Chapitre IX
Le serment aux défunts
Nous venions de répondre à notre demande. Encore à Alabrund, je regardais la cérémonie funeste se dérouler devant moi.
Le shaman priait au nom de tous le salut de l'âme des défunts qu'il citait un à un tandis que les hommes les plus forts creusaient encore les quelques tombes manquantes. Je regardais, presque indifférente, les familles pleurer leur proches. Le temps lui-même semblait s'imprégner de l'ambiance morose. Il pleuvait averse et les nuages grisâtres comblaient chaque parcelle céleste. Je songeais avoir perdu toute humanité en constatant combien cela ne me faisait pas réagir davantage. Rien ne me venait à l'esprit, aucune larme ne coulait, aucun cri ne m'échappait. Rien.
Après avoir vaguement discuté avec Lash, j'étais restée longtemps à genoux, observant les enfants se jeter au cou de leur mère. Pourtant, après quelques longues minutes les larmes ne coulaient déjà plus, comme disparues, comme envolées.
- " Ho ! Ce n'est pas parce qu'il pleut que tu ne vas pas t'entraîner ! Viens !" ordonna la voix de Lash, retentissant dans mon dos.
A mon grand étonnement, malgré la fatigue accumulée je fus plus forte. Je pouvais presque tenir fermement mon arme et la brandir tandis qu'un début de muscle commençait à saillir sur mes bras. Je ne me suis pas plainte une seule fois, en fait rien ne me faisait dire un mot. Je ne me plaignis pas, la douleur ne faisant que traverser mon esprit embrumé.
Mon tuteur s'évertuait à m'entraîner cependant il prononçait de moins en moins de conseils. Il m'observait toujours attentivement. D'ordinaire, j'aurais pu lui lancer un commentaire au visage mais je n'y arrivais pas.
En touchant ma poitrine juste après mes efforts, je sentais à peine mon cœur battre malgré le rythme effréné de l'échauffement. Je n'avais pas une goutte de sueur sur le front, seule la pluie mouillait mon visage où se collait ma chevelure trempée. Je regardais le ciel ; les filets d'eau qui naissait des nuages pour venir s'écraser sur la terre battue.
Suis-je encore vivante, même ? m'interrogeais-je, espérant que la réponse soit positive, un rictus effrayant s'étirait sur le long de mes joues.
Les villageois eut beau me proposer un repas, me rassurer en me disant que ma tâche était juste, me sourire gentiment et me saluer affectueusement je restais coite.
Comment avais-je pu laisser des innocents mourir ? Comment avais-je pu laisser des personnes se faire tuer alors que je m'étais promis de les protéger ?
Toutes ces questions se répétaient sans cesse dans mon esprit comme un écho assourdissant.
Tout à coup, en plein milieu du repas auquel je boudais mon bouillon, Lash, n'en pouvant plus, me hurla dessus :
- " T'as fini de faire la tronche ? Tu crois que j'apprécie de devoir tuer des personnes ? Avant tu pouvais te plaindre même en dormant et là, impossible de décrocher un mot ! Si tu y tiens tant que ça, vas te faire violer par des monstres ! Je me ferais un plaisir de te buter !" avait-il cracher rageusement.
Je ne répondis rien, lui lançant à peine un regard vide. Ces propos cruels ne furent que de simples mots prononcés sans que je n'en cherche le sens, mon cerveau ayant cessé tout contact avec la réalité.
Soudain, un bol de soupe encore chaude atterrit sur moi, déversant son contenu sur mon cheveux et mon visage. La brûlure infligée m'arracha un cri. La surprise provoquée sembla débloquer tous les sens que je ne ressentais plus. Je laissais libre court à mes émotions comme le faisait la pluie qui tournait à l'orage. Même mon dialecte distingué avait pris congé.
- " Ça va pas la tête ? Comment peux-tu me balancer un bol au visage l'air de rien ? Et d'ailleurs, d'où te permets-tu de vouloir me tuer et d'insinuer que je me plains sans arrêt ?" avais-je crié sans pouvoir m'arrêter.
Je m'étais levée de mon siège et commençais à déblatérer toutes sortes de jurons et de noms d'oiseaux, imprononçables en temps normal pour moi.
Lash était sorti de la tente, à l'abri des regards inquiets des villageois mais je l'avais suivi, même sous la pluie. J'étais bien trop énervée pour laisser passer cet affront. Tout ma haine et ma rancœur envers moi-même se déversèrent sur lui comme un torrent.
