~ VI ~
Pendant un long moment, les deux groupes demeurèrent chacun en son monde. Les morts le long du mur en déliquescence, les illusions de leur jeunesse au milieu de la pièce, entraînées dans la spirale de leurs souvenirs. Loin des vivants.
« Je veux que le temps et la vie m'oublient... »
Abigail Armitage fut la première à s'avancer, sur des tibias tremblotants, dans la charpie de sa plus belle robe. Elle entra dans la ronde des danseurs, branlante et saccadée, traversant les mirages jusqu'à ce que celui de son lointain passé se confonde avec son corps décharné. Puis se fut Irina Jones, avec sa longue chevelure de feu terni où s'attardaient quelques toiles d'araignée. Puis Andrew Barnes, dont la chaîne de montre corrodée pendait encore à travers le tissu effiloché de sa redingote et Abel Mayfair, qui de son vivant avait été presque aussi mince que le mort qui n'avait plus que la peau sur les os...
La valse merveilleuse se transforma en danse macabre, jusqu'à ce que le dernier d'entre eux, Josuah Prideworth, prenne la place de sa juvénile illusion, que ses doigts aux phalanges déshabillées saisissent les mains délicates et la taille fine de Rebecca. La jeune fille virevoltait toujours, perdue dans son éternelle extase.
Mais la mort se souvenait.
Les violons se turent ; l'orchestre s'évanouit, ne laissant derrière qu'un écho dans la salle endeuillée. Les couples dont les os cliquetaient sous la peau desséchée cessèrent progressivement de tourner.
Enfin, seulement, Rebecca sorti de son rêve et porta le regard sur son cavalier : les yeux d'ambre s'élargirent, de surprise, d'horreur : ses mains se détachèrent des serres décharnées de l'être qui avait été le bel héritier des Prideworth. Ses doigts fins montèrent à sa bouche, tandis qu'elle réalisait peu à peu la nature des autres danseurs.
Une horde sinistre de corps relevés de la tombe.
« Il est temps, Rebecca », murmura Josuah Prideworth.
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