Pour le concours de Sayadinah : Peste cristalline. Une maladie incurable s'abat sur le monde, transformant toute sorte de vie en statue de cristal...

AVANT

Forêt Amazonienne, Brésil, 26 Juillet 2016

Des murmures émerveillés, bientôt suivis d'exclamations résonnèrent dans le cockpit lorsque l'hélicoptère survola les arbres malades.

- Fantastique !

- Impensable...

- Merveilleux !

- On dirait un rêve...

Cette dernière remarque décrivait ce que tous ressentaient. En dessous d'eux, trois arbres, trois géants de la forêt Amazonienne, semblaient entièrement faits d'un cristal incroyablement pur. La lumière qui passait à travers était filtrée, et ressortait en toutes directions, transformant les alentours en un champ de couleurs vives.

*

Se reprenant, les scientifiques commencèrent leurs observations d'en haut, avant de se faire déposer aux pieds des arbres. Pendant près d'un mois, l'équipe envoyée par la France pour observer de plus près le phénomène fit expérience sur expérience, scrutant les trois arbres et les environs dans les moindres détails.

Puis, au début du mois de septembre, ils rentrèrent au pays, prêts à annoncer ce qu'ils savaient aux Français.

 Paris, France, 3 Septembre 2016, 16h20

Une grande conférence fut organisée. Dix minutes avant, l'auditorium était comble.

Au premier rang se tenait une petite fille, qui n'avait pas plus de dix ans. Son père avait fait partie de l'équipe sur place, et elle adorait l'écouter parler. Les yeux brillants, elle attendait avec impatience l'arrivée des scientifiques.

Ceux-ci entrèrent bientôt dans la salle. Le silence se fit, et le discours commença.

- Nous avons appris beaucoup de choses en allant sur place, mais c'est cependant juste assez pour énumérer quelques petites informations, trop infimes pour nous mener à quoi que ce soit de concluant, annonça le chef d'expédition. Avant tout, et pour ceux qui ne le savent pas, nous étions dans la Forêt Amazonienne, pour observer trois arbres - repérés par satellite - qui semblaient faits de verre. La vérité est un peu différente. En effet, il semblerait que ceux-ci soient plutôt faits de cristal.

- Nous avons d'abord cherché à savoir si, malgré leur état, ces arbres étaient encore en vie, poursuivit un jeune homme, mais il semblerait qu'ils soient bien morts. La sève ne coule plus, ils se sont arrêtés, tout simplement. Cela touche aussi les êtres vivants à proximité : dès qu'ils restent trop longtemps en contact avec un des arbres contaminés, il commence à développer les mêmes symptômes. Petit à petit, leurs membres se figent, puis se transforment en cristal. Ce n'est que lorsque leur corps entier est solidifié que se transforment à leur tour le cœur, le cerveau et les poumons. Cependant, ils ne semblent éprouver aucune douleur, plutôt un bien-être profond, enrobé d'une douce chaleur.

- D'ailleurs, fit remarquer le meneur de l'expédition, bientôt, toute la forêt sera sans doute cristallisée. Déjà, l'herbe autour des arbres, ainsi que les lianes qui s'y accrochent, les animaux qui y vivent, tout transmet cette sorte de peste cristalline.

La seule femme de l'équipe termina :

- Il n'est pas impossible que la peste cristalline se propage à toute vitesse, et même au-delà de la limite des océans.

Elle leva les mains en signe d'apaisement lorsque des murmures de panique s'emparèrent de l'auditorium.

- Malheureusement, poursuivit-elle, avant de répéter avec plus de force, pour ramener le silence : Malheureusement ! nous n'en savons pas plus pour le moment. Merci de votre attention !

Et elle quitta le micro sous les applaudissements, et des cris de panique. Une phrase courait pourtant sur toutes les lèvres, reflet des images qui avaient été projetées : « On dirait un rêve ! »

*

La fillette se précipita hors de l'auditorium à toute vitesse, se précipita sur son père pour lui sauter dans les bras.

