Chapitre 7
CALLISTO
Aujourd'hui
Si la semaine dernière avait filé à une vitesse incroyable, cette semaine a été une véritable torture.
Je n'ai pas arrêté de penser au rendez-vous donné – que dis-je, imposé – par Eden ce vendredi. Ça me tournait dans la tête sans arrêt, comme la musique de la pub de serviettes hygiéniques qui a un slogan du genre « le sang, c'est dégoûtant ; le sang, ça disparaît avec les protections Foufounan !».
Pas très vendeur, vachement sexiste et anti-naturel, avec ça. Je déteste.
Tout ça pour dire que j'y ai beaucoup pensé, bien que j'aurais dû avoir autre chose en tête – en commençant par mes partiels. J'ai travaillé comme une tarée chaque soir, et je crois que cette coupure nocturne va me faire du bien. Du moins, je l'espère.
Nerveuse, j'essaie par tous les moyens de me concentrer sur la télévision mais rien n'y fait : je pense trop, comme souvent.
N'en pouvant plus, je quitte le salon et retourne dans ma chambre. Assise sur le bord du lit, j'aperçois mon reflet dans le miroir. Même si j'ai accepté – et je ne comprends toujours pas très bien pourquoi –, une partie de moi qui a encore énormément de doutes quant à la dangerosité d'Eden a décidé de ne pas jouer avec le feu. J'ai donc mis mon pull jaune fluo, celui qui se voit dans le noir. Ajouté au fait que j'ai le don de savoir crier avec une puissance infâme – c'est sûrement l'une des raisons pour lesquelles je ne me suis jamais disputée avec Cam –, je pense que je ne passerai pas inaperçue. Je ne lui conseille pas d'essayer de me kidnapper, du coup.
Lasse, je jette un coup d'oeil à ma montre et jubile en me rendant compte qu'il est presque vingt-et-une heures. Cette fois, je peux y aller.
— Tu vas où ? demande Cam quand j'enfile mes chaussures dans l'entrée.
Je me retourne vers elle tout en bataillant avec la fermeture éclair de ma bottine et l'aperçoit à l'entrée dans sa chambre dans un ensemble de pyjama en flanelle.
— Réviser à la bibliothèque. Tu sais, celle qui est ouverte la nuit.
C'est sorti tout seul, et je me déteste à la seconde pour ce que je viens de faire.
Jusque-là, je n'avais jamais menti à Cam. Jamais. C'est vrai, pourquoi aurais-je eu besoin de lui mentir ? Elle est une véritable partie de moi, la seule qui me connaisse par cœur et avec qui je n'ai même pas besoin de parler pour se comprendre. Alors pourquoi lui mentir, là, maintenant ?
Quand elle hoche la tête d'un air serein, la réponse me tombe dessus comme une tonne de briques.
Parce ce qu'elle n'approuverait pas.
— Tu pourrais réviser ici, propose-t-elle. Je ne ferais pas de bruit, promis ! Et j'ai viré Clem tout à l'heure.
— Pourquoi ?
Je me retourne après avoir posé ma question, les joues rouges de culpabilité. On dirait que je fais quelque chose de grave, et je me déteste pour ça. C'est vrai ; d'après Eden, nous allons juste chercher des solutions pour le Noël de l'association. Alors pourquoi est-ce que je n'arrive pas à le lui dire, merde ?!
— Je croyais que tu en avais marre de le voir traîner ici, rétorque-t-elle simplement.
— Et moi je croyais que c'était toi, qui en avait marre.
Elle a un petit rire adorable qui me serre davantage le cœur. Je sais que d'un point de vue extérieur cela paraît vraiment inutile de se faire du mauvais sang à cause d'un truc aussi bête, mais je vous assure que ça me rend malade de lui cacher ma sortie – et avec qui je sors, surtout. J'ai presque l'impression de me mentir à moi-même.
— Et merde ; on va être obligées de le forcer à revenir, blague-t-elle en se laissant tomber sur le canapé.
Alors qu'elle allume la télé, je la rejoins et me plante derrière elle. Gentiment, je repousse sa frange effilée sur les côtés et viens l'embrasser sur le front dans un geste protecteur.
— Bonne soirée, lui glissé-je finalement en passant mon sac sur l'épaule.
— Révise bien !
Dans un réflexe débile, je m'empresse de quitter l'appartement pour qu'elle n'aperçoive pas mon air coupable.
Dans les escaliers, je n'arrête pas de me répéter que je suis une énorme idiote. Une partie de moi – infime – tente de se rassurer en se disant que ce n'est pas si grave, qu'après tout je vais simplement « travailler » avec un collègue. Seulement, l'autre partie de moi, la plus grande et la plus responsable – *sigh* – sait que je fais quelque chose de mal. Pourquoi ? Parce que je suis censée mener une enquête sur Eden, pas copiner avec lui.
Mais après tout, cette sortie pourrait rentrer dans le cadre de l'enquête, non ? On va dire que oui. J'espère que oui.
Je ne vois pas passer les dix minutes de marche qui mènent à l'association, perdue dans mes pensées. Une fois arrivée, je me plante devant la porte avec les mains dans les poches de mon gros sweat fluo. Et pour être fluo, il est sacrément fluo ! Le temps d'une seconde, j'ai presque peur que les rares passants me prennent pour un lampadaire.
