5 - Everyday is the same, don't try to change it

C'est un corps plus ou moins humain qui vient émerger du tas de couvertures au sol, les cheveux ébouriffés et les paupières tombantes.

- C'est quelle heure ?

Une voix pâteuse et grave, légèrement désorientée.

Aucun doute, c'est bien Taecrung.

Je voudrais lui hurler dessus, lui demander ce qu'il fout là, pourquoi il squatte.

Plutôt que d'aller à la confrontation cependant, je me lève, la démarche légèrement chancelante, et quitte la chambre; l'ignorant royalement.

Après avoir soulagé ma vessie, inondé mon visage d'eau froide et bu trois litres que j'ai failli vomir aussitôt ingurgités, je me dirige vers la cuisine.

Ma génitrice et le père de Taecrung sont tranquillement attablés en train de prendre leur petit-déjeuner, discutant avec bonne humeur.

Ils ont l'air d'avoir toujours des choses à se dire ces deux-là, à se demander comment ils font.

Ma mère - celle qui est sensée occuper ce rôle - m'aperçoit la première et m'interpelle, le ton réprobateur :

- Ah bah tu es là. Tu es rentré à quelle heure encore ? Tu as fait un de ces boucans ! J'en reviens toujours pas que tu as raté notre repas de famille pour aller à une..

- Je vais prendre une douche, je la coupe.

J'ai le temps de voir son mari poser une main sur son épaule en secouant la tête avant que je ne fasse demi-tour.

Ben tiens, tout de est ma faute, quel mauvais fils je fais. Je suis pas responsable si elle essaie de passer pour une mère responsable qui impressionner sa nouvelle petite famille. Il aurait peut-être fallu y penser avant de se comporter en étrangère durant tant d'années.

Alors que j'arrive dans le couloir, je tombe sur Taecrung qui en me voyant s'arrête et ouvre la bouche, comme pour me dire quelque chose. Je lui envoie un regard noir avant de le contourner, ne lui laissant pas le temps de prononcer un seul mot.

L'eau chaude me fait un bien fou et m'aide un peu à dissiper la brume qui m'envahissait. Putain ce que je peux détester les gueules de bois.

Une serviette autour de la taille et me frottant les cheveux à l'aide d'une autre, je gagne la chambre rapidement une fois passé le quart d'heure quotidien dédié à mon hygiène corporelle. J'attrape les premières fringues qui me tombent sous la main - en occurrence un tee-shirt blanc et un bermuda d'été.

Je débarque à nouveau dans la cuisine en coup de vent, tombant nez à nez avec un Taecrung attablé aux côtés des deux crétins, occupé à s'enfiler une tartine gigantesque.

Il cligne stupidement des yeux en croisant les miens, je lui renvoie un énième regard méprisant.

- Je sors, je lâche en me dirigeant vers la porte d'entrée.

- Jungkook ! intervient une voix féminine haut perchée. Tu n'as même pas déjeuné ! Et puis tu vas sortir comme ça ? Il fait encore froid ! Je..

Je laisse claquer la porte d'entrée derrière moi.


Effectivement, il fait encore froid. Le soleil est de sortie sur Daegu aujourd'hui, illuminant les rues d'une hypocrite lumière de bonheur. Et on se pèle les fesses. J'aurais du réfléchir avant de sortir en short en janvier. Plutôt crever que de faire demi-tour toutefois.

Je fais quelques mètres et attrape mon paquet de clopes dans la poche de mon bermuda. Alors que je suis en train d'en allumer une, une voix m'interpelle et un bruit de pas précipités se fait entendre derrière moi.

- Jungkook, attends !

Avec un soupir, je pivote sur mes talons et avise Taecrung, courant en ma direction.

- Putain, tu vas vraiment jamais me lâcher, je grogne.

- Tu vas où ? m'ignore-t-il.

C'est une bonne question, ça. J'en ai aucune idée. Je voulais seulement les éviter, lui et les deux autres imbéciles.

J'hausse les épaules et reprends ma route, ce crétin me suivant comme un petit chien.

- Au fait, je voulais te dire ! Moi c'est Taehyung, pas Taecrung.

Je prends une longue taffe et, après avoir recraché la fumée, je lâche :

- Je m'en fous.

