Je franchis le seuil de la cuisine avec hâte, mon regard balayant la pièce à la recherche de toute indication sur la situation. Je trouvai Jade accroupie près du comptoir, tenant quelque chose dans sa main tremblante. C'était une photo, révélant trois visages d'enfants rayonnants, capturés dans un éclat de rire figé dans le temps.

—Jade, est-ce que ça va ? demandai-je d'une voix inquiète, m'agenouillant près d'elle.

Je posai doucement ma main sur son épaule, sentant sa tension palpable. Jade leva les yeux, son regard empreint de perplexité. Je m'approchai de la photo, plongeant mon regard dans les visages figés, cherchant à percer le mystère qui semblait émaner de cette simple image.

—Ce ne serait pas Eonjin et ses frères ? m'étonnai-je en reconnaissant les traits effacés de notre amie.

—Si c'est bien elle, explique pourquoi il est là lui, murmura-t-elle, ses pensées voguant au gré ses souvenirs, désignant le garçon qui paraissait être l'ainé de la fratrie.

Intriguée, mes yeux parcoururent la photo d'un regard plus avisé. Jade ne réagirait pas ainsi si elle ne connaissait pas ce garçon. Je me mis à chercher dans ma mémoire, comparant les traits de ce visage avec ceux de mon répertoire visuel. Un choc soudain me figea sur place. 

—Attends... C'est V, n'est-ce pas ? dis-je d'une voix étouffée, la surprise me coupant presque le souffle. 

Jade me fixa avec un mélange d'excitation et de perplexité. La réalisation s'installa lentement, accompagnée d'une sensation étrange qui mêlait surprise et trahison. Nous avions passé du temps respectivement avec Eonjin et V sans jamais soupçonner le lien qui les unissait en tant que frère et sœur. La révélation de cette connexion insoupçonnée me laissa désorientée.

Jade semblait tout aussi bouleversée, son regard rivé sur la photo avec une intensité renouvelée.

—C'est... c'est incroyable, murmura-t-elle, sa voix trahissant une pointe de désarroi mêlé à son émerveillement.

J'acquiesçai doucement, incapable de dissimuler la complexité de mes propres émotions. Cette découverte inattendue suscita un flot de questions et de réflexions.

—Attends... Attends un peu... Qu'est-ce que j'ai bien pu dire sur son frère à Eonjin ? demandai-je, en un rire jaune teinté d'embarras.

Jade se frappa aussitôt le front de la paume de sa main. 

—Oh mon Dieu. Je suis foutue... Laisse-moi, je vais me terrer dans un coin et mourir de honte...

Un silence embarrassé s'abattit sur nous, laissant libre cours à nos souvenirs de toutes nos conversations passées avec notre chère amie. Celle sur le petit cousin de Jade paraissait être la plus gênante, et se fut celle qui tourna en boucle dans nos têtes. 

—Et dire que j'ai raconté avoir reniflé ses cheveux juste parce que V les avait touchés... Mama mia, je suis dans de beaux draps... soupirait Jade, réalisant l'absurdité de ses paroles et la situation délicate dans laquelle elle était désormais.

Je pris une profonde inspiration, tentant en vain de reléguer ce souvenir embarrassant au fin fond de ma mémoire, espérant qu'il s'estomperait avec le temps.

—Donc...  Tu penses qu'elle a eu un rôle à jouer dans les billets pour le concert et notre rencontre privée avec eux ? demandai-je.

Jade hocha la tête avec force. 

—C'est certain ! Oh là là ! Je n'arrive toujours pas à y croire !! Comment n'ai-je pas pu le réaliser plus tôt ? C'est tellement évident maintenant ! Tu te rends compte que, à part le petit frère, nous avons rencontré toute sa famille ?! Genre... La famille de V quoi!  s'exclama-t-elle, en proie à la plus grande crise de son existence.

Je sentis mes joues s'empourprer en même temps que celle de mon amie alors que je réalisais l'étendue des dégâts.

Jade se releva brusquement et se tint la tête.

