Bonus
Bonus
Louis – Novembre 2004
Il faisait froid. Beaucoup trop froid pour que je reste plus longtemps dehors. Si je ne rentrais pas, ma mère me disputerait et me punirait en m'interdisant de manger ma part du dessert. Cependant, un dimanche sans dessert n'est pas un vrai dimanche. Surtout que je ne veux pas aller à l'école demain. Je vais chercher le ballon de foot que j'avais amené avec moi et le mets sous mon bras pour rentrer chez moi.
Je passe devant la maison des Larkin. J'essaie de jeter un coup d'œil à l'intérieur mais je suis trop petit puis si Lauren était chez Emily, elle serait sortie en me voyant traverser la rue. Je connais ma grande sœur par cœur. Je me gratte la joue et continue mon chemin. On habite plus loin. Il faut marcher un bon moment avant de voir notre maison isolée apparaître à la sortie de la ville, juste derrière une petite colline.
Ma mère m'a un jour raconté que cette maison appartenait à ses grands-parents. Elle y passait toutes ses vacances scolaires. C'est d'ailleurs ici qu'elle avait croisé mon père pour la première fois. Il était venu acheter une vieille voiture à son grand-père et à l'écouter, ce fut le coup de foudre, bien qu'il soit plus vieux qu'elle. Ma mère ne cesse de me répéter que cette maison a toujours été le témoin privilégié de leur amour. Je ne sais pas exactement ce que ça veut dire mais ça a toujours sonné beau dans sa bouche.
Quand je vois la voiture de mon père se dessiner à l'horizon, je me mets à courir à toute vitesse. Je ne l'ai pas vu du weekend. Comme tous les weekends parce que mon père est un coureur automobile alors qu'il y ait des courses ou pas, il part. Je ne comprends pas trop ce qu'il fait pendant les trois jours mais ça me fait rêver. J'adorerais l'accompagner mais à chaque fois, il refuse, prétextant que je suis trop petit ou trop pleurnichard.
J'ai quand même huit ans, presque neuf. Je ne suis plus un bébé. Je n'ai plus besoin de maman pour plein de choses. Elle me laisse même faire de la cuisine tout seul. Bon je n'ai pas le droit de toucher le four mais mon père ne touche jamais au four, lui non plus. Et puis, je ne pleure pas tant que ça. Enfin pas plus que mes copains à l'école. L'autre jour, quand je suis tombé dans la cour de l'école, en jouant au foot, je n'ai même pas versé une seule larme alors que ça faisait hyper mal.
Alors tout ça me fait penser qu'il ne veut peut-être pas de moi. Il a peut-être honte de moi. Je ne suis peut-être pas assez beau ou intelligent pour lui et donc, il ne veut pas me présenter tous ces amis ou me montrer comment il conduit une voiture. Pourtant, moi, j'adore les voitures. J'ai appris par cœur toutes les pièces d'un moteur, juste pour pouvoir lui montrer que je pourrais l'aider mais je crois qu'il s'en fiche.
Je dérape dans l'allée qui mène à la porte d'entrée seulement quelques minutes plus tard et entre brusquement dans le hall. Je ne prends même pas la peine de poser mes chaussures même si je sais que je vais me faire disputer par ma mère quand elle le verra mais je suis trop impatient de voir mon père. Je suis constamment entouré de filles. Ma mère, mes deux sœurs, ma grand-mère. Alors c'est toujours plaisant d'avoir mon père avec moi.
« Papa ! » crié-je en le voyant assis sur le canapé.
Mais avant que j'aie pu l'atteindre, ma mère s'interpose. Elle s'accroupit devant moi, posant ses mains sur mes frêles épaules et me dit doucement :
« Mon Lou, papa et maman doivent parler. Est-ce que tu peux rejoindre tes sœurs à l'étage, s'il te plaît ? » Me demande-t-elle, avec un petit sourire.