- C'était génial papa ! On dirait vraiment un rêve !

Son père avait de petites rides en soleil au coins de ses yeux bleus et rieurs. Quelques cheveux blancs venaient éclaircir sa chevelure qui avait été noire. Il était grand, et dépassait les gens d'une bonne tête, en général.

- Un rêve, oui... répondit-il d'une voix lointaine. En revanche, je ne suis pas sûr que ce soit génial, comme tu dis. » Il la déposa sur le sol et la prit par la main. « Allez, viens ! On va chercher ta mère !

Après avoir salué rapidement ses confrères, il s'éloigna, emportant avec lui sa fille qui ne s'arrêtait pas de parler.

DIX-SEPT ANS PLUS TARD

Paris, France, 6 Septembre 2033

Dix-sept ans ont passé depuis le retour de l'expédition de mon père.

Quelques jours après être revenu, il s'était rendu compte que petit à petit, son annulaire gauche se cristallisait. Il avait sans doute été piqué par un insecte pestiféré dans la Forêt Amazonienne. Refusant de nous faire courir tout risque, il avait décidé de s'éloigner de ma mère et moi. Depuis, je ne l'ai plus revu.

*

Quelques mois après, comme les scientifiques l'avaient prévu, la peste cristalline se répandit à travers toute l'Amérique du Sud, puis, malgré les barrages, gagna l'Amérique du Nord.

Alors, contre toute attente,  fut lancée par les stars Américains une étrange mode, qui consistait à avoir une partie du corps cristallisée. On ne vit plus de film sortir s'il n'y avait pas au moins un Dreamer. C'étaient les stars eux-mêmes qui se faisaient appeler comme ça, car les sensations et la vue que leur procurait leur membre de cristal semblait, d'après eux, tout droit sortis d'un rêve.

Bientôt, les fans voulurent à leur tour devenir Dreamers, et la mode se répandit bientôt dans le monde entier.

*

Trois ans plus tard, j'avais assisté aux infos à une immense hécatombe. Les gens, à partir du moment où ils étaient cristallisés, ne vivaient pas plus d'un an avant que leurs organes vitaux ne se cristallisent à leurs tours, devenant aux yeux des autres des Real Dreamers, ceux qui avaient atteint le nirvana. Pour les autres, ils mouraient, tout simplement. Mais personne ne semblait se soucier de cet aspect des choses, car il paraissait que les organes cristallisés dégageaient dans tout le corps une chaleur sourde et enivrante.

Certains passaient des heures à faire jouer la lumière à travers leur membre.

Je pensais souvent à mon père, disparu je ne sais où, qui sans le vouloir avait sans doute le premier à s'être élevé au rang de Real Dreamer.

*

En 2020, on avait décompté plus de deux milliards de Dreamers, et un peu moins d'un milliard de Reals Dreamers. C'étaient les pertes humaines.

Mais du côté de la faune et la flore, une dizaine d'espèces s'étaient déjà éteintes.

La peste cristalline progressait vite, trop vite.

*

À partir de là, la vitesse de propagation de l'épidémie décupla. En 2028, plus de la moitié de la population, ainsi que des autres espèces, animales comme végétales ;  plus de la moitié de la vie sur Terre avait disparu.

J'avais commencé des études scientifiques, tentant de déterminer la cause de la peste cristalline.

Autour de moi, mes amis, petit à petit, se laissaient aller à essayer, même en sachant qu'aucun retour en arrière n'était possible. Ils voulaient tous comprendre en quoi consistait le Rêve que faisaient les Dreamers.

*

Bientôt, la forêt Amazonienne commença, à mon grand étonnement, à tomber en poussière. Les arbres se dissolvaient, recouvrant le sol d'une poussière transparente. Alors comme ça, à la fin, les Dreamers finiraient poussières.