Les minutes passent mais Eden n'arrive pas. Cinq minutes, dix minutes, un quart d'heure. Je regrette franchement de m'être pressée à la maison. J'aurais dû lui réserver le même accueil que celui que j'offre aux autres étudiants à l'université quand mon réveil ne sonne pas : une cruelle demi-heure qui dérange tout le monde.
Alors que je commence sérieusement à me demander s'il ne m'a pas plantée comme une conne, une voiture ralentit vers moi et la vitre se baisse. Méfiante, je recule d'un pas et me cogne la tête contre le mur.
Bravo championne, pensé-je en me frottant le crâne.
Dans la voiture, Eden me lance un regard mi-amusé, mi- « tu me fais pitié ». Je le fusille du regard pour la forme, mais je sais au fond que j'aurais probablement fait pareil. Aïe.
Légèrement blessée dans mon ego, je n'attends même pas d'être montée dans le véhicule pour répliquer :
— Tu es en retard.
— Oups.
— C'est ça, oups.
Je prends place sur le siège passager en me triturant les mains, le regard rivé sur l'extérieur. Je ne sais pas si je dois le saluer en bonne et due forme et lui claquer une bise ou même lui serrer la main d'un air formel, par exemple. Heureusement, il tranche pour moi en démarrant :
— Je sais que tu aimes bien les excuses alors rassure-toi, j'en ai une.
Je mets bien quelques secondes à comprendre qu'il fait référence à son énorme retard d'il y a quelques semaines à l'association. C'était le matin où j'ai compris qu'il cachait quelque chose, il me semble. D'ailleurs, en voyant que sa voiture est si propre qu'on pourrait y manger par terre, je me pose aussitôt quelques questions.
— Laquelle ? demandé-je distraitement.
Je passe mon doigt sur le tableau de bord et remarque qu'il n'y a pas un pet de poussière. Je n'ai que deux explications : soit ce type est maniaque et donc fou – d'après moi, tous ceux qui aiment faire le ménage sont fous –, soit il est vraiment un genre de criminel qui transporte des trucs pas clairs dans sa voiture.
Faîtes qu'il soit maniaque, s'il vous plaît... pensé-je. En plus, je suis vraiment moche aujourd'hui. Je ne veux pas mourir moche, quand même. Et je porte mon sweat-lampadaire, en plus ! Oh non, je ne veux pas mourir maintenant !
— Callisto ?
— Oui ? rétorqué-je du tac au tac en me sortant immédiatement de mes pensées.
— Est-ce que tu savais qu'en France, un train sur cinq est en retard ?
Je suis tellement surprise que toutes pensée cohérente s'envole aussitôt de mon petit cerveau. Je ne sais pas pourquoi est-ce qu'il me dit ça – la logique doit se probablement se trouver dans les mots que je n'ai pas écouté –, mais je dois avouer que je suis impressionnée. C'est la deuxième fois qu'Eden me sort une anecdote de ce genre, et je dois dire que ça me surprend. Je ne le croyais pas cultivé, pour tout dire.
Le pauvre ; j'espère qu'il ne sait pas lire dans les pensées, sinon il risque d'être insulté.
— Mais comment est-ce que tu sais ça ? rétorqué-je.
— Je l'ai appris.
— Il y a un truc. Il y a toujours un truc, ajouté-je d'un ton suspicieux. Comme les magiciens, tu vois. Ils font semblant de savoir faire de la magie, ils donnent l'illusion parfaite qu'ils maîtrisent ce qu'ils font et qu'ils sont incroyablement doués mais en fait, c'est juste une histoire d'effet optique ou de trappe cachée sous leurs pieds.
Les yeux rivés sur la route, j'aperçois pourtant un éclat d'amusement dans ses yeux. D'ailleurs, il est si furtif que je me demande à peine une seconde plus tard si je ne l'ai pas imaginé.
Peut-être qu'il fait vraiment de la magie.
— Je vois.
À cet instant, je me demande si cette phrase sur les magiciens ne s'appliquerait pas à un autre domaine. Après tout, Eden nous offre à tous l'illusion d'être froid, antipathique et impassible. Mais quand on le voit avec les enfants, son masque se craquelle et on entrevoit une personne douce et gentille, exactement comme le magicien quand il se loupe et qu'on aperçoit la trappe sous ses pieds.
Il ne reste plus qu'à trouver quel genre de trappe dissimule Eden, et le mystère sera levé. Je l'ai dit, il y a toujours un truc. Reste à savoir quel est son truc.
— Alors, c'est quoi ta super idée pour améliorer le Noël de l'assos' ? demandé-je finalement en rentrant dans le vif du sujet.
— Je sais où trouver un sapin, répond-il simplement.
— Oui, dans une boutique, rétorqué-je avec aplomb.
Une nouvelle fois, je crois voir l'ombre d'un sourire passer sur ses lèvres.
— Je sais où trouver un sapin gratuit, complète-t-il.
Je m'apprête à répliquer quelque chose quand il me fait taire en déclarant :
— On est arrivés.
