Chapitre XXXIX

Au clair de la lune, mon ami...

La nuit était tombée depuis un moment déjà.

La pluie se fracassait à une cadence régulière et dans un vacarme assourdissant sur le volet fermé de la fenêtre.

Les clameurs habituelles e la taverne s'étaient tûtes, plus personne n'y séjournait.

La  lueur de la lune partiellement dissimulée par d'épais nuages filtrait entre les interstices. Elle auréolait la chambre du colosse endeuillé d'une lumière blanche et claire et s'immisçait sur le visage voilé de ce dernier, assis négligemment au pied de son lit.

Le dos du géant était voûté et son visage tandis qu'une de ses mains soutenait son crâne et que l'autre froissait furieusement une feuille de papier écrite à la main. Sa silhouette se soulevait au rythme de sa respiration bruyante et saccadée, aucune larme ne coulait le long de ses joues et pourtant sa gorge s'étouffait sous les sanglots.

Sa sœur, Lulu, venait de se marier avec le fils de Sorret, leur nouveau barman, et avait quitté la ville en direction de la capitale où elle souhaitait établir sa boulangerie. Maintenant, c'était l'homme qui était à la fois son frère et son meilleur ami qui s'en était allé.

Il se sentait si seul, même avec la présence de ses camarades de la guilde...

Le silence dans laquelle s'enfermait la guilde semblait écraser le colosse qui ne faisait que ce remémorer les derniers évènements. Seule sa respiration bruyante rivalisait avec la pluie diluvienne.

Quelques minutes auparavant, il se trouvait dans la pièce d'à côté. Un bureau désormais sans propriétaire. Seule l'image d'un garçon aux cheveux turquoise plongé dans un profond sommeil à même une pile de paperasse à peine regardée subsista en lui quand il admira le secrétaire croulant sous les papiers.

Soudain, dans un accès de rage, Keith s'apprêta à abattre violemment son poing sur le lit mais, comme rattrapé par le souvenir de son ami, le monstre, sa poigne ne retomba que doucement sur la couverture sous le regard accablé de l'homme.

La lettre qu'il triturait dans son autre main semblait lui brûler les doigts. Il n'avait posé les yeux durant quelques secondes seulement mais la première phrase lui avait déjà arraché les prémices d'une larme.

" Comment on commence une lettre, déjà ? Bon, je passe les formalités et je passe au testament ! Donc... si tu lis ça Trois Pomme, puisque je n'en ai parlé à personne d'autre, c'est que je serais passé de vie à trépas. A moins que ta curiosité l'ait emporté..."

Tout aventurier doit être prêt à mourir. C'était une réalité que tous avaient accepté mais, mis à part leur Maître, aucun d'entre eux n'avaient encore pensé à écrire un testament, comme si sa vie n'avait pas la moindre importance sur Terre. 

La façon dont le document commençait était à l'image de ce trublion, imprévisible mais nourrie d'une joie de vivre presque inconcevable dans un testament. Trois Pommes, ce surnom qui le faisait enrager auparavant et dont il voulait se débarrasser maintenant qu'il était le plus grand u groupe, jamais il n'aurait pensé le regretter à ce point...

Dorénavant, il aurait été prêt à donner sa vie pour entendre la voix guillerette de son frère l'affubler à nouveau de ce surnom...

Finalement, après quelques longues hésitation et une grande bouffée d'air, Keith se décida à poursuivre sa lecture. Il se rapprocha des interstices des volets d'où la lumière de la lune s'immisçait et défroissa la feuille.

"Oh, d'ailleurs, monsieur le scribe, vous écrivez vachement bien ! Ah ! Non, il ne fallait pas l'écrire, ça ! Ça, non plus... Enfin passons..."

Un rire amer s'échappa de ses lèvres quand il imagina l'échange puis il reposa ses yeux sur les lettres manuscrites.

"Avant toute chose, frérot... Ne te sens pas triste pour moi. Je sais que tu dois être triste que je sois mort mais ce n'est pas un si grand mal. Je suis heureux, moi... J'ai vécu une si belle vie. Bon, je ne sais pas exactement où elle s'arrête mais elle était belle.

Trois Pommes,

Le rat de biblio',

Dent cassée,

Sha...

Ces quelques noms qui te seront sans aucun doute familiers sont les raisons qui me poussent à sourire même depuis l'au-delà. On peut sourire quand on est mort, non ?"

Tantôt l'expression sur le visage du colosse paraissait s'illuminer de souvenirs heureux tantôt elle s'assombrissait dans la peur de ne plus jamais revoir son ami sourire. Un sanglot déchirant devait sans cesse être ravalé pour ne pas réveiller les autres membres de la guilde présents dans leur chambre.

