Chapitre 13
CALLISTO
Sincèrement, j'ai dû mal à croire ce qui m'arrive.
Il y a encore une semaine j'étais en train de me promettre de ne plus approcher Eden en dehors du cadre de mon enquête. Et voilà qu'hier soir, il... Nous...
Bordel.
Honnêtement, j'étais tellement sous le choc que je n'ai pas su comment réagir. Après tout, quelle réaction aurais-je dû avoir alors qu'il venait de se tirer juste après m'avoir embrassée ? Mon côté parano m'a aussitôt crié qu'il avait deviné qu'il s'agissait de mon premier baiser depuis longtemps et que j'avais tout simplement bavé dans sa bouche. Et mon autre côté, le côté raisonnable, m'a dit que...
Ah bah non, il ne m'a rien dit en fait.
Je me suis retrouvée comme une conne à l'association sans trop savoir quoi faire. Puis, désespérée, j'ai fini par composer le numéro de Camélia. Elle a décroché à la première sonnerie comme si elle attendait mon appel et ne m'a même pas laissée parler. Un flot d'excuses est sorti de sa bouche et elle m'a expliqué en long, en large et en travers pourquoi est-ce qu'elle avait cherché son père.
Elle m'a expliqué qu'elle avait toujours eu envie de savoir d'où elle venait, si elle ressemblait à ses parents et si elle avait hérité de leurs traits de caractère. Elle m'a aussi dit qu'elle ne souhaitait pas avoir une autre famille, qu'elle avait eu une enfance incroyable dont elle n'aurait jamais pas changé le moindre détail et surtout, elle a répété un million de fois qu'elle m'aimait.
Puis, elle a entendu que je pleurais et elle a aussitôt rappliqué à l'association sans même que je n'ai besoin de lui préciser où j'étais.
— Callie ?
Sortie brusquement de mes pensées, je me retourne péniblement dans mon lit. J'aperçois alors la silhouette de Cam près de la porte malgré l'obscurité qui noie la chambre.
M'ayant vue me retourner, elle referme la porte et vient me rejoindre dans mon lit. Je lui soulève la couette quand elle se laisse tomber sur le matelas, son sourire brillant dans la nuit. Puis, elle s'emmitoufle dans les draps avant de se coller contre moi comme une enfant.
— Tu sais, tout à l'heure... Je n'ai pas eu le temps de t'avouer quelque chose.
Je caresse ses cheveux, rassurée qu'elle soit auprès de moi. Quand Cam est là, j'ai l'impression qu'elle récupère une partie de mes problèmes et que tout est moins lourd à porter, même le rejet d'Eden.
Parce que même si je fais semblant d'ignorer les récents évènements, des sentiments douloureux remuent au fond de moi et je me sens blessée. Et humiliée. Et conne.
— Quoi ? murmuré-je alors, mon menton contre son front.
Je nous revois alors serrées dans mon lit une place quand on était petites, mes bras enroulés autour de son tout petit corps et les paupières closes, en sécurité.
À ma place.
— J'ai menti. Je... J'ai menti à tout le monde, dit-t-elle alors.
Mon cœur s'accélère aussitôt, ayant un mauvais pressentiment. Je sens qu'elle s'est raidie contre moi, et je sens aussi le col de mon t-shirt s'humidifier.
Elle pleure, bon sang.
— Qu'est-ce que tu racontes ? chuchoté-je en la serrant plus fort contre moi.
— J'ai menti à la police, et aux foyers d'accueil, et à papa, et à maman, et surtout à toi.
Sa voix se brise sur les derniers mots, piétinant ce qu'il reste de mon cœur.
Je vois qu'elle est fragile. Elle est si fragile que j'ai presque l'impression qu'elle va se briser entre mes bras. Tellement d'ailleurs que je ne peux m'empêcher de répliquer d'une voix ferme :
— On parlera de ça une autre fois, d'accord ? Pour l'instant, on dort. Cette journée a été assez compliquée comme ça.
Contre moi, je sens Camélia hocher la tête et enfouir son visage dans mon cou, minuscule et à la fois si grande. Puis, deux minutes plus tard, son souffle devient plus régulier et elle s'endort dans mes bras.
∞
— Émie, lâche-ça, répliqué-je en lui tapant gentiment sur la main.
