cette façon si elle était dans les parages, mais je préfère en être certaine.

– Non. Tu veux connaître la suite de l'histoire ?

– Oui.

Il se racle la gorge.

– Un jour le petit garçon regarde par la fenêtre et aperçoit une petite fille devant un stand de pommes de pin. Il trouve ça étrange mais potentiellement distrayant, alors il sort de chez lui et traverse la rue. La petite fille lève les yeux et lui dit : « C'est deux dollars pièce. Tu en veux combien ? » Le petit garçon écarquille les yeux, complètement ahuri. Il lui rétorque : « Comment tu peux vendre ça ? Tout le monde peut en ramasser dans la forêt. Qu'est-ce qu'elles ont de spécial, tes pommes de pin ? » Elle répond : « Si tu m'en achètes une, ce ne sera plus une pomme de pin, ce sera un souvenir de moi. » Le petit garçon est touché en plein cœur et se dit que cette petite fille est délicieusement spéciale.

Un sourire s'est faufilé sur mon visage. Je respire plus calmement. Je n'avais plus pensé à ce jour depuis longtemps. En fait, je m'en rappelle à peine. Je n'avais que cinq ans. Je voulais récolter un peu d'argent pour aider ma mère à financer mon nouveau cartable.

– Le petit garçon achète deux pommes de pin. La petite fille les emballe dans du papier cadeau qui paraît avoir déjà servi et les lui tend en déclarant : « Deux souvenirs d'automne. » Le petit garçon sourit. Il tient à la remercier d'avoir dissipé son ennui. Alors il s'empresse de rentrer chez lui chercher la plume d'oiseau qui décore son pot à crayons et revient en courant. « Un souvenir du printemps », souffle-t-il en la lui offrant. La petite fille pouffe de rire. Le petit garçon est vexé. Jusqu'à ce qu'elle lui révèle : « Autumn, c'est mon prénom. »

Brassé par la voix de Julian, l'air paraît régénéré. La pièce a changé d'atmosphère. Des souvenirs tendres virevoltent. Après l'épisode des pommes de pin, il s'est écoulé plusieurs semaines durant lesquelles nous nous sommes observés d'un air curieux sans oser nous adresser la parole. Julian prétend qu'il me disait bonjour et que je m'enfuyais comme un animal sauvage, mais je ne m'en rappelle pas. Puis un jour il m'a croisée alors que j'apprenais à faire du skate-board avec mon frère. C'est Niels qui l'a interpellé. Il en avait marre de me tenir la main, il a demandé à Julian de prendre le relais.

Julian m'a pris la main.

Et je ne l'ai plus jamais lâchée.

– Ça va mieux ? chuchote-t-il comme s'il me pensait endormie et craignait de me réveiller.

– Oui, merci. Dis, qu'est-ce que tu ferais si tu pouvais remonter le temps et changer quelque chose à ton passé ?

Il ne met pas plus de trois secondes à déclarer :

– Je ne sortirais pas avec Lily Harris.

Je sais qu'il ne parle pas vraiment d'elle mais de toutes les conséquences de cette relation.

– Et toi ? me demande-t-il d'un ton hésitant.

J'élude la question en prétextant que j'ai sommeil. On se souhaite bonne nuit. Lorsque je raccroche, je réponds à l'obscurité :

– Je ne sortirais pas de ma chambre cette nuit-là.

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Autumn a eu peu de mal à se détacher de Julian... Est-ce que vous comprenez que Julian lui ait parlé si gentiment au téléphone, malgré la précédente dispute ?

La mélodie de Chasing Cars qui était sur le répondeur de Julian deux ans plus tôt, c'est la chanson qu'il y a dans le trailer. Après pourquoi a-t-il effacé ce message... Il est possible que cela soit un détail important pour l'histoire ;-)

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