Chapitre 4
Il se retrouvait une fois de plus dans cette petite chambre froide et vide de toute vie, malgré la présence de son occupant qui lui faisait toujours dos. La barbe de ce dernier avait encore poussé, signe que Yuri se négligeait complètement depuis plusieurs mois. Depuis son accident en fait. Il s'était complètement laissé aller, et ça avait le don d'exaspérer Viktor. Celui-ci était rentré de son petit tour en Russie depuis peu et s'était précipité chez son conjoint, impatient de lui montrer ce qu'il avait ramené. Il était donc là, dans l'entrée de la pièce, les bras chargés de cartons. Il les posa au sol avant de fermer la porte.
- Je t'ai apporté des affaires qu'on avait à l'appartement en Russie.
Aucune réponse de la part du japonais. Mais Viktor s'y attendait et déballa quand même le contenu des cartons.
- A la maison, tu adorais fouiller là-dedans. On pouvait même passer des soirées entières à tout sortir et à se rappeler les souvenirs qui s'y rattachent. Le seul problème c'est qu'après on passait des plombes à tout ranger.
Yuri se demandait de quoi pouvait bien parler son partenaire, mais fit mine de ne rien entendre et ne bougea pas d'un pouce. Pourtant le bruit de tissus qu'on dépliait titillait dangereusement sa curiosité. Cela faisait plusieurs semaines qu'il n'avait pas ressenti ça, mais il ne se sentait pas prêt à lâcher prise pour autant. Alors il réfréna l'envie qui le poussait à se retourner et ne broncha pas. Mais Viktor continuait d'agir comme si de rien n'était.
- Ouha, il date celui-là. ... Et lui, tu t'en souviens ? ... Tu ne m'avais pas raconté que tu avais troué celui-ci en tombant ? Si, il me semble que c'est ce que tu m'avais dit.
L'ex-patineur japonais n'esquissait toujours pas le moindre mouvement. Cela n'encourageait pas son compagnon qui arrivait au bout du premier carton, mais il ne baissa néanmoins pas les bras. Il lui en restait encore deux. Alors il continua son petit manège, à défaire une à une toutes les affaires que contenaient les boîtes, en commentant chacune d'elles. Il s'arrêta finalement sur celle qu'il tenait entre ses mains.
- Et lui... lui c'est ton préféré, pas vrai ? Moi aussi je l'aime beaucoup. En même temps il rappelle plein de bons souvenirs hein ?
Yuri n'y tenait plus. De quoi parlait-il à la fin ? Mais en même temps il ne voulait surtout pas que Viktor décèle le moindre changement de comportement chez lui. Alors il jeta un discret coup d'œil sur le côté, là où se tenait le Russe, en priant pour que ce dernier ne remarque rien. Il le retrouva assis au milieu d'un tas de vêtements qu'il identifia comme étant leurs costumes de patinage lors de chacun de leurs ballets, qu'ils avaient soigneusement gardés. Puis son regard se posa sur celui dont parlait son partenaire et qu'il tenait toujours à la main. Effectivement, c'était bien celui qu'il aimait le plus. Il était noir et argent et le il reconnaîtrait entre mille. C'était celui que lui avait donné Viktor pour patiner sur le thème de « Eros » et que lui-même avait porté lorsqu'il avait dix-sept ans. Il détourna rapidement le regard en espérant de tout cœur que son conjoint n'ait rien vu. Mais son cœur rata un battement lorsqu'il entendit celui-ci déposer la tenue parterre. L'avait-il remarqué ? Allait-il être obligé de subir un long et fastidieux interrogatoire de la part de son copain et de sans doute de tout le reste de son entourage ? Non. Il en était hors de question. Même s'il avait esquissé une petite marque de curiosité, cela ne voulait pas dire qu'il était prêt à tourner la page, prêt à pardonner. Yuri retint sa respiration dans l'attente des prochains évènements. Mais il pût finalement reprendre son souffle lorsqu'un bruit de tissu déplié retentit de nouveau dans ses oreilles, accompagné de quelques commentaires. L'aîné des deux patineurs poursuivait sa petite activité comme si de rien n'était. Visiblement, il n'avait décelé aucune anomalie dans le comportement de son cadet. Yuri en profita donc pour se replonger dans le néant de son cerveau, tout en gardant une oreille plus ou moins attentive à ce que racontait Viktor.
