Chapitre 26 - Souvenir enneigé

18 ans plus tôt •

— Marcus, je veux que tu sois très sage avec Judith. Si elle vous dit d'être calmes, ou qu'il est temps de rentrer, je veux que vous l'écoutiez. C'est d'accord ?

Face aux grandes recommandations du Grand Alpha, Marcus hocha vivement la tête. Danila l'imita, prête à faire n'importe quoi pour qu'ils aient l'air d'enfants modèles.

— Promis ! Allez, on y va !

Ils s'enfuirent du salon au pas de course. Avant qu'ils aient quitté la pièce, Danila entendit Gladis dire tout haut :

— Ah, les enfants ! Je ne suis guère pressée d'en avoir, cela demande tant de patience !

Danila trouvait surtout qu'on exigeait beaucoup de patience de la part des enfants. Elle et Marcus avaient dû attendre deux jours avant d'être autorisés à sortir dehors. La tempête de neige s'était enfin calmée et ils pouvaient aller jouer sans risques.

— Judi, dépêche-toi ! la pressa Marcus en trouvant sa nounou dans le couloir. Faut qu'on aille rencontrer les amis de Dani !

— Il faut d'abord que tu t'habilles un peu plus que ça, lui sourit-elle en leur barrant la route. Il fait très froid dehors.

Elle l'obligea à enfiler un manteau bleu et recouvrit sa tête d'un bonnet en laine. Le petit garçon protesta en se grattant le crâne.

— Pas de bonnet, pas de sortie, l'avertit-elle. Regarde, Danila et moi en avons mis un aussi.

Elles portaient en effet un joli chapeau en fourrure. Avant de le mettre, la petite fille avait eu peur qu'il s'agisse de la peau d'un vrai animal. Elle n'aurait pu le supporter ! Heureusement, une domestique lui avait assuré que ce n'était pas le cas.

Une fois arrivés à l'extérieur, Danila guida Marcus dans la forêt qui entourait le palais. Elle adorait marcher dans la neige fraîchement tombée, qui crissait sous ses pieds. Judith et le jeune garçon paraissaient moins à l'aise, mais personne ne se plaignit.

— Nous ne devons pas trop nous éloigner du palais, s'inquiéta tout de même la gouvernante. Il ne faudrait pas que nous nous perdions...

— Je connais la forêt par coeur ! affirma-t-elle. On se perdra pas.

Quand son papa l'y autorisait, elle adorait passer son temps dehors. Elle se sentait bien mieux à l'air frais, qu'enfermée entre les murs du palais. À présent que son papa n'était plus là, elle devait attendre l'avis de Gladis. Heureusement, sa tante ne semblait pas avoir la tête à la contrarier. Elle répétait sans arrêt qu'elle avait d'autres préoccupations et que Danila devait s'arranger avec les domestiques.

En un sens, cela arrangeait la petite fille. Gladis ne prêtait pas trop attention à elle, alors elle pouvait à peu près faire tout ce qu'elle voulait. D'un autre côté, elle aurait bien aimé que quelqu'un lui fasse un câlin, de temps en temps. Son papa ne lui en faisait pas souvent, mais c'était parce qu'il était très occupé. Il savait se montrer gentil lorsqu'il le fallait, en dépit de ce que Gladis disait à son sujet. Tu ne fais que le strict minimum pour cette petite, lui avait-elle un jour lancé, lors de ce qui ressemblait à une dispute. Tu cherches juste à te donner bonne conscience, comme toujours.

Ce jour-là, Danila n'avait pas tout compris ce qu'ils se racontaient. Cachée derrière une porte, elle savait qu'elle n'aurait peut-être pas dû entendre tout ça, alors elle était partie sur la pointe des pieds.

À présent, elle savait aussi qu'elle ne devait pas trop penser à son papa. Elle finirait par pleurer et elle ne voulait pas être triste. Pas quand elle avait la possibilité de passer une bonne journée avec un nouvel ami.

— Venez, c'est par là ! les encouragea-t-elle en s'engageant sur un petit chemin, qui avait été déblayé.

— Tu as vraiment des amis qui habitent ici ? l'interrogea Marcus en levant la tête vers les grands sapins.

