5. Ami d'enfance.
Août 2013,
April.
Je me levai en râlant. Dernière grasse matinée, ce qui signifiait que mes vacances touchaient déjà à leur fin. Je n'avais aucune envie de rentrer au lycée. Non pas parce que j'avais peur, mais plutôt parce que je ne me sentais pas bien ici. Paris, la France, ce n'était pas chez moi. Petite, je venais souvent rendre visite à ma grand-mère, mais je n'aimais pas particulièrement cela. Les gens, d'ici, étaient trop différents de ceux de la ville d'où je venais. Les parisiens étaient des êtres froids, qui ne se mélangeaient pas aux autres. Peu de sourire, de voix agréable. Seulement des têtes baissées, des pieds courant à vive allure sur le béton taché de chewing-gum. Mais soit, je devais aller au lycée malgré tout.
Je descendis en bas et me retrouvai nez à nez avec Arthur. Il était seul et personne n'avait l'air d'être réveiller. Une sorte de boule d'angoisse s'empara de mon ventre et j'hésitai à remonter discrètement dans ma chambre. Cet homme était sans aucun doute la seule chose qui me faisait réellement peur. Ce genre de peur bleu, où l'on avait conscience que c'était dangereux et qu'il valait mieux déguerpir si l'on tenait à sa vie.
Je respirai un bon coup et pris sur moi, il n'était pas question que je me défile. J'étais une femme forte. J'avançai donc jusqu'à l'îlot centrale de la cuisine et je m'attelai à la préparation de mon petit-déjeuner.
— April ? M'interpella mon père.
Je l'ignorai royalement, ne souhaitant pas lui parler. Je n'avais jamais adoré mon père – vous me diriez que je ne pense pas ce que je disais, tant pis– je ne l'avais jamais aimé tout court. Ma mère était la seule à nous élever, lui, était présent une semaine sur deux. Quand il était là, la tension était palpable. Petite, il passait son temps à me rabaisser quand ma mère avait le dos tourner. Puis au fur et à mesure, on le voyait de moins en moins. Il s'absentait même des mois entiers, voir même plusieurs mois d'affilés. Je m'étais donc passée de mon père pour diverses raisons. À présent, c'était comme si je n'en avais jamais eu.
Je l'entendis se lever et il m'attrapa fermement le poignet. Il me tourna violemment vers lui et me regarda méchamment, avec un sale rictus au bout des lèvres. Il leva sa main et elle s'abattit comme naturellement sur ma joue. Il avait presque mis toute sa force. Ma joue était en feu et comme par automatisme, ma glande lacrymal commença à produire des larmes de rage.
— Tu me fais honte, tu me fais honte devant Valérie, pauvre fille, me cracha-t-il à la figure.
Il sourit, content de lui et s'en alla dans sa chambre, me laissant seule. Ma joue me faisait mal, mais j'avais déjà vécu pire. Je relevai la tête et rencontrai à mon plus grand malheur, le regard d'Antoine, qui avait l'air hors de lui. Mon père avait réussi à m'humilier devant mon nouveau demi-frère. Ce n'était pas surprenant de sa part, je ne devrais même plus m'étonner. Je me retournai, honteuse, vers le plan de travail et fis comme si de rien n'était.
Je sentais la présence de mon demi-frère derrière moi. Ses bras vinrent m'enlacer et il nicha sa tête dans le creux de mon cou. Il déposa ses lèvres sur ma peau et ce geste eut le don de me faire frissonner.
— Ça va ? Me demanda-t-il.
Je ne répondis pas, sachant pertinemment que j'allais me remettre à pleurer, mais cette fois-ci, de tristesse.
— April, regarde moi, m'ordonna-t-il.
Je secouai la tête de droite à gauche et me dégageai de son emprise. Je n'aimais pas cette pitié qui dégageait de son être quand il me parlait. J'emportai mon petit-déjeuner avec moi et montai rapidement dans ma chambre. Je mangeai en vitesse et allai dans mon dressing. Je parcourrai mes étagères du regard, pour finalement prendre un short et un débardeur. Je courus jusqu'à la salle de bain, m'habillai et terminai de me préparer. Je n'avais pas envie de passer la journée ici, encore moins avec Antoine. Je ne supportais pas sa façon de me regarder. Cela m'angoissait.