Il sort en premier de la voiture, alors je l'imite. À l'extérieur, il fait nuit noire. Seuls les réverbères – et mon sweat – nous éclairent un peu, ce qu'il ne manque pas de remarquer.
— En passant, ton choix vestimentaire est assez douteux, commente-t-il en faisant le tour de la voiture pour atteindre le coffre.
J'écarquille les yeux et serre les poings, vexée.
— C'est toi qui est douteux !
Cette fois je ne rêve pas, c'est bel et bien un sourire qui naît sur ses lèvres. Ça ne dure qu'une demie-seconde mais j'ai le temps de voir ses dents blanches briller dans le noir et l'une de ses joues se creuser d'un côté, laissant découvrir une petite fossette.
Il est beau, et c'est dangereux.
Contre toute attente, ce sourire ne me met pas à l'aise. Je crois que je ne prends conscience que maintenant que je suis dans un endroit que je connais pas, avec un type que je connais à peine et qui de surcroît est assez bizarre pour que j'enquête sur lui, mais surtout que je porte un foutu sweat fluo et que si je m'enfuis pour X ou Y raison, il me repérera instantanément et me suivra sans aucune peine !
Quelle imbécile, je vous jure.
Je cache mes mains désormais moites dans les poches de mon pull et me concentre sur Eden, qui vient d'ouvrir le coffre en grand.
— Là voilà, la raison de mon retard, explique-t-il en fouillant à l'intérieur.
Je reste de marbre, arquant un sourcil.
— Un carton. Wouah, super.
Je fais alors mine de faire demi-tour en croisant les bras, mais il me retient. Non non, vous ne rêvez pas : sa main se pose sur mon épaule et il me fait faire volte-face à l'aide seulement d'une minuscule pression. Je suis légèrement sonnée, je dois l'avouer.
— Regarde, dit-il en ouvrant le carton.
Je ne fais que ça, ai-je envie de répondre. Pourtant, je garde la bouche fermée – une première – et le regarde batailler avec le foutu carton avant qu'il n'en sorte le fameux objet de son retard.
Puis, comme dans un film d'horreur, il s'avance légèrement et seule une moitié de son visage disparaît dans l'obscurité tandis que l'autre ressort grâce au halo du réverbère. Mais le pire : il brandit une tronçonneuse.
Une. Fucking. Tronçonneuse.
À cet instant, je ne sais pas vraiment à quoi je pense. Tout ce que je sais, c'est que je suis morte de peur. Et quand je suis morte de peur, je crie. Très fort.
— Bordel, Callisto ! s'exclame-t-il en abaissant l'engin. T'es folle ou quoi ?
Je recule de plusieurs pas et manque de trébucher sur le trottoir, une main sur la bouche. Je savais qu'il était dangereux. Et maintenant, c'est sûr, il va me tuer.
Et peut-être même qu'après il te démembrera et vendra tes reins au marché noir, imbécile ! Et peut-être même tes poumons ; puisque tu n'as jamais fumé, ils doivent être super beaux, les traîtres !
— Elle est éteinte, précise-t-il en écarquillant les yeux exagérément.
— Comme si ça allait me rassurer ! rétorqué-je, secouée de tremblements.
Je devrais courir en ce moment. Je devrais même courir à toute vitesse, parce qu'il risque de me rattraper vite avec ses immenses quilles qui font six mètres !
Pourtant, je ne sais pas si c'est l'œuvre de la peur ou du regard perdu d'Eden mais mes pieds restent cloués au sol. On dirait un vulgaire panneau indicateur, merde. Un panneau tagué, même ; ça fait encore plus pitié, un panneau tagué.
C'est ça, je fais pitié. À tous les coups, il va me réussir à me démembrer parce que je n'ai pas fui.
— Tu vas réveiller tout le quartier, râle-t-il en reposant l'engin dans le coffre.
— Ça serait bien dommage, tiens ! Ironisé-je.
Cours, Callisto ! Pourquoi tu cours pas, putain ?
Eden me scrute un instant avec les sourcils froncés, puis son visage se détend et il s'esclaffe. Il s'esclaffe vraiment, ce con.
— Attends, tu as cru que j'allais te tuer ? demande-t-il, hilare.
— Quoi, ce n'est pas dans tes projets ?! m'exclamai-je, le cœur battant toujours la chamade.
— Oh mon dieu, lâche-t-il entre deux éclats de rire. On m'a déjà accusé de beaucoup de choses mais alors ça, ça, on me l'avait jamais faite !
Petit à petit, mon cœur se calme et la peur disparaît peu à peu de mon organisme. Malgré tout, je reste très tendue et mes mains sont si moites que je pourrais laver ses vitres avec. D'ailleurs, il me faut bien cinq bonnes minutes pour réussir à vaincre mon angoisse et réussir à m'approcher de lui.
— T'es flippant, bordel, soufflé-je en me rapprochant pas à pas alors qu'il rit encore.
Quand il réussit à se calmer, il s'essuie le coin des yeux avant de prendre une grande inspiration histoire de se calmer. Puis, il m'explique :
— La tronçonneuse, c'est pour couper un sapin. Pas ta tête.
