Partie I
One shot écrit par Danaerse.
Préventions : Violences physiques et morales.
「 Jiji 」
Les murs de la pièce étaient peints d'un gris froid et sans vie. Une ambiance sinistre et lugubre flottait au-dessus d'un jeune homme qui se tenait assis sur une chaise face à un bureau métallique. Sa position avachie et ses yeux vitreux démontraient son intense état de fatigue – ou sa consommation un peu trop poussée de Whisky depuis ces derniers jours.
Depuis ce fameux jour.
Il regardait d'un œil morne la petite boule de papier juste à côté de la poubelle, qui se situait au coin de la pièce, en se faisant la réflexion inutile que quelqu'un avait sûrement raté son coup. Il pensa pendant un instant à se lever et à aller la jeter lui-même, car il détestait ce genre de choses. Il était méticuleux, organisé : tout devait être à sa place. Alors oui, cette boule de papier le dérangeait fortement puisqu'elle n'avait absolument rien à faire par terre. Il secoua la tête, affligé par lui-même et entreprit de tourner son regard vers la seule fenêtre du bureau, admirant les gouttes de pluie claquées contre les carreaux. Le ciel pleurait, c'était un temps déprimant que le brun aurait préféré passer chez lui.
« Ai-je bien fermé les fenêtres du salon ? pensa-t-il »
Il s'ennuyait à mourir. Deux heures qu'il attendait dans ce petit espace exigu à l'ambiance bien loin d'être chaleureuse. Pourtant, on lui avait demandé de venir, alors pourquoi le faire autant attendre ? Ce n'était pas très professionnel de la part de l'agent Choi.
Un cliquetis interrompit le silence seulement entrecoupé par le bruit de la pluie et le brun tourna la tête en direction de la porte.
Un homme d'âge mûr, dans la cinquantaine, peut-être, venait d'entrer, sa veste à la main. Il était habillé d'un pantalon noir qui semblait légèrement trop grand pour lui. Il flottait dedans comme un petit garçon qui aurait voulu essayer les vêtements de son papa avant de s'autoproclamer être une grande personne. Ses bretelles semblaient sur le point de rendre l'âme et ses cheveux étaient ébouriffés à cause de la pluie.
Personne ne prête jamais vraiment attention à la tenue vestimentaire d'une personne lorsque celle-ci semble propre sur elle. Mais lui avait remarqué la petite tache de café sur l'encolure blanche de sa chemise, il avait remarqué les traces d'usures sur le bout de sa chaussure gauche et avait même aperçu la marque qu'avait laissée son alliance sur son annulaire. Divorce ? Décès ? Il ne le savait pas, mais il l'avait remarqué. Parce que les détails, il les remarquait avec une rapidité sans égale.
L'homme referma la porte derrière lui et s'avança sans un mot avant de prendre place de l'autre côté de la table, face au brun. Il déposa sa veste sur le dossier de sa chaise, retira deux des premiers boutons de sa chemise, retroussa ses manches et fit racler sa chaise dans un bruit horripilant pour se rapprocher de la table.
Le policier l'observa un long moment, les coudes sur la table, et il semblait qu'enfin ce fût lui qui l'analysait.
Il se racla la gorge et se redressa légèrement sur sa chaise.
– Vous avez mis du temps.
Choi Dong-Sun esquissa un rictus avant de se lever et de se diriger vers une commode aussi grise que les murs du bureau et d'en sortir un dossier d'un des 4 tiroirs. Il l'ouvrit un bref instant, toujours debout et hocha la tête pour lui-même avant de se rasseoir à nouveau. Une fois installé, il ouvrit le dossier, prit une feuille blanche, et la fit glisser jusqu'au brun qui la regarda en fronçant les sourcils.
– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il en relevant la tête vers Dong-Sun.
Celui-ci récupéra un stylo de la poche intérieure de sa veste avant de le poser sur la feuille.
– Ma fille est fan de vous, répond-il en haussant les épaules.
Il crut à une mauvaise blague. Cet homme se foutait-il de sa gueule ?
– Je doute que vous m'ayez fait venir jusqu'ici seulement pour ça, agent Choi, dit-il sarcastiquement.
Dong-Sun se gratta la tête avant de soupirer.
– Cela peut attendre, en effet, dit-il.
Il ouvrit à nouveau le dossier et son regard se bloqua sur quelque chose. Le brun remarqua qu'il semblait nerveux, mal à l'aise. Choi Dong-Sun ne cessait de faire des va-et-vient entre lui et ce qui se trouvait dans ce dossier. Le vieil homme soupira finalement et sortit deux photos qu'il posa à plat devant le brun.
– Connaissez-vous ces deux personnes ?
Il jeta un bref coup d'œil aux clichés avant de tourner la tête en déglutissant. Il frotta ses mains contre son pantalon, habitude qu'il pensait avoir perdue depuis longtemps, mais qui semblait s'être manifestée à nouveau ces derniers temps.
– C'est une question stupide, murmura-t-il, la voix tremblante.
Dong-Sun laissa échapper un nouveau soupir, fatigué. Ses heures de travail n'étaient pas des moindres et avec toute la paperasse qui l'attendait sur son bureau, il savait qu'il aurait à peine le temps de prendre une pause pour boire un café. Il sortit un dictaphone de la poche de son pantalon avant de le poser sur le bureau et d'enclencher le bouton d'enregistrement.
– C'est la procédure, monsieur Jeon, répond-il machinalement. Pouvons-nous commencer, maintenant ?
Le brun acquiesça faiblement et remua légèrement sur sa chaise. Il fixa quelques instants le dictaphone, hésitant. Quelqu'un allait avoir une copie de cette histoire et il n'aimait pas cette idée. Il savait aussi qu'il n'avait malheureusement pas le choix.
– Jeon Jungkook, connaissez-vous les deux personnes présentes sur ces photos ? demanda à nouveau l'agent Choi.
– Oui. Oui, je les connais. Enfin, connaissais... reprit-il plus doucement.
Oui et non. Il les connaissait vivants. Pas de la manière dont ces photos les représentaient : vides, sinistres... Morts, tout simplement. De toutes les photos que ce flic aurait pu lui montrer, il fallait que ce soit celle-ci. Celle qu'il s'empêchait désespérément d'imaginer la nuit lorsque ses insomnies faisaient surface. Il n'avait pas pu la regarder bien longtemps. L'espace d'un bref instant, d'un battement d'ailes, d'un clignement de paupière. Mais c'était assez pour que cette image reste gravée dans sa tête. Sa mémoire avait imprimé ce sourire, ces yeux vides et froids. Il avait eu le temps de voir du rouge aussi. Beaucoup de rouge.
– Pouvez-vous décliner leurs identités.
Jungkook leva les yeux au ciel, irrité.
– Tout le monde sait de qui il s'agit !
Dong-Sun tapota les photos en signe d'avertissement et Jungkook inspira profondément en fermant les yeux comme pour se donner du courage.
– Kim Taehyung et Park Jimin.
– Bien, répondit l'agent Choi. Quelle relation entretenez-vous avec ses personnes ?
– Entreteniez, corrigea-t-il en prenant une des photos et en l'agitant devant Dong-Sun. Ils ont l'air encore en vie pour vous, peut-être ?
Dong-Sun se gratta la tête, gêné.
– Je suis désolé, il est quelques fois préférable d'agir comme tel auprès des proches pour ne pas les bousculer lorsque nous les interrogeons...
– Ne le faites plus, le coupa-t-il.
Jungkook tourna à nouveau le visage vers la fenêtre, pensant que ce temps était à l'image de son humeur. Il ne servait à rien de parler d'eux au présent, ça ne changerait strictement rien. Peut-être que cela aidait les autres, mais pas lui. Ils étaient morts. Il était mort. Et parler d'eux au présent n'allégerait pas la douleur.
– Bien. Je ne le referai plus, dit doucement Dong-Sun. Donc, quelle relation entreteniez-vous avec Park Jimin et Kim Taehyung ?
Jungkook sourit. D'un sourire triste. Le genre de sourire rare à esquisser. Celui qui nous froisse le cœur. Celui que nous faisons lorsque l'on sait quelque chose parti à jamais, mais que nos souvenirs nous y rattachant surgissent dans notre esprit. Des souvenirs que l'on préférerait oublier alors qu'ils nous sont pourtant si précieux. Celui qui a la forme du regret, de l'amertume, mais surtout de la résignation. Le jeune homme tourna à nouveau la tête vers l'agent Choi, toujours cette ligne imparfaite courbant ses lèvres.
– Vous n'êtes pas sans savoir qu'il est de notoriété publique que Jimin et moi étions des amis proches, comme des frères. Nous avons commencé dans le show-business ensemble et avons tourné de nombreux films côte à côte.
– C'est exact.
Jungkook se rapprocha de l'inspecteur en posant ses coudes sur sa table et en faisant à son tour grincer sa chaise sur le sol, faisant tiquer Dong-Sun.
– Jimin était une étoile montante du cinéma, il était incroyable. Sa carrière aurait été brillante. Il avait cette manière de jouer... Comme si chaque rôle s'adaptait à lui et non le contraire, dit-il avec conviction avant de soupirer. Il m'arrivait de le jalouser pour cela.
L'agent Choi hocha la tête.
– Et Kim Taehyung ?
Jungkook enleva ses coudes du bureau et s'avachit à nouveau sur sa chaise, la mine bien plus sombre.
– Pas personnellement, je ne l'ai vu qu'une seule fois, mais je ne lui ai jamais parlé. Il était du genre inaccessible, difficilement approchable, commença-t-il.
– Pourtant, Jimin l'a fréquenté.
– Jimin l'a fréquenté, acquiesça-t-il.
Dong-Sun fronça les sourcils.
– Comment a-t-il fait ?
– Jimin était du genre à faire ami-ami avec tout le monde, répondit le brun en craquant ses doigts. Il était ce genre de personne douce et chaleureuse que tout le monde voudrait avoir à ses côtés. Le succès ne lui a jamais monté à la tête, il est toujours resté humble. C'est une qualité que peu de personnes travaillant dans ce monde arrivent à garder, vous savez ?
– Vous ne l'êtes pas ? demanda l'agent Choi en souriant.
– Il m'est arrivé d'être exécrable par moments, affirma-t-il. Jimin... Les gens avaient tendance à le croire un peu trop naïf.
– Était-ce le cas ?
Jungkook secoua la tête.
– Non. Il avait juste une joie de vivre intarissable, il souriait tout le temps et était toujours de bonne humeur.
– Mais son humeur a peu à peu changé après sa rencontre avec Kim Taehyung, n'est-ce pas ?
Jungkook baissa le regard. La vague de remords qui l'envahit lui fit monter les larmes aux yeux.
– Oui.
Dong-Sun savait que ce n'était que le début. Seulement des préliminaires. Ce qu'il s'apprêtait à entendre était l'avant-première du plus gros scandale secouant cette année 1954. Les journaux s'arracheraient ce scoop et le déformeraient à leurs convenances, réduisant la vie qu'eurent ces deux artistes à un simple bénéfice. Leurs morts étaient leurs gains.
Quelle triste réalité.
– Racontez-moi leur histoire, invita-t-il.
Jungkook essuya ses yeux à l'aide de la manche de son polo vert et regarda l'agent en face de lui de ses yeux rouges.
– Par où devrais-je commencer ? demanda-t-il d'une faible voix.
– Par le début.