Elle prend aussitôt son air de chien battu le plus convainquant et brandit le cintre devant mes yeux, probablement pour que je comprenne mieux son engouement à propos de ce vêtement. Je recule alors d'un pas et manque de vomir en apercevant l'immense pull de Noël à rayures décoré d'une tête de rêne lumineuse si près de moi.
— Wouah. C'est... Beau.
— Sérieux, tu aimes ?
Elle semble si fière de sa trouvaille que je n'ai pas le cœur de lui dire que je n'en pense pas un mot.
— Euh... Ouais. Par contre il coûte une blinde, alors repose-le. Crois-moi, tu vivras très bien sans.
Tandis qu'elle repose le cintre sur l'étagère, je remarque son air déçu et m'empresse de l'attirer vers le rayon des accessoires. Je préfère franchement qu'elle achète une casquette plutôt qu'un tel pull. Si vous aviez le pull sous les yeux, vous comprendriez que je lui rends service.
— Ah, les voilà !
Émie et moi nous retournons en même temps, pile au bon moment pour apercevoir Paul et Clément s'approcher de nous. À peine arrivé, ce dernier pose un bras sur mes épaules et demande d'une voix nonchalante :
— Alors, qu'est-ce que vous avez choisi ?
Je vois Émie ouvrir la bouche et m'empresse de répondre à sa place :
— Rien du tout !
Elle me coule un regard noir et je me contente de m'excuser du regard. Oniomane, Émie achète tout et n'importe quoi, même – surtout – ce dont elle n'a pas besoin. Depuis le début de l'après-midi, j'ai dû l'empêcher de craquer pour un manteau en fourrure léopard deux fois trop grand pour elle, une paire de crocs rouges à pois – pas besoin d'expliquer pourquoi ce n'était pas une option – et même l'un des mannequins en plastique qui était à l'entrée.
— Ça c'est une bonne nouvelle, commence Clément avec un air satisfait.
Je confirme d'un hochement de tête avant de lui demander où est Camélia, que je ne vois nulle part. Il se met alors à grimacer.
— Injoignable. Elle est probablement partie courir.
Une légère inquiétude point en moi et j'envoie un SMS à ma sœur en me mordant la lèvre, juste pour être sûre que tout va bien.
Ensuite, Paul se propose discrètement pour gérer les excès d'Émie et nous nous mettons tous en quête de la tenue de Noël parfaite. Personnellement j'essaie principalement de trouver celle que je porterai pour le Noël de l'association, qui aura lieu ce samedi. Étant donné que je n'ai eu aucune nouvelle d'Eden et qu'il n'est pas venu à l'association de toute la semaine, je veux être sûre qu'il se mordra les doigts en bonne et due forme quand il me verra.
Bien fait.
— Elle t'irait bien celle-ci, non ? propose soudain Clément en me tendant un cintre.
Quand mes yeux se posent sur la robe blanche style trench-coat qu'il me tend, je suis sans voix. Dans un autre contexte, je n'oserai jamais la porter. Un peu trop courte, un peu trop décolletée.
Seulement, là, c'est exactement ce qu'il me faut.
— Tu es génial.
Sur ce, je file en cabine sans demander mon reste. Une fois à l'intérieur, je me déshabille et m'apprête à enfiler la robe quand j'entends mon téléphone biper. Persuadée qu'il s'agit de Camélia, je m'empresse de fouiller dans mon sac à main.
Barbara : JE PEUX SAVOIR CE QUE C'EST QUE CETTE CHOSE SUR LE MUR DU DORTOIR ????????
Je me mords la lèvre et réfléchis à une réponse correcte – traduction : qui ne l'énerverait pas plus qu'elle ne l'est déjà – quand un nouveau message arrive. Je clique aussitôt dessus et jette un œil à la photo qu'elle vient de m'envoyer, les yeux écarquillés. Le sapin a été entièrement terminé, des épines aux guirlandes.
Bon, hé bien j'imagine qu'Eden est repassé à l'association cette semaine.
Et il a tout fait pour t'éviter, me souffle une voix dans ma tête.
M'en rendre compte me blesse un peu plus que prévu.
— C'est pas qu'on t'attend mais on t'attend, hein !