J'hoche nerveusement la tête en me mordant la lèvre. Je crois que je vais faire des cauchemars, cette nuit.
— Je te hais, lâché-je. Pardon, je devais me libérer d'un poids. Tu vas me hanter, putain.
Il rit dans sa barbe encore une fois.
— Excuse-moi. Tu te sens assez libérée pour qu'on passe à la deuxième phase, maintenant ?
Ah, voilà son ton moqueur qui revient. Je le reconnais déjà mieux que quand il sourit en dévoilant ses fossettes ou qu'il se tape une barre à cause de moi.
— Bon, ce qu'on va faire, c'est qu'on va marcher tranquillement jusqu'au portail qui se trouve à trois maisons de là. Je vais couper le sapin, et toi tu feras le guet. L'objectif, c'est qu'on fasse le moins de bruit possible.
Je croise les bras en secouant la tête, désespérée.
— Tu es au courant que tu comptes utiliser une putain de tronçonneuse, rassure-moi ?!
Le regard brillant, il porte son poing à sa bouche sûrement pour masquer un nouvel éclat de rire. Je n'arrive pas à croire ce qui nous arrive. On dirait presque... Qu'on s'entend bien. Trop bizarre.
— Je connais bien le quartier, et les gens d'ici dorment tous à poings fermés à vingt-deux heures. Si tu ne les as pas réveillés en criant, bien sûr.
La tronçonneuse dans une main, il referme le coffre avec précaution avant de s'engager sur le trottoir. Je le suis à la trace en réfléchissant – il me faut toujours un temps pour que les mots me montent au cerveau – puis...
— Attends, je rêve ou tu veux cambrioler une baraque ? m'exclamai-je en m'immobilisant au milieu de la route déserte.
Il s'arrête aussi et se tourne vers moi, un air las sur le visage.
— Non Callisto, on ne cambriole rien. On emprunte un sapin, c'est tout.
— On « emprunte » ? répété-je, les yeux écarquillés. Ah non non non Eden, quand on prend quelque chose et qu'on ne compte pas le rendre, ça s'appelle du vol !
— On ne le vole pas, je te dis.
Il se remet à marcher et s'immobilise devant l'un des portillons, me forçant à trottiner pour le rattraper.
— Je croyais que tu avais une bonne idée, pas une idée illégale ! répliqué-je, toujours profondément scandalisée.
Cette fois, je semble véritablement le saouler. Il a le même air que prenait Cam quand j'essayais de lui expliquer les cours d'SVT au collège et que je l'accusais de ne faire aucun effort. Ce regard qui dit « je te demande de l'aide, pas un sermon. Alors reste à ta place ».
Sans même dire un mot, le message est parfaitement clair.
— On va s'introduire dans cette maison, en plus ? poursuivi-je sur ma lancée. Et pourquoi celle-là, d'abord ? T'aimes la couleur des volets ?
Eden ouvre la bouche pour me répondre mais je ne lui en laisse pas le temps et ajoute précipitamment :
— On est qu'à la mi-novembre alors ils n'ont peut-être même pas encore mis le sapin et on va se faire choper pour rien. Et puis je suis trop jeune pour aller en tôle, moi ! pleurniché-je. Toi je sais pas, mais moi je n'ai vraiment pas envie d'être nourrie au pain sec et à l'eau et de dormir sur un matelas avec des draps sales – si on a la chance d'avoir des draps ! – avec des mites. Et puis, Camélia fera comment sans moi ? Elle va se retrouver seule avec Eddie, et peut-être même que Clément prendra ma chambre si je pars ! Clément ne sait même pas laver un miroir, il va y avoir des tâches indélébiles partout quand je reviendrais et... Oh non, non, Eden, tu te rends compte ?!
Il me fixe d'un air impassible en arquant un sourcil, l'air de se dire « bon sang, quelle folle. » Personnellement, je trouve que c'est plutôt lui, le fou ! Comment peut-il rester calme dans une telle situation ?
— C'est bon, t'as fini ?
Ah bah d'accord.
Les poings sur les hanches, j'entrouvre la bouche mais aucun son ne sort, comme un poisson hors de son bocal. Et merde, il m'a coupé le sifflet.
— Maintenant que tu es calme, laisse-moi t'expliquer plusieurs choses : 1) si tu cries encore une seule fois on va vraiment finir par aller en prison, bien que tu aies des idées totalement clichées et surfaites à ce propos ; 2) on ne va cambrioler aucune maison et il n'y a aucun risque qu'ils n'aient pas encore mis leur sapin de Noël car on va directement le prendre dehors ; 3) il n'y a quasiment aucun risque si tu restes zen et que tu fais ce que je te dis et 4) par pitié, ne cris vraiment plus. C'est insupportable.
Je suis soufflée.
— Tu es fou. C'est ça, tu es fou, lâché-je en commençant à faire les cent pas. Tu sais quoi ? Je te laisse dans ta merde. Je m'en vais, moi.
Je fais volte-face et commence à marcher vers la voiture d'un pas théâtral. Je fais exprès de marcher lentement pour voir s'il va me rappeler, mais il n'en fait rien.