– Cela risque d'être long.
Dong-Sun se leva et alla récupérer le cendrier posé sur la commode avant de se rasseoir et de sortir son paquet de cigarettes ainsi que son zippo de l'une des poches de sa veste.
– J'ai toute la nuit s'il le faut, répondit-il d'un petit sourire compatissant.
Jungkook acquiesça, ravala ses dernières larmes et se prépara mentalement à cette épreuve douloureuse qui se profilait devant lui.
– Jimin était une étoile montante du cinéma, mais Taehyung...
Jungkook le fixa, le regard rempli d'émotions.
– Taehyung était déjà une légende.
*
– Coupez !
Dans la petite ville limitrophe de Séoul, Namyangju, le tournage du film « Du Hyeongje » venait de conclure une des scènes clés de l'histoire. L'effervescence des studios battait son plein, le réalisateur et le cameraman étaient en train de discuter des prochaines scènes à tourner, le chef décorateur criait sur son équipe à propos d'une finition mal foutue d'un des décors, les maquilleurs et costumiers se bousculaient en courant à travers les studios et les figurants admiraient autour d'eux, les étoiles plein les yeux. Le petit blondinet assis sur sa chaise attitrée, avec son nom brodé à l'arrière, applaudit les acteurs avant de se lever et de se diriger vers le brun en trottinant, un grand sourire peint sur ses lèvres pleines.
– Tu as été super, Jungkook !
Le susnommé fini de boire la bouteille d'eau qu'un des assistants venait de lui donner avant de s'essuyer la bouche à l'aide du dos de sa main.
– J'ai oublié mon texte, Jimin, répondit le brun, blasé.
Il commença à marcher à travers les studios, ne se préoccupant pas de savoir si son meilleur ami le suivait, trop contrarié par sa performance qu'il qualifierait de lamentable.
– Mais tu t'es rattrapé, renchérit le blond avant de prendre son comparse par la manche et de le tourner face à lui.
Jimin savait que son meilleur ami avait tendance à se sous-estimer, à se comparer à d'autres acteurs dont la carrière avait déjà atteint son apogée. Il n'avait pas compris qu'il devait s'en inspirer, et non se comparer à eux. Or Jungkook était tellement obnubilé par le fait d'atteindre la perfection, que son style se fanait peu à peu et Jimin était toujours là pour le ramener sur terre. Il était hors de question qu'il devienne une pâle copie des autres. Jungkook le regarda, sachant d'avance ce qu'il allait lui dire.
– Arrête de te sous-estimer.
Le brun leva les yeux au ciel. La voilà, cette fameuse phrase.
– Je sais.
Jimin sourit et le prit par l'avant-bras, l'accompagnant jusqu'à sa loge pour se changer. Le blond, lui, avait terminé ses scènes depuis déjà deux heures mais attendait Jungkook car il n'était pas rare que les deux amis sortent le soir pour décompresser après une journée de tournage. À peine Jungkook eut-il fini de placer ses bretelles que Jimin le prit à nouveau par le bras pour l'entraîner hors des studios.
– On a fini pour aujourd'hui, commença-t-il avec entrain. J'ai entendu dire qu'il y aurait du monde au Seven's ce soir... On y va ?
Le Seven's était un bar sélect à Séoul, où tout le gratin de la ville se retrouvait. Acteurs, modèles, chanteurs, riches héritiers et hommes d'affaires laissaient tomber leur rôle social pour s'amuser. Interdit aux journalistes, ce bar était devenu un lieu incontournable pour se détacher de la pression quotidienne qui pesait sur leurs têtes. Jimin et Jungkook n'y allaient qu'à de rares occasions, mais étaient toujours aussi intimidés par les personnes présentes. Bien qu'ils fassent tous deux partis de ce monde, ils avaient toujours l'impression d'être à côté de requins une fois entrés dans cette atmosphère pleine de luxe et d'interdit. Ils se sentaient minuscules.
– Ta voiture ou la mienne ?
Cette question réjouit Jimin qui s'avança vers une magnifique Jaguar XK 120 roadster gris à couper le souffle. Il avait fait l'acquisition de ce petit bijou à la suite de son dernier film qui était devenu un succès incontournable de 1953. Cette Jaguar fut un coup de tonnerre lors de sa sortie avec son moteur à double arbre à cames, ses lignes élégantes et ses performances annoncées. Une instrumentation complète, un intérieur en cuir Connoly... Jimin s'était fait plaisir. Jungkook devait avouer que c'était une vraie beauté. Mais pour son meilleur ami, il ne s'agissait pas seulement d'une voiture. Il parlait d'elle comme si c'était sa meilleure amie, son petit bébé, ce qui avait souvent tendance à l'exaspérer. Le blond lui avait même donné un surnom ridicule, mais il n'arrivait plus à s'en souvenir. Pourtant, il l'avait sur le bout de la langue. Quel était le nom stupide que ce crétin avait donné à sa voiture déjà ?
– On prend Jaggie, chantonna le blond, le sortant de ses pensées.
« C'est ça ! », pensa-t-il.
Jaggie.
Ridicule.
Jungkook le lui avait dit un nombre incalculable de fois, mais le blond n'en faisait qu'à sa tête alors il avait vite abandonné l'idée de lui faire entendre raison. Une fois installés sur les sièges confortables en cuir bruns, ils s'engagèrent sur la route pour rejoindre la capitale. Le chemin pour rejoindre Séoul n'était pas très long, peut-être une trentaine de minutes, alors en attendant, les deux hommes discutaient des prochaines scènes du film et appréciaient le vent qui venait fouetter leurs visages en cette fin de soirée printanière.
Une fois arrivés en ville, l'ambiance fut tout autre. Jungkook admirait l'effervescence de la capitale avec attention. Les gens rentraient chez eux, laissant tout le loisir au beau brun de les détailler. Il aperçut un homme dans la trentaine qui pédalait sur son vélo avec un petit garçon haut comme trois pommes installé sur le porte-bagages arrière, tenant fermement de ses petites mains le pull de l'adulte. Il détailla la petite moue de l'enfant et se concentra sur l'expression irritée de ce qu'il pensait être son père. Alors, son regard dévia jusqu'à la petite tache de sang sur le pantalon du garçon et il sourit pour lui-même. Peut-être allait-il se faire gronder par maman lorsqu'elle verra qu'il a abîmé son beau vêtement...
– Tu m'écoutes ? !
Jungkook tourna brusquement la tête vers Jimin qui le regardait de ses yeux de biche. Son air contrarié ne lui faisait ni chaud ni froid. Il haussa simplement les épaules, voulant retourner à son occupation, mais il n'y avait déjà plus de traces du vélo. Ils étaient partis. Alors, il soupira et décida de donner un peu de son attention à son meilleur ami.
– Désolé, j'étais dans mes pensées... De quoi parlais-tu ?
Jimin leva les yeux au ciel. Il savait très bien à quoi était occupé Jungkook pour ne pas l'écouter.
– Qui sera présent au Seven's ce soir ?
Jungkook le regarda en fronçant les sourcils.
– Comment veux-tu que je le sache ?
– À ton avis, tête de nœuds ? ricana Jimin.
Jungkook réfléchit sérieusement à la question. Il avait l'impression de voir des personnes différentes à chaque fois qu'ils y allaient, mais certaines têtes revenaient fréquemment. Si les deux meilleurs amis n'y mettaient pas les pieds souvent, ils se doutaient bien que d'autres y passaient quasiment toutes leurs nuits.
– Ceux qu'on a vus les trois fois précédentes seront là, je suis prêt à le parier. Le reste... J'imagine que ce sera une surprise.
– Je suis impatient, s'excita le blond en souriant grandement.
Le brun se tourna vers lui, une moue sévère durcissant ses jolis traits.
– Je t'interdis de jouer au poker comme tu l'as fait la dernière fois, Chim, le sermonna Jungkook.
Il s'en souvenait encore. Son meilleur ami, sociable comme il était, s'était fait embarquer par une bande de vieux bonnets de l'industrie du divertissement pour jouer une « petite partie amicale ». Partie amicale qui avait coûté bien cher au blondinet. Jungkook avait dû intervenir en voyant sa position de faiblesse. Jimin avait légèrement trop bu et ses adversaires s'en étaient frotté les mains.
– C'est promis, papa, ricana-t-il en réponse.
Le silence retomba alors dans la voiture et le brun pouvait discerner au loin la devanture luxueuse du Sevens's. Ils étaient arrivés.
– Ce serait bien si la Quinte Flush était là...
*
– « La Quinte Flush » ? le coupa Dong-Sun.
Jungkook claqua sa langue contre son palais, irrité d'avoir été coupé aussi brutalement.
– Jung Hoseok, Kim Namjoon, Min Yoongi, Kim Seokjin et...
– Kim Taehyung, le devança-t-il.
Jungkook hocha la tête.
– On les appelle comme ça dans le milieu, commença-t-il. La Quinte Flush. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu'ils ont tendance à souvent se montrer ensemble. Bien qu'ils soient de milieux différents, c'est comme si à eux cinq ils ne formaient qu'une seule identité.
Jungkook tapota ses doigts contre la table et mordilla sa lèvre inférieure.
– La Quinte Flush est une réunion de cinq cartes de la même couleur au poker.
– Comme Jimin et moi, ils étaient inséparables, continua-t-il. Mais ils venaient rarement au Seven's. Jamais quand nous y étions en tout cas.
– Jusqu'à ce fameux soir.
– Jusqu'à ce fameux soir, confirma Jungkook.
*
Le Seven's ne correspondait en rien à un bar luxueux de façade. Il était en brique sombre, ne possédait qu'un panneau lumineux en lettres dorées et des fenêtres recouvertes d'un rideau noir ne laissaient rien paraître de l'intérieur. La première fois que Jungkook était venu, il s'était fait la réflexion que la bâtisse ressemblait à un petit cabaret ou à une maison close comme on pouvait en trouver dans les quartiers déserts du sud de la ville. Mais il se disait aussi que le Seven's pouvait remplir parallèlement ces deux critères. L'intérieur possédait une scène dont le parquet était en bois et les extrémités étaient recouvertes d'épais rideaux rouges où des danseuses en tenue légère se trémoussaient devant des hommes aux regards lubriques et des femmes envieuses. Il n'était également pas rare que certaines célébrités repartent ensemble, chez l'un ou chez l'autre, une fois l'heure de la nuit bien avancée. Mais ce qui se passait au Seven's restait au Seven's, c'était la règle. Loin de lui l'idée de penser que les célébrités féminines présentent à ce bar étaient des prostitués, disons juste que, comme dans une maison close, les hommes y trouvaient souvent leurs comptes. À la différence qu'au Seven's, ils ne payaient pas le moindre sou de leurs fortunes astronomiques pour profiter du plaisir de la chair.
Si l'extérieur n'avait rien d'attrayant, l'intérieur était tout autre. Jungkook et Jimin ne se lassaient jamais d'admirer l'immense lustre en cristal pendant qui donnait au bar une allure de palace. Jungkook aimait particulièrement les moulures dorées du plafond. Il trouvait cela si raffiné et pouvait passer sa soirée entière à les détailler. Des tables rondes recouvertes de nappes blanches étaient positionnées un peu partout dans la grande salle, décorées seulement d'une unique bougie dont la lueur vacillait doucement, comme si la flamme dansait sensuellement pour eux. Au fond à gauche, c'était là qu'il y avait le plus d'ambiance car c'était à cet endroit que les accrocs aux jeux s'adonnaient à leur petit pêché. L'on pouvait entendre des exclamations de joie, des grommellements, des conversations houleuses et des éclats de rire. La seule chose que Jungkook et Jimin avaient du mal à supporter était cette épaisse brume de fumée qui embaumait la pièce et qui flottait autour d'eux. Cette odeur âcre et toxique qui se collait à leurs vêtements sans vouloir partir comme un démon qui s'enticherait d'une âme faible.