Je sursaute en entendant la voix de Clément derrière le rideau et m'empresse d'enfiler la robe en prenant toutes les précautions nécessaires pour ne pas la craquer – ce serait parfaitement mon genre de l'abîmer avant même de la porter. Puis, je quitte la cabine sans même me regarder dans la glace histoire de ne pas faire plus patienter mes amis.
Quand ils m'aperçoivent, il y a un léger blanc. Puis ils se confondent tous en compliments et les joues roses, je me sens obligée de répliquer :
— Arrêtez, je ne suis pas non plus mannequin.
— Mais tu pourrais !
Je lance un sourire à Paul avant de me retourner, tombant nez-à-nez avec mon reflet. La première chose que je me dis c'est : oh.
Oh, parce que c'est l'une des premières fois de ma vie où je ne remarque pas tout de suite les défauts que ma silhouette peut avoir et me concentre sur le positif du vêtement. En effet, cette robe est plus courte et plus décolletée que ce que je porte d'habitude mais honnêtement, c'est loin d'être vulgaire. En fait, c'est même exactement ce que je recherche. Elle est moulante juste comme il faut, marque bien ma taille et je me sens sincèrement bien dedans.
— Elle est faite pour toi, commente Clément en apparaissant dans mon dos, ses yeux dirigés sur mon reflet dans le miroir.
J'hausse une épaule, ayant toute la peine du monde à ne pas remarquer les vergetures de mes cuisses qui apparaissent juste en bas de la robe.
Peut-être que c'est pour ça qu'Eden n'a pas voulu de toi. Parce que tu es toi, et que tu es imparfaite.
— Allez, on la prend, conclut Paul sans même me demander mon avis. Ce serait un crime de la laisser à quelqu'un d'autre.
Puis, il se précipite vers Émie qui essaie d'acheter un sac imitation crocodile pendant qu'il a le dos tourné.
Quand je retire ma robe, Eden n'a toujours pas quitté mes pensées. Je repense aux sourires purs et intimes qu'il m'a lancé pendant la soirée, à son regard énigmatique quand je lui ai parlé de mon passé avec Camélia et de ses lèvres sur les miennes qui sont apparues avant même que je ne puisse m'en rendre compte. Puis je repense à son pauvre « pardon » qu'il m'a lâché pour toute excuse avant de prendre ses jambes à son cou, me laissant toute seule avec une colère sourde devant le mur à peine peint.
Je savais qu'il avait bien des défauts – je ne vais pas tous les citer, ça risque malheureusement de prendre du temps – mais de tous ceux qu'il a pu me montrer, je ne savait pas qu'il pouvait être lâche.
D'un geste rageur, je jette la robe dans un coin de la cabine.
La fois où je remets cette robe, c'est directement le soir du Noël de l'association. Bien que je sois légèrement tendue à l'idée de revoir Eden, je me sens mieux dès que le tissu blanc touche ma peau. Ça me fait du bien de ne pas ressembler à une gamine, pour une fois.
Quand j'étais plus jeune, j'ai toujours été la petite de la classe. J'étais sans arrêt au premier rang sur la photo de classe et je devais toujours sauter pour apparaître sur les selfies avec mes copines. De plus, j'ai toujours eu une petite poitrine, des joues rebondies et une peau ferme, ce qui n'a jamais cessé de tromper les gens sur mon âge. Quand j'avais dix ans j'en faisais huit, quand j'avais seize ans j'en faisais treize et encore aujourd'hui, les gens pensent souvent que je suis plus jeune. L'année dernière, une bande de lycéens – des secondes, je précise – m'ont demandé mon numéro alors que je promenais Eddie. Je me rappelle avoir été à deux doigts de fondre en larmes, moi et mes putain de dix-neuf ans.
Quand j'aurais la cinquantaine ça sera probablement une aubaine mais pour l'instant, c'est plus handicapant qu'autre chose.
Après avoir regardé l'heure sur l'écran de mon portable, je me mets à la recherche de mon rouge à lèvres fétiche – en fait je n'en ai qu'un, oups – et rejoint le salon, mon précieux tube à la main.
Dans la pièce principale, je retrouve Camélia confortablement calée dans les coussins du canapé en train d'écouter de la musique, emmitouflée dans un plaid en fausse fourrure. Quand elle me voit arriver, elle relève la tête et retire directement l'un de ses écouteurs.
