Chapitre II
Premier tableau
Assise devant sa coiffeuse, une gamine aux joues roses et rebondies laissait s'égarer son regard par delà la gigantesque fenêtre de sa chambre. Ignorant les doigts experts de sa nourrice qui s'affairent dans sa chevelure cuivrée, de nombreuses interrogations la traversent.
Quelle serait la sensation procurée par la brise s'écoulant entre les fines mèches de ses cheveux ? La fraîcheur de la brise serait-elle agréable ? S'il pleuvait, les gouttes d'eau qui dévaleraient le long de son front auraient-elle l'odeur de la poussière ou bien un autre parfum ?
Lorsque le soleil brillait sur la ville, son esprit ne se laissait pas autant aller à la rêverie mais, dès que les nuages emplissent le ciel et que le grand monsieur là-haut se mettait à pleurer, c'était tout autre pour cette fillette. Le flou sur les fenêtres mouillées suggérait tant de paysages qu'elle s'imaginait à chaque jour pluvieux.
Un énorme château de paille qui jaillirait d'un grand champ de de blé aux épis dorés ? Une mer tourmentée, torrentielle et abritant mille-et-un trésors ? Ou mieux encore, un sol de blancs nuages à la fois vaporeux et moelleux où sautilleraient des anges aux ailes naissantes !
Son sourire s'étira jusqu'à ses oreilles et son nez rosit un peu à l'idée de tout ce que le rideau de pluie pouvait dissimuler. Mettant fin brutalement à la séance de coiffure orchestrée par sa préceptrice, elle sauta de sa chaise et se précipita devant la vitre. Elle y posa ses mains et fut surprise du froid qui s'empara de ses mains à son toucher.
Second tableau
Ses doigts fins suivant son regard qui parcourait la bibliothèque, la demoiselle effleura délicatement chacune des couvertures de cuir qui occupait le meuble mural. Pour chacun des titres, le souvenir de son contenu se ravivait dans son esprit. Elle se remémorait avec netteté des histoires et du savoir procurés par leur lecture.
Au bout de plusieurs rayons traversés, elle finit enfin par tirer un ouvrage et se posa tranquillement sur son fauteuil en velours. Plongée dans l'épopée d'une valeureuse épéiste et d'un minable héros, elle dût souvent replacer sa chevelure cuivrée derrière son oreille à force de se pencher sur le bouquin aux pages poussiéreuses.
Apportée par son amie de longue date aux crins blancs perle, la tasse de thé chaud qu'elle porta à ses lèvres savait parfaitement accompagner l'atmosphère tendue de la scène. Le héros, au buste transpercé par l'épée de sa dulcinée, tombe peu à peu dans les méandres des Enfers tandis que la guerrière se surprend elle-même de l'indifférence provoquée par la mort de son aimé.
La belle demoiselle achevant enfin ces péripéties vécues au travers d'une centaine de pages jaunies par le temps, se leva vers la fenêtre de sa chambre.
L'orage faisait rage et les vitres frissonnaient bruyamment face aux violentes bourrasques qui s'abattaient. Le tonnerre grondait et la flotte noyait le jardin. Sans doute, les canalisations de la ville pleines, un petit niveau d'eau persistera le lendemain. Ces vagues pensées passaient dans son esprit et s'évanouissaient aussi vite qu'elles étaient venues.
Elle aurait voulu rêver d'une aventure mais, au lieu de cela, c'était de la ville, de ses égouts à ses cheminées fumantes, dont elle devait se préoccuper.
Il n'y a pas de périple pour une noble, et encore moins pour une dame. C'était ça, sa réalité.
Troisième tableau
Combien de fois les a-t-elle lu, ces bouquins plus vieux que le monde et plus ternes que sa fenêtre usée par les moussons se déversant fréquemment sur Ladsen ? Combien de fois l'a-t-elle vu, ce paysage morne et plein d'acier bruni par la rouille périr jour après jour ? Elle ne pouvait même plus les compter, et puis, d'ici sa mort, rien ne risquait de changer, de toute façon, si ce n'était une usine de plus ou de moins.
Elle ne s'attristait plus de son sort. Elle avait bien compris qu'elle serait toujours "elle" et non "je", celle qui obéit et non pas celle qui agit.
Passive et lascive, le peu de choses sur lesquelles elle s'attardait ne courrait plus les rues et, écoutant d'une oreille distraite la myriade d'informations débectée par l'une de ses servantes des moins aimables, rien ne semblait attirer son attention.
L'usine de choux artificiels venait d'augmenter sa production et pourrait bientôt s'exporter jusque dans la capitale, de nouvelles pièces de machinerie avaient vu leur plan approuvé par le conglomérat, les mines voisines se relevaient enfin de leurs pertes liées à leur effondrement d'il y a plusieurs années ou encore une diligence d'armes et de nourriture industrielle se préparait pour une bourgade dérisoire.
Rien de tout ça n'avait de l'importance pour elle. Son rôle de future épouse n'impliquait pas de devoir se mêler des affaires, qu'elles soient politiques ou commerciales, et discuter de business avec d'autres jeunes mariées ne faisait pas partie de ses projets.
Buvant pour la millième fois un breuvage, au goût de camomille mêlé à l'odeur persistante de fumée parvenant même à parcourir sa demeure, qu'il lui était devenu insipide, elle porta instinctivement son regard à sa fenêtre.
N'y avait-il donc pas meilleur destin pour cette pauvre demoiselle lassée de cette véritable prison aux tapis de laine et aux draps de soie ?
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