Fusion en deux Temps
Le vieux s'avança dans la cabine en forme d'œuf.
M. Light était d'un âge respectable, et il jugeait que le moment était venu de vérifier ce souvenir qui le taraudait depuis tant d'années.
Il tapa un code, le décompte s'enclencha. Un décompte faisait un peu vieux jeu, il est vrai, mais c'est ainsi qu'il avait voulu créer cette machine.
Cet œuf translucide, à usage unique.
Équipé en tout et pour tout d'un siège même pas rembourré et d'un si petit tableau de commande. Sans oublier le décompte. Très important pour lui, inutile pour la machine.
Mais c'était par là que ça - tout ça ! - avait commencé. Par là que, sans doute, ça finirait. Alors, le retrouver au milieu lui paraissait indispensable.
La voix métallique acheva :
- Trois...Deux...Un...
Voyage imminent !
M. Light ne rentrerait pas chez lui. Inquiets, ses enfants visiteraient sa maison, puis son labo. Ils y trouveraient des outils en vrac, des matériaux étranges, et une voix qui répétait dans le vide, à l'ancienne : «Voyage imminent ! ... Voyage imminent ! ...»
C'est à ce moment qu'ils se rendraient compte qu'ils auraient peut-être dû accorder un peu plus d'attention aux histoires du vieil homme...
***
Vendredi soir.
Jordan sortit du cours d'anglais, lâcha un bruyant «Good bye !» en passant devant la prof, et entama une discussion avec ses potes à propos du contrôle qu'ils venaient d'avoir.
Après le portail, la classe s'effilocha en cinq ou six bandes, qui s'éloignèrent.
Jordan lança quelques vannes aux filles. Lena répliqua vertement et le groupe s'esclaffa devant le silence du jeune homme. Les commentaires filèrent, moqueurs et affectifs :
- Ouuuh, ça fait mal !
- La répartie !
Il tenta de répondre, faussement vexé :
- 'Toute façon, les filles ne comprennent rien aux compliments !
Un concert de moqueries accueillirent ses paroles avant que, brusquement et sans raison valable, la discussion change de sujet.
Un peu plus loin, il quitta le groupe et prit à droite, avec Valentin.
Ils habitaient à deux rues l'un de l'autre, ce qui les avait souvent aidés lors de situations critiques.
Jordan raccompagna son ami devant sa porte, puis s'éloigna.
Week-end, week-end, délicieux week-end !... Il allait en profiter pour réaliser les idées et envies qui trottaient dans sa tête depuis lundi matin... Que du bonheur en perspective !
***
M. Light tomba sur une dizaine de mètres. L'arrêt final fut brutal, rien cependant d'insurmontable.
Sa première pensée fut pour sa sottise. Évidemment, se morigéna-t-il. Il n'avait pas encore été construit ! Le quartier de son labo brillait de nouveauté ! Comment l'immeube aurait-il pu être là quatre vingts ans avant ?
Le vieil homme se redressa, sortit de l'œuf et regarda autour de lui.
En pleine cambrousse ! Il était tombé en pleine cambrousse ! Il se maudit encore de n'avoir pas été plus prévoyant, simplement pour le principe. Puis, regardant encore une fois autour de lui, il se mit en route vers la ville qui émergeait au loin. Sans cesser de grommeler. Les ballades de ce genre n'étaient décidément plus de son âge !
***
Au final, Jordan n'avait pas passé un week-end aussi merveilleux que prévu. Oh, bien sûr, il s'était repassé les Indiana Jones en boucle, avait mangé son cota de saloperies en l'absence de sa mère, vautré sur le canapé du salon, il avait exaspéré Lena par SMS jusqu'à ce qu'elle accepte de lui filer les devoirs, filé deux dérouillées à son frère de sept ans, mais voilà : celui-ci avait trouvé très amusant de venir le réveiller à six heures du mat' le dimanche matin, signalant bruyamment que l'heure du petit déj' était arrivée.
Jordan, encore vaseux de sa nuit trop courte, avait rembarré son frère et replongé la tête dans l'oreiller. Frère qui avait bondi sur son lit en beuglant :
- Debout ! Lève-toi ! Debout ! Lève-toi !
- Dégage, Nico !