Ma présence ne lui est pas indispensable, visiblement.
— Hé ben vas-y ; de toute façon tu n'as pas les clés, dit-il finalement d'une voix retentissante chargée de sarcasme.
L'enflure.
— Tu n'as pas envisagé la possibilité que je te les ai volées pendant que tu tentais de m'assassiner à coups de tronçonneuse, hein ? dis-je en me retournant d'un air machiavélique.
Il arbore la même mine que moi, tels les deux versants d'un même miroir.
— Bien tenté, le coup du bluff. Seulement, je les ai encore dans la poche. Dommage, petite.
Les joues rouges de honte, je reviens vers lui à grands pas. On dirait que la « petite » n'a pas vraiment le choix.
— C'est bon, tu as gagné, admets-je.
Cette réplique lui arrache d'ores et déjà un sourire vainqueur que je coupe directement d'un :
— Mais ne crois pas que je me rends, Eden ; tu as seulement gagné une bataille, pas la...
— Guerre, je sais, complète-t-il sans cacher son amusement. Maintenant, rends-toi utile et tiens-moi ça.
Il me fourre alors la tronçonneuse – toujours éteinte, je le précise – entre les mains, ce que je trouve très peu sécurisant. S'il savait que j'ai déjà du mal à manier de simples couteaux lorsque je cuisine, je suis persuadée qu'il aurait employé une autre stratégie.
Légèrement stressée, je me balance d'un pied sur l'autre en essayant de calmer les battements de mon cœur qui me crient que je suis complètement folle de me faire embrigader là-dedans.
Je sais mon pote, je sais, lui dis-je intérieurement. Sauf que t'as une meilleure idée, toi ?
Bien sûr, ce petit con ne me répond pas ; il intervient seulement quand ça l'arrange.
Juste devant moi, Eden trouve enfin ce qu'il cherche et manipule le portail. Persuadée qu'il est en train de crocheter la serrure, je détourne le regard en priant pour qu'on s'en sorte indemnes et sans conséquences désastreuses.
Je fais n'importe quoi, vraiment. En plus, je devrais garder toute cette histoire secrète puisque Cam ne me croira jamais. Enfin, pour ça, il faudrait déjà qu'elle soit au courant que je n'ai pas passé la soirée en date avec mes manuels de biochimie.
Aïe.
— Tadam, dit-il d'un ton joyeux alors que le portail est désormais grand ouvert. Cool, hein ?
— Si seulement.
Il ricane alors en me fourrant des clés sous le nez.
— On ne cambriole rien, je t'ai dit.
— Ah, je vois ! Tu as volé les clés avant de venir, en plus ? Tu prémédites tes crimes ? Je suis désolée de te le dire comme ça mais franchement, t'es un monstre.
À ma plus grande surprise, il ne se vexe pas et se contente de sourire. Décidément, c'est un festival ce soir.
— Je t'expliquerai plus tard si on est toujours vivants, réplique-t-il en récupérant la tronçonneuse.
— Comment ça, « si on est toujours vivants » ? Eden, je te préviens : si je perds le moindre petit...
Il me signe de me taire, un pli barrant son front et son tout nouveau sourire placardé sur les lèvres comme s'il tenait à tout prix à ce que je le remarque bien. C'est là que je comprends qu'il se paie ma tête, évidemment.
Comme quatre-vingt-dix pourcents des gens au quotidien, en fait.
Ensuite, je n'ose plus rien dire. Je regarde Eden s'approcher de l'allée de sapins et faire le tour de plusieurs arbres, jugeant certainement leur taille et la difficulté qu'il aura à les couper. Puis, il me lance un trousseau de clés sans prévenir en disant :
— C'est les clés de voitures. S'il y a le moindre problème, tu te barres.
— Sans toi ?
Il me regarde comme si je venais de dire la chose la plus débile du monde.
— Bien sûr, « sans moi », confirme-t-il.
Je ne sais pas quoi répondre à ça. D'un côté, il est vrai que c'était son idée – merdique – de venir prendre un sapin ici. Et puis, c'était aussi son idée de ne pas me prévenir à l'avance, histoire que je sois embarquée là-dedans de façon consentante. Seulement, je ne me vois pas du tout partir sans lui. Comment pourrais-je me regarder en face si je le laissais tout seul dans la merde ?
Mes rapports avec Eden sont compliqués, mais il y a quand même des limites à ma méfiance et je crois que l'abandonner ici pendant que je me tire en est une.
— Bon, je t'explique le plan, lâche-t-il en venant vers moi. Je vais prendre le plus petit sapin, celui qui est juste devant le portail. Non seulement je ne mettrais pas beaucoup de temps à le couper mais en plus il rentrera parfaitement dans la voiture.
Je vois dans ses yeux qu'il est en train de penser « enfin, j'espère ». Ça ne me rassure pas du tout, évidemment.
— Et s'il ne rentre pas ? questionné-je.
— On le laisse là, et on se taille. Très vite, de préférence.
J'avale difficilement ma salive, ses clés de voiture serrées dans ma main – moite, oups.
— Et pendant que tu fais ça, je fais quoi ? demandé-je.