– Je n'y crois pas...
Jungkook tourna la tête vers Jimin. Ils étaient toujours plantés là, au beau milieu de la pièce, comme s'ils attendaient de s'être suffisamment imprégnés du lieu, de l'avoir amadoué, pour faire un pas de plus. L'attention du blond était rivée sur une table et Jungkook suivit son regard pour tomber sur une vue qui le fit écarquiller les yeux.
C'étaient eux.
La fameuse Quinte Flush était là, assise autour d'une table, fumant et parlant sans se soucier des yeux scrutateurs qui les observaient avec jalousie et envie. Bien d'autres hommes dans cette salle étaient plus puissants qu'eux, mais ils dégageaient à eux cinq une telle aura qu'ils étaient le centre de l'attention.
– On a bien fait de venir, murmura Jimin.
Jungkook hocha la tête, mais il n'était pas sûr que Jimin l'ait vu. Il leur était impossible de détourner le regard ne serait-ce qu'une seconde. Il ne savait pas à quoi ils ressemblaient, vus de l'extérieur, peut-être à deux crétins, mais il s'en foutait. Jung Hoseok était là. L'acteur qui lui avait donné envie de se lancer dans ce monde, celui qu'il avait toujours admiré était là, un verre à la main, souriant et discutant sans se rendre compte de l'état fébrile dans lequel il avait mis le brun.
– Chim, pince-moi, je rêve ! s'exclama-t-il.
Jungkook regarda son meilleur ami, un grand sourire aux lèvres, mais celui-ci ne bougea pas d'un pouce. Il avait la bouche entrouverte et le regard brillant. Le brun fronça les sourcils, se demandant pourquoi Jimin ne réagissait pas et reconcentra son regard sur la Quinte Flush. Kim Namjoon, Jung Hoseok et Kim Seokjin semblaient en pleine discussion, hochant la tête aux paroles de l'un, ajoutant quelque chose aux paroles de l'autre. Le brun aurait donné n'importe quoi pour savoir de quoi ils parlaient avec tant d'entrain. Il continua son analyse, tombant sur Min Yoongi qui jetait un regard las autour de lui tout en tournant son index machinalement autour du rebord de son verre. Celui que l'on qualifiait comme le prodige de la musique semblait s'ennuyer à mourir ce soir. Jungkook sourit à cette vue et tourna légèrement le regard avant de se pétrifier d'un coup. Deux billes onyx le fixaient. Son cœur s'arrêta de battre pendant un instant jusqu'à ce qu'il se rende compte d'un détail. Ce n'était pas lui que ses prunelles sombres dévisageaient. Il tourna à nouveau la tête vers son meilleur ami qui n'avait toujours pas bougé et fit des allers-retours entre le blond et le brun qui semblaient s'être perdus dans un monde où ils ne voyaient que l'un et l'autre.
Kim Taehyung dévorait du regard son meilleur ami.
*
La cendre de la cigarette tomba sur la surface métallique du bureau alors que Dong-Sun semblait boire les paroles du plus jeune. Jungkook n'avait fait aucun commentaire lorsque le capitaine Choi avait allumé sa Malboro, mais il avait retroussé son nez dans un signe de dégoût. Il ne supportait plus d'en voir, ni de sentir la fumée nauséabonde qui s'en dégageait et ce n'était pas seulement dû au fait qu'il avait eu l'impression d'asphyxier à chaque fois qu'il allait au Seven's. Il y avait une autre raison derrière cette profonde répulsion. Une raison que le capitaine Choi découvrirait au fur et à mesure qu'ils avanceraient dans l'histoire. Peut-être que lorsqu'il évoquerait ce passage, Dong-Sun culpabiliserait, mais il préférait ne pas faire de remarque maintenant.
– D'un point de vue extérieur, comment avez-vous ressenti tout ça ? demanda le cinquantenaire.
– À l'époque, je me souviens n'avoir jamais vu quelque chose d'aussi troublant. L'atmosphère avait changé et j'avais l'impression d'être de trop, commença-t-il, le regard dans le vide. J'avais le sentiment que quelque chose de gros allait arriver. Je ne saurais l'expliquer... C'est juste que je l'ai senti. Seulement, je ne savais pas encore à quel point ça allait être destructeur.
– Troublant à cause de Jimin, ou de Taehyung ? demanda-t-il.
– Je ne sais pas... La seule chose que je peux vous certifier, c'est que si j'avais été à la place de Jimin, j'aurais eu l'impression que mon corps était en train de prendre feu. Je pense que c'est ce qu'il a ressenti. Taehyung le regardait avec une telle intensité que ça m'a mis mal à l'aise...
– D'où le fait que vous aviez l'impression d'être de trop, conclut Dong-Sun.
Jungkook hocha la tête.
– Ce n'était pas moi que Taehyung fixait et pourtant, je savais déjà qu'il ne me portait pas dans son cœur. C'était comme si... comme si j'étais un nuisible dans ses pattes. Je l'ai ressenti, ça m'a foutu des frissons. J'étais une menace et je ne comprenais pas pourquoi.
Dong-Sun ne dit rien. Il comprenait peu à peu à quel point les célébrités pouvaient être différentes de l'image qu'elles renvoyaient. Ça le fascinait autant que ça le surprenait. Il avait eu un mauvais pressentiment sur cette affaire depuis le début, mais il ne se doutait pas encore à quel point la vérité était plus horrible encore.
– Et maintenant ? Avec du recul ? demanda-t-il.
– Maintenant... Je n'arrête pas de me dire que si nous n'étions pas allés là-bas ce soir-là, tout ça ne serait jamais arrivé.
Dong-Sun pouvait sentir tout le regret et le désespoir dans la voix du jeune acteur, et ça le chamboula.
– Si nous y étions allés le lendemain, ou la semaine suivante...
– Ne vous torturez pas avec ça, le gronda-t-il doucement, ce n'est en aucun cas votre faute.
Jungkook savait qu'il était inutile de s'autoflageller pour cela. Ce qui était fait, était fait. Mais il ne pourrait sans doute jamais s'enlever ce sentiment de culpabilité qui le rongeait. Celui de ne pas être intervenu à temps.
– Et après, que s'est-il passé ?
– Après...
*
Après ça, le temps sembla comme suspendu. Jimin n'avait jamais vu de personne aussi belle de toute sa vie. C'était une chose que de voir Kim Taehyung à l'écran, mais en vrai, c'était différent. Tellement différent. Le jeune homme possédait un tel charisme que le blond en était resté coi. Il avait une plastique de rêve, semblable à une de ces statues grecques sculptées dans le marbre. Tous ses traits étaient harmonieux, si bien façonnés. Il était si beau. Jimin voulait s'approcher, il voulait admirer cette beauté d'encore plus près, mais il n'esquissa pas le moindre mouvement. Le regard que lui lançait l'ébène l'en empêchait. Il avait l'impression qu'il lui avait jeté un sort. Son cerveau tournait à mille à l'heure, son cœur battait frénétiquement, mais son corps demeurait raide. Kim Taehyung était diablement attirant.
Une secousse sur son épaule droite le fit brusquement revenir à lui-même et il tourna la tête vers son meilleur ami qui le regardait, inquiet.
– Chim, ça va ?
– O-oui... répondit le blond, encore déboussolé.
Il jeta un bref coup d'œil vers Kim Taehyung, mais celui-ci semblait concentré par ce que Min Yoongi lui chuchotait à l'oreille.
– On t'a perdu, ricana le brun.
Jungkook voulait essayer de détendre l'atmosphère, de faire revenir son meilleur ami à lui. Ce qu'il venait de se passer lui avait donné un mauvais pressentiment et il ne voulait pas que le blondinet cogite trop là-dessus. Ce n'était qu'un échange de regards, pas de quoi en faire tout un drame. Mais Jungkook avait ressenti quelque chose que Jimin n'avait pas l'air d'avoir remarqué.
Kim Taehyung était dangereux.
– On va prendre un verre.
Jimin hocha la tête, esquissant un petit sourire avant de suivre le pas du brun qui s'avançait déjà en direction du bar. Quand il jeta un dernier coup d'œil par-dessus son épaule, il remarqua que Kim Taehyung avait disparu. Le jeune acteur fronça les sourcils en se rendant compte qu'il ressentait une pointe de déception à ce constat. Pourquoi ?
La soirée entamée, Jimin n'y pensa plus vraiment. Il passait du bon temps avec son meilleur ami et quelques personnes avec qui ils avaient déjà sympathisé auparavant. Jimin avait l'esprit légèrement embrumé à cause de l'alcool qu'il avait ingurgité. Son sourire était immense et ses yeux pétillaient. Il rigolait pour tout et pour rien en entendant les anecdotes d'autres acteurs présents à leur table sur leur dernier tournage du moment. Il se sentait bien. Il prit un bref moment pour regarder autour de lui, toujours ce sourire béat aux lèvres. Jungkook parlait avec une top-modèle très en vogue en ce moment et un chanteur populaire racontait sa dernière représentation sous les yeux attentifs des autres. Jimin se sentait heureux. Il avait l'impression que les petits moments comme ceux-là étaient une part de son bonheur. Il avait accompli son rêve, était entouré de célébrités et se réveillerait le lendemain matin, toujours avec ce même sentiment de plénitude.
Le jeune homme papillonna des yeux, savourant l'instant présent, et lorsqu'il les rouvrit, il aperçut une ombre dans son champ de vision. Une ombre qui n'était pas là auparavant.
Kim Taehyung, appuyé contre un mur, le fixait. Encore. Jimin rougit et essaya de détourner le regard, mais ses yeux ne lui obéissaient pas plus de cinq secondes. Il ne savait pas quoi faire, il se sentait submergé par maintes émotions qu'il n'arrivait pas à contrôler. Soudain, l'ébène lui sourit. C'était un petit sourire à peine perceptible, mais il était là. C'était un sourire qui l'appelait.
Jimin prit la décision de se lever et de quitter la table sans que les autres ne le remarquent, trop concentrés sur leurs conversations respectives pour remarquer l'absence du blond. Il marcha entre les tables, toujours le regard ancré dans celui de Kim Taehyung. Il ne prêtait pas attention aux conversations environnantes ou à la musique que jouait l'orchestre en fond. Ces bruits parasites n'étaient plus rien. La seule chose qu'il entendait distinctement était les battements effrénés de son cœur tapant contre sa cage thoracique. Face à l'ébène, il s'arrêta, les bras le long du corps et une lueur passa dans le regard de Kim Taehyung. Celui-ci décroisa ses bras, se redressa légèrement et passa furtivement sa langue sur ses lèvres.
– Kim Taehyung.
Il prononça ses seuls mots et le corps entier de Jimin fut parcouru de frissons. Sa voix était si grave et si rauque qu'il avait eu l'impression qu'elle avait fait trembler son corps. Son prénom. Juste ça de prononcé. Cela semblait ridicule, nul doute qu'il devait se douter que Jimin savait qui il était, mais il l'avait quand même dit. Le blond y vit là tout autre chose. Comme si de cette manière-là, il se présentait réellement à lui. Il avait l'impression que ce simple nom prononcé était une invitation à le connaître. À le découvrir.
