Chapitre 15
CALLISTO
Eden est un véritable mystère.
Depuis que nous sommes partis tous les deux de l'association sur un coup de tête, son sourire n'a quasiment pas quitté ses lèvres. J'ai tellement l'habitude de devoir déchiffrer son regard pour tenter de comprendre ce qui lui passe par la tête que je n'arrive toujours pas à me remettre des fossettes qui se creusent quand il étire les lèvres et de la rangée de dents qui apparaît quand il rit à mes blagues les plus idiotes.
Et force est de constater qu'à ses côtés, j'ai aussi un sourire constamment scotché sur le visage sans trop que je ne comprenne pourquoi.
— On arrive bientôt ? demandé-je quand nous tournons dans une rue pour la dix-millième fois au moins depuis que nous avons quitté la bouche de métro.
— Tu ferais mieux d'arrêter de me le demander toutes les cinq minutes, parce que c'est un très bon prétexte à un meurtre. Chaque année, une cinquantaine de personnes se font assassiner parce qu'elles posent trop de questions.
Affolée, j'écarquille les yeux et trottine légèrement pour le rattraper, lui et ses pas de douze kilomètres. Il détourne le regard en réprimant un sourire, probablement parce qu'il se fout de moi. Parce qu'il se fout de moi, pas vrai ?
Merde, je devrais peut-être penser à poser moins de questions. Juste au cas où.
— C'est là, finit-il par dire.
Je relève alors les yeux sur le bâtiment qui se tient juste devant nous dont le nom est peint en lettres blanches sur la façade couleur ardoise.
— Une piscine ? lis-je.
Il hoche la tête, les mains dans les poches. Soudain, il ne semble plus très sûr de son choix.
— Ne me dis pas que tu es phobique de l'eau ou quelque chose comme ça, demande-t-il d'un air légèrement inquiet en voyant que je me mords la lèvre.
— Non, non... C'est juste que je n'ai pas de maillot.
Il me fixe une seconde sans rien dire avant de s'esclaffer, soulagé.
— Mais c'est rien, ça.
Je fronce les sourcils et exprime mon scepticisme tandis qu'il marche jusqu'à l'entrée, moi sur ses talons.
— Tu comprends que je ne vais quand même pas me foutre à poil devant les autres clients, hein ? Il y a des enfants qui sont probablement en train de jouer dans le petit bain et je ne veux traumatiser personne avec mes bourrelets et ma cellulite.
Il me lance un regard amusé en poussant la porte, mais je ne crois pas que c'est parce qu'il se moque de moi. À vrai dire, je crois qu'il est plutôt détendu par mon auto-dérision.
Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que ce n'est pas totalement de l'auto-dérision puisque je le pense assez fort, malheureusement.
— Tu ne vas pas jouer les naturistes, Callisto. Ils vendent des maillots à l'entrée.
— Ah, ben oui.
Je me sens soudainement très idiote. Oups.
À l'intérieur, il y a une queue anecdotique – ce qui est extrêmement rare, pour l'une des rares piscines parisiennes. J'imagine que les gens n'ont pas spécialement eu envie de venir faire trempette ici alors qu'il fait tout gris et qu'un orage semble sur le point d'éclater.
C'est peut-être bizarre mais moi, j'ai toujours adoré me baigner quand il pleut. Quand j'allais dans la maison de vacances de ma tante avec mes parents étant plus jeune, Camélia et moi attendions toujours avec impatience qu'il pleuve pour aller nous baigner. Nous restions au bord parce que les vagues étaient plus fortes qu'en temps normal, mais je me rappelle très bien à quel point c'était fantastique d'être seules dans l'eau à capturer des gouttelettes de pluie sur notre langue, le corps enveloppé dans la chaleur de la Méditerranée.
Nous n'étions plus que deux petites humaines dont l'existence était complètement futile face à la puissance des vagues, et ça nous faisait du bien.
— Je fais la queue pour nous deux ; va choisir un maillot de bain, me glisse Eden en se rapprochant de moi pour ne pas parler trop fort et gêner les autres qui font la queue.
Il est d'ailleurs si près de moi que son souffle chaud s'échoue sur ma joue, me faisant frissonner. Bon sang, et dire que je croyais le haïr il y a encore deux semaines.
Parfois, la vie prend vraiment un sens auquel on ne s'attend pas.
Tandis que je fais le tour du hall d'entrée dans lequel sont exposés les maillots de bain disponibles à la vente, Eden fait la queue comme il l'a promis et me guette du coin de l'œil. Je brandis plusieurs maillots et il me fait signe de loin s'ils ont l'air pas mal ou si, au contraire, ils sont hideux.