— Tu poses trop de questions, lâche-t-il d'un ton las.
J'écarquille les yeux en prenant mon air le plus réprobateur. Je rêve !
— Je te rappelle que le mot « arrestation » clignote sur nos deux fronts en ce moment, champion !
Un pli se creuse entre ses sourcils – signe soit d'un agacement soudain soit de lassitude profonde – avant qu'il ne retourne vers le sapin. Là, il marque un temps d'hésitation et fixe la tronçonneuse sans bouger.
Le temps d'un instant, son immobilité me donne envie de prendre mes jambes à mon cou. Le cœur battant à mes tempes, je le regarde se demander si c'est une bonne idée tout en étant persuadée que ce n'est pas le cas.
Puis, il secoue la tête et se reprend en main. Le moment est passé.
Ses doigts enserrent la poignée de la tronçonneuse tandis que son pouce gauche se place sous la poignée avant. Visiblement déterminé, il ne semble pas avoir peur de l'engin ce qui n'est absolument pas mon cas. Je jure devant Dieu que s'il s'approche de moi avec la machine allumée, je l'abandonne ici. Sincèrement.
Puis, il appuie sur on et se penche aussitôt vers l'arbre. Sans voix, je regarde le sapin trembler sous l'impact sans réaliser le bruit tonitruant qui résonne dans la rue. Je prends seulement conscience que nous sommes dans la merde quand la lumière s'allume à l'étage dans la maison d'en face et qu'une silhouette apparaît à la fenêtre.
Comme paralysée, mon regard croise celui de la femme qui, malgré son pyjama et ses cheveux gris dans tous les sens, semble pourtant bien plus réveillée que moi. Très réactive, elle ferme ses rideaux d'un coup sec et disparaît, sûrement pour appeler la police.
— Eden, quelqu'un nous as vus ! m'exclamai-je, le cœur battant à tout rompre.
Avec le bruit de la tronçonneuse, il ne m'entend pas.
— Eden !! crié-je plus fort.
Cette fois, il se tourne vers moi éteint la tronçonneuse le temps d'une seconde.
— Quoi ? demande-t-il d'un ton bourru et visiblement pressé.
— La voisine nous as vus !
Ses traits se tirent et contre toute attente, il s'empresse de rallumer l'engin.
Putain de merde.
Je suis littéralement morte de trouille. Je sens chacun de mes membres trembler si fort que je manque de m'écrouler sous l'impact. D'ailleurs, je me demande comment est-ce que je tiens encore debout. Ça relève sincèrement du miracle.
Ressaisis-toi, idiote !
Je prends soudain conscience qu'elle a du appeler les flics et qu'on ne va pas tarder à être sérieusement dans la panade. Aux aguets, je traverse la rue et me poste devant le portail, d'où j'aperçois l'entièreté de sa chambre. En plissant les yeux, je comprends qu'elle est au téléphone. Et vu les gestes paniqués qu'elle fait avec ses mains, elle ne semble pas raconter le dernier film qu'elle a vu au cinéma à sa meilleure amie.
Double putain de merde.
Le cœur menaçant d'exploser et les jambes raidies par la peur, je commence à courir vers la voiture. Dans la panique, les clés me glissent des mains et je dois m'y reprendre à trois fois pour réussir à l'ouvrir. Sans hésiter, je me glisse à la place conducteur et écrase l'accélérateur de toutes mes forces, sur le point de m'évanouir. Concentrée, je me coupe totalement du monde extérieur et roule sur quelques mètres jusqu'à la maison où se trouve Eden.
Paniquée, j'ouvre la fenêtre en grand pour lui crier de se bouger quand je constate que le jardin est vide. Plus de sapin, plus d'Eden, plus de tronçonneuse.
Triple putain de merde !
Je crois qu'à cet instant, j'ai l'impression que c'est fini. Je suis carrément en train de me demander si je ne vais pas sortir de la voiture et aller tout expliquer aux propriétaires de la maison, qui doivent sûrement être réveillés maintenant.
— Callisto !
Je sursaute et manque de me briser la nuque en tournant la tête vers l'arrière de la voiture, où Eden vient de jeter le sapin en vrac. Tellement en vrac d'ailleurs que des épines me rentrent dans la bouche, me faisant tousser comme jamais ça ne m'était arrivé.
Les portes arrières de la voiture claquent au moment où la porte d'entrée de la maison dont nous avons pris l'un des sapins s'ouvre. J'aperçois alors une silhouette de femme, visiblement en peignoir, cachée derrière une silhouette d'homme. Homme qui pointe la voiture d'un index accusateur et se précipite vers nous.
— Démarre ! me crie Eden à ma droite, sorti de nulle part.
Pourtant, je suis paralysée. Sincèrement, j'ai l'impression que chacun de mes membres est soudé au cuir de la voiture et que je ne vais plus jamais être mobile de ma vie.
L'homme se rapproche toujours plus près, Si près d'ailleurs qu'il est à deux doigts d'ouvrir ma portière – et accessoirement de me couper la tête à la tronçonneuse. Face à ce constat, mon sang ne fait qu'un tour et je démarre en trombe.
