Chapitre 8 - Retour en grâce ?
— Vos ongles.
Pendant une seconde, Danila crut que Duncan s'était simplement raclé la gorge. Malgré plus de deux semaines passées en son unique compagnie, elle ne s'habituait pas tout à fait à sa voix rauque.
— Vous allez vous les décoller si vous continuez à les malmener de la sorte.
Danila baissa les yeux sur ses mains, aux extrémités rougies.
— Oh, euh... Vous avez raison. Excusez-moi.
Elle tourna la tête vers la fenêtre du véhicule, en tâchant de garder son calme. Derrière la vitre, le paysage devenait de plus en plus familier. Jamais Danila n'aurait pensé revoir un jour le chemin qui menait jusqu'au palais de l'alpha de l'Émeraude. Les sapins enneigés n'avaient presque pas changé, si ce n'était qu'ils lui semblaient un peu plus hauts qu'autrefois. Les chants de quelques rares oiseaux lui parvenaient avec une clarté troublante, lui rappelant de vieux souvenirs enfouis.
Lorsqu'elle était enfant, elle adorait s'amuser dans la forêt et les jardins qui entouraient son château. Au lieu d'étudier les livres recommandés par sa tante, elle passait la plupart de son temps à fabriquer des maisons miniatures en terre et en bois, ou à observer les écureuils. Elle rentrait chez elle avec des feuilles dans les cheveux et de la boue sur son jupon, ce qui avait le don d'exaspérer Gladis. Une alpha ne peut pas se permettre de jouer les paysannes.
Au fil des ans, Danila avait compris qu'une alpha ne pouvait rien faire.
— Je me suis toujours demandé à quoi ressemblait le palais de l'alpha.
La louve s'intéressa à Duncan, qui observait l'extérieur. Il était exceptionnel qu'il prenne la parole spontanément, surtout pour prononcer une remarque aussi anodine que celle-ci. Au fil de leur voyage, elle avait pu converser avec lui à propos de sujets inoffensifs, mais pas plus de quelques minutes. Il finissait toujours par se retrancher dans son silence, ce qui ne dérangeait pas Danila.
— Il est l'une des seules choses que j'appréciais quand je vivais ici, avoua-t-elle. Le château du roi était magnifique, mais je l'ai toujours trouvé un peu moins spécial que celui-ci.
Elle espérait qu'il ne s'en offusquerait pas, or cela ne paraissait pas du tout être le cas.
— J'en entendais beaucoup parler, quand j'étais jeune, déclara-t-il. Ceux qui descendaient dans la vallée faisaient souvent un détour par Montagne-Lunaire.
— Vous étiez de Fearghasdan, c'est ça ?
Il avait déjà eu l'occasion d'évoquer son village natal au cours d'une discussion. Grâce à son accent, Danila s'était toujours doutée qu'il avait vécu dans les montagnes. Seuls les loups de l'Émeraude originaires des hauteurs parlaient de manière si rude.
— Vous vous y êtes déjà rendue ? lui demanda-t-il en se tournant vers elle.
À force de le fréquenter, ses yeux bleu-vert si spéciaux ne lui faisaient presque plus d'effet.
— Quand j'étais petite, mais je n'en ai aucun souvenir. Il paraît que c'est l'un des plus beaux villages de notre région !
— J'y suis souvent revenu avec Isabella. C'est là-bas que nous nous sommes rencontrés.
— Oh, vraiment ?
Danila en était bouche bée. Elle n'avait jamais réfléchi à la manière dont les chemins de Duncan et de Son Altesse avaient pu se croiser, mais si on lui avait posé la question, elle n'aurait certainement pas envisagé cela. Comment la princesse pouvait-elle seulement connaître l'existence d'un village aussi reculé ?
— Elle y a fait un détour lors d'un voyage sur la Terre de l'Émeraude. Nous nous sommes rencontrés au sommet des remparts et... Si nous étions dans l'une des histoires écrites par son père, je crois qu'il parlerait de "coup de foudre". De mon côté, en tout cas.
Il esquissa un léger sourire, que Danila ne put s'empêcher de lui rendre. Elle ne se lassait jamais d'entendre des récits tels que celui-ci. Quand Isabella lui avait raconté être secrètement mariée à Duncan depuis des siècles, elle l'avait écoutée avec fascination.