La petite comédie dura encore une vingtaine de minutes. Le Russe sortit un à un tous les costumes, en passant du plus ridicule au plus mignon, du plus triste au plus original, des plus anciens aux plus récents. Il y avait aussi le plus sobre, celui que leurs fans respectifs aimaient le plus et bien évidemment ses tenues favorites. Yuri se doutait bien des quelles il s'agissait, mais parvint cette fois à se retenir de le vérifier. Vint enfin le tour du dernier vêtement mais Viktor ne fit pas de commentaire tout de suite.
- Lui... C'est vrai que je l'avais gardé aussi. Si je m'écoutais, je crois que je le réduirais en miettes. Je le déciderai en pleins de tout petits morceaux que je brûlerai un à un.
De quoi parlait-il ? Et puis quelque chose clochait dans la voix de Victor, ce qui n'échappa pas à Yuri. Il pouvait y déceler quelque chose comme... comme... de la colère ? Ou de l'amertume ? Le japonais ne comprenait plus rien. Comment un simple costume pouvait faire naître quelque chose de semblable chez son partenaire ? Lui qui était d'ordinaire doux comme un agneau. Inquiet, le blessé décida de chercher la raison de cette animosité et pour ce faire, il jeta un léger coup d'œil au costume en question. Il le reconnut à l'instant même où son regard se posa dessus. Bleu électrique et gris, le tout parcouru de longues flammes blanches brillantes, la jambe droite était découpée sur toute la longueur. C'était celui qu'il portait le jour de son accident, le jour où il avait tout perdu. Ces rêves, son avenir, sa carrière, sa passion. Il ne lui restait plus rien à cause d'une chute, une simple chute. Une saleté de quadruple flip qu'il n'avait pas réussi à passer. Pourtant il y arrivait presque à chaque fois maintenant. Avec Viktor, ils avaient passé des mois à travailler sur ce saut. Il aurait dut le réussir, alors pourquoi ? Pourquoi, bordel ? Pourquoi ? Les larmes commençaient à lui monter aux yeux et ses mains crispées tremblaient. Non, c'est pas vrai ! Calme-toi Yuri, calme-toi ! Il ne faut surtout pas que Viktor remarque quoi que ce soit ! Mais c'était trop tard, Viktor avait bien vu le changement de comportement chez son compagnon japonais.
- Yuri, ça va ? demanda-t-il, inquiet de l'état de totale crispation dans lequel se trouvait son cadet.
Il commença à s'approcher de ce dernier, ce qui eut pour effet de le faire paniquer encore plus. Non, pas ça. Laisse-moi Viktor. Le patineur Russe continuait d'avancer, tout doucement, comme pour ne pas effrayer son partenaire. Laisse-moi, s'il te plaît... N'approche pas. Viktor était à présent à quelques centimètres de lui, suffisamment près pour pouvoir le toucher. Non,... non. Pas ça. Par pitié... Mais déjà le plus âgé avançait dans sa direction des mains pleines de délicatesse. A peine celles-ci eurent-elles frôlé ses épaules que Yuri le repoussa violemment.
- LÂCHE-MOI ! LAISSE-MOI ! VAS-T'EN !!!
Il était à bout et hurlait de toutes ses forces, son visage baigné de larmes. Surpris par ce comportement, Viktor se recula légèrement.
- A quoi tu joues à la fin ? C'est quoi ton but ?! Ça t'amuse tant que ça de remuer le couteau dans la plaie ! A quoi ça te sert ?! Oui je suis blessé et non, je ne peux plus patiner, je ne le pourrai plus jamais ! Alors pourquoi tu reviens à chaque fois avec des patineurs et ces costumes que tu m'agites sous le nez ? C'est pour me le rappeler quoi qu'il arrive, t'as peur que j'oublie peut-être ?! Rassure-toi c'est pas près d'arriver, j'ai très bien compris que je ne remonterai plus jamais de ma vie sur une patinoire ! On me l'a déjà dit une fois et figure-toi que ça me suffit ! Je n'ai pas besoin de tes constantes piqûres de rappel ! Et puis qu'est-ce que tu fais là d'ailleurs ?! Qu'est-ce que ça peut te foutre que je doive prendre ma retraite, toi tu t'en fiches, tu peux continuer à patiner ! Tu as encore de beaux jours devant toi pour ça ! Alors que moi, moi je...