Rien que pour la grimace qu'il me fait quand il n'est pas tout à fait d'accord avec moi, je ne lui montre que les pires.
Au bout de cinq petites minutes de queue, Eden dit mon nom à voix haute et me fait signe que c'est à nous de régler. Je le rejoins avec le maillot de bain que j'ai choisi et le dépose sur le comptoir, lui arrachant un sourire qu'il tente de dissimuler.
Au vu de sa pomme d'Adam qui roule dans son cou, il a l'air d'approuver mon choix. J'ai limite peur qu'il soit déçu une fois que je l'aurais enfilé.
Sans me demander mon avis, Eden règle pour nous deux et j'essaie de le convaincre de me laisser payer la prochaine fois tandis que nous allons jusqu'aux bornes automatiques pour faire biper notre ticket.
— Ah, parce qu'il y aura une prochaine fois ? commente-t-il d'un air taquin.
Tu t'es cramée toute seule, ma vieille. Maintenant, il va penser que tu n'es qu'une pauvre fille désespérée qui prend cette sortie pour un rencard. Mais attends, est-ce que...
Eden interrompt rapidement mes pensées en déclarant d'une voix légèrement timide :
— Ça me va.
Je crois que mes joues n'ont jamais été aussi rouges qu'en ce moment.
Tête baissée pour lui éviter de remarquer que je me suis transformée en tomate un peu trop mûre, je m'efforce de biper mon ticket. Comme d'habitude, je suis la seule dont le billet s'efforce de ne pas fonctionner malgré tous mes efforts. Eden finit par passer par-dessus la barrière et le bipe à ma place sans la moindre moquerie.
Bon, au moins, je suis tombé sur un résistant. Certains types qui ont eu le malheur de passer un peu de temps avec moi ont fui pour moins que ça ; une fois, l'un d'eux est parti quand je me suis coincé les cheveux dans la fermeture éclair de mon manteau.
Franchement, ça arrive à tout le monde.
Non ?
Eden et moi nous séparons pour que chacun aille dans son vestiaire respectif après qu'il ait déposé une pièce d'un euro dans le creux de ma main. Alors que j'enfile mon maillot dans une cabine, je songe que nous n'avons pas pris de serviette de toilette. J'imagine qu'on se débrouillera sans.
Après avoir rangé mes affaires dans un casier que je ferme à double tour, je rejoins les douches en nouant le bracelet sur lequel est fixé la clé autour de mon poignet. Après être passée rapidement aux toilettes – j'ai toujours eu la phobie des gens qui pissent dans la piscine –, je me poste devant l'un des robinets et me lave les mains.
Quand mes yeux remontent légèrement et croisent mon reflet dans le miroir, je crois que je souhaite très fort devenir aveugle. Non seulement le maillot une pièce que je porte est trop petit pour moi et me boudine mais en plus, il est décolleté et a une forme de tanga.
Autant dire que pour une fille comme moi qui passe sa vie à se cacher derrière des jogging et des jeans larges, ça fait un peu beaucoup.
Un peu beaucoup trop.
— What the fuck, murmuré-je pour moi-même. Je suis vraiment...
— Superbe.
— J'allais dire immonde.
Un regard dans le miroir m'apprend qu'Eden m'a rejointe, malgré que ce soit le vestiaire des femmes.
— Tu as loupé le petit bonhomme avec une jupe sur le mur ? demandé-je en arquant un sourcil.
— La piscine est littéralement déserte. Allez viens, on y va.
Sa main frôle la mienne quand nous quittons les vestiaires après que je me sois rincée rapidement sous la douche. Une fois près du bassin, je m'empresse de descendre dans l'eau pour éviter qu'il ne puisse voir le carnage de mon corps dans le maillot plus longtemps. Et dire qu'il a payé ma place pour voir ça, mon dieu.
Si j'avais le courage, je le planterai ici et maintenant et je filerai me changer sans hésiter.
Heureusement, Eden a raison et la piscine est quasiment déserte. La pluie bat contre les immenses portes vitrées et le bruit qui en résulte est fort, mais pas assez pour que je ne puisse pas entendre Eden.
Le temps que celui-ci rentre dans l'eau, j'ai le temps d'apercevoir le short vert sapin – qui lui fait un cul vraiment appétissant, je m'en veux d'avoir regardé – et son dos dont chaque muscle ou presque est saillant. Il a un véritable corps de sportif, et je dois dire que c'est tout sauf désagréable à regarder.
Quand il est enfin en entier dans l'eau, il nage vers moi et me rejoint en un coup de bras. Surprise, je demande :
— Tu as fait de la natation ?
