Chapitre 12 - Remontrances et résolutions

— Comment as-tu osé faire une chose pareille ? Je t'avais pourtant prévenue qu'il fallait me laisser gérer la situation, je ne sais pas si tu te rends compte des conséquences !

Les oreilles de Danila saignaient. Après l'explosion du palais du roi des vampires, elle avait cru qu'aucun son ne viendrait surpasser le chaos provoqué par la poudre, or elle s'était fourvoyée.

La voix de Gladis serait parvenue à briser du cristal sans le moindre problème.

— Tu as eu de la chance, peu d'invités t'ont reconnue ! Mais il a fallu que tu ailles danser avec le fils du Grand Alpha, l'héritier du titre qui plus est ! De quoi vais-je avoir l'air à ses yeux ? Moi qui avait tout fait pour qu'il ne vienne pas mettre son nez ici, voilà qu'il s'est montré au plus mauvais moment !

Cela devait faire un quart d'heure que Danila laissait sa tante évacuer sa colère. Moins de deux heures après son départ du bal, elle avait entendu la porte de sa chambre s'ouvrir en trombe et depuis, n'avait pas eu droit à une seconde de répit. Gladis arpentait la petite pièce de long en large, en laissant ses talons claquer bruyamment contre le sol.

— Je ne sais vraiment pas comment je vais faire pour arranger ça ! Le fils du Grand Alpha va s'empresser d'aller rapporter ça à son cher père et je vais être convoquée à la capitale. Je vais passer pour la pire des cachottières et...

— Peut-être que tout cela ne serait pas arrivé si tu m'avais dit que les enfants du Grand Alpha seraient présents au bal.

La louve voulait bien endosser la responsabilité de bon nombre de choses, mais sa tante était la définition d'une cachottière.

— Je ne pensais pas que tu serais amenée à le voir. J'avais espoir qu'il se décide à partir d'ici la fin de la semaine, mais monsieur devait se douter que quelque chose ne tournait pas rond ! Je suis certaine que des loups de l'Émeraude ont été raconter au Grand Alpha qu'ils ne percevaient plus mon aura, c'est pour ça qu'il a envoyé ses louveteaux nous espionner !

Après avoir vu les fils du Grand Alpha en question, Danila ne les aurait pas vraiment qualifiés de "louveteaux". En particulier le plus âgé, Marcus.

Un Marcus qu'elle avait d'abord trouvé charmant, avant d'être prise d'une furieuse envie de lui envoyer son poing dans la figure.

— Et en plus, il a fallu que tu te donnes en spectacle en te disputant avec lui ! Qu'est-ce qui t'a pris de manquer de respect au fils de notre dirigeant ? Toute alpha que tu es, je te rappelle qu'il nous est supérieur !

Jusqu'ici assise sur son lit, Danila décida de se lever. Son altercation avec ce loup l'avait tant mise à cran qu'elle se sentait d'envie de tenir tête à tout le monde.

— Il a tenu des propos absolument abjects, je ne pouvais pas le laisser dire des choses pareilles sans protester !

Qu'il se réjouisse de la fin du vampirisme, cela ne lui posait aucun problème. Après tout, loups et immortels ne s'étaient jamais cachés pour se mépriser mutuellement. Mais qu'il insulte l'ancienne espèce de Danila de manière éhontée, en lui disant droit dans les yeux qu'elle aurait mieux fait de mourir plutôt que de devenir une vampire, et en salissant la mémoire de Jae-Sun de surcroît... Elle ne pouvait le supporter.

Danila ferait une piètre dirigeante, il n'y avait aucun doute là-dessus. Or elle savait qu'un alpha ne pouvait se permettre de nourrir des opinions aussi tranchées. Son principal rôle consistait à guider sa meute et à oeuvrer pour son bien-être. Les idées extrêmes de Marcus témoignaient d'une rigidité d'esprit qui ne lui serait d'aucune aide pour comprendre son peuple.