— Tu peux me le mettre ? demandé-je en lui tendant mon rouge à lèvres.
Un sourire presque imperceptible se dessine sur ses lèvres et je m'assieds à côté d'elle tandis qu'elle débouche le tube.
Ayant déjà des mains de Playmobil étant plus petite, ça a toujours été Camélia qui s'est occupée de me maquiller. Je sais, j'ai l'air ridicule ; mais croyez-le ou non, je n'ai pas réussi une seule fois à mettre du mascara correctement ou à ne pas dépasser en me mettant du rouge à lèvres.
Pendant quelques minutes, j'entrouvre la bouche pour lui rendre la tâche plus facile et l'observe se concentrer, son visage tout près du mien. Ses longs cils chatouillent ses paupières quand elle cligne des yeux et un souffle régulier s'échappe de ses lèvres.
Quand elle se recule, elle me lance un regard fier et déclare :
— Tu es à tomber.
Je la remercie en l'embrassant délicatement sur le front avant d'aller enfiler mes hautes bottes en cuir marron.
— Tu as trop de chance d'être invitée à un gala de charité, commente-t-elle levant les jambes en l'air.
Je la regarde du coin de l'œil, amusée. Elle n'a jamais su rester en place plus de deux secondes.
— J'appellerai plutôt ça une sorte de... réunion. Et toi, quoi de prévu ce soir ?
Je rassemble mes affaires et les glisse dans mon sac avant de récupérer ma veste, posée sur l'un des tabourets de bar.
— Probablement Netflix, chocolat et dodo, répond Cam nonchalamment. C'est super à la mode en ce moment : c'est le nouveau métro-boulot-dodo.
— Je valide.
Finalement, elle me souhaite une bonne soirée et je lui envoie un baiser volant avant de quitter l'appartement. Souhaitant éviter de suer prématurément dans ma robe – tout effort physique reste un effort physique –, je boycotte les escaliers et prends l'ascenseur. Ensuite, je rejoins ma voiture, dépose mon sac à la plage passager et me cale derrière le volant. Concentrée, je réajuste mes rétroviseurs et...
— Hé oh !
Je sursaute en entendant des coups à ma fenêtre, mon cœur manquant de s'échapper de ma poitrine. Sous le coup de la surprise, je mets bien quelques secondes à reconnaître Clément.
— Tu veux me tuer ?! m'exclamai-je en ouvrant la fenêtre.
— Pas tout de suite, j'ai besoin d'un taxi.
Je lui explique calmement que ce n'est pas le moment mais monsieur n'en fait qu'à sa tête et fait le tour de la voiture avant de s'asseoir côté passager, jetant mon sac à ses pieds sans aucune précaution au passage.
— Fais gaffe, bon sang ! sifflé-je en récupérant mon sac à main pour le déposer sur la banquette arrière.
— Ouais, ouais, réplique-t-il.
En me tournant vers lui, je remarque soudain qu'il porte un costume. S'il faut savoir deux choses à propos de Clément c'est que 1) Il s'habille bien mais que 2) C'est seulement quand on l'y force.
Et là, je ne me rappelle pas lui avoir demandé de faire un quelconque effort. En fait, je me passerai bien de sa présence – sans vouloir le vexer, bien sûr.
— Pourquoi est-ce que t'es habillé comme ça ?
Clément met bien quelques secondes à comprendre que je parle de son costard puis répond :
— Ah, ça ! Barbara m'a dit que je devais me faire beau, donc c'est ce que j'ai fait.
— Barbara ? répété-je, incrédule.
Ensuite, il m'explique simplement qu'elle l'a invité et précise que « je ferais mieux de me grouiller le cul si je ne veux pas nous mettre en retard ». Ses mots, pas les miens.
— C'est sérieux entre vous ? questionné-je en démarrant.
J'attends quelques seconde mais seul le silence me répond.
— Allo, dis-je en secouant une main devant son visage.
— Scuse, j'avais oublié que tu ne pouvais pas me voir hausser les épaules.
Je roule des yeux avant de me reconcentrer sur la route, la conduite dans Paris n'étant pas forcément la plus calme du monde – surtout à l'heure de pointe.