Et, alors que je croyais lui hurler dessus des larmes dévalèrent sur mes joues. Mes yeux s'embuaient d'innombrables pleurs sans que je ne puisse rien y faire. Je passais mes mains sur mon visage pour les essuyer mais elles revenaient sans cesse. Hoquetant, je tentais tant bien que mal de dissimuler ma crise mais c'était trop dur. Toutes les émotions que j'avais intériorisé durant ce temps se relâchèrent à ce moment.
Je pensais que Lash allait se moquer de moi ou me reprocher d'être trop émotive mais il s'abstint de faire un commentaire. Se contentant d'émettre un petit rire avant de dire :
- " C'est normal de trouver notre mission ignoble mais sans nous ces enfants auraient envahi le village. Les femmes n'étaient pas non plus à l'abri de donner de nouveau naissance à ces créatures. Tu ne l'as sans doute pas entendu mais, l'une des dernières femmes nous a soufflé un remerciement. Elle avait l'air soulagée de mourir en sachant que son village était protégé de ces monstres ; le shaman ayant contacté une guilde."
Je le regardais d'un air déconcerté. J'avais du mal à saisir sa façon de penser cependant, à cet instant je ne prononçais pas mon interrogation :
- " Tout de même, je ne cautionne pas le fait de devoir tuer des civils. Ce la n'est pas moral. Je trouverais un moyen pour empêcher les gobelins de s'en prendre à la population. Par tous les moyens ! Mais avant ça, tant que je n'en aurais pas trouver je deviendrais forte. Pour protéger les plus faibles ! Pour t'arrêter lorsque tu devras effectuer cette mission !" avais-je clamé sans baisser le regard, toujours embrumé.
Il ne répondit pas et rentra sous la tente sans émettre un mot.
Je songeais au fait qu'il avait voulu me réconforter malgré son caractère alors je lui lançais, en souriant :
- " Tu prends ton rôle de tuteur très au sérieux, dis donc ! Sasha tu fais si peur que ça ?"
Tiquant, il m'avait crié dessus, cependant aucune animosité ne subsistait. Il arborait même un air de gêne. Nous n'étions pas proches mais la distance se resserrait peu à peu.
J'imagine que c'est ça ; des camarades, songeais-je en repensant aux autres membres de la guilde que j'ai rencontré.
Après une nuit à Alabrund, nous sommes repartis, enfin le terme exacte était plutôt une journée puisque Lash s'évertuait à nous faire marcher de nuit. Plus motivée que jamais, j'avais même ouvert la voie en tenant la lampe qui nous éclairait.
Il ne pleuvait plus. En revanche, la terre n'avait pas encore absorbé l'eau, s'accrochant sur mes bottes pleines de boue. Je sentais même la glaise s'infiltrer dans mes chaussures, cela me répugnait et m'arrachait de nombreuses lamentations. Je sentais aussi la terre s'accrocher sur le bas de mes vêtements. Malgré la robe plus courte que les miennes, la saleté recouvrait aussi son tissu. Même le suc de l'herbe s'accrochait à mes semelles.
- " Tas fini de geindre ?" soupirait mon partenaire devant mes commentaires dénués d'intérêt et d'utilité.
- " Hein ? Je croyais pourtant que le son de ma voix te manquait quand je ne parlais pas ? Tout à l'heure, tu as dit " Je t'en supplies, redis-moi quelque chose, ne pas t'entendre est un supplice", n'est-ce pas ?" le contredis-je en riant.
Il sourit nerveusement, touchant le tissu de sa lame. Il devait songer à toute la torture qu'il pourrait m'infliger s'il n'y avait pas la guilde et à combien je l'énervais. Aussi, il devait probablement avoir l'envie de me trancher en deux puis me lacérer en plusieurs petits morceaux mais je ne pouvais m'empêcher de rire devant lui. J'étais de bien meilleure humeur ; j'étais résolue. Je fis une promesse en mon for intérieur. Ils l'entendront.
Vous que j'ai vu mourir, vous qui n'avez pas eu la chance de survivre comme moi lors de l'attaque de la diligence et de notre mission, je vais devenir plus forte. Je vais devenir suffisamment forte pour protéger les autres, empêcher ce genre de massacre d'avoir lieu. Je vous le promets.
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