Chapitre XXXIII
Quand ?
Complètement prostré au sol, les échos métalliques du combat me parvenaient tant bien que mal au travers de mes oreilles couvertes de mes mains. Des cris rauques et de longues plaintes de douleur se noyaient dans l'eau troublée par les multiples assauts des guerriers et m'arrachaient tout espoir de survie.
" Keith... Keith... Keith !"
Les appels incessants et désespérés de mon frère me donnaient l'impression que mon cœur était broyé par deux étaux d'acier, ça me serrait si fort. Même si mes paupières étaient closes au point de me faire mal, des larmes parvenaient à s'immiscer entre mes cils et à me brûler les joues.
Mon corps tout entier tremblait. Un instant, j'avais levé les yeux vers la joute. Malgré mon champ de vision embrouillé par mes pleurs, je distinguai tout de même qui des deux se faisait dominer et être contraint de faire face à cette triste réalité me vida de toute énergie.
Le visage jouissant de plaisir de la sirène le contemplait avec adoration. Se pourléchant ses lèvres gélifiées, elle répétait milles assauts quand Samaël n'en parait qu'un. Si mon chef risquait à tout moment de se faire tuer, simplement si sa combinaison se perçait, moi, je restais planqué à terre. Il n'était qu'une simple fourmi devant un géant et pourtant il continuait. Ses coups n'était qu'un caillou dans la mer mais il persistait. Jamais il ne tournerait le dos à ses camarades écroulés derrière lui. Alors que moi, encore dépourvu e blessures, je me laissais dominer par la peur...
Observant la silhouette qui rayonnait d'ardeur de mon frère, des visages se redessinaient dans mon esprit. Le visage de tout ceux qui me protégeaient alors que c'était à moi d'assurer leurs arrières allaient et venaient, se faisant une place de plus en plus persistante.
Yvan, m'enseignant l'art de se battre alors que nous voulions vaincre une Virace ; Seth, restant devant ses cartes à travailler nos stratégies ; Sasha, décryptant les moindres faits et gestes des monstres pour nous prévenir ; Lulu, travaillant d'arrache-pied depuis que nous sommes enfants pour nous offrir un toit et un repas et Samaël, celui qui m'a toujours défendu, abandonnant sans cesse son existence pour la survie des autres.
Juste par peur de mourir, je préférais ne rien faire mais, c'était juste complètement stupide, non ? Tout ou rien, n'était-ce pas plus utile ? Tout donner ou tout abandonner ? Me battre, comme les héros que j'admirais, enfant ou mourir tel le lâche que j'ai toujours été ?
Plus mes doutes se mêlaient à ma confusion plus les cris de désespoir de Samaël me semblaient proches. Pour cause, la gigantesque sirène le faisait reculer de plus en plus sous la force de sa lance et de ses cheveux tentaculaires. Au grand mot, il ne pourrait pas tenir plus de quelques minutes ainsi.
- " Trois Pommes, je te confie ma vie, là ! Je te fais confiance à la mort alors... Toi, aussi fais confiance à ce que je crois, à eux, on peut la battre !" hurla soudain Samaël, ses cordes vocales déchirant l'air.
Une brève seconde.
Ma main empoigna le manche de ma masse et dans un élan d'effroi, je me relevais et flanquais un coup de marteau en plein dans la face de la sirène.
- " Ou-ouais !" répondis-je à mon camarade, les jambes flageolantes, les yeux bordés de larme et la voix vibrante d'émotions.
Je sentais encore que mon corps pouvait s'effondrer de tout son poids sous la peur de mourir. Je transpirais abondamment et mon cœur tambourinait bien trop fort à mon goût mais maintenant que la sirène m'avait remarqué, c'était trop tard pour m'en plaindre.
Dans un geste lent et contenu, le cou vrillé de la sirène se redressa et laissa apparaître son faciès à l'air étonnamment serein. Alors que ses paupières s'ouvraient sur deux pupilles dilatées et mises en appétit, elle passa une nouvelle fois sa langue sur ses lèvres tout en caressant sa joue dans un geste enjôleur.
- " Le rat ne quitte plus le navire, alors ? Nous sommes déçue, Nous espérions pouvoir te laisser mourir de faim devant les cadavres de tes petits amis... Enfin, cela Nous apprendra à être trop clémentes. Nous allons vous tuer sans aucune pitié puis Nous exhiberons à la surface vos corps sans vie et décomposés pour montrer ce qu'il arrive à quiconque vient s'en prendre à Notre cité sacrée." annonça-t-elle en faisant trembler le sol sous les coups de sa chevelure, presque animée d'une conscience propre.