Méthodiquement, je rentrai toutes les données que je collectais sur mon ordinateur, sans pour autant trouver de réponse. Aucun indice ne semblait vouloir dévoiler l'origine de la peste cristalline.

*

La disparition de la vie se poursuivit à une vitesse affolante sur toute la planète. L'année dernière, seulement un vingtième des espèces animales d'Avant vivaient encore. Nous, Humains, n'étions plus qu'un millier.

Cette année, nous ne sommes que quelques centaines, à travers le monde. Nous communiquons en Anglais, via un réseau de plus en plus défaillant.

Je vois venir petit à petit la fin du monde. C'est drôle, comme idée. Je ne l'envisage même pas de façon négative. C'est un fait, c'est tout. Il m'est de plus en plus difficile d'échapper à la peste cristalline. Je sombrerai, à mon tour, un jour.

Mais avant cela, autant profiter une maximum de ma vie.

J'ai décidé ça il y a un mois. Je partirai dans trois jours. Le 9/09/33 débutera la première et dernière expédition de Charlotta "Charlie" Esterocca, à destination du lieu où tout a commencé : la Forêt Amazonienne.

J'ai déjà prévenu ceux avec qui je communique encore. Ma mère est sur le point de devenir une Real Dreamer, et déjà elle ne me voit plus, aveuglée par son Rêve. Comme mon père, comme tous les autres avant elle, bientôt elle tombera en poussière.

C'est aussi pour ne pas voir ça que je pars.

*

Forêt Amazonienne, Brésil, 24 Septembre 2033

Ça y est. Cela ne fait pas un mois que je suis là, et déjà je suis devenue Dreamer. Comme pour souligner une mauvaise blague, c'est mon annulaire gauche qui a commencé à se transformer.

J'évolue dans ce décor irréel. Autour de moi, de la poussière transparente déforme les rayons lumineux, à perte de vue. Je suis continuellement colorée d'orange, de bleu, de vert, rouge, violet, jaune...

Je cherche quelque chose. Quoi ? Je n'en sais rien. Je le cherche, c'est tout.

*

Forêt Amazonienne, Brésil, 25 Décembre 2033

C'est Noël. Drôle, de penser ça, non ? Mon dernier Noël. Et j'ai reçu un cadeau. J'ai enfin trouvé ce que je cherchais.

Tant mieux, d'ailleurs, parce que je n'en ai plus pour longtemps. Déjà, tout mon côté gauche est paralysé, du pied jusqu'à l'épaule. Même mon visage. Et je dois avouer que c'est plutôt agréable. Je comprends les autres Dreamers, avant moi. C'est une sensation enivrante.

Mais revenons à ma découverte. Là où se sont trouvés les trois arbres... Une herbe étrange, violacée, a commencé à pousser. Peut-être est-ce le fruit de mon imagination, peut-être suis-je en train de délirer. Mais je veux y croire.

Je pense que je tiendrai jusqu'au Nouvel An. 2034, c'est une belle année pour mourir, non ? J'aurais eu vingt-six ans. Je suis sans doute la dernière. Je m'allonge dans le petit rond d'herbes, après avoir installé mon sac de provisions presque vidé près de moi.

Forêt Amazonienne, Brésil, 01 Janvier 2034

« Que deviennent les rêves qui se brisent ? » Je réponds à ma question silencieuse. « Sans doute le terreau de rêves à venir... » Je souris en regardant une dernière fois le soleil parer d'or liquide les nuages et embraser le ciel, puis se coucher. Étendue dans l'herbe, dans la position que j'ai choisie, jusqu'à ce que je tombe en poussière.

« Qui sait ? Peut-être qu'un jour, la vie florira comme jamais sur Terre. Alors, ce sera nous qu'il faudra remercier. Les Dreamers. »

Je ferme les yeux, me laissant embarquer par le flux de douceur qui se saisit de mon cœur. Je vogue au milieu d'une douceur merveilleuse.

Ce qui va arriver à présent n'est plus de mon essort.

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