Alors c'est tout naturellement qu'il répondit :
– Park Jimin.
Parce qu'il désirait tant le connaître.
*
– Je ne l'ai plus revu de la soirée, il est parti d'un coup, sans prévenir, murmura Jungkook.
– Vous pensez qu'il est rentré en compagnie de Kim Taehyung ? demanda Dong-Sun.
– Cela ne fait aucun doute, et le lendemain de cette soirée n'a fait que confirmer cette hypothèse.
*
– Où est-il ? !
Un hurlement fit tomber les studios du film « Du Hyeongje » dans un silence de mort. Le réalisateur s'arrachait les cheveux depuis bientôt deux heures. Un de ses acteurs était absent et injoignable. Plusieurs coups de fil avaient été passés dans la résidence de Park Jimin, mais il ne répondit jamais. Jungkook était mort d'inquiétude et se rongeait les ongles en s'imaginant des scénarios tous plus lugubres les uns que les autres. Où était-il, bon sang ? ! Il avait disparu la veille sans l'informer et ne s'était pas présenté ce matin dans les studios. Si seulement il n'avait pas été autant obnubilé par le décolleté un peu trop plongeant de cette top-modèle, il n'en serait pas là. Alors que Jungkook était en train de grommeler à quel point il était un meilleur ami pitoyable, le bruit d'une porte que l'on referme et le son régulier de pas s'approchant lui fit brusquement tourner la tête.
Jimin venait d'arriver.
Tous les regards convergèrent vers le jeune homme et celui-ci rougit, déstabilisé d'être le centre de l'attention.
– Je suis désolé... balbutia-t-il.
Mais le réalisateur en avait perdu ses mots, comme le reste des personnes présentent dans le studio. Jimin était là, oui, mais blanc comme un linge et les yeux rougis. Jungkook remarqua sa démarche boiteuse et accourut aussitôt près de lui.
– Mon Dieu, mais où étais-tu ? Que t'est-il arrivé ? l'assaillit-il en le prenant par la taille pour le maintenir contre lui.
Le réalisateur les observa et ordonna à tout le monde de prendre dix minutes de pause. Il passa près des deux garçons et chuchota à Jimin qu'ils auraient une discussion plus tard. Le blond hocha la tête et se tourna vers Jungkook avant de lui offrir un sourire hésitant.
– Désolé de t'avoir laissé là-bas.
– Ce n'est pas grave, je ne suis pas rentré seul, dit-il d'un air entendu.
Jimin hocha la tête. La fameuse top-modèle d'hier soir était sûrement impliquée...
– Mais toi, où étais-tu ?
Jimin grommela quelque chose d'incompréhensible et Jungkook dû tendre l'oreille pour essayer de comprendre ce qu'il disait.
– Quoi ?
– Kim Taehyung...
Jungkook écarquilla les yeux et se détacha de Jimin pour le regarder de haut en bas.
– Pardon ? ! Tu étais avec Kim Taehy...
– La ferme, crétin ! répondit le blond en posant une main sur sa bouche et en lançant un regard paniqué autour d'eux.
Jungkook enleva sa main et reprit en chuchotant :
– C'est lui qui t'a mis dans cet état ? gronda-t-il.
Jimin le questionna de ses yeux rougis, ne comprenant pas la colère soudaine du brun.
– De quoi est-ce que tu parles ?
– Non, mais tu t'es vu ? ! feula-t-il. T'as pleuré, je le sais. Que t'a-t-il fait ?
Jungkook n'avait jamais été aussi énervé de sa vie. Quelqu'un avait fait du mal à son meilleur ami, à son frère. Comment Kim Taehyung avait-il osé faire une chose pareille ?
– Parce que c'était incroyable, chuchota Jimin.
Jimin le regarda, le regard brillant et un grand sourire peignant ses lèvres.
– C'était incroyable, Jungkook, reprit-il. Je... Il est incroyable.
Le brun n'avait jamais vu son meilleur ami avec une telle expression.
– Il est tellement attentionné... Tellement gentil...
Jimin soupira puis balança sa tête en arrière tout en fermant les yeux.
– On l'a fait. Presque toute la nuit, il sourit de plus belle à la fin de sa phrase. Je n'ai jamais rien vécu d'aussi intense auparavant, Jungkook. C'était hors du temps.
Jungkook essaya d'encaisser la nouvelle, mais il était plus que surpris. Son meilleur ami avait couché avec Kim Taehyung. Le Kim Taehyung. Il n'arrivait cependant pas à s'enlever de la tête le mauvais pressentiment qu'il avait eu à son sujet.
Mais il voyait le sourire de Jimin, il voyait son regard, il voyait la manière dont il en parlait.
Il était déjà épris de lui.
Taehyung était une vague qui s'était fracassée contre le rocher qu'était Jimin. C'était soudain, brutal et rien n'aurait pu l'arrêter. Jimin n'avait pu qu'encaisser.
– Tu sais, reprit Jimin en gloussant, il m'a donné un surnom, comme toi.
*
–...Jiji.
Dong-Su fronça les sourcils.
– Jiji ? répéta-t-il.
Jungkook acquiesça tout en jouant avec son gobelet en plastique vide. Il avait eu envie de faire partir toute trace d'alcool présente dans son organisme en se réveillant avec une bonne dose de caféine. Il s'amusait désormais à l'écraser à l'aide de son pouce et son index avec indifférence.
– Pour les autres, c'était Jimin, commença-t-il. Avec moi, c'était Chim. Mais avec Taehyung, c'était Jiji.
Il s'arrêta de jouer avec son gobelet, le prit dans sa main et visa la poubelle. Dong-Su suivit sa trajectoire du regard jusqu'à voir le gobelet atteindre la corbeille en aluminium. Il s'attarda un instant sur la boulette de papier qui gisait toujours à côté et grimaça de son incompétence. Lorsqu'il se retourna pour regarder Jungkook, celui-ci le fixait déjà.
– Toujours Jiji.
*
Jimin se remémora sa nuit avec Kim Taehyung. Il s'en souviendrait encore longtemps. L'ébène savait faire l'amour. Il le faisait comme un dieu. Il se rappela des baisers échangés. Du goût de sa langue qui glissait sensuellement contre la sienne. Des mains se baladant sur le corps de l'autre avec tendresse et lenteur. Des gémissements, des grognements. Des regards intenses partagés. Taehyung lui avait fait vivre plus d'un orgasme cette nuit-là et il avait cru sombrer maintes et maintes fois tellement ils avaient été intenses. L'ébène l'avait regardé, admiré, comme s'il était la plus belle chose au monde. Alors, Jimin avait imprimé ce regard et dès qu'il fermait les yeux, il le revoyait parfaitement. Il avait cru devenir fou lorsque la langue de l'autre avait longé l'intérieur de ses cuisses, goûtant, léchant, mordillant, savourant sa peau jusqu'à en laisser des traces violacées. Jimin en avait profité lui aussi. Goûtant la saveur de sa peau, lui offrant de prodigieuses caresses à l'aide de sa langue. Oh oui, Jimin s'était abreuvé de ses gémissements étouffés, de ses jurons et de cette main qui emmêlait ses cheveux. Ils avaient partagé un moment perdu dans le temps. Un moment rien qu'à eux, un moment dont Jimin se souviendrait, encore et encore.
À jamais.
Il se souvint s'être enlacé, s'être échangé des futilités, avoir gloussé comme des enfants. Il se souvint de promesses, de paroles enchanteresses. La certitude que ce n'était que le début gonflait son cœur de joie.
Taehyung l'avait possédé cette nuit-là, mais il n'avait pas seulement eu son corps. Il avait eu son cœur, son âme, tout ce qu'il avait, ce qu'il était. Sans doute avait-il aussi pris sa raison. L'ébène l'avait ensorcelé et Jimin était persuadé qu'il était en train de vivre l'expérience de sa vie.
Et il en revoulait. Encore et encore. À l'infini.
*
– Vous savez, j'ai vraiment cru m'être trompé à ce moment-là.
– Que voulez-vous dire ? demanda Dong-Sun.
– La manière dont Jimin parlait de lui m'a fait douter, expliqua Jungkook. Il avait l'air d'être quelqu'un de bien alors je me suis dit que je m'étais peut-être trompé sur son compte.
Jungkook se rappelait encore trop bien des étoiles dans les yeux de son meilleur ami. Ça l'avait fait sourire de le voir dans un tel état. Il trouvait cela attendrissant et avait donné le bénéfice du doute à Kim Taehyung. Après tout, il était peut-être quelqu'un de vraiment bien. Après tout, cela pouvait arriver qu'il se trompe.
– Mais je ne m'étais pas trompé.
Son pressentiment était réel.
Jungkook admira son reflet sur le bureau métallique. Il était incroyablement propre pour qu'il arrive à discerner ses traits. Il se fit la remarque qu'il serait peut-être temps qu'il aille chez le coiffeur. Ses cheveux étaient beaucoup trop longs et lui encadraient le visage.
– Lorsque j'étais enfant, je me souviens avoir aidé ma mère à jardiner un jour. C'était un après-midi d'été, il faisait chaud, mais le petit garçon de huit ans que j'étais était tellement heureux de rendre service à sa maman qu'il préféra rester entouré des fleurs de son jardin plutôt que de faire une bataille d'eau avec les autres enfants du quartier.
L'agent Choi fronça les sourcils, ne voyant pas où le brun voulait en venir.
– Je me souviens parfaitement de ce jour parce que c'est précisément à ce moment-là que je me suis rendu compte de la cruauté du monde pour la première fois.
– Qu'avez-vous vu ?
– J'ai vu un petit papillon blanc, magnifique, essayant de se débattre dans une toile d'araignée. Mais il était trop tard. J'ai assisté à la scène, vu l'araignée s'attaquer au papillon sans défense et le dévorer.
Jungkook soupira. Il voulait rentrer chez lui. Il voulait en finir et oublier, mais il savait qu'il ne serait jamais tranquille. Jamais.
– Jimin était ce petit papillon blanc...
Il savait d'avance que lorsqu'il rentrerait chez lui, il se morfondrait avec pour seule consolation une bouteille de Whisky. Ou peut-être que ce serait du Cognac cette fois. Il s'allongerait sur son lit sans jamais oser tourner la tête sur la gauche. C'était là que se trouvait sa table de chevet en acajou. Mais c'était aussi sur cette table que reposait le cadre contenant une photo de lui et de Jimin, souriants. Il ne pourrait plus jamais regarder cette photo. Peut-être même que lorsqu'il rentrerait chez lui, il rabattrait ce cadre, face contre bois.
–...Et Taehyung l'avait piégé dans sa toile.
*
Jimin croyait vivre là l'idylle de sa vie. Avec Taehyung, tout était si beau. Les semaines qui suivirent leur première nuit d'amour furent nombreuses. Ils se retrouvaient chaque week-end chez l'ébène. Et comme le temps d'attente de la semaine était souvent long pour le blondinet, lorsque sa journée de tournage finissait, il sautait dans sa voiture pour rentrer chez lui et l'appeler. Il était devenu accro à lui, totalement. Taehyung jurait ne voir que par lui et Jimin lui répondait la même chose.
