Partition 7
L'aube vient à peine de se dissiper, emportant ses nacres roses pour laisser place à un ciel radieux. C'est les vacances de Spring Break. Julian m'a donné rendez-vous chez lui à 7 heures 30. Je ne comprends pas la raison d'une heure aussi matinale. Peut-être qu'il croit qu'en étant à moitié endormie, je serai plus détendue. Personnellement, je pense plutôt qu'on devrait se saouler. Mais Julian est totalement contre.
– Tu m'as dit que ce serait comme ta première fois, m'a-t-il rappelé. Tu aurais aimé être saoule pour ta première fois ? Si le but est d'en garder un bon souvenir, je crois que boire est la pire des idées.
Lorsque j'allume mon portable, je remarque qu'il m'a envoyé un message pendant la nuit :
Prends ton maillot de bain.
Je fronce les sourcils en tentant de deviner ce qu'il a en tête. Il veut qu'on prenne un bain ou une douche ensemble en guise de préliminaire. Il veut qu'on fasse l'amour dans la baignoire ?
Non, tout ça ne nous ressemble pas. Des douches, nous en avons déjà partagées, mais ça n'avait rien de sensuel. C'était uniquement parce qu'on n'arrivait pas à se mettre d'accord sur qui passerait en premier. Julian finissait par dire :
– Bon, moi j'y vais.
Et, par esprit de contradiction, je lui emboîtais le pas :
– Non moi j'y vais.
– OK, celui qui se déshabille le plus vite passe en premier.
On jetait nos vêtements par terre comme de vulgaires torchons, tout en se bousculant pour se retarder. Si j'avais la chance de porter une robe, je remportais la partie. Mais la plupart du temps, Julian était nu alors que j'étais encore en sous-vêtements.
Je faisais mine de m'intéresser à mon visage tandis qu'il se savonnait. Mais dès qu'il baissait sa garde, je me précipitais sur le robinet d'eau froide pour me venger. Il m'attrapait par les cheveux et m'aspergeait de gel douche ou de mousse à raser. C'est comme ça que je finissais dans la douche avec lui.
Avec un soupçon d'angoisse, je fouille dans mon tiroir à culottes à la recherche d'un maillot. Je mets la main sur plusieurs bikinis, mais ils me paraissent tous trop échancrés. Finalement, tout au fond, je retrouve mon maillot une pièce que je mettais pour aller à la piscine quand j'avais quatorze ans. Il est moche et beaucoup trop serrant, mais je parviens tout de même à rentrer mon corps dedans. En revanche, je ne sais pas si je parviendrai à l'en sortir.
Je suis à peine arrivée que Julian me prend par les épaules, m'obligeant à faire volte-face :
– On ne reste pas ici. On met les voiles !
Son ton est joyeux. Il a l'air beaucoup moins mal à l'aise que les autres fois. Il attrape ses clefs de voiture, un sac à dos et me pousse vers l'extérieur.
– Où est-ce que tu veux aller ?
Ce qui sous-entend : Tu veux faire l'amour ailleurs que dans ton lit ?
– C'est une surprise, me répond-il en se dirigeant vers sa voiture. Dis donc pourquoi tu marches comme si t'avais un balai coincé là où je pense ?
– Tu m'as dit de prendre un maillot, je lui rétorque d'un ton lourd de reproches.
– Et ?...
J'ouvre la portière violemment :
– Et je mettais ce maillot quand j'avais quatorze ans ! J'ai l'impression d'avoir enfilé une camisole de force tellement ça me comprime.
Il éclate de rire en ouvrant sa portière :
– Il va peut-être se détendre pendant le trajet.
– C'est loin ?
– Quatre heures de route.
J'écarquille les yeux en cogitant à toute allure. Est-ce qu'il croit qu'en laissant cette ville derrière moi, j'y laisserai aussi mes peurs ? Je ne crois pas que cela marche comme ça. Mais il a l'air tellement confiant en son plan que je n'ai pas envie de le contredire.
Lorsqu'au bout d'une heure, on s'arrête à une station-service, je regrette profondément d'avoir mis cet horrible maillot. Il me faut dix minutes pour parvenir à faire pipi. Je traite Julian de tous les noms pour ne pas m'avoir prévenue de ce qui m'attendait.
Pendant tout le trajet, je me sens bizarre dans cette voiture qui file à toute allure. Le soleil brille vaillamment comme s'il entrevoyait une issue favorable à cette journée. Mais j'ai des sensations qui me tiraillent, tels de petits pincements intermittents. Chaque fois que je me détends parce que j'ai impression de m'enfuir, je me revois assise dans la décapotable de Sebastian, éprouvant cette même illusion. Je me demande si un jour je pourrai profiter du plaisir de rouler, cheveux au vent, sans que la Nuit m'agrippe le cœur tel un poing me ramenant en arrière. Me maintenant prisonnière.