— Je suis sûre que c'était le cas pour elle aussi !
Elle devait toutefois avouer qu'elle avait du mal à imaginer la princesse sincèrement ébahie par quelque chose ou quelqu'un...
— Pour qu'elle ait ensuite passé trois cent soixante-douze ans avec moi, j'espère que je lui plaisais un minimum, répondit-il avec une once d'espièglerie qu'elle ne lui connaissait pas.
Trois cent soixante-douze ans de mariage, songea Danila, admirative. Était-ce trop demander ?
À présent qu'elle n'était plus une vampire, elle se contenterait volontiers de soixante-douze ans. Au rythme où vont les choses, tu vas surtout passer les sept prochaines décennies toute seule.
Quand les immenses tours du château apparurent devant elle, elle comprit que Duncan n'avait cherché qu'à la distraire de ce qui l'attendait. Hélas, une boule commençait déjà à se former dans son ventre. Ses pensées les plus lâches espéraient que leur véhicule n'arriverait jamais jusqu'au pied du palais. Peut-être que le cocher allait être pris d'une soudaine envie de faire demi-tour, ou que des brigands allaient les attaquer. Ce serait le signe définitif que Danila n'avait rien à faire ici.
Cependant, les chevaux s'arrêtèrent bientôt devant les grilles du palais. Le cocher descendit de son siège et vint ouvrir la portière pour interpeller les deux loups.
— Je ne peux pas aller plus loin, il va falloir vous débrouiller avec les gardes si vous voulez entrer.
Duncan sortit, puis tendit la main à Danila pour l'aider. Elle s'en saisit après une brève hésitation, consciente qu'une fois qu'elle aurait posé le pied à terre, tout s'enchaînerait très vite.
Et en effet, dès qu'ils eurent récupéré leurs maigres bagages, le cocher – qu'ils avaient déjà payé en montant à bord – repartit en sens inverse. Danila le regarda s'éloigner sur la route parsemée de neige, puis se tourna vers les grilles fermées.
Après avoir passé quatre années loin du lieu où elle avait grandi, elle n'en était désormais plus qu'à quelques mètres. Pourtant, elle se sentait incapable de les franchir.
— Nous devrions nous adresser aux gardes, suggéra Duncan afin de rompre le silence.
Elle acquiesça, mais ne bougea pas.
— Qu'est-ce que je suis censée leur dire pour qu'ils acceptent de nous ouvrir ? Tout le monde me croit morte alors... Vous pensez vraiment qu'ils vont me croire si je leur dis qui je suis ?
Elle avait eu des semaines pour y réfléchir. Néanmoins, ce ne fut qu'à cet instant qu'elle prit conscience de cet obstacle.
— Il n'y a qu'une manière de le savoir, fit-il en haussant les épaules.
Son calme la poussa à s'armer de courage. Elle marcha jusqu'aux deux soldats en uniforme, qui les fixaient avec défiance depuis leur arrivée.
— Bonjour, je... J'aimerais parler à Gladis de l'Émeraude, si cela est possible.
Les hommes devaient avoir été embauchés pendant son absence, car elle ne les connaissait pas. Ils plissèrent les yeux et regardèrent alternativement la louve et son accompagnateur.
— Puis-je savoir pour quel motif ? Et à qui avons-nous l'honneur, accessoirement ?
Ils la prenaient sûrement pour une petite illuminée un peu trop zélée, qui voulait juste visiter le palais ou enquiquiner l'alpha.
— Je suis Danila Song, enfin... Danila de l'Émeraude.
Elle n'avait toujours pas repris l'habitude de se présenter sous son nom de louve.
Les soldats restèrent figés un instant, puis éclatèrent de rire.
— Bien sûr ! fit le plus âgé des deux. Et moi, je suis le Grand Alpha ! La gamine est morte depuis des années, au cas où vous l'auriez oublié.
La gamine... Ce retour commençait sous les meilleures auspices.
— Je... C'est un peu compliqué à expliquer, mais je vous jure que je dis la vérité. Il faut simplement que vous me laissiez parler à ma tante et...
À entendre leurs petits ricanements, elle comprit qu'ils ne la prendraient pas au sérieux. S'ils avaient été des loups, elle aurait pu leur suggérer d'activer leur vision animale, afin qu'ils détectent son aura. En voyant l'imposant halo vert qui l'entourait, ils auraient compris qu'elle était bel et bien celle qu'elle prétendait. Malheureusement, ils se trouvaient être des Neutres.