— Pour répondre à ta question : j'en sais rien. On se voit de temps en temps, on s'amuse, on se respecte. J'imagine que c'est déjà bien.
Clément semble apercevoir mon regard fuyant puisqu'il demande :
— Quoi, encore ?
— Je n'ai rien dit !
— Tu penses si fort que je peux quasiment lire dans tes pensées.
Je m'empresse de prendre mon air le plus impassible, ce qui arrache un rire à mon ami. Je crois que j'oublie un peu trop souvent que je suis malheureusement très expressive et que par conséquent, chaque foutue chose que je pense ou ressens se lit sur mon visage.
— Je trouve ça juste un peu triste, avoué-je.
— De quoi ?
— Que tu te contentes de ça.
À côté de moi, je vois Clément se raidir légèrement. Puis, il répond sèchement :
— Je ne demande qu'à trouver le grand amour, Callisto. Mais en attendant, on fait avec ce qu'on a.
Ça a le mérite de me clouer le bec.
Tandis que je me gare, je ne peux m'empêcher d'avoir un peu de peine pour Barbara. Sait-elle qu'elle est simplement une distraction, une passade ? Je sais que Clément l'apprécie beaucoup, il ne l'aime pas. Et le pire, c'est que je le connais assez pour savoir qu'il n'attend que ça.
Quand nous quittons la voiture, Clément entoure mes épaules de son bras et me presse affectueusement l'épaule tandis que nous traversons le parking. Pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il s'excuse en silence et aussi, je lui envoie un petit sourire avant de pousser la porte de l'assos'.
Dès que nous entrons, je suis comme une enfant le soir de Noël – et c'est le cas de le dire. Toute l'entrée a été décorée du sol au plafond, que ce soit de guirlandes ou de décorations en tout genre. Je remarque que certaines ont dû être faites par les enfants, ce qui me touche encore plus.
— C'est magnifique ! m'exclamai-je quand Barbara vient vers nous.
Les joues roses, elle me remercie avant d'embrasser chastement mon ami sur la bouche. J'intercepte son regard et celui-ci s'empresse de détourner les yeux.
— J'avais confiné les internes dans la cour arrière pour tout préparer et je crois qu'ils me détestent tous officiellement, avoue-t-elle avec un air adorable.
— Tu aurais dû m'appeler ! la grondé-je.
— Tu en as déjà assez fait et c'est entièrement grâce à toi que tout ça a été possible. Et puis, Eden t'a balancée.
— Comment ça ?
Clément me lance un regard interrogateur que j'ignore, sentant mon cœur s'accélérer dans ma poitrine. Qu'est-ce qu'il lui a dit, au juste ?
— Comme tu a ignoré mon message, il a fini par craquer et m'a révélé que c'était toi qui avait peint le sapin sur le mur. Et même si je n'étais pas forcément très emballée par l'idée...
— En même temps, tu m'as légèrement hurlé dessus par texto, la coupé-je en souriant, les bras croisés.
— .... Je suis forcée d'admettre que c'est très réussi. Et j'ai réussi à négocier avec les trésoriers et mes supérieurs pour t'offrir un chèque de remerciement pour tout ce que tu as fait ces derniers mois, et tous les efforts que tu as employés depuis deux ans pour cette association. Je sais que tu le fais sincèrement pour le plaisir d'aider et que le bénévolat te convient parfaitement, mais j'y tenais. Alors tiens.
Quand elle sort un chèque de sa poche et me le tend, je suis sans voix.
— On a bien fait de venir, commente Clément en me donnant un coup de coude.
Les larmes aux yeux, j'étreins rapidement Barbara en la remerciant un million de fois. Elle balaie mes « merci » d'un sourire avant de me glisser mine de rien que je ferais mieux de remercier Eden.
— D'ailleurs c'est qui, lui ? demande Clément en se grattant la tête.
Je choisis que c'est le bon moment pour m'éclipser et les laisser tous les deux. Je remonte le couloir dont les anciens dessins du début d'année ont été remplacés par des illustrations faites de rouge, de vert, de Pères Noël, de cadeaux et de sapins tordus. Je m'arrête au dernier de la rangée, reconnaissant le coup de crayon de Bassem.