Des cris résonnent dans la rue à travers ma fenêtre ouverte mais je les entends à peine, trop occupée à foncer. Je tourne dans plusieurs rues au hasard avant qu'Eden ne me guide, m'indiquant comment sortir du lotissement. Le temps d'une minuscule seconde, je me demande comment est-ce qu'il connaît aussi bien le chemin. Seulement, la seconde d'après, je me gare sur le côté et toute la pression redescend.
Les minutes qui suivent sont assez floues, je dois le dire. Je ne sais pas si je ris ou si je pleure, je sais juste que je n'avais jamais fait un truc pareil et que j'ai eu l'impression que mon cœur allait lâcher.
— T'as été super, lâche finalement Eden en insistant bien sur le dernier mot, la tête rejetée en arrière sur son siège et les paupières closes.
— Toi aussi, rétorqué-je, soudainement de nouveau douée de parole. Tu es passé à côté d'une formidable carrière de bûcheron.
Il rigole doucement avant de passer une main dans ses cheveux, le front désormais appuyé contre le tableau de bord. Il a eu peur lui aussi, et j'en mettrais ma main à couper. Seulement, il l'a si bien caché que j'ai eu l'impression d'être la seule à paniquer tout au long de l'opération.
— Je devrais prendre le volant, finit-il par déclarer.
J'hoche la tête en silence, l'adrénaline fusant toujours dans mes veines. Nous faisons chacun le tour de la voiture pour échanger de place avant que ne lui demande, une fois installée à la place passager :
— On ne ferait pas mieux de se grouiller, là ? Je veux dire, on est pas très loin de la scène de crime et la police va nous retrouver en deux minutes.
Il règle ses rétroviseurs, un sourire amusé aux lèvres.
— La police ne viendra pas, Callisto. C'est une toute petite ville de banlieue ici, et il ne doit pas y avoir plus de cinq policiers municipaux. Et puis, mes parents possèdent toute une allée de sapins alors je ne crois pas que...
Il se coupe intentionnellement en voyant mes yeux exorbités. Je dois avoir mal entendu. C'est impossible autrement.
— « Tes parents » ? répété-je malgré tout, hébétée.
Sa mâchoire se contracte et il démarre, faisant mine d'être concentré sur la route. Sauf que non mon pote, t'as fauté. Et j'ai ouvert mes oreilles au bon moment, pas de chance.
Je n'arrive pas à y croire mais pourtant, tout s'éclaire. Pourquoi est-ce qu'il connaissait le quartier par cœur, pourquoi est-ce qu'il savait très bien qu'on trouverait un sapin dehors en novembre et pourquoi est-ce qu'il avait les clés.
Malgré tous ces éléments, j'espère toujours qu'il se paie ma tête. Après tout, il aime tellement ça ! Il pourrait me faire une blague, ou... Enfin... Oh bordel !
— Tu plaisantes, là ? Je t'en supplie, dis-moi que tu plaisantes ! m'écriai-je, le visage rouge de rage. Dis-moi que c'est une blague, Eden ! ajouté-je en voyant qu'il ne m'accorde même pas un regard. Dis-le moi sinon...
— Sinon quoi ? Tu vas leur rendre le sapin ?! explose-t-il à son tour.
Je comprends aisément qu'il ne m'en veut pas d'être énervée mais qu'il s'en veut à lui-même d'avoir laissé échapper ce détail que, bien sûr, il n'avait pas prévu de me donner. Quel connard.
— Je regrette sincèrement d'être venue, lâché-je de but en blanc. Non mais sérieux, dans quelle genre de famille est-ce que tu vis ? Ce n'est pas stipulé sur le contrat familial « se cambrioler les uns-les-autres », hein !
Il ferme brièvement les yeux, juste le temps que je comprenne qu'il se contient. Seulement, je suis trop têtue et en en colère pour abandonner.
— Je ne te comprends vraiment pas, ajouté-je en le fusillant du regard. Et dire que je te trouvais presque sympa, finalement ! J'avais raison, tu n'es qu'un connard arrogant, irresponsable et complètement idiot par-dessus le...
— T'as fini ?! me coupe-t-il d'un ton agacé.
— Non, pas encore ! répliqué-je avec aplomb. J'allais ajouter que tu étais complètement idiot par-dessus le marché et que tu n'avais aucun sens des réalités ! Bon sang Eden, est-ce que tu te rends compte ?
Il ne me répond pas, et je comprends que c'est tout ce que j'obtiendrais pour ce soir. Son mode « porte de prison » est de nouveau enclenché, et il ne compte pas me laisser entrevoir les raisons qui l'ont poussé à faire ça. Incroyable.
Tu es incroyablement conne de l'avoir suivi surtout, me souffle ma conscience.
Et pour une fois, elle a raison.
Quand il arrive près de l'association, il semble s'être radouci. Pourtant, ses lèvres sont toujours soudées et il ne dit pas le moindre mot. Et franchement, je ne compte pas parler la première – ce qui est anormalement rare.
Finalement, il roule des yeux et me propose :
— Tu veux que je te dépose chez-toi ?
Je le toise de mon air le plus hautain.
— Non merci. Et bonne nuit.