Mon père ne me jette aucun regard, préférant fixer l'écran noir de la télévision et je suis déçu. Vraiment déçu. Je souffle, laisse mon ballon tomber sur le sol et me précipite à l'étage. Cependant, au lieu de rejoindre la chambre de Lauren comme ma mère me l'a demandé, je m'arrête à la dernière marche de l'escalier parce que j'ai soudain un mauvais pressentiment.
Il y a... Le regard vide de mon père. Ses poings fermés sur ses genoux. Sa jambe qui tressaute constamment comme s'il était impatient de partir de là. Mon père n'est pas le meilleur père au monde, je m'en suis rendu compte en en parlant avec mes copains à l'école mais il m'a toujours pris dans ses bras quand il rentrait de ses weekend mystérieux. Mais pas aujourd'hui.
Il y a aussi... Le sourire sans joie de ma mère. Ses yeux brillants de larmes. Ses cheveux dépeignés et ce tic qu'elle a de mordiller sa lèvre. Et ce surnom « Mon Lou » ? C'est bizarre ! Elle ne l'utilise que très rarement, seulement quand ça ne va pas. Est-ce qu'elle ne va pas bien ?
Rien ne va plus, en fait. Je connais ma famille. Il y a souvent des disputes maintenant, je connais les signes avant-coureurs et la liste que je viens de faire mentalement en sont les plus évidents. Je fronce les sourcils, m'assoie et croise les bras sur mes genoux et j'écoute. Avec attention.
« Chéri, parle-moi ! »
« Te parler ? » demande la voix blanche de mon père. « Mais de quoi ? »
« De cette nouvelle. C'est une bonne nouvelle, non ? »
Une nouvelle ? De quoi parlent-ils ? Je descends d'une marche pour être sûr de pouvoir entendre la suite parce que ma curiosité a été piquée.
« Non. Ce n'est pas une bonne nouvelle. Elle est même loin d'être bonne. Tu te rends compte ? Deux de plus ? Mais je ne peux pas. Je ne pourrais pas. »
« Tu ne pourrais pas quoi ? »
La voix de ma mère est cassante soudain. Elle est énervée. Très énervée parce que, même quand je fais une grosse bêtise, elle n'a pas ce ton. Je me gratte les cheveux au niveau de ma tempe et réfléchis. Quelle terrible bêtise mon père a pu faire pour mettre ma mère dans cet état ?
« Assumer ! »
« Parce que, là, tu trouves que tu assumes quelque chose ? Sérieusement ? Tu trouves que tu es un père exemplaire ? »
« Je suis resté, non ? » s'exclame mon père.
« Resté ? Laisse-moi rire. On te voit quatre jours par semaine. Qu'est-ce que je dis, quatre jours ! Vu que je vais au travail et que les petits sont à l'école, tu nous vois à peine quelques heures ! »
« C'était notre deal, non ? Tu les gardais si j'avais mes weekends ! »
« Je les gardais ? On dirait que tu parles de meubles ou de DVD. Je te rappelle que ce sont nos enfants ! »
Un long silence suit cette déclaration. Je ne comprends pas tout mais une chose est sûre, c'est qu'ils sont en colère tous les deux.
« Ça reste à prouver... »
« Quoi ? » hurle ma mère, hors d'elle. « Tu oses... Tu as pris dix secondes pour regarder Louis ? C'est ton portrait craché ! »
« Physiquement, peut-être ! Mais quel larve, ce gamin ! Toujours là, à me quémander quelque chose. »
Dès que j'entends les mots de mon père, une douleur me serre dans la poitrine. Je grimace.
« Il veut seulement que son père s'occupe de lui. »
« Je m'occupe de lui. Je ramène de l'argent pour sa bouffe, ses habits et ses jouets. »
« Tu es un compte en banque pour lui, pas un père. Il veut des bisous, des câlins. C'est un gamin, c'est normal, il a besoin d'amour. »
« C'est des conneries ! A neuf ans, on a plus besoin d'amour. Il va falloir qu'il grandisse et qu'il apprenne qu'on ne vit pas d'amour et d'eau fraîche. »
Je baisse mon regard sur mes mains que j'ai liées malgré moi sur mes genoux et je sens les larmes naître dans mes yeux. Alors je ferme les paupières avec force pour les empêcher de couler. Il ne faut pas que je pleure sinon mon père ne m'aimera pas.