Assise sur mon lit, bien déterminée à ne pas rester une minute de plus dans cet horrible appartement, une idée folle me vint à l'esprit. Je composai alors un numéro que je n'avais pas appelé depuis une éternité.
• April ? s'étonna la voix rauque à l'autre bout du fil.
• On peut se voir ? demandai-je sans prendre la peine de répondre.
• Euh...oui, bien sûr que oui. Qu'est-ce qu'il se passe ?
• Je t'expliquerai, on se rejoint là où l'on se rejoignait d'habitude.
Je raccrochai sans attendre sa réponse. Je n'en avais tout simplement pas besoin puisque je la connaissais déjà. Je pris mon téléphone et mon portefeuille avec moi, je fourrai le tout dans mon sac à main et descendis promptement les escaliers. Mon demi-frère me lança un regard interrogateur que je pris soin d'ignorer et sortis de l'appartement en claquant la porte. Je m'enfuis et me dirigeai vers le lieu de retrouvailles.
Il était déjà là. Il m'attendait, ses écouteurs dans les oreilles, assis sur ce banc que nous aimions tant. Cela faisait au moins deux ans que je ne l'avais pas vu. Quand je venais voir ma grand-mère, il habitait en dessous de chez elle, je passais mes journées avec lui. Il devait maintenant avoir seize ans. Mon meilleur ami m'avait vraiment manqué.
Quand il me vit, un sourire illumina son visage et il se dépêcha de venir m'enlacer.
— April, je suis tellement content de te voir, me chuchota-t-il à l'oreille.
— Moi aussi Benjamin.
Il avait beaucoup changé en l'espace de deux ans. Il avait fait sa poussée de croissance, ses cheveux étaient maintenant coupés courts, sa carrure était beaucoup plus imposante que dans mon souvenir et sa voix bien plus grave que la dernière fois que je l'avais vu.
Il passa son bras sur mes épaules et on commença à marcher. On ne savait pas trop où on allait mais ce n'était pas bien grave, je me sentais apaisée. Benjamin avait toujours eu ce don incroyable de m'apaiser. Il rendait toujours l'atmosphère très agréable.
— Alors, tu m'expliques ? Qu'est ce que tu fous ici ?
Je lui expliquai tout, partant du décès de ma mère jusqu'à cette foutue gifle de toute à l'heure. Il m'avait écouté calmement sans rien dire. Benjamin ne parlait pas pour ne rien dire, c'était quelqu'un de réfléchi et il tournait toujours sept fois sa langue avant de parler.
— Tu as bien fait de m'appeler April, lâcha-t-il au bout d'un moment.
Pas de pitié, pas de désolé insupportable, pas de regard attristé, juste une présence.
— Allez viens, je vais te changer les idées.
Je lâchai un pauvre rire et le laissa m'attraper le poignet. Il choisit de m'emmener sur les Quais. Décidément, je passais ma vie là-bas. On s'assit à même le sol, il sortit une enceinte, de son sac à dos abîmé par le temps et l'alluma. Elle diffusait une chanson qu'on écoutait ensemble à l'époque, où je venais passer mes étés à Paris. Ma voix recouvrait celle du chanteur tant je criais fort. Les gens passaient devant nous, en nous regardant avec de gros yeux, l'air de dire « ils feraient mieux de préparer leur rentrée ».
— On va manger ? me proposa-t-il en riant.
— Oui et c'est moi qui invite !
— Tant mieux, puisque je n'avais pas l'intention de le faire.
J'ai pouffé de rire en rejetant ma tête vers l'arrière.
— Alors en contre partie, c'est moi qui choisis, dis-je en jouant avec mes sourcils.
— Tant que je mange, moi ça me va, dit-il en haussant les épaules.
Je rigolai, hilare. Ce mec était vraiment génial.