Eden hoche la tête, le menton trempant à la surface de l'eau.
— Pendant huit ans.
Impressionnée, je me contente de cligner les yeux d'un air surpris. Il ne me laisse pas le temps de lui poser plus de questions et plonge la tête sous l'eau avant de ressortir aussitôt, les cheveux en bataille.
Puis, lentement, ses lèvres s'étirent légèrement.
— Bon, on fait la course ?
L'heure qui suit est tout simplement l'une des plus amusantes de ma vie. Eden et moi faisons la course une bonne dizaine de fois, me laissant épuisée. Ses huit années de natation se font ressentir et je n'atteins jamais la moitié du bassin quand il termine ses longueurs. Pour finir, il me laisse deux grosses minutes d'avance sur lui pour me donner une petite chance de le doubler. J'ai tout donné et quand j'ai enfin touché le mur quelques secondes avant lui, je crois que j'étais encore plus fière que la fois où j'avais réussi à retourner ma première crêpe dans la poêle.
Encore que, je suis persuadée qu'il a compté plutôt cinq minutes au lieu de deux. Mais bon, je ne comptais pas m'en plaindre.
Ensuite, nous avons fait des concours d'apnée comme des enfants avant d'aller au plongeoir. Après l'avoir vu plonger du plus haut promontoire, j'ai voulu faire de même mais ce n'était malheureusement pas une franche réussite. Au moins, je crois l'avoir vu éclater de rire pendant que je crachais toute l'eau que je venais d'ingérer sans le vouloir.
Après ça, j'étais rincée – sans mauvais jeux de mots.
Eden et moi sommes retournés là où nous avions pied, assis sur le sol et adossés au mur en briques lisses.
— Je suis contente que tu m'aies emmenée ici aujourd'hui.
Son regard s'illumine légèrement quand je lui dis ça, ce qui m'envoie une petite décharge électrique pile dans la poitrine. Je suis presque effrayée de constater qu'en un regard, il arrive à me faire perdre tous mes moyens.
Ça me fait peur autant que ça me donne la chair de poule, c'est à dire énormément.
— Et moi je suis content que tu sois venue.
— Pourtant, je n'ai fait que te ralentir.
Je bats des pieds en lui jetant un regard bienveillant, confortablement calée contre le mur. Sa voix est douce comme du coton quand il me répond :
— Ça ne m'a pas dérangé.
Je détourne le regard, les joues rougissantes – j'ai remarqué qu'elles faisaient souvent ça en sa présence, ces traîtresses.
— Pourquoi est-ce que t'as arrêté la natation ?
Ma question semble jeter un froid sur la discussion. Eden semble se tendre légèrement à côté de moi, son pouce se détachant du mien probablement sans qu'il ne s'en rende compte.
Mais moi, je le remarque.
— Parce que tu as l'air vraiment doué, reprends-je pour détendre l'atmosphère. Je veux dire, je n'y connais absolument rien à part le nombre de tablettes de chocolat de Florent Manaudou mais tu m'as quand même battue à la course au moins deux fois.
Le fait que j'ai délibérément diminué le compte de mes défaites lui arrache lui un petit sourire et il se met à secouer la tête en bougeant les mains, formant des petites vaguelettes d'eau qui viennent s'échouer doucement sur mes cuisses.
— Ouais, j'étais bon, finit-il par répondre avec le visage fermé. Mon père voulait à tout prix que je fasse médecine pour me spécialiser dans la kinésithérapie des nageurs, mais ce n'était pas trop mon truc. Je voulais devenir entraîneur et j'ai passé un diplôme d'animation pour y arriver.
— Et ?
Il me regarde sans rien dire, comme s'il me prévenait mentalement que la suite allait être moyennement joyeuse.
— Et, on m'a pris mon rêve. Je n'ai plus le droit d'exercer un quelconque métier en rapport avec les enfants.
« Je n'ai plus le droit. »
Mon cœur s'accélère, la curiosité et la peine me faisant presque mal tant elles me montent vite au cerveau. Je vois dans ses yeux qu'il a beaucoup de mal à accepter cette décision, qui ne semble pas venir de lui.
— Tu t'es blessé ? demandé-je en fronçant les sourcils.
Il hésite une seconde, puis :
— Oui, je me suis blessé.
Ensuite, je ne pose plus de questions. Je me contente de faire glisser ma main jusqu'à la sienne, qu'il accueille d'un regard surpris. Histoire de lui redonner le sourire, je lui envoie de l'eau de l'autre main.