Sur ce, je quitte la voiture et prends bien soin de ne pas claquer la portière. Je sais que cela exaspérait mon père quand j'étais petite, puisqu'il devait repasser derrière moi à chaque fois. J'espère qu'Eden sera tout aussi agacé que mon géniteur a pu l'être. Il ne mérite que ça.
Les poings serrés, je prends conscience au bout de deux mètres que j'ai laissé mon sac à main dans la voiture. Les paupières closes, je comprends que je dois y retourner.
Pourquoi est-ce que le karma s'acharne-t-il ?
Heureusement, Eden n'est pas reparti. À vrai dire, il est même sorti de sa voiture pour en sortir le sapin. Quand il me voit revenir, un sourire moqueur apparaît sur ses lèvres.
Je n'aurais jamais cru dire ça mais finalement, je crois que je préférais quand il ne souriait pas.
— Tu t'en veux déjà ? Adorable, commente-t-il en extirpant le sapin de la voiture.
— Plutôt mourir, répliqué-je sèchement. J'ai oublié mon sac à main.
Je fais exprès de le bousculer en le dépassant, ce qui semble ne faire qu'élargir son sourire. Ce type est un psychopathe, c'est moi qui vous le dit.
Une fois mon sac récupéré, je prends une nouvelle fois le soin de ne pas claquer la portière – connasse un jour, connasse toujours – et fais volte-face, prête à partir. Seulement, je prends rapidement conscience qu'Eden a l'intention de laisser le sapin devant la devanture, comme ça.
Bordel.
— Ne me dis pas que tu vas le laisser là et prendre le risque que tout ça n'ait servi strictement à rien ?! Rétorqué-je de mon ton le plus sarcastique.
Il n'en semble pas le moins du monde impressionné et se frotte les mains d'un air satisfait en commentant calmement :
— Oui. Un problème ?
C'est décidé : je le hais. Oh oui, je le hais avec ses sourires moqueurs et son air glacial. Je le hais vraiment.
Et dire que je voulais enquêter sur lui. Croyez-moi, c'est la dernière fois que je me fais une telle promesse.
Même si je ressens la ferme envie de fuir à grands pas de ce taré, mon côté responsable se fait une raison : laisser le sapin dehors serait une connerie. Une personne pourrait le prendre sans aucun effort et j'aurais failli y laisser ma vie pour rien – je crois que je ne le supporterais pas.
Je finis par rouler des yeux et sors mon double des clés. Barbara me l'a fait faire l'année dernière pour mes deux ans de travail ici. Elle m'avait fait rester plus tard avec le prétexte de me faire trier les anciens dossiers des internes et je crois me souvenir que j'avais trouvé ça fort injuste et que je l'avais détestée très fort – oups. Heureusement, je me rappelle aussi de son air ému quand elle m'a prise maladroitement dans ses bras avant de me fourrer le trousseau de clefs dans les mains. Ensuite, elle avait repris son air de femme forte et insensible avant de me demander – que dis-je, me forcer – à ne pas le dire aux autres bénévoles sous peine de priver Bassem de lecture. Je sais que c'était une menace et qu'elle ne l'aurait jamais fait – après tout, elle sait aussi bien que moi qu'il aurait bien du mal à tenir une journée sans plonger le nez dans un bouquin de mythologie en tout genre –, mais j'ai promis de ne pas ébruiter mon nouveau privilège et c'est devenu notre secret.
Enfin, jusque-là.
— Hé bien, on dirait qu'il y a des petites chouchoutes ici, commente-t-il en arquant un sourcil.
Je le fusille du regard et décide d'ignorer sa réplique qui n'a, encore une fois, aucun but à part me briser les ovaires.
— Je dirais à Barbara qu'on s'est cotisés tous les deux pour l'acheter et que je t'ai ouvert pour que tu le mettes à l'intérieur. Le reste, on en parle plus. Jamais.
Eden ouvre la bouche pour dire quelque chose mais je n'ai sincèrement pas la force de l'entendre dire quoi que ce soit.
— Re-bonne nuit, lâché-je avant de tourner les talons.
Sur le chemin qui mène à l'appartement, je me rends compte que cette soirée a été un véritable fiasco.
J'ai caché à Cam la vraie raison de ma sortie, et tout ça pour quoi ? Pour cambrioler les parents d'Eden avec Eden ? Ça n'a aucun sens. Tout ce que je comprends, c'est que je n'aurais jamais dû m'embarquer là-dedans. Toute cette histoire d'enquête, c'était n'importe quoi. Dès le début j'aurais dû savoir que non seulement je n'avais absolument aucun droit de fouiner dans ses affaires, mais qu'en plus il était sincèrement étrange et cache visiblement quelque chose de grave. Je me rappelle très bien de sa phrase concernant la prison, qui me disait que je n'y connaissais rien. J'aurais dû lui dire : et toi, tu y connais quoi ? Seulement je commence à le connaître, et je sais qu'il ne m'aurait probablement même pas répondu.
De toute façon, ce n'est plus mon problème. Il peut très bien être un cambrioleur acharné, un trafiquant de je ne sais quelles drogues ou même un tueur d'enfant à la tronçonneuse, peu importe.
J'abandonne.
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