Chapitre 40: Odeurs du passé

Je ne fus pas surprise de constater qu'il s'agissait de Théo, la personne du quartier que j'appréciais le moins et dont les sentiments étaient partagés. Il était accompagné de sa bande habituelle. J'adoptai immédiatement un visage impassible, dénué de toute expression.

— Mec, casse-toi, je n'ai pas que ça à faire.

Il ne prêta aucune attention à mes paroles et s'approcha de moi, affichant un sourire peu amical.

— Dis-moi... Il paraît que tu t'es constitué un sacré harem ! lâcha-t-il sur un ton désagréable.

— Quoi ? Ça te dérange que j'aie des potes et pas toi ?

Sentant l'hostilité monter, j'avais instinctivement placé ma main devant mon visage pour anticiper une éventuelle attaque. Ce monsieur semblait être sur les nerfs !

— Tu n'as pas changé d'un poil, Théo...

— Toi non plus, toujours aussi désagréable ! remarqua-t-il en retirant son poing de la paume de ma main.

L'un des sbires de ce personnage agaçant reçut un message.

— Boss... On a un problème à la troisième section ! On te demande.

Théo soupira.

— Ne crois pas que j'en ai fini avec toi ! Je reviendrai ! cria-t-il en s'en allant, remontant sur sa moto.

Je soufflai de soulagement. Ils étaient enfin partis ! Je me retournai vers l'immeuble pour un dernier adieu avant de retrouver Jade dans la voiture. Sentant la tension, elle s'était immédiatement barricadée dans celle-ci. Nous nous dirigeâmes vers un petit supermarché à deux rues d'ici.

Arrivée là-bas, je constatais que vraiment rien n'avait changé, c'était désolant... Étais-je vraiment la seule personne du quartier à s'en être sortie dans la vie ? Je me souvenais encore de ces nombreuses personnes qui m'entouraient dans mon enfance... Toutes menaient une vie misérable comme la mienne, mais il avait suffi que je rencontre Jade pour que je change ma perspective de vie et que je décide de la transformer.

En errant à travers les allées du supermarché, je scrutais les visages familiers qui semblaient être figés dans le temps, prisonniers d'une existence précaire. Les mêmes rides de soucis marquaient leurs expressions, et je ne pouvais m'empêcher de me demander si, comme moi, ils avaient tenté de s'échapper, ou si leur réalité était toujours enchaînée à ces rues familières.

Jade, à mes côtés, ressentait également cette atmosphère pesante.

— Tu peux m'attendre dans la voiture, s'il te plaît? J'ai besoin de prendre un peu d'air, même si c'est difficile, fis-je en me retournant vers Jade.

Elle hocha la tête sans trop poser de questions et pour cela, je lui étais sincèrement reconnaissante. J'avais besoin de quelques instants pour me connecter à mes souvenirs et les laisser se dissiper.

Une fois sortie du magasin, je repliai ma capuche sur ma tête et ajustai un masque sur ma bouche, dissimulant mon visage pour éviter d'être reconnue. Avec l'assurance d'une personne ayant longtemps arpenté ces rues, je marchai d'un pas décidé, ne laissant aucune place à l'hésitation quant à ma destination. Mon itinéraire me conduisait droit vers le QG de mon ancien gang. Je savais que mon retour ne serait pas accueilli à bras ouverts, trahir le gang et partir n'était pas une action bien vue. C'est pour cette raison que je dissimulais mon visage et empruntais des sentiers connus uniquement d'une poignée de personnes. C'est ainsi que je me retrouvai finalement sur le toit d'un vieux bâtiment. En face de moi se dressait l'entrée du QG. Je ne pouvais pas m'approcher davantage sans risquer de me faire repérer.

Perchée sur le toit, le cœur battant, je scrutai l'entrée du QG, les souvenirs du passé remontant à la surface. Le bâtiment, bien que vieilli, semblait toujours porter les stigmates de notre ancienne vie. Mon regard chercha instinctivement les signes familiers, les graffitis qui marquaient jadis nos territoires.

Je me forçai à respirer profondément, à apaiser les tourbillons d'émotions qui menaçaient de m'envahir. Ma décision de revenir ici était risquée, mais je devais affronter ce passé pour pouvoir véritablement avancer.

À distance, j'observai les allées et venues devant le QG. Des silhouettes familières se déplaçaient avec la même assurance que dans mes souvenirs. Les règles du gang demeuraient inchangées, une réalité à laquelle j'avais jadis appartenu.

