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Souvent, Angèle a besoin de moments rien que pour elle. Des moments où elle peut souffler, où elle peut se sentir seule dans sa bulle, avec un temps pour méditer, un temps pour se déconnecter.

Ce matin, en se réveillant plus tôt pour aller voir le lever de soleil sur la plage, elle ne veut qu'être seule avec elle-même.

Les pieds ancrés dans le sable et le sourire aux lèvres, elle lève la tête vers le ciel encore sombre. Le soleil se lèvera dans quelques minutes, pour amortir la chute des couleurs étoilées pour celles ensoleillées.

— T'es vraiment bête, se souffle-t-elle tout bas.

Au fond, la brune n'aime pas vraiment ce qui lui arrive dans sa vie, alors qu'elle est censée être en vacances. Elle se fait dépasser par ses émotions, s'accroche trop à Coline et agit sans réfléchir avec Selim. Elle n'a pas envie d'être égoïste, mais parfois, l'être la rend moins mélancolique et fragile comme aujourd'hui.

Le père de Selim a un cancer. Et Angèle a l'impression de s'être embarquée dans une aventure qu'elle n'arrivera pas à maîtriser. Coline y arrive. Mais pas elle. Pas Angèle, alors qu'elle n'a aucune idée de ce que ça fait d'avoir une armure fracassée, ses couches de protection envolées. La brune a grandi en renforçant sa carapace un peu chaque jour. Quand elle pleurait pour les amours, elle ne pleurait jamais vraiment de douleur, mais de frustration. Quand elle pleure tout court, c'est souvent pour une poussière dans l'œil ou un mauvais jour.

C'est seulement quand elle souffre pour elle-même qu'elle a peur de connaître la peine. Alors elle affronte, transforme, manipule ses émotions, jusqu'à croire que son cœur est transparent.

Silence.

C'est le bruit des vagues qui la sort de sa rêverie. Elle voit le ciel bleuté se lever et les premiers rayons rougir sur les nuages réveillés.

Angèle a toujours eu le rôle de la conseillère. D'abord parce qu'elle a vécu beaucoup d'histoires étranges et qu'elle en connaît un paquet sur les relations humaines. Mais tout particulièrement parce qu'elle n'a jamais été assez à l'aise pour déverser ses vrais problèmes. Elle veut toujours les régler seule avec elle-même.

Mais là, Angèle ne sait pas ce que ça fait, d'avoir un proche malade. Elle ne sait pas ce que ça peut faire ressentir, de voir une amie crusher sur un premier amour. Elle sait juste ce que ça fait de tomber amoureuse d'une personne qui ne l'aime pas en retour.

— T'es vraiment bête, se répète-t-elle, en se retournant pour rentrer, encore un peu plus perdue avec elle-même.

*

— T'as pas l'air très heureuse, bichette, lance Anatole.

Angèle lève les yeux au ciel. Elle penche sa tête vers le grand brun en train de fumer sa clope assis sur les marches.

— T'étais à la plage ? demande-t-il en invitant la brune à s'asseoir à côté de lui.

Angèle acquiesce. Il lui passe sa clope et elle soupire de satisfaction.

— Tu te réveilles tôt, remarque-t-elle finalement.

— J'arrivais pas à dormir avec Isidore qui ronfle comme un demeuré à côté, réplique-t-il en haussant les épaules.

La brune ne peut pas s'empêcher de sourire un peu, amusée par la remarque. De la maison, elle est la seule à ne pas être proche de tout le monde. Si Anatole est son partenaire de clopes, elle reste très sceptique quant à leur amitié. Ils ne connaissent presque rien de l'autre, à part leur tendance à se niquer les poumons. Et elle a une manie de le croire sans personnalité après toutes les histoires qu'elle a entendues sur lui.

— Je peux te poser une question ?

— Hm ?

— C'est vrai que t'as couché avec Henri, le gars de ma grande sœur, quand t'étais en seconde ?

Angèle ne s'attendait pas à ça. L'histoire remonte à loin, loin, loin.

— Non, mais j'ai failli, répond-elle simplement.

Elle se souvient d'Henri, du garçon qui lui avait offert des places de concert pour son anniversaire, de sa surprise quand elle a appris qu'il était en couple quand il la voyait en secret et qu'elle tombait amoureuse de lui.

— Et toi, c'est vrai que t'as harcelé un gars au collège ?

C'est ce qu'on raconte sur lui.

— Ouais.

Angèle baisse la tête, mal à l'aise. Anatole a l'air de méditer sur le sujet, puis lâche, sans attendre :

— C'était Isidore.

— Hein ?

— Je faisais le connard avec Isi', répète Anatole avec un petit sourire triste.

La brune fronce les sourcils.

— Et vous êtes devenus amis ?

— Ouais. Meilleurs amis. J'sais, c'est dingue. À l'époque, j'étais jaloux de lui. Et puis, petit à petit, j'ai commencé à avoir des délires avec lui. Et à la place de le tyranniser, j'ai commencé à vouloir le protéger des autres méchants comme moi. C'était au collège et j'étais qu'un gros gamin.

Angèle tire une taffe.

— Et tu regrettes pas ?

Il ricane.

— Meuf, à quel moment ça se regrette pas de faire du mal à quelqu'un ? Sauf si t'as zéro scrupule... Bien sûr que je regrette, ça craignait. Des fois, j'ai envie de foutre une raclée à Anatole du passé.

C'est dingue comme les répliques s'enchaînent naturellement. Elle l'écoute attentivement. Et il lui pose d'autres questions sur d'autres rumeurs entendues. Et petit à petit, Angèle apprend à connaître ce mec qu'elle a toujours catégorisé dans la case « gros con » pour le déplacer dans la case « potentiel ami à la con ».

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