Chapitre 2: Le voisin du siège 55

Je me retrouvai dans la somptueuse cabine de la première classe, un luxe que je ne m'étais jamais permis auparavant. Les sièges moelleux semblaient me chuchoter de douces promesses de confort, et la perspective d'avoir un siège pour moi seule était des plus alléchantes. Mais, comme le destin aime jouer de mauvais tours, le siège 57 n'était pas aussi isolé que je l'aurais espéré. J'espérais juste tomber sur un voisin sympathique, quelqu'un avec qui je pourrais cohabiter pacifiquement pendant les longues quatorze heures à venir. Tout ce que je désirais, c'était la paix pour profiter de ma série en toute quiétude !

Siège 57, siège 57... Le voilà !  Je laissai échapper un soupir de soulagement en déposant ma valise dans le compartiment au-dessus de moi. Épuisée par les événements de la journée, je m'affaissai dans mon siège, massant doucement les muscles endoloris par mon intervention imprudente auprès de la star coréenne.. À y repenser, j'aurais pu perdre ma valise dans toute cette agitation, ce qui eut été une catastrophe. !

Pourtant, ce qui me tracassait le plus, c'était l'éventualité que cette histoire devienne virale sur les réseaux sociaux. Les rumeurs, les spéculations, les photos floues de l'incident... Tout ceci allait certainement agiter la toile d'Internet pendant des semaines. Je secouai légèrement la tête, essayant de chasser ces pensées envahissantes, et la laissai reposer sur ma main. Je me tournai alors vers la fenêtre, cherchant un peu de calme et de sérénité dans le spectacle du paysage en contrebas. Il valait mieux ne pas se laisser accabler par un futur incertain. Après tout, j'avais fait ce que je pensais être juste, même si la suite des événements pourrait s'avérer un peu tumultueuse.

En attendant mon mystérieux voisin, je parcourus du regard les autres passagers de la cabine. Quelques rangées plus loin, je le remarquai, lui,  et lui fis un petit signe de la main. Je le vis esquisser un sourire étonné, apparemment surpris de me voir à bord du même avion après notre récente rencontre.

Satisfaite, je m'étirai les bras avant de jeter un coup d'œil à mon téléphone, vérifiant une dernière fois mes messages avant de le passer en mode avion. Le compte à rebours indiquait qu'il restait à peine quinze minutes. C'est alors que mon voisin fit son apparition, visiblement essoufflé. Je m'interdis de confirmer les stéréotypes, mais il fallait avouer que le jeune homme devant moi semblait correspondre parfaitement à l'image de l'intellectuel : une pile de livres soigneusement posée sur ses genoux, des lunettes rondes sur le nez et une mèche blonde qui lui tombait négligemment devant les yeux. Il se présenta alors comme un Britannique, cinq ans plus jeune que moi, avec pour ambition de devenir avocat. Que disais-je déjà ? Ah oui, le cliché...

Enfin, l'avion s'élevait lentement dans les cieux. Je sortis mon ordinateur et lançai le premier épisode d'une série que j'avais téléchargée pour passer le temps pendant le vol. Après quelques minutes captivantes, je ressentis un regard scrutateur posé sur moi. Wilfried, mon voisin, avait relevé la tête de son livre et semblait intrigué par ma série. Je lui fis signe de s'approcher et lui proposai de partager mes écouteurs pour qu'il puisse profiter du son. Heureusement pour lui, la langue de la série était l'anglais.

La fatigue m'envahit trois heures plus tard. J'ai donc décidé de faire une pause bien méritée. Wilfried a approuvé ma décision, lui aussi lassé de ne faire que ça. Un claquement sec retenti lorsque j'ai fermé mon ordinateur. Je l'ai rangé dans un froissement et me suis reposée contre l'appuie-tête, les paupières closes. Quelques instants plus tard, une hôtesse s'approcha de nous, offrant une multitude de rafraîchissements, mais surtout la promesse d'un porte-monnaie vide. En bonne poire que je suis, j'ai craqué pour des Kit Kat et plusieurs sodas. Mauvais pour la santé ? Oui, je le sais ! Mais je compense avec du sport, en vraie sportive que je suis! Cependant, un détail désastreux : un soda fut de trop et me voilà devant les toilettes. Ah les toilettes... Un ennemi terrible dans les milieux publics! J'évitais toujours ces endroits autant que je le pouvais, n'ayant pas confiance en l'hygiène de mes compères.

Je dus attendre comme une idiote, à me dandiner dans le petit espace entre les deux cabines, en attendant que l'une d'elles soit libre. Cinq longues minutes passèrent alors. Y aurait-il une constipation de l'autre côté de la porte ?

