Interlude

Si c'est grâce à Lily que Julian a découvert sa passion, c'est aussi à cause d'elle qu'il y a renoncé. Ils avaient gardé contact depuis leur rupture, liés par leur passion commune. Julian lui envoyait parfois ses reprises guitare-voix pour lui demander son avis.

Un jour, il m'a téléphoné et m'a annoncé avec une voix délirante :

– Lily a fait écouter mes enregistrements à son directeur artistique et il veut me rencontrer ! J'ai rendez-vous mardi.

– C'est génial ! me suis-je exclamée, sans vraiment mesurer l'ampleur de l'évènement.

– Ils cherchent quelqu'un en ce moment pour chanter des tubes pop-folk. Ils ont déjà bâti tout un projet et je suis peut-être la personne qui leur faut, m'a-t-il expliqué.

– Oh, alors tu ne pourras pas proposer tes propres musiques ?

– Ce n'est pas grave si les morceaux me conviennent. Et puis j'ai juste obtenu un rendez-vous, peut-être que ça ne va rien donner, a-t-il tempéré.

Mais je sentais que l'espoir était déjà bien enraciné dans son cœur et qu'il tomberait de haut si cela ne donnait rien.

– Tu veux venir avec moi ? a-t-il proposé.

– J'ai le droit ?

– Oui, je chante mieux quand t'es là.

Et, tout à coup, j'ai senti que moi aussi je venais de mettre un pied dans son rêve délirant.

Finalement, on y est allés tous les trois. Moi, Julian, Lily. Julian avait amené sa guitare, mais on lui a demandé de chanter derrière un micro sur une bande instrumentale. Le titre correspondait vraiment à son univers ; j'étais ravie. D'autres candidats devaient encore être auditionnés, mais le directeur artistique a complimenté Julian sur sa voix et lui a dit qu'il le rappellerait bientôt.

Pendant deux semaines, on a oscillé entre deux sentiments. On ne voulait pas faire de plans sur la comète, mais on ne pouvait s'empêcher d'imaginer quelles poses il prendrait pour la pochette de l'album, s'il garderait son nom ou s'il choisirait un pseudo, et surtout ce qu'il ferait avec cet argent si jamais ça cartonnait.

Et puis le coup de fil tant attendu est arrivé.

Je sens encore la joie communicative vibrer à l'intérieur de ma cage thoracique lorsque j'ai décroché mon téléphone et qu'il a hurlé :

– Ils m'ont choisi ! Je vais signer un contrat ! Je n'arrive pas à réaliser. C'est trop beau pour être vrai.

– C'est beau parce que c'est vrai. Tu le mérites.

C'est à ce moment-là que Julian a pris la décision de postuler uniquement à Thornton, la faculté de musique de l'USC. C'était son année de terminale. Il n'avait pas envie de perdre du temps à remplir des dossiers de candidature pour des facs où il n'avait aucune envie d'aller. Le fait qu'une maison de disque lui fasse confiance semblait lui garantir un avenir dans la musique.

Son père a très mal réagi. Il a exigé que Julian envoie d'autres dossiers pour être sûr d'être admis dans au moins une université. Il était fou de colère. « Tu bousilles ton avenir », lui a-t-il prédit. « Et ne compte pas sur moi pour t'aider lorsque tu réaliseras ton erreur. »

Ils ont cessé de s'adresser la parole. Mais Julian était persuadé que son père changerait d'avis le jour où il tiendrait le CD de son fils entre ses mains.

Au début, tout s'est déroulé à merveilles. Il a signé le contrat après avoir écouté les douze titres qui composeraient l'album. À deux exceptions près, les morceaux lui plaisaient vraiment. On a fêté ça en grandes pompes. Une annonce est même passée dans les haut-parleurs de son lycée. C'était une belle période. Je me sentais tellement heureuse pour lui que j'avais l'impression de planer sur un petit nuage. Mes problèmes familiaux ne m'affectaient plus autant. Son rêve était devenu le mien. Je m'imaginais qu'il m'emmènerait avec lui s'il partait en tournée. Et s'il était admis à Thornton, je finirais par le rejoindre sur la côte Ouest. Il était en train d'ouvrir cet Ailleurs dont j'avais besoin.

Et puis les semaines ont passé.