Mais Taehyung n'avait pas besoin de l'entendre.
Il le savait déjà.
La vérité était que lorsqu'il avait vu le blondinet pour la première fois ce soir-là, il l'avait tout de suite désiré. Il avait admiré son corps gracile, ses traits angéliques et ce sourire candide. Il avait voulu le posséder, le marquer comme sien. Taehyung avait conscience de renvoyer cette image de dieu vivant, en particulier auprès de ses partenaires.
Il les charmait, les piégeait et, enfin, les détruisait.
Il désirait Jimin autant qu'il le dégoûtait. Il était trop. Trop gentil, trop doux, trop délicat... Trop jeune. Taehyung voulait voir autre chose. Il voulait voir le désespoir dans son regard, la tristesse émaner de tous les pores de sa peau si lisse et si douce. Il ne voulait pas voir Park Jimin.
Il voulait voir Jiji.
Jiji, le chef-d'œuvre qu'il était en train d'accomplir.
Jimin aurait dû se douter de quelque chose ce jour-là. Il aurait dû se douter que les intentions de l'ébène n'étaient pas aussi pures qu'il le prétendait. Mais Jimin était amoureux.
Trop amoureux.
Cela s'était passé un samedi après-midi. Le blondinet était allongé sur la méridienne en velours rouge de Taehyung. Ce dernier lui avait fait l'amour, encore, et alors que Jimin était aux anges, l'ébène en avait profité pour se faufiler dans la salle de bain afin de prendre une douche. Jimin avait récupéré la chemise de Taehyung et l'avait enfilé, gloussant adorablement en voyant à quel point celle-ci était trop grande pour lui. Il avait enfoui son visage dans le col, respirant à plein nez cette odeur qu'il affectionnait tant. Il avait remarqué que sur le guéridon qui se trouvait juste à côté reposait une corbeille de fruits ainsi qu'une pile de feuilles blanches. Jimin les prit entre ses mains et remarqua que sur le socle d'en dessous se trouvaient un livre et un stylo et il s'en empara aussi.
Lorsqu'il avait du temps libre, le blond adorait dessiner. Son style n'était pas parfait, les traits étaient irréguliers, mais il aimait ça quand même. Il se souvint que lorsque Jungkook avait découvert l'un de ses dessins pour la première fois, il avait été mort de honte. Mais le brun avait souri et l'avait encouragé à continuer, lui répétant que plus il s'entraînerait, plus il progresserait. Alors il dessinait pendant son temps libre, parce que ça lui permettait de s'évader. Jungkook lui avait même acheté un carnet à dessin pour son anniversaire et il le chérissait comme la prunelle de ses yeux.
Jimin avait pour objectif de dessiner cette corbeille de fruits, concentré, le bout de sa langue dépassant de ses lèvres roses, il ne remarqua pas les bruits de pas qui se dirigèrent lentement vers lui. Il ne remarqua pas non plus la présence qui se trouvait juste au-dessus de lui. Mais une goutte d'eau tomba sur son dessin, le faisant froncer les sourcils. Il releva doucement la tête en arrière, remarquant que Taehyung était penché sur lui. L'ébène, sorti de sa douche, avait les cheveux humides et le peignoir en soie noir qu'il portait épousait son corps à la perfection. Taehyung regarda le blond avant de porter son attention sur le dessin et de froncer les sourcils.
– Qu'est-ce que c'est ? murmura-t-il, la voix rauque.
Jimin sourit à pleines dents.
– Je pensais te le donner ! commença-t-il gaiement. Il n'est pas parfait, mais Jungkook m'a toujours dit que si je continuais à m'entraîner alors je progre...
Il ne finit jamais sa phrase. Taehyung venait de lui arracher le dessin des mains. Il le contempla un moment avant de ricaner et de reporter son regard sur Jimin qui le fixait avec ses grands yeux brillants.
– Je croyais t'avoir déjà dit de ne pas me parler de lui, gronda-t-il.
Jimin se tassa sur la méridienne en jouant avec ses doigts, nerveux. Jungkook était son meilleur ami, et Jimin l'adorait... Pourquoi ne voulait-il jamais entendre parler de lui ? Pourquoi le mettait-il autant en colère ?
– Ce dessin est ridicule, reprit-il en déchirant la feuille en deux pour la laisser tomber sur le sol.
Jimin regarda les morceaux de papiers gisant sur le parquet. Il avait l'impression que c'était son cœur qui venait d'être réduit en lambeaux.
– Le dessin c'est un don, soit tu l'as, soit tu ne l'as pas, chuchota Taehyung. Et toi, tu ne l'as pas. Jungkook ne veut pas que tu progresses, c'est une excuse. Il t'encourage à te complaire dans cette absurdité. Il se moque de toi derrière ton dos.
– J-je... Non, ce n'est pas vrai, balbutia-t-il, perdu.
Taehyung contourna la méridienne pour venir s'agenouiller en face du blond. Il prit tendrement ses mains entre les siennes et releva son visage de son pouce et son index avant de caresser lentement sa joue.
La tristesse.
Son regard hurlait cette émotion et Taehyung sourit. Ce que Jimin prit pour un sourire tendre n'en était pas un.
– Jiji n'est pas ridicule, Jiji est parfait, dit-il de sa voix de velours. Et Jiji...
Taehyung ramassa un des morceaux du dessin qui se trouvait à ses côtés avant de le chiffonner entre ses doigts.
– N'a pas besoin de ça.
Ça avait commencé comme ça. Et c'était allé crescendo. Jimin ne se rendait pas compte du venin dans ses paroles, de son regard malsain. Taehyung lui avait juré ne voir que par lui. Taehyung l'aimait. Ça lui suffisait. Il faisait ça pour son bien, l'ébène voulait seulement l'aider à devenir quelqu'un de meilleur.
Au fil des semaines, Jimin avait commencé à radicalement changer.
« Jiji, arrête de sourire tout le temps. »
« Jiji, ne mange pas autant. »
« Jiji, Jiji, Jiji... »
Jimin ne souriait plus autant, Jimin avait perdu du poids. Mais Taehyung ne voulait que son bien, n'est-ce pas ?
À chaque fois que Jimin faisait une erreur, Taehyung lui expliquait calmement. Il lui parlait tendrement, comme à un enfant qu'on ne voudrait pas brusquer. Mais un jour, Taehyung lui en demanda trop.
« Jungkook est néfaste pour toi. »
Jimin s'était rebellé et ce fut la première fois que Taehyung perdit son calme. Ce soir-là, Taehyung ne lui fit pas tendrement l'amour comme d'habitude. Il l'avait puni. Il avait quitté le blondinet en pleurs sur le lit, avait doucement refermé la porte derrière lui, le laissant seul, ravagé par la tristesse. Jimin s'était levé des draps de satin et s'était approché du miroir, admirant les petits cercles rouges qu'avaient laissés les brûlures de cigarettes sur son corps. Jimin l'avait supplié d'arrêter, ça lui faisait si mal. Mais Taehyung lui disait que Jiji serait capable de supporter la douleur. Jiji n'était pas faible.
Alors Jimin sourit à son reflet, malgré le fait que son visage était ravagé par les larmes, et il se demanda si Taehyung le trouverait magnifique ainsi.
Le lendemain, il était arrivé au studio en retard. Encore. Et Jungkook avait remarqué un des petits cercles rouges à la jonction de sa clavicule et de son cou. Le brun savait ce qu'était un suçon. Et ça n'en était pas un. Ils étaient seuls dans la loge du blond alors il arracha sa chemise sous ses protestations. La vue qui lui fit face lui arracha le cœur. Jimin était recouvert de ces aréoles. Elles entachaient sa peau de la plus immonde des manières.
– Q-qu'est-ce que c'est que ça ? bégaya-t-il, sous le choc.
Le blond couvrit son torse de sa chemise avant de lui jeter un regard las.
– Ce n'est rien, répondit-il platement.
– Jimin, putain ! s'emporta-t-il.
Le blond laissa ses bras retomber le long de son corps, telle une marionnette.
– Taehyung dit que Jiji ne doit pas...
Jungkook vit rouge. C'était toujours Jiji. Lorsque Jimin mangeait peu, c'était pour Jiji. Lorsqu'il arrivait aux studios, les yeux cernés, le visage inexpressif, c'était pour Jiji. Taehyung l'avait lobotomisé. Jimin ne voyait plus que par lui. Il s'approcha à pas rapide du blond, empoigna sa chemise par son col et le secoua, hors de lui.
– Tu n'es pas Jiji ! hurla-t-il. Jiji n'existe pas. Tu es Jimin...
Jungkook laissa une larme couler le long de sa joue. Ça lui faisait si mal. Son meilleur ami n'était pas comme ça, il n'était pas cette coquille vide. Jimin était un petit soleil. Son petit soleil.
Jimin était le soleil et Jiji était l'éclipse.
– Tu es Park Jimin.
Le brun était démuni. Il ne savait pas quoi faire pour le réveiller. Au moment où il s'était rendu compte que son sourire se fanait peu à peu, au moment où il avait vu ses joues se creuser, il lui avait dit d'arrêter. D'arrêter cette relation malsaine. De s'éloigner de la menace qu'était Kim Taehyung.
– Mais Jimin n'est pas parfait, répondit-il avec un petit sourire. Jiji, si.
Hélas, Jimin l'aimait trop.
Le regard du blond n'était plus aussi pétillant qu'autrefois. Sa joie de vivre s'était amoindrie. Son meilleur ami s'éloignait de lui et il n'avait rien pu faire.
Jungkook réalisa alors quelque chose.
Jimin n'était plus.
Jiji l'avait englouti.
*
– Ça m'a fait l'effet d'une claque, murmura-t-il doucement. Ce jour-là, j'ai pris conscience de la gravité de la situation.
Dong-Sun observa son paquet de cigarettes en coin. Il savait que ces conneries étaient néfastes, mais les horreurs qu'il voyait à son boulot ne l'avaient pas aidé à arrêter, au contraire. Il le prit, se tourna légèrement sur sa chaise et le balança en direction de la poubelle. Cette fois-ci, il réussit à atteindre son but. Alors, il se retourna vers Jungkook qui le regardait, surpris, et lui offrit un petit sourire. Le brun se fit la réflexion qu'il commençait à bien aimer ce flic.
– Ensuite, j'ai fait la chose la plus insensée de toute ma vie.
Jungkook se frotta les yeux, épuisé. Cela faisait déjà trois heures qu'ils étaient assis autour de ce bureau et ses nuits blanches commençaient à doucement le rattraper. Mais ils approchaient doucement de la fin. Alors il se redressa, et puisa dans ses dernières forces pour continuer. Il le devait.
– Je suis allé voir Jung Hoseok.
*
Jungkook ne savait plus quoi faire. Il n'avait pas vraiment réfléchi au moment où il avait pris sa voiture pour se diriger en direction du Namdaemun Palace, où Jung Hoseok donnait une conférence de presse. C'est en se retrouvant à l'intérieur du luxueux hôtel qu'il s'était dit que, peut-être, il était en train de faire quelque chose de complètement irrationnel. Mais Jung Hoseok était son modèle, sa star, et surtout, un membre de la Quinte Flush. Il devait lui dire. Il devait l'avertir de la dangerosité de Kim Taehyung.