Ainsi, la tête baissée, je m'éloignai, laissant ma désolation se mêler aux vents du monde. J'étais la seule à avoir réussi à m'échapper de cet enfer.

Sautant agilement par-dessus quelques toits, descendant une échelle rouillée, je concluai ma course en atterrissant près d'une poubelle, au cœur d'une ruelle sombre. Reprenant ma route comme si de rien n'était, je me dirigeai vers ma voiture, espérant la retrouver là où je l'avais laissée. Mes pas résonnaient sur le bitume silencieux alors que je rejoignais l'endroit de tout à l'heure. La tension du retour au quartier s'évanouissait peu à peu, remplacée par le sentiment de liberté que la distance m'apportait.

Une fois à la voiture, je tombai sur la bande de Théo, mais leur chef était absent, probablement occupé avec la "troisième section" dont ils parlaient plus tôt. Jade, quant à elle, avait eu la prudence de s'allonger dans la voiture pour rester discrète.

— Ne perdons pas de temps, les gars... Vous avez reçu des ordres, alors autant agir rapidement, soufflai-je en observant les couteaux et barres de métal dans leurs mains.

Le premier qui se jeta sur moi fut esquivé d'un mouvement rapide. J'attrapai son bras, le forçant à lâcher son arme que je m'empressai de récupérer, évitant ainsi une seconde attaque. Dans le feu de l'action, je plantai le couteau dans une jambe, je ne sais laquelle, et me relevai promptement pour éviter un coup à la tête. Une commotion cérébrale aurait été particulièrement problématique dans cette situation, vous ne pensez pas ?

Les complices de Théo, surpris par ma réaction, échangèrent des regards nerveux avant que l'un d'eux ne tente une nouvelle offensive. Sa barre de métal siffla dans l'air, mais je la parai habilement.

Profitant de l'instant de désarroi, je contournai mon agresseur, désarmant un autre complice d'un geste rapide. Un sentiment d'adrénaline pulsait dans mes veines, alimenté par la nécessité de me défendre.

— Rentrez chez vous et oubliez cette idée stupide, lançai-je d'une voix ferme, espérant les dissuader.

Cependant, la résistance dans leurs yeux trahissait une loyauté indéfectible envers Théo. Ignorant mes paroles, l'un d'eux tenta une attaque coordonnée avec son complice, mais mes années d'entraînement dans l'ombre des ruelles avaient affûté mes réflexes. Je parai leurs assauts avec une précision calculée, utilisant leur propre élan contre eux.

Au milieu de la mêlée, je pris conscience que la situation risquait de dégénérer davantage. Mon esprit, cependant, restait calme et concentré. Soudain, une voix familière retentit derrière moi.

— Hé, les gars, c'est bon, lâchez l'affaire. Vous n'allez rien y gagner, déclara Théo, émergeant de l'ombre avec un sourire moqueur.

Il se tenait là, confiant, accompagné du reste de sa bande. Un sourire suffisant étirait ses lèvres, tandis que ses acolytes paraissaient prêts à en découdre. La tension dans l'air était palpable, et la confrontation atteignait son apogée.

— Tu n'as vraiment pas compris, n'est-ce pas ? Tu croyais pouvoir revenir ici et tout changer, mais tu es toujours la même, cracha Théo, un rictus de dédain sur le visage.

Malgré les provocations, je restai silencieuse, observant la scène, inébranlable. C'était un terrain familier, et j'étais prête à affronter les conséquences de mon retour.

Les complices de Théo, encouragés par la présence de leur chef, reprirent leur assaut avec une intensité renouvelée. La danse violente des couteaux et des barres de métal reprit, et je réagis avec agilité pour éviter les attaques.

Cependant, la situation se compliqua lorsque je sentis une douleur fulgurante à l'épaule. L'un des complices avait réussi à m'atteindre. Malgré la douleur, je maintins ma concentration, repoussant la faiblesse qui menaçait de m'envahir.

— Ça suffit ! s'écria une voix forte.

Un groupe de jeunes hommes apparut soudainement, émergeant des ombres environnantes. Ils semblaient indépendants de Théo et sa bande, mais déterminés à mettre fin à l'affrontement. La dynamique changea instantanément.

— On n'a pas besoin de plus de violence ici. Partez avant que ça ne dégénère davantage, déclara l'un d'eux d'un ton ferme.