Puis soudain il se tût, réalisant ce qu'il venait de se passer. Il avait craqué. Il avait cédé à sa rage. Pourquoi n'avait-il pas pu se la fermer bon Dieu ?! A quoi ça l'avançait de beugler comme ça ? Ça ne changerait rien à sa situation alors pourquoi. Pourquoi avait-il fallu qu'il perde pied maintenant ?
C'était donc ça. C'était bien sa retraite qui l'avait mis dans un tel état. Viktor, qui avait compris que Yuri ne reprendrait pas la parole, retenta une approche. Et cette fois elle ne fut pas repoussée. Il prit même son partenaire dans les bras et le serra contre lui.
- Je suis désolé Yuri... tellement désolé...
Que pouvait-il dire de plus ? Que pouvait-il faire de plus ? Il n'en avait aucune idée. Il se sentait tellement impuissant face au désarroi de Yuri. Mais en même temps il ne pouvait empêcher un sentiment de soulagement de naître dans sa poitrine. Enfin. Il avait enfin réussi. Yuri s'était réveillé et sortait de sa léthargie. Certes il avait plus l'impression de faire face à Yurio lorsque celui-ci entrait dans l'une de ses crises qu'à son protégé, mais il s'en contre fichait. Il trouvait cela même plutôt normal. Il avait dû accumuler tellement de souffrances et de mal être seul, renfermé sur lui-même comme il l'était. Mais à présent il avait réussi à retisser un lien avec le monde qui l'entourait. Cependant une question restait en suspens : « pour combien de temps ? »
Yuri quant à lui se raccrochait à Viktor comme à une bouée de sauvetage et sanglotait contre son torse. Cela faisait combien de temps que son petit ami ne l'avait pas pris ainsi dans ses bras, eux qui avaient pourtant l'habitude de passer leur temps à se faire des câlins ? En fait, cela faisait combien de temps qu'il n'avait pas laissé quelqu'un le toucher ? Il n'en savait plus rien, mais la seule chose qui comptait à cet instant, c'était la présence et l'aura protectrice de Viktor. Il se sentait rassuré et à l'abri dans ses bras. Il pouvait enfin craquer, il n'était plus seul.
- Je... je ne v-veux pas ar-arrêter le... le patinage..., parvînt-il à murmurer entre deux sanglots.
Viktor le serra un peu plus fort contre son cœur, comme pour l'empêcher de se briser ou de s'enfuir loin de lui à nouveau. Ils restèrent ainsi l'un contre l'autre un long moment, jusqu'à ce que les larmes de Yuri cessent de couler. Ils profitèrent silencieusement de cette étreinte qu'ils n'avaient plus échangée depuis longtemps, trop longtemps. C'est Yuri qui brisa finalement le silence et le contact par la même occasion :
- Viktor, les costumes, tu es allé les chercher exprès en Russie ?
Il observa son partenaire avec des yeux remplis d'amour, mais s'en détourna rapidement pour diriger son fauteuil vers le tas de vêtements. Surpris, Viktor voulut l'arrêter.
- Tu sais, tu n'es pas obligé... si c'est trop douloureux pour toi, ne te force pas à...
Mais Yuri ne l'écouta pas et s'empara de deux des tenues.
- Ce sont ceux-là tes préférés, je me trompe ?
Viktor acquiesça. Le plus jeune affichait un sourire songeur et empreint de tristesse, mais franc. Chacun des deux costumes était composé de deux pièces : un pantalon noir et une veste queue de pie customisée par des cordelettes et des épaulettes dorées ainsi que des manchettes noires remontant et englobant le pouce. La première était rose foncé avec les épaules et une manche plus claire et pailletée et la seconde, légèrement plus petite était bleu et composée exactement de la même façon.
- C'était eux que l'on portait lors de notre duo entre le Grand Prix de Barcelone et le Grand Chelem. Je comprends pourquoi tu les aimes tant. Moi aussi je les classe à part...
Tout en disant ça, les larmes remontèrent dans les yeux du blessé.
- Yuri, qu'est-ce qu'il t'arrive ? s'inquiéta Viktor.