Cela semble fonctionner puisqu'il reprend très vite son air joueur et m'envoie également une grosse vague d'eau à l'aide de sa main libre. J'écarquille les yeux en reprenant ma respiration, les gouttes glissant sur mon visage.
Sans attendre, ma paume quitte la sienne et rejoint mon autre main pour me venger en lui envoyant une puissante vague d'eau. Eden réplique sans attendre par une nouvelle vague encore plus forte qui me trempe encore plus.
Cette fois, je ne réplique pas et me contente de rejeter la tête en arrière pour éviter que l'eau chlorée ne me coule dans les yeux.
S'il semble surpris que je ne me venge pas aussitôt par une attaque d'autant plus violente, il se remet très vite à sourire en apercevant mon sourire en coin et mon regard tueur.
— Que les soixante-seizièmes Hunger Games commencent et puisse le sort vous être favorable, mon pote.
∞
Le samedi, j'envoie un message à Barbara pour lui dire que je ne passerai pas à l'association pour cause de révisions – on s'entend que j'ai légèrement délaissé mes études en y consacrant beaucoup moins de temps, ces temps-ci. Sa réponse ne se fait pas attendre et fait vibrer mon téléphone, qui manque de tomber du bureau puisque je l'ai probablement posé un peu trop au bord – oups.
Barbara : Moi non plus, de toute façon.
Surprise, j'hausse un sourcil et tape ma réponse sans attendre.
Callisto : Comment ça ? T'es où ?
Je reçois alors une photo de Clément visiblement en train de lui raconter quelque chose dans un joli décor de bistrot typiquement parisien. Je lui envoie un simple émoticône qui vomit avant de verrouiller mon téléphone pour me masser les tempes, crevée.
Je suis enfermée dans ma chambre à réviser mes cours depuis ce matin, et honnêtement je suis épuisée. Mon seul réconfort consiste à me dire que je suis désormais en vacances et que dans moins de cinq jours, Camélia et moi irons passer Noël chez mes parents. J'ai déjà hâte d'y être.
En parlant de Camélia, je ne l'ai pas vue depuis qu'elle m'a amené un latte glacé en début d'après-midi. Intriguée – tout est prétexte à faire une pause, je l'avoue –, je quitte ma chambre et rejoint la cuisine, où je la trouve affalée sur le canapé en train de faire je-ne-sais quoi sur son ordinateur.
Étant donné que j'arrive par derrière et qu'elle a ses écouteurs plantés dans les oreilles, elle ne m'entend pas arriver et fait un bond de trois mètres quand je lui touche l'épaule. Hilare, j'arrive tout de même à remarquer qu'elle claque l'écran de son ordinateur d'un coup sec.
— Bon sang, tu veux me tuer ? lâche-t-elle d'une voix dramatique, une main sur le cœur.
Quelle comédienne.
— Ce n'était pas mon but mais maintenant que t'en parles je trouve que le repas n'est pas fait depuis quelques temps et...
Elle me lance un sourire moqueur et ironise un « ahah, excellent » avant de s'asseoir pour me laisser une place à côté d'elle.
— Tu faisais quoi ?
Elle dépose ses écouteurs sur la table basse en grimaçant.
— Promets-moi de ne pas t'énerver, dit-elle alors avec son air de petit ange.
Je fronce les sourcils, légèrement inquiète. Ça, ce n'est en général pas très bon signe.
Après avoir insisté pendant cinq bonnes minutes pour me faire promettre de ne pas lui râler dessus, je commence sincèrement à croire qu'elle a terminé les nems sans moi pendant que j'étudiais chez Paul hier soir. Seulement, quand elle rouvre son ordinateur et que j'y lis les mots « site de rencontre pour plus de cinquante ans », je manque de tomber du canapé.
— Attends, est-ce que je suis devenue myope ou...
— Te fous pas de moi, rétorque-t-elle en me donnant un coup de coude tandis que je pose le PC sur mes genoux. J'ai tapé le nom de mon père sur internet et ça m'a emmenée sur ce site.
Je la regarde un instant, muette. Voilà pourquoi est-ce qu'elle avait peur que je me fâche : parce ce que ça concerne son père biologique et qu'elle ne sait toujours pas si je suis OK avec son histoire de recherche de ses racines.
À vrai dire, je ne sais pas trop non plus.
— Et qu'est-ce qu'il dit dessus ? dis-je en me concentrant sur l'écran.
Camélia tente de masquer son soulagement face à ma réaction plutôt positive et je m'efforce de ne pas lui montrer que je suis sincèrement en train de faire un effort pour ne pas lui demander une nouvelle fois pourquoi est-ce qu'elle fait tout ça.