Finalement, la porte s'ouvrit, révélant une jeune femme d'un certain âge. Elle me sourit poliment avant de s'éclipser sans un mot. J'entrai à mon tour, surprise par la propreté étonnante de ces toilettes. Les services de la première classe semblaient s'être infiltrées même dans ce petit coin isolé de l'avion. Je me sentis subitement apaisée, appréciant les petits avantages offerts par celle-ci.

Après avoir essuyé mes mains avec un air satisfait, je m'apprêtais à retourner à mon siège, mais une main effleura mon épaule. J'étais sur le point de me lancer dans un discours philosophique sur les dangers des bactéries lorsqu'à ma grande surprise, je me retrouvai face à Kim Taehyung, alias V. Je ne suis pas du genre à me la jouer, mais rencontrer une star de la K-pop devant les toilettes d'un avion, ce n'était pas tout à fait ce que j'avais imaginé pour ma première classe. Il me demanda avec un sourire éclatant s'il pouvait prendre une photo avec moi. J'ai d'abord vérifié rapidement s'il y avait bien un miroir pour être sûre que mes cheveux n'étaient pas en pétard.

Pause.

Rembobinage.

Où est la caméra cachée? On m'avait toujours dit que mon heure de gloire allait arriver, mais de là à poser pour une photo avec un membre de BTS... Eh bien, ça m'a tout de même pris par surprise. Mais bon, après une explication aussi claire qu'une soupe de nouilles, j'ai compris que c'était pour montrer à ses camarades qui était la super-héroïne de l'aéroport. Alors, pourquoi pas ? Je sorti mon téléphone, lui le sien, puis on prit chacun une photo à l'aide de notre appareil. Je m'imaginais déjà une Jade verte de jalousie!

Satisfaits, nous retournions à notre place.

Le voyage touchait à sa fin. Ma série, mon principal compagnon d'infortune, avait rendu l'âme après des heures d'engouement. Ne restait alors qu'un temps mort angoissant avant l'atterrissage. Mon voisin, plein de sollicitude, m'avait offert la lecture d'un de ses pavés ennuyeux. À défaut de m'intéresser, cela eut au moins le mérite de m'occuper l'esprit pour les dernières minutes de ce long périple aérien.

Je fus l'une des premières à émerger de l'avion, accompagnée de Wilfried. Dès que nous nous retrouvâmes à l'air libre, je m'étirai et pris congé du jeune Britannique, lui souhaitant de briller dans ses études. D'un pas alerte, je me dirigeai ensuite vers la longue procession des bagages. Cela m'évoquai un chenille, las de cette routine.

Le moment de récupérer ma valise était enfin arrivé. Alors que je la soulevais du tapis roulant, un bruit métallique se fit entendre. Je tournai la tête pour découvrir une scène désopilante : un jeune homme tentait désespérément d'attraper une valise sur le point de lui échapper des mains. Il donnait l'impression de danser un tango improvisé avec la rebelle. Mon visage s'illumina d'un sourire amusé. C'était un spectacle bienvenu après ces longues heures de vol.

L'excitation au cœur, je parcourais les derniers mètres qui me séparaient de la sortie et pris une grande bouffée d'air. C'était une éternité depuis la dernière fois que j'avais ressenti cette distance de la France ! Mes souvenirs me ramenaient à près de neuf ans en arrière, à cette époque où j'avais foulé le sol du Japon aux côtés de ma famille d'accueil. Je me souvins vaguement, des saveurs du yakitori et des dorayakis flottant dans l'air. Ce voyage n'avait pas été une partie de plaisir, mais Tokyo avait su me réconforter avec sa nourriture.

Le présent s'annonçait tout aussi prometteur. La perspective de découvrir un nouveau pays et de m'immerger dans une nouvelle aventure ravivait mon énergie. J'avais appris à être ouverte à toutes les expériences, et cette nouvelle destination éveillait en moi un mélange d'excitation et de curiosité. Je me surpris à sourire en imaginant les découvertes qui m'attendaient dans ce nouveau lieu.

Soudainement, le vacarme étourdissant de la capitale m'assaillit violemment. Séoul dansait la samba avec mes nerfs épuisés. J'ai donc agité frénétiquement ma main pour héler un taxi, désireuse de me fondre dans les bras moelleux de mon lit d'hôtel, au plus vite. C'est là que surgit, tel un ninja en costume, le manager de V, plus mystérieux que le contenu d'un sac à main de Mary Poppins. Il semblait avoir quelque chose d'important à me dire... Je demandai à mon taxi d'attendre un peu, l'amadouant par quelques billets supplémentaires.