— Bien sûr ! On est presque arrivés, regarde !

Elle lui désigna une partie plus dégagée de la forêt, où se trouvaient de premiers enclos. Danila se précipita près d'eux, afin d'apercevoir ce qu'elle cherchait.

— Minnie ! cria-t-elle. Georgie ! Venez, j'ai un copain à vous présenter !

Elle s'adressait à deux chèvres, dont la tête dépassait de leur petit abri. Elles l'observèrent sans remuer un sabot, tout en continuant de mâchonner une touffe d'herbe.

— Ce... Ce sont elles tes amies ? fit Marcus, étonné.

Quand Danila se tourna vers lui, elle constata qu'il fixait les bêtes avec des yeux ronds. Il en allait de même pour Judith, qui semblait ignorer quoi penser de la situation.

— Oui ! Mais elles viennent me voir que quand elles veulent, elles sont pas toujours décidées... C'est pas grave, j'ai plein d'autres amis là-bas !

Elle fila le long du chemin, jusqu'à ce qu'une petite bâtisse en pierre soit en vue. Elle frappa plusieurs fois à la porte, qui s'ouvrit au bout de quelques secondes. Un vieil homme apparut dans l'encadrement et il sortit aussitôt en voyant qui lui rendait visite.

— Ah, mademoiselle Danila ! Je suis content que vous puissiez enfin revenir !

Murray était l'une des personnes préférées de la petite fille. Il souriait toujours, même s'il lui manquait quelques dents. Il portait de grosses bottes en vieux cuir, ainsi qu'un tablier marron qui semblait avoir servi à récurer sa cuisine.

— Bonjour ! On peut aller voir les animaux ?

— Bien sûr ! Tristan doit être dans la grange. Tu as ramené des amis, à ce que je vois !

Il examina Marcus et Judith en plissant un peu les yeux. La gouvernante le salua poliment, tandis que le petit garçon se contenta d'un léger signe de la main.

— Oui, je veux montrer à Marcus mes amis ! Surtout Avana !

— Elle est sortie avec Tristan ce matin, elle le suit toujours partout. Allez vite les trouver !

Danila ne se fit pas prier et fila vers la grange, attenante à la maison. Lorsqu'ils y pénétrèrent, une odeur de paille et de fumier vint chatouiller leurs narines. Cela ne dérangeait pas la jeune louve, qui avait fini par trouver ces senteurs rassurantes et familières.

— Ça sent comme dans les écuries à la maison ! s'exclama Marcus en plissant le nez. Tu as des chevaux, toi aussi ?

— J'en ai au château, confirma-t-elle. Mais ici, il y a des ânes !

Elle s'approcha des animaux en question, qui attendaient d'être sortis au pré. Ils se collèrent à leur rambarde en voyant Danila et agitèrent leurs grandes oreilles.

— Tu peux les toucher, leur museau est tout doux ! affirma-t-elle en posant la main au-dessus de leurs naseaux.

Les ânes se laissèrent caresser quelques instants, avant de découvrir leurs grandes dents. Cela fit peur à Marcus, qui recula vivement, sous les rires de Danila.

— Ils veulent juste s'amuser, ils sont trop mignons !

— J'ai peur qu'ils mordent ! se plaignit Marcus.

Comme elle était plus grande, Judith put facilement leur toucher le cou. Leurs gros yeux mi-clos, ils apprécièrent ses attentions sans broncher.

— Bonjour, mademoiselle Danila ! fit Tristan en venant vers eux. Cela fait longtemps que je ne vous avais pas vue !

La petite fille avait toujours trouvé que l'homme ne ressemblait pas beaucoup à son père. Avec ses cheveux très bruns et sa peau dénuée de rides, il était difficile de se dire qu'il ressemblerait un jour au vieux Murray.

— Y'avait la tempête de neige, Gladis voulait pas que je sorte ! Et y'a eu mon papa qui est mort, aussi...

L'air embarrassé, Tristan retira son chapeau et le tritura entre ses mains.

— Je suis désolé pour votre père. J'étais présent à l'enterrement, mais je n'ai pu venir vous voir. Personne ne devrait vivre une chose pareille à un âge aussi jeune que le vôtre.