Théo et sa bande échangèrent des regards incertains, évaluant la situation. Finalement, avec une dernière réplique méprisante, ils choisirent de se retirer, disparaissant dans les ruelles sombres.

Les jeunes hommes qui étaient intervenus se tournèrent vers moi avec des expressions compatissantes. L'un d'eux s'approcha.

— Ça va aller ?

Ces jeunes hommes ne m'avaient jamais rencontrée en personne, mais ils semblaient bien connaître mon histoire. Ma réputation s'était répandue, non seulement parce que j'avais réussi à m'échapper de cet environnement, mais aussi en raison de ma réputation de force. Leurs regards étaient empreints d'admiration et de respect.

L'un d'eux s'approcha, l'expression sincère.

— On a entendu parler de toi, de ce que tu as traversé et de comment tu as réussi à changer ta vie. C'était incroyable de te voir agir là-bas. On t'admire vraiment, dit-il, son ton teinté de respect.

Un sentiment mitigé de gratitude et de surprise m'envahit. J'avais l'habitude de naviguer seule dans les méandres de mon passé, mais l'idée que d'autres, des inconnus, suivaient mon parcours avec admiration était à la fois réconfortante et étrange.

— Merci, répondis-je sobrement. Je ne m'attendais pas à croiser des alliés ici.

Un autre jeune homme prit la parole, un sourire chaleureux illuminant son visage.

— On est du quartier, on sait ce que c'est. Et voir quelqu'un comme toi, qui a réussi à s'en sortir, c'est une inspiration pour nous tous.

Les éloges modestes de ma part ne semblaient pas dissuader leur admiration, et je fus touchée par la sincérité de leurs paroles. Je les remerciai, reconnaissante pour cette rencontre inattendue. C'était un rappel que, même dans les recoins les plus sombres, l'espoir pouvait surgir sous des formes inattendues.

Je pris congé de ces messieurs, les remerciant pour leur intervention salvatrice. Remontant dans la voiture, je trouvai Jade toujours là, paralysée et de tremblante. Je la remerciai du fond du cœur pour m'avoir attendue.

Cependant, elle se qualifiait de lâche, une étiquette qu'elle s'infligeait sans pitié. Je posai ma main sur la sienne, cherchant à apaiser ses tourments.

— Jade, tu es la femme la plus forte que je connaisse. La force ne se mesure pas toujours à la manière dont on se bat physiquement, mais à la manière dont on soutient ceux qu'on aime. Tu as été là pour moi, et ça compte plus que tu ne peux l'imaginer. Ne te sous-estime pas, lui assurai-je avec conviction.

Son regard vacillait entre l'incompréhension et la gratitude, mais je savais que mes mots commençaient à faire leur chemin.

— Tu aurais pu simplement partir avec la voiture, sans moi, mais tu ne l'as pas fait. Tu aurais également pu appeler les garçons à l'aide, mais tu ne l'as pas fait. Tu me connais trop bien, tu sais que je n'aurais pas apprécié de dévoiler ce côté de ma personnalité devant eux.

Je lui tapotai le dos avant de mettre le contact. Le moteur ronronna, offrant un semblant de réconfort. Nous quittâmes alors le quartier, avec en cadeau de notre passage, quelques blessures superflues. Hormis mon épaule, l'un des acolytes de Théo avait réussi à me marquer la joue, tandis qu'un autre avait décoché un coup de poing douloureux dans les côtes. Celui-là, je l'avais bien ressenti ! Le bleu ne partirait pas de sitôt, l'expérience me l'enseignait.

À travers le rétroviseur, la cité s'éloignait, mais les souvenirs m'assaillaient. Une sorte de mélancolie me prit à la gorge, comme si chaque ruelle, chaque bâtiment, portait l'empreinte indélébile de mon passé.

Je gardais le silence pendant un moment, laissant la distance grandissante entre la voiture et le quartier agir comme une bouffée d'air frais. Les blessures me rappellaient que la réalité de cet endroit était souvent brutale, mais c'était aussi ici que j'avais forgé une part de moi-même.

Jade rompit le silence avec une voix douce, comme pour conjurer les démons du passé.

— Tu es sûre que tu vas bien ? C'était... intense là-bas.

Je lui adressai un sourire rassurant, même si une partie de moi restait enracinée dans les ruelles que nous venions de quitter.

— Ça ira. Ces cicatrices ne sont rien comparées à celles que j'ai laissées derrière moi...


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