La conférence commençait dans une heure et il n'avait pas été difficile pour Jungkook d'obtenir le numéro de sa chambre. Jeon Jungkook était une célébrité, il était beau et il savait jouer de ses charmes. Il ne s'en voulut même pas d'avoir nourri un sentiment d'espoir dans le cœur de la réceptionniste.
Jimin était plus important.
Dans l'ascenseur, il commença à avoir le trac. Il ne savait pas ce qu'il allait lui dire, il espéra ne pas bégayer. C'était la dernière chose qu'il voulait. Il fixa le cadran antique dont l'aiguille passait lentement sur les chiffres au fur et à mesure qu'il montait les étages.
7... 8... 9
Ding !
La porte de l'ascenseur s'ouvrit et Jungkook en sortit. Il fixa le long couloir recouvert d'un somptueux tapis bordeaux et les murs couleurs crème dont des lampes-bougies, similaires à celles d'un lustre, avaient été appliquées sur des bras richement ornementés, lesquels avaient été supportés par une fixation murale précieusement façonnée, accrochée un peu partout. Il avança lentement, hésitant, et tourna sa tête de gauche à droite, repérant les numéros inscrits en lettres dorées sur la porte des chambres.
303... 304... 305... 306.
306.
C'était celle-ci. Il fixa la porte blanche pendant au moins une minute avant de s'insulter de crétin. Puis il inspira et expira profondément pour se donner du courage.
« Allez, Jungkook. Tout va bien se passer. »
Il fit craquer son cou et tapa trois petits coups contre la porte à l'aide de son poing et attendit. L'attente ne fut que de dix secondes, peut-être moins, mais bordel, c'étaient les dix secondes les plus longues de sa vie.
La porte s'entrouvrit, légèrement et Jungkook ne put discerner qu'un œil ainsi que quelques mèches rousses. Le brun remarqua que Jung Hoseok semblait hausser un sourcil puisqu'il remarqua celui de droite s'arquer vers le bas.
Soudain, la porte s'ouvrit complètement, laissant apparaître l'acteur qui était habillé d'un smoking gris. Jungkook ouvrit grand la bouche et l'admira de haut en bas. Il venait de perdre ses mots. Jung Hoseok était en face de lui.
Bordel de merde.
– Je peux t'aider ?
Sa voix le ramena à la réalité et il ferma la bouche en rougissant. Il devait avoir l'air vraiment stupide. Jung Hoseok le fixait, appuyé contre le chambranle, les bras croisés contre son torse, attendant que le brun veuille bien faire usage de sa voix.
– Oui, répondit-il simplement. Je suis...
– Je sais qui tu es, le coupa le rouquin en faisant un mouvement de la main.
Jungkook écarquilla les yeux.
– Entre.
Hoseok se retourna et s'avança dans sa chambre d'hôtel sans vérifier que le plus jeune le suive.
Jungkook, quant à lui, hésitait à s'avancer. Il était réellement intimidé. Mais il se dit qu'il n'avait pas fait tous ces efforts pour rien et décida d'entrer à son tour. Il foula le sol de la suite luxueuse et remarqua que l'acteur était assis sur un canapé en cuir brun. Face à lui, se trouvait une table basse en bois massif, un cendrier dont les mégots débordaient, un paquet de cigarettes et quelques magazines. Le roux fit un signe de tête en direction du canapé d'en face et Jungkook s'assit, droit comme un piquet, ce qui fit ricaner l'acteur.
Hoseok le regarda pendant quelques instants avant de se pencher pour prendre une cigarette de son paquet, l'allumer et s'avachir sur le canapé en laissant tomber sa tête en arrière.
– Pourquoi es-tu là ?
– Taehyung est dangereux.
Jungkook aurait pu démarrer la conversation autrement, lui faire des éloges, lui dire à quel point il était fan ou tout simplement amener le sujet avec subtilité, mais non. C'était sorti tout seul et c'était tout ce qu'il y avait à dire sur l'ébène, ni plus, ni moins.
Hoseok fronça les sourcils et le regarda tout en tirant une nouvelle taffe de sa cigarette.
– Vraiment ?
Jungkook acquiesça vivement. Il se mit alors à lui raconter toute l'histoire. La soirée au Seven's, les paroles de Jimin concernant Taehyung, le fait qu'il était incroyable... Parfait. Puis il parla de la descente aux enfers du blond : de sa perte de poids, son changement d'humeur, les brûlures qu'il avait vu sur son corps, et Jiji.
Il lui parla de Jiji.
Une fois son monologue terminé, Jungkook était essoufflé d'avoir parlé aussi vite. Il espérait n'avoir oublié aucun détail. Il réfléchit, mais ne trouva rien d'autre à ajouter. De toute façon, c'était déjà beaucoup trop. Il regarda le roux, mais celui-ci arborait une expression neutre.
– Tu pleures, lui fit-il simplement remarquer.
Jungkook toucha ses joues de ses mains et constata qu'il disait vrai en remarquant que ses doigts étaient devenus humides. Il ne s'était même pas rendu compte qu'il avait pleuré. Il les essuya avec la manche de sa veste, honteux de se montrer comme ça devant son modèle.
– Taehyung est un monstre, continua-t-il à voix basse.
Il avait la tête baissée, alors il ne remarqua pas que le roux s'était levé de son canapé pour s'approcher doucement de lui.
Jungkook se fit la promesse de faire payer Taehyung pour tout le mal qu'il avait infligé à son meilleur ami. Cette haine démangeait ses poings, bouillonnait son sang et brûlait ses entrailles. Il pensait y arriver à l'aide du roux. Que celui-ci comprendrait. On disait de Jung Hoseok qu'il était quelqu'un de jovial, qu'il avait le cœur sur la main. Les journalistes le peignaient comme un ange dans leurs articles. À chaque fois que Jungkook le voyait à la télévision lors de ses conférences de presse, l'acteur souriait et plaisantait avec eux. Il était le chouchou.
Jungkook releva brusquement la tête, résolu.
– Il est en train de briser Jimin !
Mais la seule chose qui lui répondit fut un nuage de fumée qui lui piqua les yeux et gratta sa gorge. Il toussa brusquement et tenta de le faire disparaître en balayant sa main gauche dans l'air. Il ne comprenait pas pourquoi l'acteur lui avait soufflé sa fumée toxique au visage. Alors, il leva les yeux, perdu, et la seule chose qu'il vit fut un grand sourire.
Il se figea.
Ce qu'il voyait là n'était pas le sourire qu'il avait pu voir à l'écran ou sur les articles de magazines. Ce n'était pas non plus le sourire qu'il avait aperçu ce soir-là au Seven's. C'était un tout autre sourire.
Un sourire malsain.
Mauvais.
– Je le sais déjà.
C'était le sourire de sa vraie personnalité.
Et juste comme ça, le visage de Jungkook se décomposa en même temps que son espoir fut réduit à néant.
*
– Après ça... murmura le brun, j'ai commencé à penser que la Quinte Flush n'était peut-être pas un groupe d'amis normaux. À vrai dire, je ne pense même pas qu'ils soient réellement amis. Je pense que c'est juste un groupe de gens partageant un intérêt commun. Celui de détruire, de faire du mal.
– Celui d'être des fils de putes.
C'était sorti tout seul, mais Jungkook sourit. Oui, c'était ça. Le groupe que les gens admiraient et idéalisaient tant n'était en réalité que des pourritures. Sous leurs airs de célébrités parfaites et adulées se cachaient de véritables monstres sans pitié.
– Les cinq fils de putes, conclut Jungkook.
– Je trouve que ça sonne mieux, répondit l'agent Choi.
Jungkook était tombé de haut après son entrevue avec Jung Hoseok. Il avait cru à un cauchemar. Il pensait que toute cette histoire n'était qu'un mauvais rêve. Qu'il se réveillerait le lendemain pour aller aux studios et trouverait Jimin en train de plaisanter avec les maquilleuses. Que le blond lui rabâcherait encore qu'il devait arrêter de se sous-estimer. Qu'il complimenterait « Jaggie » en éclatant de rire parce qu'il savait que ça exaspérait le brun. Jungkook regrettait le temps où ils mangeaient ensemble, chez l'un ou chez l'autre, après une journée de tournage et où le brun s'insurgeait lorsque Jimin piquait dans son assiette. Il voulait le revoir dessiner, voir ses mains salies à cause du crayon. Il voulait le voir rire, le voir sourire, le voir danser, dessiner, manger...
Vivre.
Il voulait juste voir Jimin revivre.
En pensant à tout cela, le cœur de Jungkook se serra douloureusement dans sa poitrine.
– Et Kim Iseul est arrivée, dit-il, la voix tremblante d'émotion. Kim Iseul est arrivée et Taehyung avait décidé que c'en était fini de Jiji.
*
Kim Iseul venait de débarquer et, avec ses cheveux noirs, son visage de poupée et sa peau pâle, elle créa les prémices d'un ouragan. Un ouragan dévastateur. C'était la nouvelle top-modèle en vue, elle était belle, elle était jeune et sa carrière venait de décoller.
Elle était venue un soir au Seven's, un soir où Kim Taehyung était également présent et celui-ci avait conclu qu'elle serait son prochain chef-d'œuvre. Jiji avait atteint son apogée. Jimin était brisé et Jiji avait pris le relais. Il n'y avait plus rien à accomplir.
Taehyung charma cette naïve de la même manière qu'il l'avait fait avec Jimin. Il la ramena chez lui, lui fit l'amour et cracha ses promesses pleines de venin faisant miroiter un futur parfait à la jeune fille. Elle s'endormit dans ses bras, heureuse et épanouie, et Taehyung la contempla alors qu'elle rejoignait doucement les bras de Morphée.
Jimin ne s'était pas attendu à retrouver celui qu'il aimait tant en compagnie d'une autre femme quelques jours plus tard. Il était resté sur le pas de la porte, les yeux écarquillés, contemplant cette femme aux allures de déesses chevaucher ce qui était sien. Il entendait ses gémissements ainsi que les soupirs de celui qu'il croyait être l'amour de sa vie. Il tomba à genoux, les larmes dévalant ses joues.
Il tirait sur ses mèches blondes tout en grommelant des paroles incompréhensibles. Pourquoi ? Il était devenu parfait, pas vrai ? Pourquoi Taehyung lui faisait ça ? Il avait arrêté le dessin, il avait cessé de s'empiffrer, il ne souriait plus à tout bout de champ comme un crétin et surtout, il s'était éloigné de Jungkook. Il était devenu exactement ce que Taehyung attendait de lui. Il était Jiji... Son Jiji.
Les deux amants entendirent alors une voix, un gémissement très loin de tout ce qu'ils n'avaient jamais entendu. C'était le son d'un homme dans la douleur, une âme tenaillée par l'agonie de la perte. C'était la voix de Jiji. Absolue. Irréversible.
Iseul sursauta et laissa échapper un petit cri en voyant le blond à terre. Elle se redressa, prit le drap pour s'en couvrir et dépassa Jimin pour s'échapper de la chambre. Taehyung la suivit du regard puis finit par soupirer en prenant son peignoir. Il le noua et s'approcha calmement de l'acteur.
– Pourquoi ? l'entendit-il murmurer entre deux sanglots.
Taehyung s'accroupit et lui caressa tendrement les cheveux.
– Jiji... Tu ne me sers plus à rien, chuchota-t-il. La partie est finie.
Taehyung se galvanisait de voir à quel point il lui était simple de réduire à néant la vie d'une personne.