Pas un seul instant je ne me suis inquiétée. Pas un seul instant je n'ai senti mon petit nuage vaciller, malgré les signes avant-coureurs de la catastrophe. Aucune date d'enregistrement n'avait été fixée. Julian attendait des nouvelles de la maison de disques. Il consultait ses mails trois fois par jour, mais tout comme moi il pensait que ce délai n'avait rien d'anormal. Que l'agenda était peut-être complet. Et que si personne ne répondait à ses mails, c'était parce que ces gens menaient un train de vie que nous ne pouvions pas comprendre.

J'étais à l'école lorsque Lily m'a appelée. Je ne savais même pas qu'elle avait mon numéro. J'ai tout de suite deviné que ça concernait Julian, mais je ne m'attendais pas à l'entendre sangloter :

– Autumn, il faut que tu viennes tout de suite. Ils ont annulé le contrat.

– Quoi ?

– Il est dans un sale état et je ne peux pas gérer ça. Je me sens tellement coupable. Personne ne répondait à ses mails ni à ses appels, alors il a téléphoné au directeur à partir de mon portable. Et on lui a annoncé que ce n'est pas lui qui enregistrera cet album. Ils ont fait écouter les morceaux à un autre chanteur qui a déjà une petite carrière et c'est lui qui va les interpréter. Ils ont décidé que c'était trop risqué de parier sur un parfait inconnu.

– Mais il a signé un contrat ! me suis-je insurgée.

– Je sais, mais c'est l'industrie du disque. Viens, s'il te plaît. Il n'y a que toi qui parviendras à le calmer.

Je n'en étais pas si sûre. Parce que je bouillonnais moi-même d'une rage folle. Tout ce dont j'avais envie, c'était arracher la tête de ce directeur artistique qui n'avait pas tari d'éloges sur la voix de Julian. Ce que je déteste plus que tout dans la vie, ce sont les mensonges, les promesses brisées. Que des gens hauts-puissants se permettent de briser les rêves de mon meilleur ami m'écœurait à un point innommable.

Lorsque je suis entrée dans la chambre de Julian, Lily était déjà partie. Et je n'ai eu aucun mal à comprendre ce qui l'avait fait fuir. Le sol était jonché d'objets, de CD en particulier, qui avaient de toute évidence été balancés dans un accès de colère ou de désespoir. Ça ressemblait presque à la chambre de mon frère. Julian était assis sur le lit, la tête entre les mains. Jamais le silence ne m'avait paru aussi rugissant. J'avais l'impression d'entendre ce qui se passait à l'intérieur de sa tête. Et c'était tout aussi horrifiant que l'état de sa chambre.

Je me suis assise à côté de lui et j'ai enroulé mon bras autour de ses épaules, mais il est resté statique.

– J'ai besoin d'être seul. Va-t'en, s'il te plaît, a-t-il marmonné.

– Tu es sûr que tu ne peux pas te servir du contrat pour arranger les choses ? Tu pourrais les menacer de porter plainte.

Il a soufflé par le nez en me jetant un regard qui m'a donné l'impression d'avoir dit une bêtise.

– Ce contrat ne vaut rien. Il y a une clause qui stipule que la maison de disques peut l'annuler à tout moment tant que les titres n'ont pas été enregistrés. Si mon père l'avait lu, il m'aurait mis en garde. Mais évidemment, j'ai signé comme un con. Et maintenant il va se faire un malin plaisir de me rabaisser plus bas que terre.

– Je ne sais pas quoi dire...

– Il n'y a rien à dire.

J'ai entrepris de ramasser les CD qui avaient survécu au choc.

– Ces gens sont des connards, mais ça n'enlève rien à ton talent. Tu pourras toujours faire de la musique.

Il s'est levé pour m'arracher les CD des mains.

– Tu ne comprends pas. Ils ont choisi quelqu'un d'autre parce que je n'étais pas à la hauteur !

Il a relancé la pile de CD à terre. Puis il m'a ordonné d'une voix si noire qu'elle m'a filé la chair de poule :

– Maintenant va-t'en ! Je ne veux pas qu'il y ait de témoin lorsque mon père me dira : « Je te l'avais bien dit. »

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Hello,

J'espère que vous allez bien. Je suis un peu moins présente sur wattpad parce qu'il y a beaucoup de bouleversements dans ma vie. Cet interlude laisse entrevoir les raisons pour lesquelles Julian a renoncé à jouer, même s'il y aura encore un autre interlude un peu plus tard qui expliquera ce qu'a été sa "phase noire" et pourquoi Julian n'est pas entré à Thornton.

Bon week-end à tous !

PS : oui je sais il y a souvent un guitariste dans mes histoires, mais je n'en peux rien si ça me fait craquer ;-)

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