En parlant du petit monstre, celui-ci sort en courant du dortoir et vient se réfugier dans mes jambes en disant mon nom. Je me penche vers lui pour l'embrasser sur le front comme je l'ai fait tout à l'heure avec Camélia, sincèrement heureuse de le voir.
— Tu es trop belle ! dit-il en écarquillant les yeux lorsqu'il se recule légèrement. C'est de la peinture ?
Son doigt se pose sur mes lèvres et je fais semblant de lui manger le doigt, ce qui lui arrache un rire.
— C'est du maquillage, chéri.
— Et je peux en mettre aussi, du maquillage ?
Je suis toujours surprise de la facilité avec laquelle il formule une phrase grammaticalement correcte et foncièrement intéressante dans un langage qui est si loin de sa langue maternelle.
— Pas comme moi, mais... Tiens, c'est une bonne idée, ça ! m'exclamai-je. On organisera un atelier maquillage pour les enfants un de ces jours. Je pourrais te grimer en lion, en tigre ou...
— En chimère ? Ou en minotaure ?
Je ne peux retenir un sourire attendri. Bassem n'est pas comme les autres enfants, et j'adore ses différences. Et puis, sa demande me conforte dans le fait que j'ai parfaitement bien choisi son cadeau.
Dans l'hypothèse où Barbara ne remarquera pas que j'en ai acheté un de ma poche juste pour lui et ne le lui confisque pas par souci d'équité, bien sûr. J'ose espérer que la présence de Clément saura la distraire.
Alors que Bassem m'explique comment il a collé les autocollants en forme de flocons sur les fenêtres qui donnent sur la rue, je l'entraîne jusque dans le dortoir où est censé se dérouler la plus grande partie de la soirée.
Soudain, la voix du petit me paraît plus lointaine tant je suis subjuguée par la décoration. Tous les lits pliants ont été rangés et des spots rouges et verts délimitent une sorte de piste de danse tout au fond de la salle. D'immenses tables pour le repas trônent au milieu du dortoir et elle est déjà élégamment dressée. Le cœur léger, je remarque qu'il ne s'agit pas d'assiettes en carton mais bel et bien de jolie vaisselle.
Puis, mes yeux se posent sur le mur du fond. Je distingue aussitôt l'immense sapin décoré de guirlandes dorées, dont la peinture a été faite d'une main experte. La fresque est tout simplement magnifique et les enfants sont tous amassés devant pour la regarder.
D'ailleurs, quand je me reconnecte à la réalité, je comprends que Bassem est justement en train de me parler du sapin.
— C'est le plus beau sapin que j'ai jamais vu ! s'exclame-t-il, adorable.
Les yeux toujours rivés sur le mur, je sens une chaleur inconnue s'emparer de mon cœur.
— C'est vrai, murmuré-je.
La suite de la soirée est tout simplement incroyable. Je salue tous les internes et discute plus ou moins avec eux au fur-et-à-mesure où je les croise. Chacun me remercie pour le travail effectué et me serrent dans leurs bras, bienveillants et émus. Autant vous dire qu'au bout d'une bonne heure à saluer tout le monde, j'ai les larmes aux yeux.
Bien décidée à cacher mon émotion, je m'isole quelques instants près de l'immense table à manger et passe ma main sur la nappe. Le tissu couleur crème s'agence très bien avec les verres à pied et la couleur argentée des couverts. Je ne mets pas longtemps à comprendre que le bon goût de David est passé par là.
— Ça te plaît ?
Je m'immobilise aussitôt, comme prise sur le fait. Je me retourne doucement, reconnaissant cette voix grave et âpre entre mille.
Mon cœur tressaute dans ma poitrine quand je tombe face à Eden. Son regard bleu-gris contraste avec la pâleur de sa chemise blanche retroussée sur ses avants-bras, hypnotisant. Gênée, je sens mes joues chauffer. Seulement, mon embarras redescend vite quand je comprends que je ne suis pas la seule à être troublée par présence de l'autre.
Ses yeux descendent le long de ma robe blanche, scrutateurs. Je me sens presque nue sous son regard et retiens ma respiration jusqu'à ce que ses yeux ne s'accrochent à ma bouche, relevée par mon rouge à lèvres couleur sang.
— Beaucoup, réponds-je.
