Regret
Il était tard. Pourtant la lumière ne manquait pas en ces lieux agités. À la lueur des réverbères, ils se déplaçaient assurément, une détermination sans faille dans leur regard. La force du nombre effaçait tout doute ou remise en question. Rien ne les arrêterait.
Le bitume craquant sous leurs pas, leurs murmures silencieux brisant le silence de la nuit, ils n'étaient qu'ombres et souffles. La pénombre dissimulait leur visage tiré par la douleur.
L'agitation se faisait sentir autour d'eux malgré le calme environnant. Il y avait du mouvement dans les immeubles qu'ils longeaient, le cœur battant. Des voix s'élevaient parmi ces sons ordinaires, d'autres s'éteignaient.
Leur destination était proche mais ils furent ralentis par une foule dense sur leur chemin. Jouant des coudes, ils parvinrent petit à petit à surmonter l'obstacle et purent poursuivre leur route à une allure folle.
Ils pénétrèrent dans le bâtiment, faisant fi des protestations alentours. Marchant sans dévier le regard de leur but, leur poitrine se soulevait de plus en plus rapidement, au rythme de leur pouls saccadé.
Ils accélèrent le pas lorsque des cris retentirent tout près d'eux. Cette situation ne pouvait plus continuer, cela devait impérativement cesser.
Enfin, ils arrivèrent dans cette pièce habituellement radieuse mais aujourd'hui sinistre. Immédiatement, ils se ruèrent sur ceux qu'ils ont pu considérer autrefois comme des coéquipiers. Des poings volèrent, des coups s'abattirent, souffrance et colère se libérèrent.
Entre persécuteurs et sauveurs était caché un petit être effrayé. Celui-ci ne reconnaissait plus sa chambre, désormais ensevelie de corps amochés. Néanmoins, il était de nouveau en sécurité.
« Qui étaient ces hommes qui ont essayé de m'emporter avec eux ? », prononça-t-il la voix tremblante.
Les silhouettes échangèrent un regard lourd de peine. Après tant d'années, ils avaient enfin œuvré dans le sens de leur cœur et non de leur organisation scélérate. Les regrets les submergeaient.
« Des méchants qui ne reviendront plus jamais, assura le plus grand d'entre eux.
- Comment le savez-vous ?
- Nous serons là pour y veiller. »
Le petit garçon semblait se contenter de cette réponse. Alors, ils se détournèrent.
« Qui êtes-vous ? », ajouta finalement l'enfant.
Les individus furent pris au dépourvu. Ils ne savaient que répondre. À moins que la vérité ne suffise.
« Nous étions aussi des méchants, commença le même homme, et nous étions même amis avec les méchants qui ont tenté de te faire du mal. Nous n'avons jamais été de bonnes personnes. Jusqu'au jour où nous avons réalisé que faire du mal à des enfants ainsi qu'à des familles entières ne faisait pas partie de notre volonté profonde. Rien ne pourrait pardonner le malheur que l'on a propagé autour de nous, rien ne pourrait effacer ces terribles erreurs provoquées par la cupidité. Cependant, comme nous ne supportions plus l'idée que ce genre de choses puisse se reproduire, nous avons voulu agir avant qu'il ne soit trop tard. Et ce, à partir d'aujourd'hui. Nous n'allons plus aider à kidnapper des enfants pour les revendre au prix fort comme il est tristement coutume dans ce pays, mais nous allons sauver ces mêmes enfants afin qu'ils ne subissent pas le même sort que les autres. Sache que tu n'es plus en danger à présent », conclut-il.
Le garçon n'avait pu déchiffrer tous les mots de son discours à en juger par sa mine décontenancée, mais il semblait en avoir compris l'essentiel. Il hocha doucement la tête pour leur signifier qu'il approuvait cette décision. Et, brusquement, l'homme fondit en larmes tandis que les deux autres baissèrent les yeux au sol.
« Je suis tellement désolé, sanglota-t-il. Jamais je ne pourrais me pardonner tout le mal que j'ai commis ! Cela pèse terriblement sur ma conscience, je ne peux supporter cette douleur. J'ai détruit des vies partout sur mon passage ! Je n'ose plus me regarder en face... J'ai renié mon identité pendant trop d'années, je ne sais plus qui je suis. »
Personne ne répondit. L'enfant était assez confus. Il compatissait pour cet homme qu'il ne connaissait pas, débarquant tel un héros et dévoilant soudain sa désolation. Un silence pesant régnait dans la pièce.
Tout à coup, l'homme se mut, animé d'une soudaine énergie. Il se dirigea vers les corps de ses anciens compagnons, étendit le bras et récupéra ce qui était dissimulé dans le dos de l'un d'eux.
Le canon contre la tempe, les lèvres de l'homme esquissèrent un premier et dernier sourire bienveillant à l'intention du petit garçon. Nul ne bougeait, chacun retenait sa respiration, attendant le déclin.
« Au revoir », murmura-t-il.
Puis, le coup de feu retentit.
Les deux hommes scrutèrent le corps sans vie de leur compagnon, les yeux embués de larmes et le cœur lourd. L'envie de le rejoindre les démangeait, mais ils avaient un devoir. Ils ne pouvaient commettre à nouveau une si terrible erreur, surtout sous les yeux de cet enfant qui éclatait en sanglot devant le cadavre de son sauveur.
Le temps de quelques années, les deux hommes enfouirent leur souffrance au plus profond de leur cœur et se dévouèrent à la plus noble des tâches : tout mettre en œuvre afin que cet enfant connaisse la vie. Ceux-ci moururent quand ce dernier fut en âge d'assurer sa propre sécurité.
Quelque part, l'espoir d'avoir acquis le pardon représentait leur seul force. L'espoir les faisait vivre, la culpabilité leur a ôté la vie.
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