« Maintenant, il va falloir qu'il agisse comme un homme, merde ! »
« Et il prend qui en exemple ? Tu n'es jamais là et même quand tu es là, tu es avachi dans ce putain de canapé. Je fais tout dans cette baraque et toi, tu te la coules douce. Je n'en peux plus. »
« Et malgré ça, tu veux nous en pondre deux autres de plus ? T'as pas l'impression de te contredire toute seule, là, ma pauvre femme ? » Ricane mon père. « Qu'est-ce que ça peut te foutre que je sois avachi ou pas en plus ? Je ramène le fric dont t'as besoin pour les nourrir et les torcher, non ? »
Le silence qui suit ses paroles me fait presque mal aux oreilles. Je déglutis mais j'ai comme une boule au niveau de la gorge et j'ai envie de vomir.
« Tu ne veux pas de ces enfants ? » le questionne ma mère, soudain très calme.
« Bien sûr que non. Je voulais déjà pas des autres... »
Cette phrase, je la comprends. Même trop bien. Mon père ne voulait pas de moi et de mes sœurs ? Cette fois, une larme coule doucement sur ma joue, ne pouvant pas la retenir plus longtemps.
« Alors tu prends la porte. Tout de suite. » Déclare-t-elle.
« Cette maison... »
« N'est pas la tienne mais celle de ma famille. Tu ne veux pas être père ? Alors je ne veux pas de toi sous ce toit. Maintenant, tu prends la porte. » Répète-t-elle, sûre d'elle.
Tu prends la porte ? Elle veut dire quoi par-là ? Je doute qu'elle veuille qu'il démonte la moindre porte dans la maison alors ça signifie qu'elle... ne veut plus qu'il vive là, avec nous ? J'ouvre les yeux, apeuré par cette simple idée. Même si je ne le vois pas souvent, je n'ai pas envie que mon père parte de chez moi mais il semblerait que ce ne soit pas le cas de mon père. J'entends un grand raffut, suivi de bruits de verre brisé puis il apparait en bas des escaliers qu'il monte quatre à quatre. Quand il passe à côté de moi, je lève la tête vers lui mais il ne m'adresse pas le moindre mot, ni même le moindre regard.
Après qu'il soit rentré dans la chambre qu'il partage avec ma mère, les secondes puis les minutes défilent les unes après les autres avec une lenteur douloureuse. Mes larmes coulent quant à elles à toute vitesse sur mes joues encore froides à cause de ma sortie au parc. Je sursaute quand j'entends une porte claquer derrière moi. Mon père repasse à côté de moi, toujours aussi silencieux. Une fois arrivé dans le hall, il jette un dernier regard dans le salon où ma mère est toujours puis il s'évapore.
J'entends les larmes de ma mère depuis ma marche.
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Ça fait deux jours que je passe mon temps assis sur la marche de la porte d'entrée, mon ballon de foot dans les bras. Pourtant, je sais... Mon père ne reviendra pas, maman me l'a dit plusieurs fois. Toujours avec une voix calme et douce. Et elle ajoutait toujours que finalement, ça ne changerait rien à notre petite vie parfaite. Je ne sais pas ce que c'est qu'une vie parfaite pour les adultes mais pour moi, ce n'en est clairement pas une où mon propre père ne m'aime pas et m'abandonne sans un regard mais je ne l'ai pas contredit parce que j'ai vu ses larmes.
Et j'attends sur cette marche froide et humide depuis des heures et des heures. Dès que j'entends le bruit d'un moteur, je me redresse en fermant les yeux pour essayer de déterminer si c'est celui de la voiture de mon père mais à chaque fois, c'est une déception. Alors je laisse mes épaules s'affaisser un peu plus.
Je pose mon menton sur le haut de mon ballon et ferme les yeux. Ils me piquent d'avoir trop pleurés. Sans le dire à maman ou à mes sœurs, j'ai pleuré toutes les nuits depuis le départ de papa mais ça n'a rien changé. Il n'est toujours pas revenu. Alors j'attends encore, espérant qu'il comprenne que moi, je l'aime et que j'ai besoin de lui, même si ce n'est pas le cas pour lui.