Je décidai de l'emmener manger dans un japonais. J'affectionnai tout particulièrement la nourriture japonaise. Si je devais me nourrir que d'une seule chose pendant tout le reste de ma vie, cela serait définitivement la nourriture japonaise. On s'assit à une table du restaurant et on commanda. Quand nos assiettes
arrivèrent, Benjamin resta un long moment à contempler son plat sans rien dire puis il releva la tête vers moi en souriant bêtement.
— Je vais demander une fourchette, je ne sais pas manger avec des baguettes, m'informa-t-il.
Je ne pus m'empêcher de rire. Il l'avait dit de façon si naturelle, c'était à mourir de rire.
— Tu m'avais vraiment manqué Ben ! Rigolai-je en secouant la tête.
Il me fit un clin d'œil et commença à manger avec sa fourchette que venait de lui apporter la serveuse. On savoura notre repas sans parler.
— Comment va Georges malgré le fait que tu sois partie ?
— Il va plutôt bien, il a commencé ses études de journalisme, il est vraiment content.
Il buvait toutes mes paroles, ce qui je peux l'avouer, était assez plaisant. J'avais toujours adoré être écouter. Après tout, qui n'aime pas l'être ? J'aimais qu'on me regarde, qu'on m'écoute, qu'on me pointe du doigt. J'aimais être au centre de l'attention.
On recommanda des plats, par simple gourmandise. J'avais bien fait de l'appeler, en plus de cela il m'avait vraiment manqué. Je me souvenais lors de mon dernier séjour en France, j'avais passé une après-midi chez lui et on avait imaginé tout un tas de plans pour qu'il puisse sortir avec la fille qu'il aimait. Je lui avais donné le plus de conseils possibles. On avait bien rigolé ce jour-là. À cette époque je n'avais que treize ans et lui quatorze. Ça me paressait tellement loin, alors que ce n'était qu'il y a deux ans.
— Ben, l'appelai-je, tu te souviens de la fois où on avait fait tout un tas de plans pour que tu puisses sortir avec une nana ?
Il inclina la tête sur le côté et réfléchit. Tout d'un coup, il se souvint et rigola. Il hocha la tête et passa sa main dans ses cheveux couleur or.
— Ouais je m'en souviens, d'ailleurs ça a marché, dit-il d'un ton nostalgique.
Je souris, et l'incitai à poursuivre, voulant absolument en apprendre davantage.
— Eh bah...nous sommes sortis ensemble. Pendant un an et demi, j'ai cassé en janvier dernier.
Un an et demi, comme ma relation avec Luc. C'était marrant, à première vue on pourrait croire que Benjamin était un mec du type bad boy, un vrai déchet avec les filles alors que c'était tout le contraire.C'était un garçon adorable qui se cachait sous une carapace difficile à percer. Mais le plus drôle dans tout cela, était que nous étions pareil. Nous avions la même carapace, le même caractère et les mêmes façons d'agir.
— Cela t'ennuie si je te demande pourquoi ? hasardai-je curieuse, en attachant mes cheveux.
— Pas du tout, c'est grâce à toi si j'ai pu être avec elle. J'ai le devoir de te raconter, en plus je lui parlais souvent de toi, sourit-il la mine triste.
Ce qu'il me dit, me toucha. J'avais plutôt du mal à garder des liens avec les gens, j'étais du genre à ne pas aller vers les autres et à attendre qu'on vienne me parler. Mais en plus de ça, je ne cherchais pas spécialement à entretenir mes relations amicales sauf avec les personnes auxquelles je tenais vraiment. Et Benjamin en faisait partit.
— On s'aimait vraiment très fort. J'ai fais ma première fois avec elle, on était très complice, notre relation était magique. Charlie était parfaite à mes yeux. Mais à un moment donné on se voyait moins, elle ne cherchait plus à me voir, ni à me parler, ni à m'appeler et puis j'ai découvert qu'elle m'avait trompé avec un mec un soir, soi-disant parce qu'elle était trop bourrée. J'aurais pu lui pardonner ça car j'étais fou amoureux d'elle. Sauf qu'elle n'a rien fait pour me récupérer, elle n'a pas réagi et m'a seulement dit qu'elle ne voulait pas me faire plus de mal qu'elle m'en avait fait. Du coup j'ai coupé les ponts avec elle.
