CHAPITRE


Je ne sais pas à quoi je m'attendais, peut-être à des brulures sur la totalité du corps, des tuyaux branchés de partout le maintenant en vie, mais pas à ça. Pas à le voir endormi ainsi, magnifique. Une boule de la taille de l'Australie se loge dans ma gorge et m'empêche de respirer. Un regard vers son visage me fait monter les larmes aux yeux, il parait si apaisé, mais si vide à la fois que cela me donne des frissons. Tyler, oh mon dieu, il faut que tu te réveilles pour moi.

Sa tête est tournée vers la porte, aussi cela donne l'impression qu'il souhaite la bienvenue aux personnes lui rendant visite pourtant il n'y a que son regard turquoise qui pourrait me faire ressentir une telle chose.

Je m'assure que la porte est fermée et m'avance encombrée de mon fauteuil vers le lit. Une fois à sa hauteur je ne sais même pas quoi faire. J'appréhende de le toucher, la dernière fois il me brulait, mais la dernière fois que nos regards se sont croisés il venait pour moi, pour m'aider... Lorsque je me rends compte de cela ma main part à l'encontre de sa joue afin de la caresser délicatement. A croire que quelqu'un la rasé et s'occupe de lui, un malaise m'envahit, j'espère vraiment qu'il s'agit de sa famille et non pas de ces petites infirmières qui s'excitent le poil des jambes dès qu'un jeune homme canon entre dans leur service. Je râle tout en agitant la tête, ça m'exaspère de penser de telles choses alors qu'il est inconscient, c'est bien le dernier de mes soucis que les infirmières prennent aussi bien soins de lui, au contraire je devrais m'en réjouir. A croire que ma possessivité ne fait que s'accroitre et n'apparait qu'aux mauvais moments. Mon cœur est tellement à l'ouest en ce moment et tellement plein de sentiments intenses et contradictoires que je reste bloqué sous le poids de mes émotions. J'ai l'impression que ma vie défile devant mes yeux, mon esprit cherche à trouver le moment où tout est parti en vrille. Pourtant la seule conclusion à en tirer devrait être ma naissance tout simplement. Je ne pense pas avoir jamais eu une pensée aussi négative à mon encontre. Me dire que rien de tout cela ne serai arrivé sans moi m'affecte au plus profond de moi, une sorte de prise de conscience peut être ou juste le désespoir de savoir que Tyler ne va potentiellement pas se réveiller.

- Je t'en prie... je murmure en caressant son visage.

Dire qu'il ne se passe rien ne serai qu'un euphémisme, le trou dans ma poitrine s'agrandit si intensément que je manque de m'étouffer par l'absence d'air dans mes poumons. Je me calme en prenant sur moi et attrape sa main proche de la mienne pour entrelacer nos doigts. Je cherche mon téléphone de l'autre et le sort afin de faire ce que j'adorais qu'il fasse. Je trouve ce que je cherche et branche mes écouteurs tout en lui en mettant un et l'autre à moi. La chanson de Aaron U-turn Lili, se fait à présent entendre dans nos oreilles. C'est le moment où je l'avais enregistré sans qu'il ne s'en rende compte. La fois ou pour moi, il avait chanté cette chanson. Il a une aussi belle voix, si ce n'est plus belle que le chanteur. Je n'ai jamais été du genre romantique ou attiré par ce genre de cliché, mais à l'époque je n'avais jamais entendu une si belle voix me chanter une si belle chanson. Je sens encore son souffle sur mon visage lorsqu'il prononce les paroles:

- Lili, take another walk out of your fake world...

La suite est fredonnée a nouveau dans mon oreille alors que je frisonne à ce souvenir. Ce soir-là, nue dans ses bras est marqué au fer rouge, il s'est ancré dans mon cœur, mon corps, mon esprit. Son regard si intense alors qu'il chante cette fabuleuse chanson, sa façon d'accentuer le « Lili » pour moi, son petit sourire satisfait lorsque ma peau se recouvre de chair de poule.