— Si j'étais vous, j'écouterais ce que dit la demoiselle.
L'intervention de Duncan et de sa voix rocailleuse capta immédiatement leur attention.
— Faites-la entrer et demandez à Gladis de l'Émeraude de la recevoir. Croyez-moi, votre maîtresse ne prendra pas cela à la rigolade.
Sa gravité imposait le respect, chose qui manquait cruellement à Danila. Si elle était amenée à gouverner, il faudrait que Duncan lui donne quelques cours. Lui-même devait avoir eu un bon modèle, avec Son Altesse Isabella.
— Si vous vous moquez de l'alpha et que vous lui faites perdre du temps, vous le regretterez, persiffla un garde.
La louve sentit sa boule au ventre s'alourdir un peu plus, tandis que Duncan ne fléchissait pas le regard. Il l'invita à passer en premier lorsqu'on leur ouvrit enfin les grilles, puis la suivit de près.
Le palais était encore plus beau que dans les souvenirs de Danila. Gladis avait dû procéder à un ravalement complet de la façade, car elle était beaucoup moins grisâtre et plus propre qu'autrefois. Quelques sculptures avaient été rajoutées à divers endroits, ce qui donnait encore plus de charme à l'édifice. Gladis avait toujours eu beaucoup de goût pour choisir les artistes les plus novateurs, qui savaient mettre en valeur le château. Même à la Cour du roi des vampires, jamais Danila n'avait vu des pierres taillées avec autant de volupté et de minutie.
L'intérieur avait entièrement été réaménagé, au profit de meubles flambants neufs et de tapisseries aux couleurs éclatantes. Le fil d'or brillait de manière presque outrancière, attirant l'oeil à chaque détour. De nouvelles cheminées, ainsi que des fenêtres aux jolis vitraux, semblaient également avoir été percées.
Malgré ces nombreux changements, Danila n'eut aucun mal à reconnaître le palais où elle avait passé la grande majorité de sa vie. La fine odeur de pin et de bougie parfumée était restée la même, tout comme les nombreux portraits accrochés aux murs. Ils représentaient toute la dynastie des alphas de l'Émeraude et faisaient partie des rares biens que Gladis ne pouvait pas tellement remplacer. La jeune fille aurait voulu s'attarder devant celui de ses parents, mais les gardes la guidèrent jusqu'à un minuscule salon, comme si elle était une étrangère.
Au vu de la poussière qui s'accumulait sur les fauteuils, il devait s'agir de l'endroit que l'alpha réservait à ceux qu'elle n'avait aucune envie de recevoir. Danila avait presque même oublié son existence, tant sa petite taille le rendait quasiment inutilisable. Aucun feu ne brûlait pour les réchauffer, et les gardes ne firent même pas l'effort d'en allumer un.
— Attendez ici, leur ordonnèrent-ils en refermant la porte.
La louve crut les entendre la verrouiller.
— Si cela peut les rassurer, ça fait bien longtemps que j'ai mis ma carrière de voleur de côté, marmonna Duncan.
Danila ne fut pas certaine d'avoir compris, mais ne lui demanda pas de répéter. Elle se sentait bien trop patraque et mille émotions la tiraillaient. Revenir dans ce palais la bouleversait autant que cela l'apaisait. Bien qu'elle fût loin de n'avoir connu que des moments heureux dans ces lieux, elle y avait passé toute son enfance, qui n'avait pas été aussi terrible que ça. Les centaines de pièces du château n'avaient aucun secret pour elle.
Toutefois, la nostalgie ne l'empêchait pas d'être gagnée par une sensation d'étouffement. Tous les moments où elle avait rêvé d'être partout sauf ici lui revenaient en mémoire, accentuant l'angoisse qui la tenaillait déjà.
Il s'écoula un long moment avant que la porte ne s'ouvre de nouveau, si bien que Danila crut qu'ils allaient mourir de froid. Cependant, quand le regard horrifié de sa tante croisa le sien, elle se demanda s'ils n'auraient pas mieux fait de se changer en statues de glace.
Car à l'instant où elle vit sa nièce, Gladis s'effondra.
Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre d'elle, ce ne fut pas un malaise gracieux. Elle s'écroula lourdement sur le tapis et se retrouva allongée sur le dos, sa tête rebondissant contre le sol.
Danila étouffa un cri, alors que les soldats poussaient des exclamations terrifiées.
— Diantre, quel sort avez-vous jeté à notre alpha ?
Après une minute d'hésitation, ils soulevèrent délicatement le corps de Gladis pour l'allonger sur une vieille méridienne mal rembourrée. Avec les plus infinies précautions, ils tapotèrent les joues livides de leur maîtresse.
— Il faut aller chercher un médecin ! s'écrièrent-ils face à son absence de réaction.
Mais tout comme Danila, ils paraissaient trop estomaqués pour réagir.
— Elle... Elle doit avoir des sels dans sa poche, finit par balbutier la louve. Gladis fait souvent des malaises quand... Quand elle est en état de choc.
Les deux hommes la toisèrent comme si elle venait de cracher un arc-en-ciel devant eux. Ils finirent par inspecter les poches de la dirigeante et trouvèrent un petit flacon opaque. Leur sidération fut vite balayée par leur sens du devoir, puisqu'ils s'empressèrent de l'ouvrir pour l'approcher du nez de Gladis.
Les paupières de celle-ci papillonnèrent au bout de quelques minutes, puis elle regarda partout autour d'elle, perdue. Quand ses yeux rencontrèrent de nouveau ceux de Danila, elle eut un mouvement de recul et porta une main à sa poitrine.
Gladis avait toujours été d'une beauté et d'une élégance rares, mais son règne en tant qu'alpha semblait les avoir affermies. Malgré ce moment de faiblesse, il se dégageait d'elle une force et une aura qui avaient toujours impressionné Danila. Ses cheveux noirs tombaient en de jolies boucles sur ses épaules, couvertes par une robe aux broderies argentées. Elle aurait tout à fait eu sa place parmi les sublimes vampires du palais d'Adrian, n'ayant presque rien à envier à Beatricia Blackfire, ou à Alisée.
— Sor... Sortez, s'il vous plaît.
Les soldats crurent d'abord qu'elle s'adressait à Danila. Lorsqu'elle les fixa avec insistance, ils écarquillèrent les yeux.
— Nous ne pouvons pas vous laisser seule avec des inconnus, avança l'un d'eux. Il faut que...
— Vous pouvez partir tranquilles, merci.
Sa voix de cristal lui accordait juste ce qu'il fallait d'amabilité, tout en imposant sa fermeté. Les deux hommes n'eurent d'autre choix que de sortir, après avoir jeté un dernier regard à leurs mystérieux visiteurs.
Dès qu'ils eurent fermé la porte derrière eux, Gladis se redressa lentement, sans se relever.
— Puis-je avoir une explication ou... n'importe quoi qui m'expliquerait comment tu es revenue d'entre les morts ?
La gorge sèche, Danila resta quelques secondes sans rien dire. Gladis la considérait avec un mélange d'effroi et d'un autre sentiment indéchiffrable, comme si elle voyait un fantôme. Elle ne paraissait même pas avoir fait attention à la présence de Duncan.
— Je... Je n'étais pas vraiment morte, bredouilla enfin Danila. J'étais devenue... une vampire.
Elle avait tenté de répéter maintes fois le discours qu'elle tiendrait à sa tante. Néanmoins, aucun ne lui avait semblé assez convaincant pour ne pas être honteux et absurde.
Car toute son histoire était honteuse et absurde.
— Une vampire ? répéta Gladis avec un petit rire ironique. Je sais que bien des choses insolites se sont produites au cours des dernières semaines, mais dois-je te rappeler qu'un loup ne pouvait pas se transformer en vampire ?
Sa rudesse heurta Danila. Avec le choc qu'elle devait ressentir, elle ne pouvait toutefois pas lui en vouloir.
— Est-ce que tu te souviens du violoniste vampire que tu avais invité ? Le soir de mon accident ?
Peut-être qu'en débutant par le commencement, Gladis comprendrait mieux.
— Vaguement. Et de quel accident parles-tu ?
La jeune alpha fit tourner ses bagues autour de ses doigts, de plus en plus nerveuse.