À la fin de son récit, il haussa les épaules. Il n'avait pas l'air très bien.
— Ben, tu es un mec tellement parfait, tu veux que je te dise, tu es une des seules personnes pour qui je pourrais faire n'importe quoi, et toi même tu sais que je n'ai pas beaucoup de relations amicales aussi forte. Si cette fille n'a pas été capable de t'aimer à ta juste valeur, c'est qu'il faut tirer un trait sur elle. Tu mérites tout le bonheur du monde et si elle ne te l'apportait plus c'est qu'elle n'était pas digne de sortir avec un gars comme toi, dis-je.
— Merci April, c'est vraiment très gentil tout ce que tu me dis, et toi aussi tu sais que je pourrais t'offrir la lune si tu me le demandais.
Bien sûr que je le savais, c'était d'ailleurs pour ça que je l'avais appelé. Juste parce que ce type est génial.
— Et toi alors ?
— Et bah écoute, l'année où j'étais venue ici, peu de temps après je me suis rapprochée de quelqu'un. Il s'appelait Luc. C'était vraiment mon opposé, mec sociable, extrêmement généreux tout simplement mon contraire, abrégeais-je. On passait énormément de temps ensemble, il m'a avoué ses sentiments et j'ai pris peur. J'avais peur, je ne voulais pas lui faire espérer des choses si je n'étais pas capable de les lui apporter, on remerciera mon père. Puis, j'ai décidé de lui faire confiance et à partir de ce jour-là, j'ai passé des moments extraordinaires. Il m'a beaucoup apporté et il m'a vraiment transformé. Je n'étais plus la petite April que j'étais avant. On couchait ensemble, on était très complice, on partageait pleins de choses. Ensuite vint le jour où j'ai appris que je partais, je ne lui ai pas dit. Pourquoi ? Parce que je ne voulais pas lui dire au revoir, je l'aimais trop pour ça. Du coup je le lui ai dit avant de partir, j'ai mis un terme à notre relation car c'était trop dur et j'ai fuis. J'ai été lâche. Je l'ai serré dans les bras, je lui ai répété un milliard de fois que je l'aimais, on a passé la nuit ensemble et puis le lendemain je suis partie pendant qu'il dormait et je ne lui ai pas dit au revoir.
— April, tu es consciente que tu as dû lui faire énormément de mal ?
— Pire, je lui ai brisé le cœur, dis-je en ravalant mes larmes.
— Le destin fait bien les choses, vous vous retrouverez, fais moi confiance, me dit-il avec un clin d'œil.
*
On arriva devant chez moi et on s'assit sur le rebord d'une fenêtre du rez-de-chaussée de l'immeuble. Il devait déjà être dix-neuf heures passé. J'avais passé une superbe journée, j'avais bien fait de me casser de mon nouveau chez moi.
— On essaie de se voir cette semaine poulette ? Tu es dans quel lycée ?
— À Carnot, je t'enverrai mon emploi du temps. Et toi, dans quel lycée ?
— Moi je suis à Chaptal, c'est juste à côté, on pourra se voir, me dit-il content. Tes demi-frères sont aussi dans ton lycée ?
— L'un oui, l'autre à 15 minutes d'ici, d'ailleurs faut que j'aille le chercher demain parce que je veux qu'il me montre où je peux faire du volley et de la boxe.
— La boxe tu peux deja l'enlever de ta liste, tu viendras avec moi, dit-il en souriant. Vendredi soir, je viens te chercher à 18 heures ici.
J'hochai de la tête, hyper contente. Heureusement que je l'avais lui pour tenir le coup.
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NDA :
Coucou, j'espère que vous allez bien !
Je vous remercie pour tout vos commentaires adorables qui me font vachement plaisir. 😉
J'espère que vous apprécierez cette histoire tout autant que moi. Je m'excuse d'avance pour les fautes qui parfois ne sont pas très agréables pas à voir.
On en apprend plus sur notre petite April. Sa relation avec Luc reste encore très secrète, mais pas pour longtemps haha🤔😂.
Quel est votre personnage préféré pour le moment ? Celui que vous aimez le moins ?
Je vous embrasse, Laura.
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