Lorsqu'il change de voie pour prendre la sortie en direction de Savannah, je commence à comprendre. Des chênes centenaires enguirlandés de mousse espagnole, des maisons antebellum sculptées comme des bijoux défilent sous mes yeux.
Et puis je la sens.
Je la sens avant même que nous soyons arrivés. Elle est dans le vent salé qui me fouette le visage ; elle est dans le sourire qui s'épanouit sur mon visage ; tout l'air en est imprégné.
La mer.
Un élan de gratitude me gonfle le cœur. Je baisse le volume de l'autoradio.
– Je ne sais pas ce que tu as en tête, mais merci.
Il hoche le menton d'un air modeste, l'air de dire « Ce n'est pas grand-chose », mais son petit sourire en coin le trahit. Je garde tout de même une légère inquiétude en moi, car je sais que la mer n'est qu'une étape. Après il m'emmènera peut-être dans un motel ou dans une cabine de plage pour m'ôter ce maudit maillot. Le véritable but de ce voyage n'est pas d'écouter les mouettes en se rafraîchissant les pieds dans l'eau. Je ne l'oublie pas, mais j'essaye de ne pas trop y penser.
Il se gare dans un parking à Fort Screven, sous un palmier. Devant nous, le sable d'un blanc pur et l'océan d'un bleu affolant.
De tous les paysages qui existent sur cette Terre, c'est celui-ci que je préfère. Je n'ai pas souvent eu l'occasion de contempler l'océan – juste quelquefois quand j'étais petite et lors de mes vacances avec Lisa – et c'est peut-être pour cela que la plage et les embruns gardent sur moi leur pouvoir miraculeux. Face à la mer, je suis comme une petite fille qui ne connaîtrait rien à la vie, qui ignorerait tout de la noirceur du monde.
Julian sort son sac à dos du coffre et nous descendons jusqu'à la plage par le ponton.
– Si j'avais de l'argent, je m'installerai ici, je proclame en ôtant mes chaussures.
Je m'élance sur le sable qui procure à ma plante des pieds un doux chatouillis. Même si la météo est au beau fixe, le vent est puissant. De grandes bouffées d'air iodé pénètrent dans mes poumons et agitent les vagues, comme si l'océan respirait avec moi. Je contemple la façon dont le soleil joue avec l'eau, la couvrant de reflets irisés. L'écume rugissante se mêle aux cris des enfants, s'associe aux battements de mon cœur. J'ai envie d'ôter mes vêtements et de me jeter dans la mer.
Julian sort deux serviettes de son sac à dos et les étend sur le sable. Je pointe un doigt sur lui :
– J'espère que tu as pris ton maillot, parce qu'il est hors de question que tu restes assis là à te rincer l'œil pendant que je vais me baigner.
– Vu la description que tu m'as faite de ton maillot, je ne risque pas de me rincer l'œil.
J'avais oublié ce fameux maillot. Je n'ai même plus l'impression qu'il me serre.
– Oh je ne parlais pas de moi, je réplique en ouvrant les bras pour englober la multitude de filles en bikini qui se prélassent aux alentours.
– Je compte me baigner avec toi, t'inquiète.
Il m'attrape par les chevilles et tente de me faire basculer sur la serviette. Pour un peu, je croirais presque que rien n'a changé.
Dans l'eau, il me poursuit avec une poignée d'algues. Je pousse des cris hystériques. On s'éclabousse comme des gamins. À un moment, il me propose de grimper sur ses épaules pour profiter de la vue. Il s'accroupit, glisse sa tête entre mes jambes et me soulève comme si je pesais trois fois rien. Je pose une main sur ses cheveux tandis qu'il s'avance vers les profondeurs. Je contemple le phare au loin, l'immensité bleue tout autour de moi, et je me sens légère, tellement légère.
Puis il se penche et je m'écrase comme un cachalot, tête la première dans l'eau. Je riposte en le poussant de toutes mes forces, mais il s'amuse encore à me soulever, par la taille cette fois. Petit saut vers le ciel telle une ballerine avant un nouvel atterrissage dans l'eau. Je ne reviens pas à la charge. De toute évidence, ses séances de muscu en ont fait un adversaire redoutable. Je préfère m'éloigner en nageant. Dans cette eau qui paraît sans limites, mon corps paraît sans entraves. Un petit frisson de liberté me traverse de la tête aux pieds.
Lorsque je rejoins le rivage, j'ai la sensation de retourner à la réalité. Mes yeux irrités par l'eau salée se posent sur les deux serviettes au loin et mon bien-être s'évanouit.
Je ne suis pas sûre d'apprécier la suite de la surprise.
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J'espère que vous avez apprécié cette partition, on change un peu de décor. Je posterai la suite de cette journée à la mer plus tard. A votre avis, qu'est-ce que Julian a en tête ? Pourquoi l'emmène-t-il là-bas pour leur troisième tentative ?
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