A mes côtés, Samaël ne dit mot et se contenta de sourire, son épée vigoureusement dirigée vers le corps de la sirène.
Face à nous, son regard de cristal nous toisait froidement du haut de ses cinq mètres et le sourire narquois qu'elle arborait ne pouvait que trahir son esprit débordant de confiance. Ses mains étaient si fuselées jusqu'à ses ongles pointus uniquement fait d'eau, glissant langoureusement sur sa lance de pierre, qu'il m'était encore difficile d'admettre sa force colossale. Son crâne, paré d'une couronne tentaculaire incarnant son goût pour la richesse et l'excès, laissait s'échapper sa gigantesque chevelure qui battait le sol férocement, relevant un nuage de poussière au fond même de l'océan.
Plus je la regardais, resplendissant dans toutes ses formes, plus je me sentais faible et pitoyable cependant, ressentant la présence puissante de Samaël à mes côtés, je ne pouvais tomber.
Soudain, elle fondit sur nous en un éclair à une vitesse telle qu'elle ne laissait que des images rémanentes sur son sillage et, me repoussant avec sa chevelure sans effort, elle abattit son arme sur mon frère. Rejeté, je crachai de l'air un instant face à la force de l'impact de sa crinière d'eau sur mon estomac.
Dans un fracas de pierre et d'acier, les objets se rencontrèrent et se défièrent longtemps avant que chacun ne se reculent, faute de pouvoir en finir pour l'un, faute de vouloir en finir pour l'autre.
Je serrais mon marteau. C'est à moi d'intervenir, je ne vais pas abandonner mes camarades encore une fois, me décidais-je en prenant fermement appui sur le sol.
Aussi vite que je le pouvais, je bondis avec le maximum d'élan possible sur la créature et traçai un arc de cercle en sa direction. Comme je m'y attendais, il ne lui fallut pas plus d'une seconde pour se décaler hors de ma portée et ainsi d'éviter mon coup cependant, laissant mon arme tomber au sol au même instant, je me rugis sur elle sans préavis.
Surprise, je retenais désormais ses bras à terre, la laissant allongée au sol, son visage affichant une expression valant tout l'or du monde. Ses globes oculaires étaient à deux doigts de sortir de leur orbite et ses lèvres entrouvertes laissait même apparaître sa langue à demi-sortie.
Mais très vite, elle se ressaisit et son visage se fendit d'un sourire plus hautain qu'à l'accoutumée.
- " Ho non, ma jolie..." murmurais-je, certain de la suite.
Alors même que ses bras commençaient à se mouvoir, je me propulsai au loin tandis que Samaël apparut de nulle part dans son champ de vision, ma masse lourdement tenue entre ses deux poings.
Avec une violence inouïe, le plat du marteau retomba sur le haut de son torse et le bas de sa mâchoire, son corps disparaissant sous la masse de fumée soulevée par l'attaque.
Durant quelques secondes, mon camarade et moi, haletants, lancions une succession d'œillades entre nous et la bête écrasée, n'ayant pas la force de dire un mot. Je repris mon marteau avec difficulté tandis que nous le remplacions par un décombre des piliers qu'elle avait brisé auparavant.
- " O-On a réussi ?"
Après un court moment, je me décidais à rompre le silence, devant jouer de force pour n'articuler que cette simple pensée. Veillant sur le seul bras apparent de la créature, Samaël sourit et hocha la tête en signe de confirmation.
Face à sa réponse positive, je ressentis une puissante décharge de soulagement et de joie mais, encore fatigué et inquiet pour le reste de notre groupe qui commençait à peine à se relever, je me retins au même titre que notre chef.
- " Allez, les gars ! Levez-vous et on se tire, je crois que j'en ai ma clique des morues, là !" appela mon frère, déjà prêt à quitter le château.
Je jetais un dernier regard à la bête mais, alors que je commençais à la chercher du regard, un tentacule défila à une vitesse prodigieuse à côté de mon crâne. Mon esprit avait déjà perdu toute capacité de réflexion quand elle ligota le corps de Samaël et le broya petit à petit.
- " Sa-Samaël ?" soufflais-je, le regard sans vie.
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