Demain, à l'école, on a une évaluation de mathématiques. Les chiffres ont toujours été trop simples pour Faith et moi alors forcément, je connais ma leçon par cœur et pourtant, je la récite silencieusement dans ma tête. Plus passer le temps qu'autre chose.
« Louis ! Viens avec nous ! » M'appelle ma mère.
J'entends de la musique parvenir de la maison. Un groupe de rock que ma mère a l'habitude d'écouter. Elle dit toujours que ça lui rappelle sa jeunesse. Pour moi, elle est toujours jeune mais je n'y connais pas grand-chose.
« Louis, maman, elle veut que tu rentres, il fait froid. » M'explique la petite voix de Faith derrière moi.
Maman l'a fait exprès. Ou alors c'est Faith qui est venue d'elle-même. Ça ne m'étonnerait pas. Parce qu'elles savent toutes les deux que je ne refuse rien à Faith.
« Il viendra plus, tu sais. On est dimanche. D'habitude il arrive le jeudi ou le vendredi. Jamais le dimanche. »
Je hausse les épaules. D'habitude, il ne vide pas ses placards. D'habitude, il nous embrasse sur le front avant de partir. D'habitude, il ne casse pas un vase. D'habitude, il m'aime... Enfin je crois. S'il a changé toutes ces habitudes, il peut peut-être changer celle-ci aussi.
Je sens les mains de Faith se poser sur mes épaules. Elle se penche en avant, sur ma gauche. Elle embrasse ma joue et me souffle :
« Viens regarder comme on danse bien, s'il te plaît. »
Elle dépose à nouveau un baiser et retourne à l'intérieur en prenant bien soin de laisser la porte d'entrée ouverte derrière moi. A peine trente secondes plus tard, une musique résonne. Twist and Shout des Beatles et sans réfléchir, je lance mon ballon dans la cour et me lève. Je rentre et vais m'appuyer sur le chambranle de l'arche qui mène au salon.
Ma mère, Lauren et Faith dansent n'importe comment autour de la table basse et ça me fait sourire. Elles sont un peu ridicules mais elles sont rayonnantes. Je n'ai peut-être que huit ans mais je comprends alors que c'est comme ça que je veux toujours les voir. Aussi belles. Aussi enthousiastes. Aussi heureuses. Un sourire se dessine doucement sur mon visage tandis que je croise les bras devant mon torse.
Les musiques défilent les unes derrière les autres. Beaucoup des Beatles. Je ne me souvenais pas que ma mère en avait autant d'eux. Quand All you need is love commence, ma mère s'approche de moi, me caresse la joue en me disant :
« Tu veux manger quelque chose, tu n'as pas touché à ton petit-déjeuner tout à l'heure. »
Je ne réponds rien. Je n'avais pas faim, voilà pourquoi, je n'ai pas touché aux tartines qu'elle m'avait préparées. Ou alors c'est parce que les paroles de mon père me revenaient à l'esprit dès que je les regardais. Qu'il fallait que je ne quémande plus d'amour... ou de tartines.
« Louis ? »
« J'ai pas faim, maman ! » je lui dis finalement.
Il faut que je sois un homme. Et un homme ne se fait pas entretenir par une femme. Un homme ne fait pas de câlin les soirs avant d'aller dormir. Un homme n'a besoin de personne pour être heureux.
« Retourne danser avec les filles, maman. »
Elle me lance un dernier regard et m'obéit.
Je serai un homme à partir d'aujourd'hui.
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Hey les amis ! Je sais que vous attendiez tous le chapitre 27 et je m'excuse. J'espère que vous êtes pas trop déçus. Ces scènes me trottaient à l'esprit depuis un moment. Je voulais que vous compreniez le traumatisme qu'a vécu Louis. J'espère avoir réussi.
N'hésitez à laisser votre avis.
Un grand merci pour tout 💜
A vendredi. 😘
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