Ce souvenir est heureux, pourtant me le rappeler dans une telle situation le rend quelque peu amère. Je veux avoir la possibilité de construire davantage de souvenirs à ses côtés, je veux qu'il me redonne accès à ses magnifiques prunelles. Je veux qu'il me chante cette chanson qui nous lie. Je repose ma main sur son visage afin de capter un quelconque tressaillement faciale montrant qu'il se rend compte de ma présence, mais rien. Mon cœur ne fait que s'alourdir dans ma poitrine et une présence malsaine semble s'être logée dans ma tête, à la façon d'un chant funéraire.

- Pas question, je chuchote pour moi-même.

J'avise l'espace disponible à ses côtés dans le lit mais au vue de ma taille et des appareils auxquels il est relié la tâche risque d'être compliqué. Pourtant je pose faiblement mes pieds sur le sol, prends appuie de mes mains sur le lit et me hisse jusqu'à ses côtés avec difficulté.

Mon instinct m'ordonne de lui enlever tous les fils qui l'entravent et m'empêche de me rapprocher de lui. Je le fais, j'enlève tout délicatement, même si mon envie est aussi soudaine qu'intense, je fais attention pour ne pas empirer la situation.

Mais je ne supporte plus un seul instant de le voir relié à tout ce matériel, j'ai peur que cette image de lui aussi affaibli ne hante mes souvenirs. Aussitôt les files débranchés tous les appareils se mettent à émettre des bips incessants, je les fais taire d'une onde qui les court-circuite sur le champ et le calme revient. Je ferme le verrou de la porte afin de m'assurer que personne ne vienne m'interrompre.

Une fois ma tâche accomplie mon cœur reprend un peu de légèreté, je me blottis contre lui, pose ma tête sur son épaule et le regarde dormir. Car j'ai réussi à me convaincre qu'il ne faisait que se reposer de l'effort qu'il a fourni il y a 8jours de ça. Un sentiment désagréable s'insinue en moi pour me rappeler que c'est Will qui a fini le travail de Ty', sinon qui l'a réparé. J'explose ce sentiment à la source en me rappelant que Will aurait pu tout simplement me parler plus tôt des capacités de Johakim et de ses doutes le concernant. Nous n'en serions pas là, Tyler ne serait pas dans cette état. Et s'il m'avait trouvé avant, peut-être même qu'Hannah ne serai pas morte ! Tout est de sa faute, sinon la mienne également. Je lui en veux tellement, mais à moi-même encore plus pour ma faiblesse.

Je resserre ma prise sur Tyler et décide d'attendre son réveil, peu importe le temps que cela prendra !

Deux jours que cela dur, que je chuchote des paroles réconfortantes à Tyler pour qu'il se réveille. Je le supplie de revenir vers moi, essaie de le convaincre qu'il a assez dormi. J'essaie aussi de lui faire comprendre que je suis en train de m'attirer des ennuis par sa faute. Même si, soyons honnête je me contre fou que l'hôpital me poursuive en justice pour ma démence. Pourtant j'espère que la culpabilité l'assaille suffisamment pour qu'il se réveille et face entendre raison aux médecins. Oui, je leur bloque l'accès à la chambre depuis deux jours, oui j'ai eu toute sorte de comité devant la porte afin de me convaincre, me menacer ou m'amadouer de les laisser pénétrer dans la chambre pour s'assurer de la santé de Ty' et de la mienne par la même occasion. Mais je n'irai pas bien tant qu'il n'ira pas bien, ne pas manger pendant 2 jours supplémentaires ne me tueras pas. Et j'ai veillé à laisser la perfusion de Tyler intacte, celle lui administrant les vitamines nécessaires à son corps, enfin je l'espère.