Je remarque que sa pomme d'Adam roule sous la peau fine de son cou, ébranlé.
— Dis-moi, pourquoi est-ce que tu as dit à Barbara que j'avais peint le sapin toute seule ?
Eden ne cesse de me regarder tandis que mes doigts touchent le chèque caché dans ma poche.
— Probablement parce que je voulais éviter de me mouiller et que je préférais que tout te retombe dessus.
Si je ne lisais pas dans ses yeux qu'il plaisante, je l'aurais immanquablement mal pris. Seulement, je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose mais je commence à cerner Eden, et je sais que la plupart des mots qu'ils souhaitent dire passent par ses yeux. Ceux-ci brillent d'un éclat de malice mal dissimulé.
Je finis par détourner le regard sur les enfants amassés devant le mur en croisant les bras, ayant soudainement la chair de poule. Ça doit être parce que les fenêtres sont ouvertes, ou tout simplement parce que nous sommes en décembre. Oui, ça doit être ça.
Alors pourquoi est-ce que les poils sur mes bras se hérissent encore et encore lorsque j'intercepte le regard discret d'Eden sur moi ?
— Tu sais, je voulais te dire... commence-t-il.
Je me tourne légèrement vers lui mais sans lui faire face, comme pour lui montrer de façon subtile que je suis toujours impactée par ses actes tous plus idiots les uns que les autres.
Peu encouragé par ma gestuelle, Eden poursuit pourtant d'une voix douce :
— Je voulais te dire pardon d'être parti précipitamment et sans te donner d'explications l'autre soir. C'était injuste, et je ne voulais pas te blesser.
— Je n'ai pas été blessée, répliqué-je.
Cette fois, il semble bel et bien décontenancé. Il me regarde sans rien dire, les lèvres entrouvertes.
— Je n'ai pas été blessée, répété-je fermement. J'ai été humiliée, offensée et déçue. Et ça, crois-moi, c'est légèrement pire que d'être blessée.
Je vois dans ses yeux que je ne lui fais pas plaisir en disant cela, mais je ne retire pas mes mots.
On voit tout de suite qu'Eden a dû attirer énormément de femmes et en faire tomber amoureuse plus d'une – parce qu'honnêtement, je vois mal comment supporter un tel caractère sur le long terme quand on est pas amoureuse. Et je vois à son air que je ne suis probablement pas la première qui lui dit qu'elle est déçue. J'imagine qu'il a l'habitude de ne pas être à la hauteur des espérances des gens.
Et je ne sais pas trop pourquoi, mais ça me fait mal de penser ça de lui.
— Callisto... Tu ne comprends pas. J'ai juste besoin de temps.
Malgré les émotions qui jaillissent bizarrement de mon cœur quand il prononce mon prénom, je ne peux m'empêcher de rire jaune en détournant le regard et de m'exclamer :
— Excusez-moi monseigneur, c'est vrai que c'était vraiment très facile à deviner puisque que je vous rappelle que c'est vous qui m'avez embrassée !
Ma petite mise en scène n'a pas l'air de le faire rire et ça tombe bien, parce que ce n'était pas le but recherché.
— Et moi je vous prierai de m'excuser de ne pas avoir suffisamment anticipé les mauvais souvenirs que ça ferait remonter, rétorque-t-il en me fusillant du regard.
Une partie de moi se sent blessée qu'il n'ait pas été totalement en train de penser à moi pendant que nos lèvres s'apprivoisaient mais une autre partie de moi, celle qui voit le bien partout, me souffle qu'il ne l'a pas choisi. Et que ses mauvais souvenirs semblent le hanter très souvent, ce qui me dérange plus que je ne l'aurais voulu – cru ?
— Je voudrais qu'on oublie tout ça, demande-t-il finalement d'une voix légèrement adoucie mais dans laquelle la tension transparaît toujours.
Sous le choc, j'entrouvre les lèvres sans rien dire.
— Ah d'accord, lâché-je finalement. Tu es en train de me lâcher une phrase du genre « on reste amis », c'est ça ?
Le regard sombre du brun me transperce et je conclus pour lui avant même qu'il ne me réponde :
— Hé bah tu sais quoi ? Ça me va parfaitement. Après tout on ne s'apprécie même pas, pas vrai ? Je suis gauche et idiote et trop petite et je suis une vraie gamine et...