— La coupe de cidre que j'ai bu m'a provoqué de très graves vertiges et j'ai fini par m'écrouler dans la forêt. C'est Jae-Sun, enfin... Le vampire violoniste qui m'a trouvée. Il m'a donné le sang de son roi qui... Qui avait le pouvoir de transformer un loup en immortel.
Elle-même avait conscience que tout cela était difficilement crédible. À son réveil, lorsque Jae-Sun lui avait expliqué sa nouvelle condition, elle s'était d'abord obstinée à croire qu'elle était réellement morte et que la Lune lui jouait un mauvais tour.
— Quand bien même ceci serait vrai, pourquoi aurais-tu disparu pendant quatre ans ? l'interrogea Gladis. Ce vampire qui t'a transformée... t'aurait-il retenue contre ton gré ?
— Non ! s'empressa-t-elle de la détromper, ne supportant pas que quoi que ce soit vienne entacher l'image de Jae-Sun. J'ai juste...
J'ai juste préféré abandonner lâchement ma famille et ma meute. Voilà ce qu'elle aurait dû dire si elle avait eu le courage de se montrer honnête. Cependant, sa couardise ne lui fit pas défaut. Elle resta silencieuse, les yeux baissés sur le vieux parquet mal lustré.
— Si vous avez pris la peine de venir nous voir, c'est bien que vous saviez que les gardes vous disaient la vérité, n'est-ce pas ? osa intervenir Duncan.
Gladis redressa légèrement le menton, à la fois choquée et impressionnée qu'il ait le culot de s'immiscer dans la conversation.
— Puisque mademoiselle de l'Émeraude a hérité du pouvoir de l'alpha, cela doit faire quelques temps que vous avez remarqué la disparition du vôtre, poursuivit-il avec un calme intransigeant. Notre venue ne fait que répondre à une question que vous vous posez depuis des mois.
Il faisait toujours preuve d'une telle discrétion que Danila l'aurait pensé incapable de confronter quelqu'un de la sorte.
— Si vous voulez tout savoir, cela fait des années que je me pose des questions. Ma nièce a disparu du jour au lendemain, sans que son corps ne soit jamais retrouvé et sans que nous ayons la plus petite piste pour découvrir ce qu'il était advenu d'elle.
Malgré sa dureté, la jeune louve sentit son coeur se serrer. Elle savait que sa disparition avait dû profondément bouleverser sa tante et ses cousins, mais elle n'avait jamais osé imaginer l'ampleur de leur chagrin.
— Et puis-je savoir qui vous êtes, d'ailleurs ? ajouta Gladis en toisant Duncan d'un air suspicieux.
— Un ami.
Il ne fournit aucune explication supplémentaire. Gladis dut estimer que sa nièce requérait toute son attention, car elle se reconcentra sur elle.
— Qu'as-tu fait pendant toutes ces années, au juste ? Tu as une mine affreuse, as-tu donc erré dans les bois jusqu'à retrouver le chemin du palais ? ironisa-t-elle.
— Non, je... C'est le roi des vampires qui m'a hébergée dans son palais.
Elle avait longtemps hésité à partager ou non cette information. Adrian l'y avait encouragée, ne voyant pas comment elle pourrait baser toute son histoire sur un mensonge.
— Comment ? s'écria Gladis, horrifiée. Tu n'as décemment pas pu passer les quatre dernières années à la Cour de ce... débauché, si ?
— Ce n'était pas si terrible que ça, affirma-t-elle avec empressement. Le roi est très différent de ce qu'on peut imaginer de lui et...
— Rassure-moi, tu n'étais pas devenue l'une de ses... courtisanes ?
Danila manqua de s'étrangler.
— Quoi ? Non, bien sûr que non ! J'étais au palais grâce à Jae-Sun, il était chef de clan.
— Le roi est-il vraiment mort ?
La louve tâcha de ne pas se dérober et conserva une mine aussi neutre que possible.
— Je ne sais pas. Je n'étais pas présente au palais lors de l'explosion, mais tout porte à croire que le roi n'est plus de ce monde. Sa mort est même la raison pour laquelle le vampirisme a disparu.
Une fois n'est pas coutume, elle trouva son semi-mensonge plutôt convaincant. Tout le monde avait deviné que la fin des immortels coïncidait avec la supposée mort de Sa Majesté. Cependant, le roi avait recommandé à Danila de ne pas dire qu'elle était une rescapée de l'attaque. Certains pourraient chercher à l'interroger pour savoir si elle avait ou non vu le monarque parmi les survivants.