Danila baissa la tête. Au cours des derniers jours, beaucoup de grandes personnes comme Tristan lui avaient répété ces mots. Elle ne savait jamais quoi répondre.

— Mademoiselle Danila nous a dit qu'elle avait beaucoup d'amis qui vivaient ici, intervint Judith avec un sourire un peu forcé. J'imagine que vous en faites partie ?

— Oh non, Tristan il est trop vieux pour être mon ami ! la détrompa Danila.

Le concerné éclata de rire, tandis que Judith semblait un peu gênée.

— Je ne suis que celui qui m'occupe de ses amis, précisa-t-il. Mademoiselle Danila adore passer du temps avec les animaux qui vivent ici.

La petite louve hocha vivement la tête. Quand elle ne se cachait pas pour observer les cerfs qui vivaient dans la forêt, elle essayait de venir dans cette ferme aussi souvent que possible. Rien ne la rendait plus heureuse que de caresser des chèvres ou des ânes. Certaines bêtes n'étaient pas toujours d'humeur à ce qu'on les touche, mais Danila pouvait le comprendre. Se contenter d'observer la tonte des moutons, ou simplement ramasser des oeufs, ne l'embêtait pas.

— Est-ce que le bébé alapaga est né ? demanda-t-elle à Tristan.

— Il est né ici même pendant la tempête de neige ! Il est sorti dehors pour la première fois ce matin.

Danila sautilla, avant d'être rattrapée par une sombre crainte.

— Est-ce que sa maman est morte ? s'affola-t-elle.

Décontenancé par sa question, Tristan fronça les sourcils et échangea un regard étonné avec Judith.

— Non, la maman alpaga et son petit vont très bien. Tu peux aller les voir si tu veux.

La petite fille suivit Tristan à l'extérieur. Un enclos et un cabanon avaient été aménagés tout près de l'étable, afin d'accueillir les jeunes animaux.

— Tu vois, ils se portent tous les deux à merveille !

En effet, un petit alpaga au poil blanc se tenait à côté de sa mère. Cette dernière se prénommait Chocoline, juste parce que ce drôle de nom était un jour venu à l'esprit de Danila.

— J'ai jamais vu des animaux comme ça ! s'exclama Marcus. On dirait des chameaux avec de la laine de mouton !

Ses yeux pétillaient autant que ceux de Danila. Elle-même avait été émerveillée la première fois qu'elle avait vu un alpaga, bien qu'elle ait toujours eu un peu de mal à retenir ce mot. Tristan leur permit de caresser la maman, mais leur recommanda d'attendre un peu avant d'approcher le petit.

Ils purent ensuite aller auprès des moutons, à l'écart de la ferme. En chemin, Danila trouva Avana, l'une de ses meilleures amies.

— Avana, je te présente Marcus, un nouveau copain !

— Mais... C'est un chien ? se surprit le petit garçon. Tous tes amis sont des animaux ?

La jeune louve haussa les épaules, ne voyant pas quel était le problème.

— Et alors ? Ils sont trop gentils et on peut leur faire de gros câlins !

Pour illustrer ses propos, elle s'agenouilla afin de prendre la chienne au pelage blanc dans ses bras. Celle-ci se pelotonna contre elle et lui lécha la joue.

— Elle mord pas ? s'inquiéta Marcus.

Il était vrai qu'avec ses grandes pattes, son corps trapu et tous ses poils, Avana pouvait paraître un peu imposante.

— Mais non ! Je la connais depuis qu'elle est toute petite, c'est moi qui lui ai choisi son prénom ! Gladis était pas trop d'accord, elle trouvait que ça ressemblait trop au prénom de ma maman.

Tristan et Judith étaient restés près de la grange, alors ils pouvaient discuter librement. Quand une personne l'entendait parler de sa mère, celle-ci s'arrangeait toujours pour changer de sujet. Sûrement que tout le monde devait craindre de voir Danila fondre en larmes.

— Elle s'appelait comment ? demanda Marcus en posant une main sur la tête de la chienne.

— Evana. C'est vrai que ça ressemble un peu à Avana, mais je vois pas où est le problème. Il paraît que ma maman adorait les animaux en plus.