—Crois-moi, dès qu'on rentre, on va avoir une conversation sérieuse avec Eonjin ! s'exclama Jade avec détermination.

Je hochai la tête avec force, partageant ses pensées. Oh oui, il était grand temps de clarifier certaines choses.

Nous continuâmes à ruminer notre découverte troublante tout en nettoyant le désordre causé par le vase brisé. Les éclats de verre furent soigneusement rassemblés dans un sac-poubelle, prêts à être jetés dans le conteneur prévu à cet effet plus tard. La frustration de ne pas avoir été mise au courant de la relation entre Eonjin et V nous animait, nourrissant notre désir de revanche.

De retour près des pulvérisateurs à l'extérieur, en attendant le retour de nos sauveurs, nous nous lancions dans une discussion passionnée, élaborant un plan minutieux pour rendre la monnaie de leur pièce à Eonjin et à son frère. Il était temps de leur montrer qu'on ne pouvait pas simplement jouer avec nos esprits sans en subir les conséquences.

Nous élaborâmes soigneusement notre plan de revanche, tout en luttant contre les pucerons dévastateurs, échangeant des idées avec un sourire malicieux. Après de longues délibérations, nous décidâmes de mettre en scène une situation où V se retrouverait à la maison d'Eonjin, sans se douter de notre présence.

Ce fut lorsque nous achevions de pulvériser la dernière dose d'huile de neem sur les plantes, que nous entendîmes le vrombissement familier du moteur de la voiture d'Eonjin et de ses parents. Ils étaient de retour avec l'huile tant attendue ! Je soupirai aussitôt de soulagement, de concert avec mon amie, comprenant que nous avions enfin les renforts désirés. 

—Pas trop dur ? s'enquit le père, s'activant pour aider sa femme à décharger les produits.

Leur fille, quant à elle, se précipita vers nous avec un sourire chaleureux.

—Allez, laissez-nous faire, vous l'avez bien mérité ! déclara-t-elle avec une gratitude évidente dans sa voix.

Épuisée, j'avais laissé tomber toute rancœur envers le fait qu'elle ne nous ait rien dit à propos de son frère. Au contraire, tout ce que je désirais à présent était du repos ! Mes muscles endoloris criaient grâce, témoignant de la tâche ardue que nous venions d'accomplir.

Quelque temps plus tard, nous pouvions enfin nous réjouir du fait que les cultures étaient désormais en sécurité grâce à nos efforts soutenus, à tous.

Les outils de pulvérisation furent rangés méticuleusement, de même pour le les équipements. Enfin, je me dirigeai avec mes amies vers le porche de la maison, laissant derrière nous le doux parfum de l'huile de neem se mêler à l'air frais de la campagne. Satisfaites de notre dur labeur, nous nous installâmes sur des chaises longues, nous préparant à savourer un moment bien mérité de détente.

Le soleil commençait à se coucher lentement à l'horizon, jetant une lueur dorée apaisante sur la campagne environnante, tandis que les oiseaux chantaient doucement leurs mélodies nocturnes.

Alors que nous nous reposions, Eonjin vint vers se tourna vers nous. 

—Je crois qu'il est temps pour nous de rentrer chez moi, dit-elle doucement. Allons dire au revoir à mes parents.

J'acquiesçai, consciente qu'il se faisait tard. S'ensuivirent des salutations entre le couple de fermiers et nous trois. Les parents d'Eonjin exprimèrent leur gratitude pour notre travail acharné, soulignant combien notre aide avait été précieuse pour la préservation de leur récolte. Eonjin serra ses parents dans ses bras et leur fit promettre de rester en contact et de nous tenir informées de l'avancée de la situation.

La mère d'Eonjin nous fixa du regard.

—N'oubliez pas de bien manger ce soir, mes chéries, nous dit-elle d'une voix douce, avant de nous souhaiter bon courage pour le retour à Séoul. 

Son regard bienveillant semblait nous accompagner alors que nous prenions le chemin du départ.