- Non mais vraiment, comment t'en es venu à Taecrung ? J'ai jamais rien entendu d'aussi moche !

Je ne réponds pas, aussi il continue :

- Oh, je sais où on pourrait aller ! Tu es déjà allé prendre un bubble tea ? Je connais le meilleur endroit du coin et..

- Putain Taecrung, Taehyung ou merde ! Tu comprends pas que j'ai pas envie de te parler ?

Il ferme aussitôt la bouche, prends un visage de chaton déçu.

Je roule des yeux et prends une nouvelle taffe de ma cigarette.

Nous marchons en silence durant de longues minutes, je prends inconsciemment le chemin du parc de l'autre jour.

Alors que nous arrivons, Taehyung s'exclame à nouveau d'une voix surexcitée :

- Oh, tu es déjà venu ici ? Ce parc est..

Je lui lance un regard glacial et il se tait aussitôt.

- Pardon, dit-il d'une petite voix.

Ce gars est un vrai gamin. Je ne le connais pas plus que ça voire pas du tout, mais ça crève les yeux. Un gamin lunatique. Un coup il se moque de moi et rigole pour un rien, un coup il me prend de haut et l'autre il se comporte comme un enfant apeuré.

Je pousse un soupir las et entre dans le parc. J'aurais tellement préféré être seul.

Nous marchons côte à côte en silence durant de longues minutes, les graviers blancs crissent sous nos pas, les oiseaux chantent. Nous sommes dans une ambiance de conte de fée et je ris, sarcastique. Deux crétins dans un décor digne de la Belle au Bois Dormant.

- Pourquoi tu ris ? me demande Taehyung, et je sais que ça le démangeait de parler à chaque seconde de ce court laps de temps.

- Parce que t'as une gueule de con, j'aurais aimé rétorquer.

Faut croire que je suis encore trop gentil pour ça. A la place, je lâche un simple "Pour rien", avant d'accélérer le pas en direction de la rivière.

Je ne saurais expliquer pourquoi, mais l'eau m'apaise, elle m'offre un sentiment de sérénité que je ne saurais trouver nulle part ailleurs. J'aimais à Busan me promener seul sur la plage, en toutes occasions mais particulièrement la nuit, lorsqu'il n'y avait plus personne, et à écouter le bruit des vagues en contemplant cette immensité incomprise.

Encore une chose qui me manque depuis que j'ai emménagé à Daegu.

La rivière du parc est le substitut qui s'en rapproche le plus, je suppose.

Je traverse le ponton de bois qui surplombe l'eau et mène à une petite plate-forme de bois perdue dans cet univers liquide. Je vais m'asseoir sur un banc solitaire, ferme les yeux quelques instants, prends une grande inspiration. L'air vicié de ce monde que j'hais tant viens se frayer un chemin en moi, apportant la vie à mes cellules.

Je pense au fond de moi que vivre est un choix, que chaque respiration est une décision. En acceptant l'oxygène salvateur l'on accepte ce monde et tout ce qui va avec.

Et moi qui suis trop lâche pour le refuser, à ma manière j'exprime ma rancœur à cette réalité qui me déplaît.

J'allume une nouvelle cigarette et amène ces quelques centimètres de mort condensés à mes lèvres.

- Ta mère sait que tu fumes ?

Je reviens à la réalité brutalement. Il sait se faire tellement discret qu'on l'oublie quand il le veut, ce con.

Je ne sais pas ce que j'ai fait à ce monde pour qu'il me refuse même la solitude.

Je pousse un profond soupir, décide sans même savoir pourquoi de répondre.

- Elle sait. Je fumais même à côté d'elle, une période. Elle prétend ne plus savoir en revanche, et si tu venais à lui dire elle jouerait la scandalisée.

Taehyung se tait durant quelques minutes avant de reprendre, d'une voix douce :

- Tu vas m'en vouloir de te poser la question et il y a de loin un millier de personnes à qui tu préférerais parler, mais Jungkook, pourquoi tu hais autant ta mère ?

Oui, je le déteste de me poser la question. Parce qu'il est un indésirable dans ma vie, qu'il vient s'y creuser son trou sans me demander mon avis et qu'il se mêle de choses qui ne le regardent pas et qu'il ne peut pas comprendre.

