Round 12
Degré d'oxygénation : 4 sur 10
Je suis dans mon lit, roulée en boule. Dans la pièce d'à côté, la musique marche en sourdine et je ne parviens pas à déterminer si la voix que j'entends émane de la stéréo ou du souffle de mon frère. Je me tourne et me retourne, guettant le moindre indice qui me permettrait de déterminer si cette nuit sera à marquer d'une pierre blanche ou d'une pierre noire. Vu que la nuit précédente a été agitée, les probabilités d'une nuit calme sont élevées. La folie de mon frère flambe par à-coups, un peu comme les marées. Une fois qu'elle a tout détruit, elle se retire pour quelques temps.
Auparavant j'avais un rituel pour m'endormir. Pour étouffer les bruits lugubres de la pièce d'à côté. Pour éteindre mes peurs. J'imaginais les bras de Julian autour de moi, me serrant très fort contre lui. Chaque nuit, depuis que j'ai douze ans, c'est cette sensation familière qui me procure de l'apaisement. Ce sont les bras de Julian qui me confient à ceux de Morphée. Combien de fois alors que mon frère pétait les plombs, que la musique battait son plein, que les objets pleuvaient à terre, n'ai-je pas donné à l'obscurité la forme de Julian au point de sentir son bras peser lourdement par-dessus mon épaule. Ses bras imaginaires étaient une armure, un rempart, une cathédrale où je pouvais me reposer. Je tenais dur comme fer à ce Julian qui me tenait compagnie une fois la nuit tombée. Les battements de mon cœur diminuaient à son contact, ma respiration trouvait un rythme lent et régulier.
Il va falloir que je trouve autre chose désormais.
Maintenant que je sais qu'il lui a dit « Je t'aime », j'ai l'impression d'avoir perdu le droit de dormir avec Julian, quand bien même celui-ci serait le fruit de mon imagination. Je ne peux pas recréer cette sensation rassurante sans avoir l'impression d'usurper la place de quelqu'un d'autre, de trahir mon meilleur ami qui n'a sans doute pas envie d'être là, avec moi, dans ce lit. Julian a peut-être le même rituel vis-vis de Carly. Il donne à l'obscurité le corps et le parfum de sa petite amie. Et Carly... Oh, bien sûr que Carly doit s'endormir avec les mêmes bras que ceux que je me suis appropriée pendant tant d'années. Cela me paraît inacceptable à présent de laisser ces bras imaginaires m'enlacer. Nous sommes trois. Trois paires de bras imaginaires. Mais personne ne désire donner vie aux miens. Je n'ai pas ma place dans cette étreinte nocturne.
Sans Julian, le moindre son paraît amplifié et inquiétant, même les bruits émanant de la rue. Sans Julian, la Nuit parle trop fort et j'ai mille tensions dans le corps. Jamais le mur qui me sépare de la chambre adjacente ne m'a paru si proche de moi, au point que j'ai l'impression de ne plus avoir d'espace personnel. Je suis comme coincée dans une cage avec une mère que je déteste et un frère que je redoute. Seule contre tous.
Les heures passent sans qu'aucun bruit ne prenne des allures de film d'épouvante, et j'en déduis qu'aucune vague de folie ne fera surface. Niels finit par éteindre la musique et bizarrement le silence qui s'installe est encore pire. Maintenant je suis seule contre moi-même.
L'obscurité ne tarde pas à prendre forme. Je sens sur ma peau le poids d'un autre corps, mais ce n'est pas une sensation réconfortante. C'est la Nuit qui m'enlace, qui glisse ses chaînes autour de mes poignets. Ma respiration s'accélère, mon cœur se met à cogner comme une bête enragée. Une odeur de sueur me monte aux narines. Lorsqu'une voix me murmure : « Tu m'as allumé toute la soirée, tu vas pas faire ta sainte-nitouche maintenant », je me jette d'un bond sur ma lampe de chevet. La lumière ne s'allume pas. Mon angoisse ne fait qu'empirer. Sebastian continue à me parler, comme s'il s'était immiscé dans ma chambre. Sa présence est plus palpable que l'obscurité. Je me cogne contre mon bureau en cherchant la porte de sortie.
Dans la salle de bain, je trouve enfin un peu d'air et de lumière. Je me rince le visage en insistant sur les paupières, comme pour effacer les images qui ont surgi.
Lorsque je regagne ma chambre, la seule lueur de la pièce m'indique qu'il est quatre heures du matin. Dans deux heures je dois me lever pour aller en cours. Je retourne dans la salle de bain où je dévisse l'ampoule pour la ramener dans ma chambre. J'ai besoin de lumière pour dissiper l'ombre de Sebastian. Je me glisse sous les draps et, au bout de quelques minutes, parce que je suis épuisée, parce qu'il me manque trop, je laisse les bras de Julian me consoler.
Désolée, Carly. Je te laisse le Julian en chair et en os, mais je me garde ses bras imaginaires.
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