Les jours suivants, le blond ne semblait plus qu'être l'ombre de lui-même. Il ne cessait de répéter les mêmes erreurs sur le tournage et le réalisateur avait même hurlé que s'il ne se remettait pas très vite au travail, il allait le virer de son film. Jungkook avait dû calmer le jeu. Beaucoup avaient remarqué la forte odeur d'alcool que laissait Jimin derrière lui. Il n'y avait plus un seul jour où le blond venait sobre dans les studios. Jungkook avait essayé de lui parler, mais celui-ci ne faisait que l'ignorer.
Il arrivait même parfois à Jungkook de voir le blond parler tout seul. Comme s'il entretenait une conversation avec quelqu'un. Mais ses interlocuteurs n'étaient rien d'autre que ses propres démons.
Mais que Jimin le veuille ou non, Jungkook n'allait pas le laisser tomber. Il aurait beau l'ignorer, il reviendrait à la charge. Il ne savait pas ce qu'il s'était passé pour que son humeur se dégrade autant en si peu de temps, mais il se doutait que cela avait un rapport avec Kim Taehyung.
Un soir, il décida d'aller chez le blond. Jimin habitait dans une spacieuse maison située dans une résidence privée. Ils habitaient non loin l'un de l'autre, alors Jungkook s'y rendit à pied. En marchant dans la nuit, il se fit la réflexion que cela faisait très longtemps qu'il ne s'était pas rendu chez son meilleur ami. Cela remontait à trois mois... Peut-être plus. Mais il se souvenait clairement de la dernière fois. Il se souvint qu'ils avaient cuisiné ensemble et regardé l'un des tout premiers films dans lequel Jungkook avait joué. Jimin n'avait cessé de le complimenter sur son jeu d'acteur du début à la fin et Jungkook s'était agacé, le frappant alors avec l'un des coussins du canapé. Ses éclats de rire sonnaient encore dans sa tête et Jungkook sourit pour lui-même, enivré par ce précieux souvenir.
Une fois devant la porte de Jimin, il toqua. Puis il attendit quelques instants avant que celle-ci ne s'ouvre sur le blond. Il avait les cheveux en bataille, le teint livide, les yeux vitreux et sa chemise était dépareillée. Jungkook esquissa un petit sourire et le blond fronça les sourcils en tentant de refermer la porte. Mais le brun avait prévu cette action de la part de l'acteur, alors il la bloqua avec son pied avant de la pousser de toutes ses forces. La porte s'ouvrit brusquement, faisant trébucher Jimin qui atterrit sur les fesses dans le couloir de l'entrée.
– Désolé, répondit Jungkook en refermant calmement la porte derrière lui.
– Qu'est-ce que tu fous ici ? grommela le blond en se relevant difficilement.
– Il faut qu'on parle.
Jimin le fixa longuement avant de serrer la mâchoire.
– Je. Veux. Que. Tu. T'en. Ailles, articula-t-il lentement.
– Pourquoi tu t'éloignes de moi, Jimin ? ! explosa-t-il. Je croyais que nous étions comme des frères !
Le brun avait la voix tremblante, serrée par l'émotion.
– Je croyais que nous étions inséparables...
Il essaya de s'approcher de lui, mais le blond recula d'un pas.
– Jimin... Que s'est-il passé ?
Le blond laissa sortir un rire tonitruant qui envoya à Jungkook des frissons le long de son corps. Le blond rigolait, mais ses yeux pleuraient. C'était une image à glacer le sang. Jungkook recula d'un pas.
– Cette pute... Elle me l'a volé, cracha-t-il.
– De qui est-ce que tu parles ? murmura le brun.
Jimin n'était pas vulgaire. Jamais.
– Kim Iseul.
Le blond tirait sur ses mèches et tournait en rond comme un lion en cage.
Jungkook était perspicace. Il avait compris. Kim Taehyung était passé à autre chose. Il avait trouvé un nouveau jouet, une nouvelle âme à briser.
Il soupira alors et tourna sa tête vers la gauche.
Jungkook déglutit.
Un sentiment de malaise venait de s'emparer de lui et il n'osait plus tourner la tête en direction de son meilleur ami. Son regard resta fixé sur le mur de gauche ou des centaines de photos de Kim Taehyung avaient été collées. C'étaient des photos de magazines, d'articles de presse... Quelques fois, il y avait plusieurs photos identiques de l'ébène affichées. Mais le mur en était rempli.
Kim Taehyung était partout. Toujours là. S'il n'était pas là physiquement pour exercer son emprise, c'était sa propre victime qui s'autodétruisait.
Jungkook n'avait plus les mots.
Il prit finalement son courage à deux mains pour regarder son meilleur ami. Son expression était neutre, d'apparence calme, mais ses yeux brillaient d'une lueur qu'il n'avait jamais vue auparavant.
De la folie.
Jimin était tellement obsédé, tellement amoureux, tellement fou de Kim Taehyung qu'il ne voyait pas que c'était Kim Iseul la victime et non Taehyung. Il pensait qu'elle le lui avait arraché. Parce que Taehyung n'aurait jamais pu le laisser tomber, c'était impossible. Taehyung lui avait dit qu'il l'aimait, Taehyung lui avait fait promettre que ce n'était qu'eux deux. Il était parfois dur avec Jimin mais il le réconfortait toujours après, le rassurant, lui promettant que tout irait bien. Taehyung lui avait dit qu'il était la plus belle chose qu'il n'avait jamais vue. Il lui avait chuchoté qu'il était l'être le plus précieux de son monde. Il lui avait soupiré qu'ils s'appartenaient.
Il ne pouvait pas l'avoir abandonné.
Il ne pouvait pas avoir...
– Taehyung a joué avec toi, Jimin.
Jimin releva brusquement la tête. Jungkook était encore là ? Pourquoi était-il encore là ? Pourquoi le fixait-il avec ce regard ? Taehyung lui avait dit... Que lui avait-il dit, déjà ?
« Jungkook est néfaste. »
« Jungkook te jalouse. »
« Jungkook se moque de toi. »
« Jungkook ne te considère que comme un moins-que-rien. »
« Jungkook ne mérite pas de se tenir à tes côtés, Jiji. »
Jimin tenait sa tête entre ses mains, les yeux écarquillés. Il s'effondra au sol et laissa échapper une plainte d'entre ses lèvres. À cette vue, Jungkook paniqua et tenta s'approcher de lui, mais Jimin le repoussa brutalement.
– Va-t'en, murmura-t-il.
Mais le brun resta figé près de la porte d'entrée.
– Va-t'en ! Casse-toi, Jungkook, hurla-t-il. Maintenant !
Jungkook sursauta brusquement et, le visage apeuré et rempli de larmes, ouvrit la porte et partit, la claquant après son passage.
Jimin avait fixé l'entrée un long moment après le départ du brun. Il l'avait laissé s'enfuir. Jungkook ne reviendrait pas. Plus jamais. Jimin était assis à même le sol, les bras entourant ses jambes. Il se balançait lentement d'avant en arrière, le regard perdu. Il était dans le noir, mais il ne s'en préoccupait pas. Il avait déjà trop de démons dans la tête. Se retrouver plongé dans l'obscurité n'était rien à côté. La maison était si silencieuse qu'il prenait enfin conscience de sa solitude. Avant, il y avait Jungkook. Mais Jungkook n'était plus là. Il y avait Taehyung. Mais Taehyung l'avait abandonné.
L'avait-il abandonné ?
« Kim Taehyung »
« Il est incroyable, Jungkook. »
« Fais attention à toi, Jimin. »
« Tu seras Jiji. Tu aimes ? »
Les voix dans sa tête étaient en train de se bousculer et Jimin la compressa entre ses deux mains en gémissant. Il avait peur, il était terrorisé. Ce n'était pas la première fois qu'elles se manifestaient. Cela faisait déjà plusieurs jours que le blond les combattait. Il avait l'impression de ne plus rien contrôler.
« C'est lui qui t'a fait ça ? »
« Action ! »
« Arrête de pleurer, Jiji. »
« Chim, pourquoi tu es comme ça ? »
« Tu es magnifique. »
Un cri de douleur lui échappa et il se remit à pleurer de plus belle. Il voulait que tout s'arrête. Il voulait que les voix dans sa tête se taisent, le laissent tranquille.
« Si tu souris tout le temps, les autres vont penser que tu es stupide. »
« Chim, pourquoi tu ne souris plus ? »
« Jimin, il faut refaire la scène ! »
« Jiji, sais-tu à quel point je t'aime ? »
« Il est dangereux ! »
« Je l'aime. »
« Jiji... »
Il avait le cœur brisé. Jimin était juste amoureux. Pourquoi tout cela lui arrivait-il ? Il ne savait plus qui il était. Il était Jimin. Il était Jiji. Lequel d'entre eux était-il réellement, maintenant ?
« Jiji... »
« Tu n'es pas Jiji ! Jiji n'existe pas. Tu es Jimin. »
« Tu es tellement beau lorsque tu t'abandonnes à moi, Jiji. »
« Jiji... »
Jimin hurla tout son désespoir. Il hurla son mal-être, il hurla son cœur brisé. Il hurla pour ce qu'il avait été, pour ce qu'il avait perdu. Il hurla parce que son présent était chaotique et son futur incertain. Il hurla pour ce qu'il était devenu. Ce que Taehyung lui avait fait. Ce qu'il lui avait infligé. Il hurla la perte de son meilleur ami. Il hurla sa faiblesse et pour finir, il hurla sa rancœur. Le blond n'avait pratiquement plus de forces après ça, mais les voix s'estompèrent peu à peu. Il n'arrivait même plus à les distinguer.
Sauf une.
La dernière.
« ...Park Jimin. »
– Taehyung, est-ce que tu m'aimes ?
Le blond avait sa tête reposée sur les cuisses du plus vieux. Installés sur le canapé en cuir près de la cheminée, Taehyung referma son livre avant de le fixer. C'était une après-midi pluvieuse. Jimin regardait le feu crépiter dans la cheminée, hypnotisé par la danse des flammes. Il releva ses grands yeux innocents sur le visage de Taehyung, voyant que celui-ci était resté silencieux. L'ébène le fixait, le visage vide de toute émotion. Il leva sa main et caressa doucement le visage de Jimin qui frissonna.
– Bien sûr, Jiji. Il est impossible de ne pas t'aimer. Je suis tien et tu es mien. À jamais.
À jamais lui avait-il dit.
Jimin fixa le mur face à lui et se releva lentement. Il commença alors à tourner autour de lui en chantonnant une chanson. Une chanson que Taehyung lui avait fait écouter un après-midi sur son tourne-disque. Il l'avait énormément aimé. Taehyung l'avait même fait danser dessus. Jimin se souvenait ne s'être jamais senti autant apaisé que cette après-midi-là. Taehyung l'avait fait tournoyer dans son salon et Jimin s'était laissé emporter. Il avait été magnifique à ce moment-là. Alors Jimin dansait à nouveau. Sans Taehyung. Sans tourne-disque. Sans la lumière du soleil qui venait filtrer à travers les fenêtres.
Wish I may, wish I might
Find my one true love tonight
Do you think that he could be you ?
Jimin dansait seul dans le noir et pourtant, il brillait.
Il s'approcha du mur, toujours en chantonnant. Son regard fixa une photo de Taehyung, celle qui avait fait la première d'un magazine il y a deux ans. Il l'admira quelques secondes. Il était si beau dans son costume noir et ses bouclettes sombres. Il était si attirant avec son regard perçant et son petit sourire. Il avait une telle prestance... Un tel charisme. Kim Taehyung ressemblait à un dieu vivant. Il était un péché à lui tout seul.