Et comme elle faisait généralement une piètre menteuse, autant éviter de se mettre dans une position délicate.
— Tu étais donc bel et bien une vampire, constata Gladis après un moment de silence. Et maintenant... Tu es redevenue l'alpha.
Danila ne savait trop quoi penser de son intonation. Elle ne semblait empreinte ni de mépris, ni d'un grand enthousiasme, comme si elle essayait simplement de digérer ces informations.
Elle considéra longuement sa nièce de la tête aux pieds, puis se leva de la méridienne. Son élégance et sa grâce crevèrent les yeux de Danila. Chaque fois qu'elle voyait sa tante, elle mesurait à quel point elle-même était dépourvue de prestance et de raffinement. Rien qu'avec son ombre, Gladis aurait réussi à l'éclipser, même au milieu d'une pièce vide.
L'ancienne dirigeante finit par s'approcher de sa nièce, sans la quitter des yeux. Du coin de l'oeil, Danila vit Duncan se tendre légèrement, craignant sans doute qu'elle tente de lui faire du mal.
Mais au contraire, Gladis vint prendre la jeune louve dans ses bras.
Ces marques d'affection étaient si inhabituelles pour Danila qu'elle étouffa un hoquet de stupeur. Un peu maladroitement, elle rendit son étreinte à sa tante, appréciant la chaleur qui se dégageait d'elle. Même son parfum aux notes d'amande n'avait pas changé.
— Il va me falloir quelques temps pour réaliser que tout est réel, fit Gladis en s'éloignant doucement. Mais quoi qu'il en soit, je suis vraiment heureuse de te retrouver.
Danila la remercia par un sourire hésitant, ne sachant trop quoi dire.
— Tes cousins seront heureux de te voir, poursuivit sa tante avec émotion. Ils avaient été si peinés d'apprendre ta disparition...
— Comment vont-ils ? J'imagine qu'ils ont bien dû grandir, depuis le temps.
Le plus vieux des trois devait à présent avoir quatorze ans, tandis que le benjamin en avait sept.
— Très bien, grâce à la Lune. Je te les montrerai au plus vite, mais j'aimerais d'abord les préparer à ton retour.
— Oh, bien sûr, approuva Danila en hochant vigoureusement la tête. Je ne voudrais pas qu'ils soient trop choqués, surtout s'ils me croient morte...
Elle laissa échapper un petit rire gêné. Déjà que sa tante ne paraissait pas totalement remise de ses émotions, elle ne voulait pas traumatiser des enfants.
— D'ailleurs, si cela ne t'embête pas, je crois que nous devrions attendre un peu avant d'annoncer ton retour à tout le monde, suggéra Gladis en lissant sa robe. Un grand bal important doit avoir lieu dans quelques jours et je suis un peu surmenée. Je ne sais pas trop où j'en suis, alors il va me falloir du temps pour savoir comment gérer les choses et...
— Ne t'inquiète pas, je comprends que la situation soit difficile. Nous aurons sûrement l'occasion d'en discuter demain ou...
— À vrai dire, l'interrompit sa tante avec un discret sourire, je préférerais que nous voyions ça la semaine prochaine. Il faut vraiment que ce bal se déroule au mieux, en évitant le moindre scandale... J'apprécierais que tu te fasses discrète pendant encore quelques temps.
Elle ne lui donnait pas vraiment un ordre, mais son ton appelait à rester raisonnable et à faire preuve de sollicitude envers cette pauvre femme qui faisait son possible pour maintenir sa meute à flots.
— C'est... C'est comme tu veux. Tu sais toujours mieux que moi comment affronter chaque situation, donc... Si tu penses que mon retour doit rester confidentiel pour le moment, je te fais confiance.
Le visage de Gladis retrouva toutes ses couleurs et elle passa une main dans le dos de sa nièce. Quand Danila tourna la tête vers Duncan, elle vit toute la désapprobation qui assombrissait son regard.
— Tu vas voir, fit Gladis en guidant la louve vers le couloir. Tu devras peut-être te montrer patiente les premiers temps, mais tout finira par s'arranger. Les loups de l'Émeraude se réjouiront autant que moi de ton retour !
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