Je me suis construite une bulle de confort, littéralement, une membrane transparente et souple entoure la majeure partie de la chambre. Cela me rassure contre la possibilité que l'une des personnes rodant autour de la porte et guettant la fin de ma crise ne puisse rentrer. J'ai également découvert que cela me rapproche de Ty', en effet depuis que j'ai érigé cette barrière entre le reste du monde et nous, nos esprits semblent connectés. Je n'ai pas encore trouvé le fonctionnement, mais j'y travaille d'arrache-pied, c'est pour cela que lorsque la voix de mon père a retentit dans le couloir pendant la matinée, j'ai augmenté l'intensité du blocage que représente ma bulle afin de couper tous les sons venant de l'extérieur.

Je sais, je sens, qu'il ne tient plus qu'à moi à ce que Tyler se réveille. Je scrute intensément son visage depuis des heures, tachant de pénétrer son esprit. Je me suis même imaginé dans la peau d'Inah afin de comprendre le fonctionnement pour lire les pensées, mais ce ne doit pas être la méthode qui m'est destinée.

Cherches en toi, me souffle une petite voix venant des profondeurs de mon esprit. J'essaie plus fort, me concentrant à présent sur moi et non sur Tyler comme mon instinct me l'indique. Plutôt que d'entrer dans sa tête, je tente de l'inviter dans la mienne. Ça fonctionne, je peux voir plus que je ne sens de petits éclairs de couleurs dans sa tête, si petits et si loin que je dois me concentrer intensément sur ces grésillements afin de capter la totalité de l'image. Mes yeux s'écarquillent lorsqu'enfin différents souvenirs passent devant mes yeux éveillés. Je vois mon visage émacié, mes traits apeurés et mon corps à moitié nu sur ce fichu matelas rouge. Une goutte de sueur froide se répand le long de ma colonne vertébrale à la suite de ce souvenir. Il provient de la mémoire de Tyler. Il est si enfoui, si loin dans sa tête que j'ai du mal à maintenir le lien, pourtant je m'y accroche comme une folle dans l'espoir d'effectuer la chose pour laquelle je nous ai isolés du reste du monde.

Mis à part ce souvenirs qui flotte dans un coin minuscule de son cerveau, Tyler ne semble présent nulle part ailleurs. Je m'inquiète de cela et la peur me rattrape, je fouille encore et encore mais la seule chose que je trouve est cette sorte de détermination qui flotte autour de son souvenir de moi. Je ne cherche pas plus, j'ai peur de perdre le lien que j'ai et de ruiner mes chances.

Je prends ses mains dans les miennes, fixe son si beau visage et prends une énorme bouffée d'air, espérant que cela soit suffisant malgré mon état lamentable. Je concentre toute mon énergie contre ce lien invisible que j'ai réussi à créer avec lui. Une fois l'intensité souhaité obtenue, non sans peine, je décide qu'il est temps d'être fixé. Je sais que c'est notre seule chance. Il n'est presque plus présent parmi nous.

Sans plus attendre je relâche la puissance retenue jusque-là, vers lui, vers cette zone de lui où il y a encore ce souvenir de moi, cette détermination à se battre. A la manière d'une onde de choc, mon pouvoir s'abat sur lui de plein fouet, mais plutôt que d'être dévastateur, il est libérateur. Comme si son cerveau était depuis des jours bridé par une sorte de mauvaise magie, à présent l'onde l'en libère, brisant cette prison dans laquelle son esprit était prisonnier.

Je peux sentir la totalité de son pouvoir reprendre possession de son corps, je peux voir la totalité de ses souvenirs devant ses yeux. Je sens sa joie de me sentir contre lui à l'instant, je ressens sa culpabilité, mais surtout je ressens son amour.

Toutes mes défenses tombent, mon énergie me quitte, la bulle protectrice éclate en morceau laissant libre accès au personnel soignant, mon corps tombe à la renverse sur Tyler, j'espère ne pas le blesser, si tôt après mes yeux se ferment pour quelque chose de doux et réconfortant.

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