- J'ai faim ! J'ai faim ! Debout ! Debout ! Debout !
Jordan bondit tout d'un coup en position assise, et, avant d'avoir compris ce qu'il se passait, le petit Nico valsait du lit, un oreiller dans la tête. Son frère le fixait, l'œil noir et les cheveux en pétard.
- J'ai-dit-dé-ga-ge ! rugit-il.
L'autre répondit, sans se démonter :
- T'es réveillé, là, non ? Alors viens me faire à manger, comme ça je te ficherai la paix !
Sans attendre la réponse de son frère, il se précipita vers la cuisine. Jordan grogna, maudit son frère d'être capable de tels raisonnements, et, grommelant toujours, se dirigea vers la salle de bains. Nico surgit à l'autre bout du couloir :
- Ah non ! Je te connais, tu vas encore mettre des plombes ! Viens me faire mon petit déj' !!
Et encore une fois, Jordan, cédant aux caprices de son frère, traîna sa pauvre carcasse vers la cuisine.
***
M. Light était assis à la terrasse d'un bistrot, sirotant son café. Il avait finit par arriver en ville à la nuit tombée, et s'était trouvé un hôtel. il avait pris une chambre pour deux nuits, et payé à l'avance. Il n'aurait pas besoin de plus de temps. Jamais il n'avait prévu plus de temps : cela s'était déjà passé, et se repasserait, un lundi matin. Comme la première fois. Ou la deuxième.
Le vieil homme sourit, perdu dans ses pensées. Première, deuxième ? Comment savoir ?
Peut-être était-ce la centième fois... Il aimait tant ce paradoxe étrange, insondable, qu'il s'était petit à petit approprié...
***
La sonnerie se déclencha. Tôt. Beaucoup trop tôt. Jordan grogna, flanqua un coup sur son réveil, puis se retourna, la tête dans l'oreiller. À la poursuite de son rêve.
Pour en jaillir quelques minutes après, poursuivi par son réveil qui s'était réactivé.
Il tapa dessus, regarda l'heure qui s'affichait sur l'écran. Et paniqua.
Jordan bondit de son lit, courut préparer un rapide petit déj', avant d'aller ouvrir en grand les volets de la chambre de son frère.
- Debout ! s'exclama-t-il en tirant sur les couvertures.
Puis, sans plus s'occuper de son frère, se précipita à la salle de bains. Après un habillage express, il bondit dans la cuisine, engloutit deux tartines, mit ses baskets et attendit en laissant échapper quelques mots doux que son frère le rejoigne.
Dix minutes après, ils galopaient vers chez Valentin, qui les attendait devant sa porte.
***
Le vieil homme pressa le pas vers les trois garçons qui venaient d'apparaître au coin de la rue déserte. Il sourit en voyant celui du milieu, le détailla.
Il avait un regard bleu océan, le visage fin. Ses sourcils arqués lui donnaient un air étonné et moqueur. Ses cheveux blonds étaient attachés en une tresse qui sautillait sur son épaule, mais des mèches rebelles flottaient autour de ses oreilles et de son front. Il avait enfilé un T-shirt rouge, et un short gris. Ses pieds étaient chaussés de baskets.
M. Light sourit. Il souriait beaucoup, ces derniers temps... Mais quel étrange miroir que celui-ci !
Il s'était toujours demandé ce qu'il se passerait si... Le garçon posa alors les yeux sur lui.
M. Light eut juste le temps de voir ses sourcils remonter encore plus, sa bouche s'arrondir de surprise.
Puis il cessa d'exister.
Seul un murmure subsistait, porté par le vent.
Un petit rire de fierté. Pour avoir fait grandir le mystère immense du paradoxe.
***
Encore chamboulé par la disparition de ce type, persuadé d'avoir rêvé à cause de la fatigue, Jordan pénétra dans la salle de maths sans jeter un regard à Valentin. Il se vautra sur sa chaise, sortit sa trousse et son cahier qu'il jeta en vrac sur le bureau.
Le silence se fit alors que le prof commençait l'appel.
La liste se déroula jusqu'à son nom, que le prof lança dans la salle :
- Light, Jordan !
Pour le concours de Sayadinah : Paradoxe Temporel. Au cours d'un voyage temporel, le héros va tomber sur lui-même...
[1239 mots]
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