Lorsque nous arrivâmes à la maison, Eonjin fila directement sous la douche, probablement épuisée par la journée. Je jetai un coup d'œil à Jade, qui me renvoya un sourire complice. C'était le moment opportun pour passer à l'action. Mission : la vengeance ! Nous nous faufilâmes furtivement dans sa chambre. Je pris son téléphone et réussis à le déverrouiller après plusieurs tentatives. Sérieusement, elle devrait revoir la sécurité de son téléphone, son mot de passe était bien trop facile à deviner ! Jade le prit des mains et entreprit de fouiller dans ses contacts pour trouver celui de son frère. Quand elle l'eut localisé, elle esquissa une petite danse de la victoire.

—On envoie quoi comme message ? murmurais-je.

Jade réfléchit un instant, l'air malicieux. 

—Je viens de prendre ma douche et je me suis étalée par terre, je n'arrive plus à me relever et les filles ne sont pas là. Viens m'aider s'il-te-plaît ! proposa-t-elle, sa voix empreinte d'une innocence feinte.

—Hmm, pas mal du tout, mais on pourrait le peaufiner un peu, acquiesçai-je en souriant.

Deux minutes plus tard, le message était prêt, envoyé avec assurance. La réponse ne tarda pas à arriver : "Ne bouge pas, j'arrive !" Je me mis à rire machiavéliquement, bientôt rejointe par Jade. Nous éteignîmes ensuite le téléphone pour faire croire à Eonjin qu'il était à court de batterie à son retour. Je suggérai ensuite de le cacher soigneusement, histoire de maintenir un peu plus longtemps le suspens.

—Les filles ! Vous êtes où ? demanda Eonjin en sortant de la salle de bain.

Tranquillement installées dans le salon, absorbées par des vidéos délirantes sur internet, nous lui répondîmes d'une voix faussement innocente. Elle s'empressa alors de revêtir son pyjama et de se joindre à nous.

-—Vous faites quoi de beau ? s'enquit-elle, curieuse.

—On se laisse aller sur internet en vraies larves professionnelles, comme tu peux le constater, répliquai-je avec un sourire espiègle.

Elle acquiesça en riant. 

—Bonne idée, je vais faire de même.

Quelques instants plus tard, elle réapparut, l'air perplexe. 

—Dites, vous ne sauriez pas où j'aurais mis mon téléphone par hasard ? Je suis un vrai tête en l'air et je ne sais plus où je l'ai posé !

Nous lui fîmes croire que nous cherchions avec elle, mais en réalité, nous l'avions soigneusement caché. Alors que nous feignions tous les deux de l'aider, le bruit d'une voiture se fit entendre à l'extérieur, se garant juste devant la maison.

—Oh, mais qui cela pourrait-il être ? demanda Jade derrière un faux air sérieux, sachant pertinement, tout comme moi, qui était cette personne.

—Je me le demande vraiment. Qui pourrait bien nous rendre visite à cette heure-ci ? ajoutai-je, luttant pour ne pas éclater de rire.

Une clé tourna dans la serrure, la porte s'ouvrit brusquement. La personne qui entra semblait pressée, et le choc de son arrivée fit presque s'évanouir Eonjin. Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire, mon amusement devenant presque incontrôlable.

— Tu n'étais pas censée ne pas pouvoir te relever ? s'enquit le nouvel arrivant, inquiet pour sa soeur.

— C'est quoi cette histoire ? Pourquoi tu t'es ramené frérot ? lâcha Eonjin, ahurie.

Puisqu'il semblait être un habitué de la maison et qu'il avait les clés de celle-ci, cela paraissait difficile pour Eonjin de feindre l'innocence.

Elle se retourna vers nous, cherchant nos réactions. Nous étions écroulées de rire sur le canapé, moi-même en train de chahuter Jade en la bombardant de coussins. Mes yeux étaient embués de larmes, tant j'étais prise d'un fou rire incontrôlable.

— Les filles... C'est vous ? Vous le saviez ? Depuis quand ? interrogea-t-elle, surprise.

Entre deux éclats de rire, Jade parvint à articuler : 

— Depuis aujourd'hui, 15h25 et 30 secondes pour être précise.

Nos rires remplirent la pièce, laissant le frère et la soeur pantois.