Partition 15
Une sonnerie stridente nous fait sursauter. Quelqu'un vient de sonner à la porte. Julian se redresse et je perçois immédiatement son affolement.
– Quelle heure est-il ?
Je tourne la tête vers le réveil.
– Dix-huit heures.
– Merde ! C'est Carly. Je lui ai demandé de venir me rendre mes affaires.
– Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ?
– Je n'avais pas prévu qu'on coucherait ensemble aujourd'hui. Tu m'as un peu déconcentré.
– Eh bien qu'est-ce que t'attends ? Va lui ouvrir !
Il promène son regard sur les draps, l'air de dire : Ce n'est pas possible !
– T'inquiète, je vais me rhabiller, je le rassure en m'extirpant du lit. Et je ne mettrai pas ton caleçon cette fois.
Je lui fais un petit clin d'œil. Il enfile son jeans et son tee-shirt à la vitesse de l'éclair, tandis que je remonte ma culotte sur mes hanches.
Je suis entièrement vêtue lorsque j'entends des pas dans les escaliers et la voix de Julian qui ricane nerveusement :
– C'est bon. Je suis un grand garçon. Je peux ranger mes affaires tout seul.
– Je sais, mais j'aimerais bien récupérer mon pull noir.
– Tu es sûre que c'est moi qui l'ai ?
– Oui je l'avais mis dans ta garde-robe au cas où j'aurais froid.
Je vérifie que ma braguette est bien fermée, j'aplatis un peu mes cheveux et je regarde autour de moi en me disant que je dois impérativement m'éloigner du lit. Je me précipite vers la fenêtre et je pose un coude sur le rebord. Cette position n'est pas très naturelle, mais la porte s'ouvre avant que j'aie eu le temps d'en adopter une autre. Carly entre dans la pièce avec un gros carton dans les bras. Julian la suit au pas, les joues teintées par la culpabilité.
– J'ai gardé la compil des Ramones, dit-elle en tournant la tête vers lui. Je ne sais pas si tu voulais la récupérer.
– Non, je l'avais gravée pour toi.
– Merci.
Je vois un grand sourire illuminer son visage et je me rends compte qu'elle ne m'a pas vue. Julian m'adresse un regard navré en fronçant les sourcils.
– Autumn est là, annonce-t-il.
Le visage de Carly s'assombrit aussitôt. Elle me balaie du regard, ce qui me met terriblement mal à l'aise et me donne l'impression d'être encore nue. Je me demande si elle peut lire la vérité dans mes yeux.
Julian ouvre la garde-robe à la recherche du fameux pull noir. Il a bien de la chance de pouvoir cacher sa tête dans un meuble. Carly commence à sortir des CD du carton et se met à les ranger dans la bibliothèque en prenant tout son temps, comme si elle les classait par ordre alphabétique.
Je propose mon aide – à Julian, pas à Carly –, même si je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemble ce pull. Cachée par le battant de l'armoire, j'articule silencieusement : Cette situation est horrible. Julian me répond : Je sais, mais je ne peux pas la mettre dehors. En vrai, il hausse juste les épaules, mais le message est clair.
– Je ne vois pas ton pull, finit-il par déclarer après avoir retourné toutes ses affaires.
Un bracelet à la main, Carly est en train de s'approcher du lit et c'est alors que l'horreur me saute aux yeux. Mes chaussettes ! J'ai oublié de remettre mes chaussettes ! Elles sont roulées en boule sur la table de chevet. Un cri aigu s'échappe de ma gorge :
– Salon !
Carly s'arrête net et me dévisage.
– Ton pull ! je précise. Je crois l'avoir vu dans le salon.
– Je vais aller voir ! déclare Julian qui n'a malheureusement pas compris le but de la manœuvre.
Le but était de faire déguerpir Carly et non de me laisser, pieds nus, face à son ex.
Il quitte la pièce, me laissant dans le pétrin. J'essaye de me convaincre que ce ne sont que des chaussettes et que ce n'est pas la fin du monde si elle s'en aperçoit. Mais qui enlève ses chaussettes lorsqu'il rend visite amicalement à quelqu'un ?
Carly fixe le lit – ou les chaussettes, je ne sais pas – et je commence à être prise de sueurs froides. J'ai essayé de remettre les draps et l'édredon correctement, mais j'ai tout de même l'impression qu'ils clament avoir été sauvagement froissés.