Dans un sens, l'hybride dormait, lui aussi, dans sa chambre sauf qu'à la différence de ses amis, lui, ne se réveillerait jamais.

" Dis, Trois Pommes... Tu m'en veux ? Je ne parle pas de ma mort, ça j'en suis sûr que tu m'en voudras pour un moment ! Je veux dire... Tu le sais, n'est-ce-pas ? Que dans notre groupe, on est trois bras cassés amoureux de la même fille...

Je le sais, si je meurs sous ses yeux, je ne pourrais pas m'empêcher de lui crier à quel point je l'aime et alors là, en plus de vous couper l'herbe sous le pied, je vous causerai toujours plus e soucis... Dis, tu me pardonneras ?"

Refluant une nausée soudaine, Keith ne tenait plus qu'adosser lourdement sur le mur. Son nez le brûlait et la chaleur qui s'emparait de ses yeux ne faisait qu'accentuer son envie de pleurer. Il reniflait bruyamment comme si cela allait aussi remonter ses pleurs tandis que de petits gémissements plaintifs se mêlaient à sa respiration saccadée.

Avec le peu de forces qu'il lui restait, Keith amorça une réponse à son ami, qui ne l'entendrait probablement pas.

- " Comme ça, t'avais remarqué, hein... Rien ne t'échappes, n'est-ce-pas ? Sauf l'essentiel mais... Bien sûr que je te pardonnes ! Bien sûr que j't'en veux ! Mais pas de l'avoir dit à Sasha... On sait tous que tu étais celui qui tenais le plus à elle et, après l'avoir vu répondre avec autant de douceur à ton baiser, je ne peux pas vous blâmer de vous aimer..." articula-t-il, à genoux dans la pièce sombre.

" Oh mais, je viens d'y penser ! Dans un testament, on doit dire à qui on lègue nos biens, non ? Bon bein, j'ai pas grand chose ! Alors alors... Trois Pommes ! T'as un grand cœur... Le plus grand que j'ai jamais connu... Dis, tu te souviens de notre rencontre ?"

Silencieusement, comme s'il devait répondre, il hocha la tête lentement. Bien sûr qu'il ne pouvait pas oublier...

" Tante Lulu m'avait donné de la quiche et toi, crétin comme tu es, tu m'as pris pour un voleur... Hahaha... Ça m'en rappelle des souvenirs... Dire qu'après, elle nous avait ramené en trombe chez toi, elle m'avait fichu la trouille ! Mais, je ne regrette rien... Tu n'imagines pas à quel point j'étais heureux, moi, le monstre répugnant, de me faire un ami... J'étais si content que je n'en n'avais pas dormi de la nuit après être parti ! Enfin...

Puisqu'il faut passer aux choses sérieuses, Trois Pommes, c'est à toi que je m'adresse. Le Maître de la guilde, cela ne peut être que toi. Mon bureau, mon titre, c'est à toi qu'ils reviennent. Je voulais déjà de mon vivant que tu prennes ma place mais je savais que tu refuserais. Là, tu n'as plus le choix alors, je te le demande, mon frère, veux-tu bien prendre soin de la guilde à ma place ?

J'en ai répondu à des centaines mais cette fois-ci, c'est à moi d'émettre une requête... Alors, t'acceptes, frérot ?"

Au bas de la page, une note semblait avoir été écrite à la dérobée par le scribe. Il disait que, durant toute sa longue vie, c'était bien la première fois qu'il voyait un homme aussi heureux au moment d'écrire son testament. Rien qu'à entendre la voix pleine de douceur et de joie qu'il avait quand il parlait de ses amis avait suffi à faire pleurer d'émotion ce vieux scribe d'ordinaire si impassible.

Et là, pour la première fois depuis qu'il avait annoncé sa mort, Keith prononça ce nom, celui qui resterait profondément ancré dans l'histoire comme celui de l'homme le plus fort du monde :

Samaël.

----------------------------------------------------------------------------------------------------

Alors, je vous demande pardon pour mon irrégularité mais j'ai beaucoup de mal à trouver du temps pour écrire... Mais rassurez-vous, je n'abandonne pas Flügel ! Et d'ailleurs, cette partie sur les fondateurs s'achèvent bientôt... Ce qui signifie que Lash et Diane feront bientôt leur retour !

Alors, allez-vous continuer à regarder les fondateurs de la même manière après avoir découvert tout cette histoire ? J'ai conscience que beaucoup n'ont pas apprécié cette partie qui mettait dehors les héros principaux mais j'espère sincèrement que vous continuerez à apprécier Flügel malgré tout ! Bonne lecture ! ;)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top