Je m'arrête en cours de route, n'ayant pas besoin de m'enfoncer encore plus. Il ouvre alors la bouche probablement pour ajouter une tare à la liste mais je l'en empêche en poursuivant sur ma lancée :
— Je suis bourrée de défauts et toi tu es... Toi. Je cherche le Prince Charmant et tu n'es ni prince ni charmant alors je ne vois pas comment on aurait pu sortir ensemble. Et est-ce qu'on serait « sortis ensemble », d'abord ? ajouté-je en plissant le front. On aurait probablement juste hang out, comme disent les américains. On aurait été comme Clément et Barbara qui traînent ensemble sans même s'aimer, puisque après tout qui voudrait avoir des sentiments pour moi ?
Les mots ont l'air de lui manquer et pourtant, j'aurais sincèrement voulu qu'il me contredise. Sincèrement blessée, je fais volte-face et fend la foule vers la piste de danse pour m'éloigner de lui à tout prix. Seulement, j'ai à peine fait trois pas qu'une main ferme enserre mon poignet et que je me retrouve de nouveau face à Eden, qui me regarde d'un air impénétrable.
Le souffle court, il ne lâche pas mon poignet et me regarde en silence. Puis, il avoue d'une voix parfaitement calme :
— Je sais que je suis loin d'être celui que tu recherches et que tu n'es pas non plus celle que je cherchais.
Bon. Il n'a peut-être pas tort, mais ça fait quand même mal à entendre.
— Parce que je ne cherchais personne, souligne-t-il en remarquant probablement que je suis légèrement vexée.
Foutue expressivité !
— Je ne cherche pas à tomber amoureux ni à hang out, et ni à rien du tout d'ailleurs. Je suis tombé sur les mauvaises personnes Callisto, et je veux simplement être sûr de moi avant de me lancer.
Je le regarde sans rien dire, la gorge nouée. J'ai l'impression que le silence dure une éternité.
Silence qu'il brise en soufflant :
— Quand est-ce que tu vas comprendre que j'aimerais sincèrement être capable de t'aimer ?
Et
mon
cœur
explose.
Je ne sais pas trop ce que j'espérais de lui, mais je sais qu'il est allé bien au-delà de tout ce que j'aurais pu souhaiter de sa part. Il vient littéralement de me dire qu'il pourrait tomber amoureux de moi. Et même si ce n'est qu'une possibilité, je sens mon imbécile de cœur battre à toute vitesse dans ma cage thoracique. Ce n'est pas ce que j'attendais, mais je le prends.
Une possibilité, ça me suffit.
— Eden... commencé-je.
Il pose alors un doigt sur mes lèvres, le regard impénétrable.
— On ne parle plus, maintenant.
Lentement, sa main quitte mon poignet et rejoint ma taille. Son contact est électrisant et ses doigts s'enroulent autour de ma hanche, doux et fermes à la fois. Je crois que j'arrête de respirer quand il prend mon autre main et la pose sur son épaule.
Je perds toute pensée cohérente quand je tends l'oreille et entend la chanson qui est diffusée par les grosses enceintes. Lucky de Jason Mraz, l'une de mes préférées.
— C'est la chanson de Drop Dead Diva, murmuré-je.
— Ah oui ?
Il ne me laisse pas le temps de vérifier dans ses yeux s'il l'a fait exprès et se rapproche encore plus de moi. Nos profils sont si proches l'un de l'autre que j'aperçois chaque détail de son visage, de ses cils particulièrement noirs et épais à la ligne de sa mâchoire, marquée mais jamais brusque.
Je n'avais jamais dansé un slow et contrairement à ce que j'avais toujours redouté, ça vient tout seul. Je ne lui marche pas sur les pieds, ne trébuche pas ni ne sait pas quoi dire. Nous écoutons simplement la chanson, sa joue tout près de la mienne.Puis, quand les dernières notes retentissent, il reste quelques secondes de plus contre moi sans bouger avant de se reculer lentement. Et à cet instant, je comprends que je me suis réellement trompée sur son compte.
Je croyais que je détestais Eden mais force est de constater que j'aimerais sincèrement être capable de l'aimer, moi aussi.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top