– Tu joues de la guitare ? me demande-t-elle.
Mon cœur fait un petit décroché. De soulagement, d'une part, parce qu'elle n'a pas l'air de se douter un seul instant que je viens de faire l'amour avec son ex. De surprise, d'autre part, parce que sa question me désarçonne.
Et puis mon regard suit le sien et j'aperçois la guitare posée dans l'angle du mur. Depuis le début, c'est ça qu'elle regardait.
– Non, c'est celle de Julian.
– Depuis quand est-ce qu'il joue ? demande-t-elle d'un air perplexe.
Ma bouche s'entrouvre, mais je reste sans voix, choquée, en pensant Oh mon Dieu ! Elle n'est pas au courant ! Que suis-je censée répondre ? Par défaut, j'opte pour la vérité.
– Depuis qu'il a quatorze ans.
– Et il joue bien ?
Je manque de m'étouffer avec ma propre salive. Cette discussion est tellement absurde. Pourquoi Julian ne lui a rien dit ? Je m'efforce de répondre d'un air décontracté :
– Il se débrouille plutôt bien, oui.
Elle s'approche de l'instrument d'un air curieux et craintif comme si c'était un animal qui, à tout instant, pouvait lui sauter à la gorge.
– Je n'ai jamais vu cette guitare, murmure-t-elle.
– C'est normal, elle était en quarantaine.
– Pourquoi ?
Je comprends que j'en ai trop dit et pas assez. Moi qui m'inquiétais pour mes chaussettes, je préférerais maintenant qu'elle me demande pourquoi je me balade pieds nus. Je pourrais inventer qu'il s'agit d'une technique de relaxation pratiquée par les grands maîtres tibétains. Ou que la mère de Julian m'a ordonné de tester un échantillon de bain de pieds. Mon imagination fourmille tout à coup de mille excuses pour justifier la présence suspecte de mes chaussettes près du lit.
En revanche, je ne sais pas quoi répondre à propos de la guitare. S'il n'a rien dit, il ne veut certainement pas que je raconte l'histoire à sa place. Il pourrait m'en vouloir.
– Bah...
C'est à ce moment que le Seigneur a pitié de moi. Julian réapparaît dans la pièce, un pull à la main. Je reconnais immédiatement mon pull.
– Tiens, je l'ai trouvé, dit-il d'un air réjoui en le refourguant à Carly.
Elle le déplie en le tenant par le bout d'une manche comme s'il dégageait une odeur pestilentielle et articule d'une voix crispée :
– Ce. N'est. Pas. Mon. Pull.
Je m'empresse de reprendre mon bien tandis que Carly fusille Julian du regard :
– Est-ce que je suis censée comprendre quelque chose ? demande-t-elle d'une voix de petite fille qui me donne tout à coup pitié d'elle.
Comme elle regarde uniquement Julian, je lui laisse la corvée de répondre.
– Tu sais bien qu'Autumn est ma meilleure amie. On passe du temps ensemble, c'est tout.
Je suis fascinée par le naturel avec lequel ce mensonge est sorti de sa bouche. Puis je réalise que ces mots représentent peut-être pour lui une vérité. Carly a l'air rassurée, tandis que je me décompose en surprenant le regard qu'ils échangent.
On passe du temps ensemble, c'est tout.
C'est tout.
C'est tout.
– Je crois que je vais y aller ! je m'exclame pour rompre leur regard langoureux. Vous avez plein de choses à vous dire, on dirait.
Je m'abstiens de faire une accolade à Julian, de déposer un baiser sur sa joue, de faire tout ce que j'avais envie de faire il y a à peine dix minutes. Je souffle « À plus » avant de me ruer vers les escaliers. J'enfile mes chaussures qui sont restées dans l'entrée. Mes chaussettes, quant à elles, sont toujours sur la table de chevet et j'espère bien que Carly les remarquera.
J'effectue le trajet du retour d'un pas lourd en tentant d'évacuer de mon esprit la façon dont Julian l'a regardée. Un regard qui semblait dire « Tu me manques », « Je t'aime », « Je suis désolé », tout cela à la fois.
Le ciel forme une alliance de gouache grise et de lumière dorée. Lui non plus ne semble pas trop savoir s'il faut fêter cette journée ou la pleurer.
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Alors cette seconde première fois, qu'en pensez-vous ? Victoire ou échec ?
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