Il était monstrueux.
I'm so hot, I ignite
Dancing in the dark and I shine
Like a light I'm luring you
Jimin arracha la photo. Il continuait de chanter de sa voix douce, comparable à celle d'un ange. Jimin aurait pu être chanteur s'il l'avait voulu, mais jouer un rôle, c'était son monde. Il avait tellement bien joué celui de Jiji qu'il n'arrivait même plus à s'en défaire. Il fit de même avec toutes les photos accrochées sur le mur. Il les arracha une par une.
I love you just a little too much
Love you just a little too much, much
Une fois fini, Jimin admira son œuvre. Le papier peint était à nouveau visible. Des résidus étaient encore accrochés, mais il était devenu impossible de deviner ce qui avait décoré son mur auparavant.
Jimin arrivait bientôt à la fin de la chanson. Il se sentit étonnamment bien après cela. Ça avait été comme un remède. Comme une bouffée d'air frais. Il fixa les photos de Taehyung éparpillées au sol et les piétina de son pied. Mais ce n'était pas assez. Jimin voulait qu'il souffre autant qu'il souffre. Il voulait qu'il ressente sa douleur et son désespoir. Kim Taehyung allait payer pour son cœur brisé. Il allait payer pour Jimin, mais aussi pour Jiji.
Alors il sourit tout en chantant tout doucement les dernières paroles de cette chanson qui n'appartenait qu'à lui et à l'ébène.
So I murder love in the night...
Kim Taehyung avait l'habitude de dormir nu pour la simple et bonne raison qu'il aimait la sensation du satin de ses draps sur sa peau. La lune éclaircissait sa chambre de sa lumière et baignait l'ébène d'une aura princière. Jimin l'avait déjà vu auparavant. Il avait déjà senti son corps nu contre le sien et l'avait déjà observé alors que son visage était seulement éclairé par la déesse de la nuit. Il avait l'air si paisible. Certains diraient qu'ils ressemblaient à un ange ainsi. Mais ceux qui le côtoyaient savaient qu'il en était tout autre.
Un ange ? Non. Un démon.
Et le démon se reposait.
Alors oui, Kim Taehyung était magnifique lorsqu'il dormait et du coin de la pièce, Jimin pouvait à nouveau l'affirmer. Le blond le regardait fixement. Tellement d'émotions se mélangeaient en lui, mais aucune n'était visible de l'extérieur. Ainsi, si l'ébène se réveillait, la seule chose qu'il verrait serait le blond en train de l'observer, les traits du visage inexpressifs. Jimin s'avança tout doucement jusqu'à arriver au pied du lit. Taehyung était sur le dos et avait les bras le long du corps. Jimin grimpa sur le lit en baldaquin et, doucement, rampa à quatre pattes jusqu'à lui. Une chose qu'avait apprise le blond, c'est que Taehyung avait un sommeil de plomb. Ainsi, il ne se réveilla pas lorsque Jimin se positionna à califourchon sur lui, emprisonnant ses bras au niveau de sa taille à l'aide de ses jambes. Mais il fronça les sourcils lorsqu'il sentit une caresse sur sa joue et papillonna des yeux quand une larme salée tomba sur ses lèvres.
Il ouvrit doucement les yeux, observant le blond qui le fixait, des perles salées dévalant ses joues autrefois si roses et pleines.
– Jiji... C'est un rêve ? demanda-t-il la voix rauque.
Jimin étouffa un sanglot et sourit doucement.
– Oui, Taehyung. C'en est un.
Jimin caressa sa joue avec lenteur avant de doucement descendre son index jusqu'à son cou. Timidement, il appuya sur sa pomme d'Adam.
– Qu'est-ce que tu fais ?
Jimin ancra son regard au sien.
– Je me prépare.
– À quoi donc ?
Taehyung ne se rendait pas compte que tout ceci était bien réel. Pour lui, il était dans un rêve. Jiji était son plus beau chef-d'œuvre, alors cela lui paraissait normal de voir le blond apparaître dans ses songes.
– Te souviens-tu de ce que tu m'as dit Taehyung ? demanda doucement Jimin en chuchotant.
L'ébène ferma doucement les paupières en faisant un léger mouvement négatif de la tête.
– Tu m'avais dit que Jimin brillait, mais que Jiji, lui, ne devait pas se contenter de ça. Jiji devait éblouir.
Taehyung sourit. Il s'en souvenait.
Jimin se rapprocha lentement de lui, effleurant de ses lèvres son oreille.
– Sache que ça n'a plus d'importance puisque les deux sombreront ce soir.
Taehyung écarquilla les yeux. Alors qu'il allait se redresser, le blond ne lui en laissa pas le temps. Il bloqua fermement ses bras à l'aide de ses cuisses et entoura sa gorge de ses mains. Il appuya dessus de toutes ses forces et fixa l'ébène dans les yeux. Il entendit les gémissements plaintifs de celui-ci, ses étouffements, et ses tentatives de fuite. Mais il était piégé. Taehyung perdait de sa magnificence, vulnérable ainsi. Son visage commença à devenir rouge, il avait la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés, Jimin sentait le tremblement de son corps et son pouls pulser entre ses mains. Il serra encore plus fort et se délecta de voir toutes ces émotions danser dans le regard de Taehyung. Il avait remarqué la surprise, lorsque l'ébène s'était rendu compte que tout ceci n'était pas un rêve. La souffrance, lorsque Jimin planta ses ongles dans la peau de son cou.
La peur.
La peur lorsque Taehyung comprit qu'il allait mourir.
– Jiji...
Ce fut la seule chose que Taehyung était capable d'articuler dans ses derniers instants.
Le blond lui sourit.
– Pas Jiji.
L'ébène laissa échapper une unique larme qui roula le long de sa joue gauche.
Taehyung n'avait désormais plus rien d'un dieu.
– Jimin.
Le blond vit la vie s'éteindre dans son regard. Lentement. Et lorsqu'elle la quitta, plus aucune lueur quelconque ne l'habitait. L'âme de Taehyung s'en était allée, mais ses yeux le fixaient toujours. Vides, sinistres. Ils ressemblaient à deux trous noirs. Deux trous béants. Jimin détacha lentement ses mains de son cou et l'observa encore quelques minutes. Taehyung était si beau, même dans la mort. Il se pencha alors et embrassa tendrement ses lèvres.
Il resta là, à fixer ses pupilles inertes pendant de longues minutes jusqu'à ce qu'il ne décide que c'était son tour. Il se releva lentement du corps sans vie de l'ébène, laissant le drap de satin rouge glissé le long de son corps en même temps qu'il posait un pied sur le sol. Doucement, il se dirigea vers la salle de bain adjacente à la chambre et plus précisément vers le lavabo.
Il les avait vus un jour.
Les somnifères.
Il ouvrit le placard et s'empara du flacon. Jimin vida la petite bouteille en plastique dans sa main et fixa les pilules blanches dans sa paume. Sans aucune hésitation, il les avala. Les pilules avaient du mal à passer étant donné l'immense quantité qu'il comptait ingurgiter alors il baissa la tête et ouvrit le robinet du lavabo avant de prendre de grandes gorgées d'eau. Lorsqu'il sentit que chaque pilule avait traversé sa trachée, il se releva lentement et commença à se déshabiller. Il déboutonna sa chemise avec lenteur et fit de même pour son pantalon et son sous-vêtement. Lorsqu'il revint dans la chambre, il s'observa à travers le grand miroir. Il était nu, et les faibles rayons de la lune venaient caresser sa peau. Il se sourit à lui-même.
Il avait l'air d'un ange.
Lentement, il regagna le lit et s'allongea à côté du corps de Taehyung, sa joue plaquée contre son pectoral. Il traça des cercles invisibles sur la peau de son torse avec la pulpe de ses doigts et sourit béatement. Jimin se sentait de plus en plus sombrer et avait déjà les paupières à moitié closes. Son rythme cardiaque ralentissait aussi, de plus en plus.
C'était la fin.
Avant qu'il ne sombre définitivement, sa dernière pensée alla vers son meilleur ami. À Jungkook qui avait toujours été là pour lui. Qui l'avait toujours aidé, soutenu, aimé... Réellement aimé. Ses dernières paroles étaient adressées au brun qui devrait continuer dans un monde sans lui. Jimin ne viendrait pas au studio le lendemain. Il ne viendrait plus jamais. Il ne serait plus présent lorsque le brun douterait de lui. Il ne pourrait plus l'emmerder avec « Jaggie ». Et bien d'autres choses que Jungkook ne pourrait que chérir comme souvenirs désormais.
– Je suis désolé, murmura-t-il avant de clore ses paupières à jamais, un sourire serein sur les lèvres.
Ainsi, Jimin et Jiji disparurent dans les ténèbres sans avoir pu admirer le point du jour.
*
– Si je n'étais pas parti ce soir-là, ce ne serait jamais arrivé.
Jungkook passa une main tremblante dans ses cheveux.
– Si je n'avais pas été si faible...
Dong-Sun le regarda, les yeux brillants. L'histoire de Park Jimin était tragique et il n'était pas sûr de vouloir en donner les détails à la presse. Il savait déjà comment cela allait se finir : Jimin serait vu comme quelqu'un de faible et complètement cinglé. Si cette histoire fuitait, ce serait son image qui serait détruite ainsi que sa mémoire. Il méritait mieux que cela.
Quant à Jungkook, il savait qu'il serait incapable de raconter cette histoire à nouveau. C'était la première et dernière fois qu'il le faisait. La douleur était trop intense pour qu'il ne se le permette à nouveau un jour. Il voulait juste la garder scellée dans son cœur.
Les deux hommes affichaient des têtes de six pieds de long. Jungkook jalousa l'agent Choi, se disant qu'il allait rentrer chez lui et voir sa fille alors que lui serait seulement accueilli par le vide et la froideur de sa maison. Jungkook se sentait si seul.
– Est-ce que... Est-ce que je peux y aller, maintenant ? demanda-t-il faiblement.
Dong-Sun acquiesça et appuya sur le bouton du dictaphone, arrêtant l'enregistrement.
Jungkook se leva doucement, faisant à nouveau racler sa chaise sur le sol et se dirigea vers la porte, les épaules voûtées. Dong-Sun le suivit du regard alors qu'il était toujours assis et ressentit une immense peine pour lui. Lorsque le brun tourna la poignée de la porte, il s'arrêta soudainement dans son geste et se retourna vers l'agent Choi. Il avait encore quelque chose à ajouter.
– De même que tout est mortel dans la nature, de même toute nature atteinte d'amour est mortellement atteinte de folie.
Dong-Sun écarquilla les yeux.
– Shakespeare ?
Le brun lui sourit faiblement.
– Au revoir, monsieur Choi.
──── ● ────
Et c'est ainsi que s'achève la première histoire. C'est ma petit Dana qui ouvre le bal et je ne suis pas peu fière d'avoir découvert son profil il y a un peu plus d'un an ! Si les histoires sombres et de mafia vous plaise, allez faire un petit tour sur son profil 🥰
N'hésitez pas à laisser un petit message à l'auteure, qui sera vie de vous lire et de vous répondre !
On se retrouve vite avec un autre auteur, pour une nouvelle folie...
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