- C'est fini, tout ça... Tout... tout est fini. On ne... on ne pourra plus danser ensemble à nouveau, on... ne pourra plus faire de duo. Plus jamais. Et c-c'est de ma faute. Tout est de-de ma faute Viktor. Je suis désolé, j'ai tout fichu en l'air. Je t'en prie Viktor, pardonne-moi, s'il te plait...
Le cœur du Russe se serra. Il avait tellement aimé pouvoir danser avec l'homme de sa vie. Ça avait été la première fois mais il croyait qu'elle serait suivie par de nombreuses autres. Même lorsqu'ils auraient tous deux pris leur retraite il pensait qu'ils continueraient à patiner ensemble, main dans la main, l'un avec l'autre. L'un pour l'autre. Sauf que Yuri était tombé et il ne pourrait plus jamais remonter sur la glace. Il était condamné à le regarder patiner lui, seul assis sur un banc froid. Cette idée lui était tout simplement insupportable. Il ne pouvait pas infliger ça à celui qu'il aimait plus que tout. Il prit Yuri dans ses bras en le serrant contre lui. Ça décision était prise.
- J'arrête le patinage.
Le cœur de Yuri rata un battement. Pardon ? Mais qu'est-ce qu'il raconte ? Le japonais se décolla de son amoureux pour le fixer de ses yeux affolés.
- Tu rigoles ?!
- Non, je suis on ne peut plus sérieux Yuri. Je raccroche les patins.
Cette fois ce n'était plus de la panique que les yeux de Yuri reflétaient mais une profonde colère.
- Tu n'as pas intérêt à faire ça. Je te l'interdis ! Surtout si c'est à cause de moi.
- Ecoute Yuri...
- Non ! Toi écoute, Viktor Nikiforov. Si jamais tu mets un terme à ta carrière, je te quitte. Et je te promets que l'on ne se reverra plus jamais.
Le Russe n'en revenait pas de ce que venait de lui dire son petit ami. Etait-il sérieux ? Vu son regard emplie de détermination, oui il l'était. Mais pourquoi ? Pourquoi faisait-il cela ?
- Viktor, le patinage c'est toute ta vie. Tu ne peux pas arrêter, tu aimes ça plus que tout au monde.
- C'est faux. Je t'aime bien plus que ces foutus patins Yuri !
- Alors continue. Pour moi. J'aime tellement te voir danser sur la glace. Et puis tu es la seule chose qui me rattache à l'univers du patinage artistique alors s'il te plaît, n'abandonne pas.
- Mais Yuri, tu...
- S'il te plaît Viktor...
Le plus âgé soupira, vaincu. De toute façon il n'avait aucune chance face à ce regard brun brûlant de détermination qui le faisait craquer à chaque fois qu'il le voyait.
- Je te le promets.
Et ils celèrent cette parole dans un baiser tendre et passionné. Ils restèrent ainsi un moment à se fixer dans les yeux, leurs regards débordant d'un amour inconditionnel et partagé.
- Dis, tu pourras penser à me rendre ma bague s'il te plaît ? demanda Yuri lorsqu'il vit le bijou en question briller autour du cou de Viktor.
Celui-ci lui fit sa petite bouille d'imbécile heureux tout en disant :
- A une condition. Retrouve ta ligne du dernier Grand Prix et on verra. Ah oui, j'oubliais, je veux aussi que tu commences à t'investir sérieusement dans ta rééducation.
Non mais il rêvait ? Viktor lui avait tenu exactement le même discours lors de leur première rencontre. Il avait dû perdre les quelques kilos en trop qu'il avait accumulés à l'époque pour que le Russe accepte de l'entraîner. Sauf que là c'était le cas inverse. Il avait sans doute perdu plus de poids qu'il ne le pensait ces derniers mois. Il faut dire qu'il avait vraiment fait n'importe quoi avec son corps. Mais son petit ami avait raison, il devait retrouver une hygiène de vie correcte s'il voulait se rétablir de façon convenable. Attendez, quoi ?! Yuri n'en revenait pas. Il venait sérieusement de se dire qu'il avait envie de se remettre de sa blessure. Il soupira. Il n'y avait que Viktor pour réussir un coup pareil, que lui pour le redresser à chaque fois qu'il flanchait. Décidément il avait vraiment de la chance de l'avoir pour petit ami. Il le prit dans ses bras et l'embrassa. Heureusement que Viktor lui avait promis de continuer à patiner, il ne voulait surtout pas se retrouver forcé de le quitter.
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