Je suivis ensuite le monsieur jusqu'à un van noir où m'attendaient la star du jour et deux gardes du corps. Enfin, ils sont là ceux-là ! Je m'offris le luxe de les inspecter de haut en bas, comme un détective qui se régale d'une affaire de meurtre dans une série policière. 

L'un d'eux avait l'air d'avoir trente ans, avec ses cheveux serrés en arrière comme s'il avait oublié son rendez-vous chez le coiffeur. Une oreillette traînait sur son épaule, probablement en conversation avec le président ou peut-être même avec l'extraterrestre le plus proche. Il m'a lancé un regard de défi, les sourcils dressés, lorsque je m'approchai de leur groupe. Son collègue, quant à lui, ressemblait à un bulldog grognon, avec des yeux perçants qui semblaient dire "approche-toi et tu vas regretter de ne pas avoir choisi les Kit Kat à la place du pop-corn". Bien qu'il soit clairement plus jeune que le premier, son costume impeccable révélait un ensemble de tablettes de chocolat qui auraient fait de l'ombre à Hercule. Miam! Qui l'a façonné celui-là??

Le manager me tira de mon analyse et m'expliqua la raison derrière mon interpellation. V était follement reconnaissant pour l'aide dont j'avais fait preuve à Paris. Je vous passe la litanie de "merci" que l'on m'adressa, pour arriver au fin mot de l'histoire : ils voulaient me payer mon séjour en Corée, comme si j'étais un agent secret en vacances ! J'ai catégoriquement refusé toute compensation, mais ils semblaient déterminés à me couvrir de billets. Alors j'ai balancé un "Désolé les gars, mais je prends la poudre d'escampette !" avant de m'évaporer sous leur regard médusé.

Je ris de bon coeur en observant leur mine déconfite  à travers la vitre arrière de la voiture. Toujours aussi exaltée, je demandai au chauffeur de me déposer dans un hôtel au cœur de la ville. Profitant de l'occasion, je désactivai le mode avion de mon téléphone, qui subi immédiatement une avalanche de notifications, le champion toutes catégories étant WhatsApp. Je fis défiler les conversations : la reine des fous, les manchots un peu stupides, et enfin un dernier groupe : les danseurs de l'apocalypse. Lui non plus, n'apaisait pas le flot de messages...

Un quart d'heure plus tard, j'étais enfin arrivée dans ma nouvelle chambre. À peine avais-je posé mes fesses sur le lit que le téléphone se mis à hurler, annonçant l'appel de Jade. Je décrochai avec prudence, comme si j'ouvrais une boîte de Pandore prête à me bombarder de questions.

—JE-VEUX-TOUT-SAVOIR ! a-t-elle commencé, tel un feu d'artifice prêt à éclairer le ciel de mes secrets.

—D'abord, calme-toi. Ensuite, de quoi tu parles ?

—Tu veux me faire croire que tu es passée incognito ? Tu es sur le point de devenir célèbre, ma chère ! Des tonnes de vidéos et de photos pullulent sur Internet à propos de toi et de Taehyung ! Heureusement pour toi, ils ont flouté ton visage...

—Dans ce cas, comment tu as fait pour m'identifier, Sherlock ? lui ai-je lancé, jouant mon rôle du Watson sarcastique à la perfection.

J'entendis un soupir théâtral à travers le combiné.

—Il faut avoir un minimum de logique pour relier les points, ma chère. Tes fringues du matin, le lieu de rendez-vous et la "mystérieuse inconnue". 

Elle freina son élan, réalisant que son moteur d'enquête était un peu trop en surchauffe. Je frottais mon front, sentant un mal de tête pointer le bout de son nez, prêt à me taquiner.

—Alors, alors ? Tu as eu une conversation passionnante ? C'était comment ? a continué Jade, n'ayant visiblement pas l'intention de m'épargner une seconde.

—Oh, absolument incroyable... J'ai rencontré un être humain, rien que ça ! J'en suis toute chamboulée ! ai-je répondu d'un ton faussement émerveillé. Et pour te mettre de bonne humeur, voici un petit cliché souvenir. Allez, bisous ma belle~

Je lui envoyai la photo prise avec V avant de raccrocher illico. Bien sûr, Jade tenta de m'appeler à répétition, mais je résistai à son harcèlement. Tout ce dont j'avais besoin, c'était d'une nuit de sommeil. Une nuit, juste une, sans rêver de célébrité soudaine ni de détectives téléphoniques.

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