— « Bonjour mesdames je m'appelle Olivier, j'ai 54 ans et je suis divorcé depuis maintenant douze ans. J'aime la moto et... » ; attends, je croyais que tu ne pouvais pas saquer les motards qui font du bruit la nuit !
— Qui te dit qu'il fait du bruit la nuit ?
Je me contente de la regarder d'un air suspicieux, prête à lui sauter à la gorge pour le moindre détail. Je ne connais pas cet homme, mais je compte être intransigeante avec lui. Je me dois de l'être, après ce qu'il a fait à Cam.
— « J'aime partir en road trip, le rock des années soixante-dix et j'aime beaucoup tout ce qui trait à la cuisine et plus particulièrement à la cuisine italienne d'où je tire mes racines », lis-je. Franchement, c'est moins bien que la bouffe vietnamienne ! commenté-je, sceptique.
Camélia se contente de croiser les bras, un léger sourire sur les lèvres. Elle me connaît par cœur.
— Bon, bref... Il se décrit comme quelqu'un de positif, parfois grognon, qui adore les pâtes carbonara, s'occuper de son potager et lire des polars au soleil mais qui déteste les gens en retard – chouette, il va m'adorer... –, payer ses impôts et les Perrier qui coûtent huit euros à Paris.
Quand je termine ma lecture, Camélia me lance un regard empli d'un espoir qu'elle n'arrive pas à dissimuler. Je sais qu'elle attend que je lui en délivre un avis positif, mais on dirait que je ne peux m'y résoudre.
— Alors, t'en penses quoi ?
Je me contente de faire la moue en reposant l'ordinateur sur la table basse, tendue.
— Il est... commencé-je.
Camélia m'incite à poursuivre, le regard brillant.
— ... Normal. Très normal. Trop normal, pour un type qui abandonne son gamin.
J'avoue, c'était un coup bas.
Ma petite sœur se renfrogne et détourne le regard vers la fenêtre, visiblement blessée.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire... commencé-je en tendant une main vers elle.
— Si, c'est exactement ce que tu voulais dire.
Sa voix tremble sous un poids considérable de peine et de rage, ce qui me fait sincèrement de la peine. Bon sang, je déteste la voir comme ça – encore plus quand c'est de ma faute.
— Cam, je veux juste que tu te rendes compte de ce que tu fais, dis-je d'une voix ferme. Ce type t'a laissé seule avec ta mère, a refusé de te reconnaître comme sa fille et ne t'a jamais envoyé un euro. Il t'a laissée te démerder et crois-moi, tu as déjà un père qui vaut bien mieux que...
— Tu ne comprends vraiment rien ! me coupe-t-elle en quittant le canapé d'un bond sans oublier de me fusiller du regard.
— T'as raison, je ne comprends pas, lâché-je en m'asseyant en tailleur. Je ne comprends pas pourquoi est-ce que tu veux apprendre à connaître le type qui a détruit ta vie.
— Ce n'est pas lui, qui a détruit ma vie. Elle s'est détruite toute seule sans que personne ne puisse rien y faire.
J'hoche la tête et accepte sa réponse en me mordant la lèvre. Dans ses yeux, je vois pourtant qu'elle se repasse en boucle tous les moments difficiles qu'elle a dû vivre à cause de lui, toute la peine qu'il lui a causée et tout ce que sa fuite a engendré. Je sais que ça compte beaucoup pour elle mais cette fois, je crois qu'elle est bien décidée à faire de cette peine quelque chose de productif qui va lui permettre d'avancer.
Et pour ça, je ne peux qu'être fière d'elle.
— Viens-là, finis-je par murmurer.
Les yeux brillants, Camélia ne se fait pas prier et vient se réfugier dans mes bras. Nous restons plusieurs minutes emboîtées l'une contre l'autre sans rien dire, appréciant notre proximité. Il n'y a rien de plus réconfortant au monde que d'avoir Camélia contre moi, et ce depuis toujours.
— Je crois que j'ai peur qu'il te brise le cœur encore une fois, chuchoté-je dans son oreille.
Elle se recule alors pour me regarder, un air ému sur le visage. Je sais qu'elle n'en a jamais douté mais que ça lui fait du bien d'entendre de temps en temps que je m'inquiète pour elle. Malgré tout ce qu'elle dira toujours à tout le monde, Camélia a cruellement besoin qu'on l'aime.
Comme elle le mérite.
Puis, elle coince une mèche de ses épais cheveux bruns derrière son oreille avant de souffler :
— Et moi, j'ai peur qu'il ne me donne même pas l'occasion de le laisser me briser le cœur.
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