— Ah oui ?

Le petit garçon ne paraissait plus trop impressionné par la chienne et la caressait plus franchement. Ravie d'être l'objet de tant d'attention, Avana se laissait faire en tendant le cou.

— C'est elle qui avait demandé à ce qu'on construise cette ferme ! Mon papa m'a raconté qu'avant de le rencontrer, elle soignait les animaux.

Elle ne disposait que de très peu d'informations sur sa mère. Elle lui apparaissait presque comme une étrangère, figée dans les portraits qui hantaient les murs.

— Moi, ma maman c'était Anya. Elle aimait beaucoup les chevaux ! Moi je préfère les chameaux, mais les chevaux c'est rigolo.

Danila se demanda un instant ce qu'était un chameau, avant d'être rattrapée par une autre question :

— Toi aussi ta maman elle est morte quand t'es né ?

Cela lui paraissait tout naturel, pourtant Marcus sembla choqué.

— Non, pourquoi ? C'est un méchant monsieur qui lui a fait du mal.

La jeune louve ouvrit de grands yeux.

— Un méchant ? Comme dans les histoires quand un monsieur pas beau attaque la princesse ?

Il hocha la tête.

— Oui. Mais maintenant il est dans une prison, il fera plus de mal à personne.

Rassurée, Danila se détendit un peu. Les méchants lui faisaient très peur.

— Ma maman elle est morte quand je suis née. Ça arrive quand les bébés ils doivent naître.

Chaque fois qu'une naissance se préparait à la ferme, elle craignait que la mère connaisse le même sort que la sienne. Cela l'aurait rendue très triste de perdre l'une de ses amies, ou de voir un pauvre petit être devenir orphelin.

— Mais non ! protesta Marcus, comme si elle disait la pire des bêtises. Elanor elle est pas morte quand mon petit frère il est né.

Il mentionnait son petit frère aussi souvent qu'il le pouvait. Il devait sûrement l'aimer autant que Danila aimait Avana.

— Moi j'ai pas eu de chance, regretta-t-elle en faisant un autre câlin à la chienne. Mais j'ai Avana qui sera toujours là pour moi ! Et t'es là aussi, donc c'est bien.

Même si ses amis à quatre pattes passeraient toujours avant tout le monde, elle appréciait d'avoir quelqu'un qui lui répondait quand elle parlait. Bien sûr, les animaux avaient leur propre manière de communiquer avec elle. Lorsqu'ils se frottaient contre elle, ou qu'ils la regardaient avec leurs grands yeux expressifs, elle comprenait sans mal qu'ils la considéraient aussi comme leur amie. Toutefois, avec Marcus, c'était un peu différent.

— Tu repars pas encore chez toi, hein ? s'inquiéta-t-elle soudain. L'autre jour, j'ai demandé à Gladis si elle savait combien de temps ton papa devait rester, mais elle m'a rien dit.

Le louveteau réfléchit un instant, avant de hausser les épaules.

— On m'a rien dit non plus. Tu veux qu'on fasse un bonhomme de neige ? J'aime trop en faire quand il neige chez moi !

Danila acquiesça aussitôt. Les moutons ne leur en voudraient sans doute pas s'ils s'amusaient au milieu de leur pré. Il y avait tant de neige que tout le troupeau aurait eu de quoi faire sa propre sculpture.

Marcus et elle escaladèrent l'une des barrières, avec plus ou moins de difficulté. Danila avait l'habitude de les franchir chaque fois qu'elle rendait visite à ses amis. Quant au petit garçon, il se montra un peu plus gauche. Ils réussirent néanmoins à atteindre le pré et commencèrent à rassembler autant de neige que possible. Judith les surveillait de loin, l'air un peu frigorifiée. Elle n'intervint qu'au moment où Marcus voulut arracher les boutons de sa veste pour les mettre sur le bonhomme.

Le temps défila si vite que Danila ne vit pas les heures passer. Quand ils furent obligés de rentrer vers le château, elle espéra que son nouvel ami resterait encore longtemps et qu'ils pourraient s'amuser autant qu'en cette journée.

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