MAISONS AMOVIBLES DE RENONCEAUX

Il est une ville dans la vallée de la Bielle où les assureurs considèrent les biens immobiliers comme mobiliers : à Renonceaux, les résidences sont toutes intégralement démontables et transportables en pièces détachées. En raison d'une croyance ancestrale voulant que la ville soit frappée d'une sourde malédiction si elle demeure trop longtemps sur place, les Renoncellois désossent leurs maisons à intervalles plus ou moins réguliers, pour les remonter un peu plus loin.

La date du mouvement est fixée par un conseil municipal réuni autour d'un lâcher de ballons, suivant deux règles : le sens du vent détermine la direction du prochain déplacement, et la couleur du dernier ballon aperçu dans le ciel avant de disparaître en détermine le jour. Il arrive que, sur ce dernier point assez subjectif, un bref pugilat soit nécessaire, mais on finit toujours par se mettre d'accord.

Un groupe d'éclaireurs est alors constitué pour aller repérer et préparer le terrain d'installation. Ils devront choisir un endroit praticable, qui n'empiète pas sur le territoire d'une commune existante (il peut à la marge déborder légèrement sur une propriété privée, ce qui est moins grave), puis tracer au sol les contours des maisons et le parcours des rues, préalablement à l'arrivée des bâtiments. Les anciens sites d'implantation de Renonceaux, dont les traces s'estompent rapidement, sont encore visités de temps à autre par les oisifs et les nostalgiques qui peinent à entrevoir que, d'une telle pratique, rien ne saurait résulter de bon. Quant à l'agencement des maisons, il change à chaque nouvelle incarnation, les Renoncelliens voyant la fixité du plan, à l'instar de celle du terrain, comme mortifère, et pensant par cette habile manœuvre déjouer encore la menace obscure qui pèse sur la ville.

Quelle menace, au juste ? Personne ne le sait, ou du moins, personne n'en parle. Cataclysme céleste ou tellurique ? Déluge épique ou pluie de pierres brûlantes ? Peut-être s'agit-il simplement d'une peur atavique de la pétrification, de l'inertie qui gagne et sclérose les villes trop statiques : cesser de bouger serait pour eux cesser de vivre...

Même s'il faut concéder un fond de vérité à cette idée, il suffit de regarder les autres communes de la vallée de la Bielle pour constater l'évidence : qu'arrive-t-il aux villes qui ne bougent pas ? Rien de bien particulier. Certaines, même, croissent et prospèrent avec une curieuse forme d'insolence. Alors, de grands benêts pétris de superstition, les nomades Renoncelliens ? Toujours moins que les habitants de Violonceaux, qui s'obstinent à penser que le ciel leur tombera sur la tête s'ils cessent un jour de jouer de leur grossier instrument (or, comme vous le diront avec aplomb les habitants d'Embrumont qui en savent quelque chose, il n'y a aucun, mais alors aucun rapport).

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