Je le déteste. Je déteste Taehyung. Je le déteste parce qu'il a tout ce que j'aurais demandé. Ma mère ne m'aime pas, ça crève les yeux. Je n'ai subi que de l'ignorance et de l'indifférence depuis tant d'années, sans une explication, sans que l'on ne me dise ce que j'ai fait de mal. Il a suffi à Taehyung de se pointer avec son père pour me gagner son amour. Cela fait si longtemps que j'attends avec un désespoir de plus en plus en profond qu'elle se comporte à nouveau en mère, et lorsque enfin elle le fait, ce n'est pas pour moi, mais pour le fils d'un autre. Alors oui, je déteste Taehyung, du plus profond de moi.

Alors je me suis créé un masque, afin de ne pas avoir l'air pathétique, afin de me protéger. C'est un masque si rigide que je ne pense pas qu'il puisse encore se briser. Un masque d'indifférence, de colère et de mépris pour cacher la peine et la douleur.

Je ne sais même plus si je me mens à moi-même en disant cela, mais je peux affirmer aujourd'hui ne plus attendre le retour de ma mère. J'ai patienté durant bien trop longtemps. En cessant de se comporter en génitrice, elle a détruit a petit feu ce qui faisait de moi son fils.

De la haine, il m'en reste. C'est différent de la jalousie je suppose, car je ne voudrais pas ce que Taehyung a. Je lui en veux simplement de l'avoir, je lui en veux car dans ce qui l'a je peux voir les reliques de mon adolescence, un adolescent qui ne demandait qu'à être heureux.

Mais c'est comme ça. Le masque et moi avons fusionné. Aujourd'hui, il est moi, l'indifférence, la colère et le mépris sont mes caractéristiques principales.

Je l'ai porté durant trop longtemps. Je ne sais plus qui j'étais à l'époque, mais ce Jungkook n'est plus.

L'indifférence, la colère et le mépris. C'est moi.

- Je la hais, parce qu'il n'y a rien chez elle qui ne soit digne de mon amour.

Taehyung tressaille. Autant de violence dans les mots, il ne doit pas être habitué.

Il reprend en un murmure qui se veut réconfortant :

- Et qu'a t-elle fait pour perdre ton amour ?

Je ferme les yeux quelques secondes. Quand je les rouvre, mon regard est de glace. Je ne me laisserais plus savoir.

- C'est comme ça Taehyung. C'est comme ça et c'est tout. Je ne l'aimerais jamais, je ne t'aimerais jamais et je n'aimerais jamais ton père. Je vous méprise et je vous hait. Il n'y a pas d'explication, aussi il n'y a rien qui puisse changer cela. C'est un fait, tout simplement.

Je me lève , lui tournant le dos pour ne pas voir son visage que je sais affreusement peiné.

- Maintenant, si tu veux bien, j'aimerais bien rester seul. La solitude est infiniment plus plaisante que ta compagnie.

Taehyung reste silencieux quelques instants, et quand il prend la parole, son ton est si las que j'ai l'impression d'entendre quelqu'un qui n'a plus aucun espoir et qui se contente de suivre le vent, peu importe la direction dans laquelle il le pousse.

Impression qui ne colle définitivement pas à Taehyung.

Je ne le connais pas depuis longtemps, mais je sais qu'il n'est pas ce genre de personne. Ou du moins, qu'il ne se comporte pas comme cette personne.

- Tu sais Jungkook, je n'ai pas choisi non plus cette situation. Mon père s'est trouvé une nouvelle copine, c'est comme ça, je n'ai pas eu plus que toi mon mot à dire. Je n'ai pas eu le choix que de te laisser ma chambre, je n'ai pas eu le choix de t'avoir comme frère. J'essaie simplement de ne pas rendre les choses plus compliquées qu'elles ne le sont. J'essaie de faire en sorte que tout se passe le mieux possible, pour lui, pour ta mère - parce que Jungkook, même si tu la hais, elle reste ta mère - pour moi-même, et pour toi aussi.

Il se leva à son tour, fit un pas vers moi.

- Si tu ne veux faire aucun effort, au moins prétends. Tu as l'habitude de prétendre de toute manière, n'est ce pas ?

Et juste comme ça, il s'en va, et je reste bêtement là, à le regarder s'éloigner.

S'il savait comme il a tord.

Je ne me suis cependant jamais senti aussi seul.


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