— Tu es sur la Terre des Loups ! asséna Gladis. Tu obéissais peut-être à ton roi des vampires lorsque tu vivais sous son toit, mais ici, seule la famille du Grand Alpha est importante ! Nous ne sommes hélas que de vulgaires subalternes, à qui nous n'avons confié qu'un semblant de pouvoir !

Ses mots transpiraient l'amertume et le ressentiment. Danila eut l'impression qu'ils ne lui étaient pas exclusivement dédiés.

— Cela fait plus de trois mois que je crains le moment où le Grand Alpha découvrira tout, avoua sa tante en se pinçant l'arête du nez. Je crains davantage sa réaction que celle de notre peuple. Tu n'imagines pas à quel point c'est éreintant de se savoir surveillée en permanence, d'avoir toujours peur de faire le moindre faux pas... Je sais qu'il a des espions partout, tu trouves ça normal ?

La compassion que la jeune fille avait autrefois éprouvée pour sa tante revint à la charge. Peu importe ce que lui disait Duncan, jamais il ne comprendrait tout ce que Gladis avait dû assumer après la mort de l'ancien alpha, dix-huit ans plus tôt. Elle n'avait pas été destinée à succéder à son frère et pourtant, c'était ce qu'elle avait fait avec brio pendant des années.

Elle avait endossé son rôle de régente sans se plaindre, à moins de vingt-cinq ans. Elle s'était mariée, avait élevé ses trois enfants – ce qui malgré la présence de domestiques, n'était jamais une mince affaire – tout en encaissant la perte de son mari quelques années après. Elle était prête à laisser sa place à Danila, jusqu'à ce que celle-ci disparaisse à son tour.

Sa vie n'avait été ponctuée que de défis, qu'elle avait sans cesse brillamment relevés.

— Pour ce qui est de la peur de commettre des impairs, je sais ce que c'est, marmonna sa nièce.

— Et pourtant, cela ne t'a pas empêchée de commettre le pire de tous en venant à ce bal ! Avoir été une vampire pendant si longtemps t'a rendue bien audacieuse, à ce que je vois.

Danila s'abstint de répondre. Visiblement, aucun des loups-garous de son entourage ne semblait enclin à admettre que les immortels n'avaient pas que des défauts.

— Enfin, passons, soupira Gladis en s'éventant de la main. Comme d'habitude, je vais devoir me débrouiller avec toute cette pagaille. Monsieur Marcus va venir me couvrir de son arrogance dès demain matin, tu peux en être certaine ! Je ne serais pas étonnée qu'il soit d'ores et déjà planté devant ma porte !

Elle parlait si fort que Duncan ne devait même pas avoir besoin de se coller au mur pour épier ce qu'elle disait.

— De toute façon, je n'avais pas le choix, intervint Danila. Je n'allais pas rester cachée éternellement, le Grand Alpha et notre peuple allaient apprendre mon retour tôt ou tard. Au moins, c'est chose faite et... Tout le monde peut croire que tu avais l'intention d'annoncer mon retour lors du bal, mais que je suis partie avant.

— Diantre, j'aimerais pouvoir prendre les choses avec la même insouciance que toi ! Ce bal était organisé en l'honneur de la venue des enfants du Grand Alpha, cela aurait été fort impoli de ma part d'éclipser leur visite avec une telle annonce !

Il fallait se rendre à l'évidence, tout aurait échoué à calmer Gladis. Elle décida finalement de se rapprocher de la porte, après avoir soufflé aussi bruyamment qu'un cheval.

— Je te dirais bien de te faire discrète jusqu'à demain, mais puisque tu n'en fais qu'à ta tête, je m'abstiendrai ! De toute manière, au point où nous en sommes, tu ne peux que difficilement empirer la situation. Quoique tu sois toujours douée pour ce genre d'exploits !

Les bras croisés, Danila fixa son tapis. Sa tante possédait un incroyable don pour faire des compliments... Cependant, après le coup d'éclat qu'elle avait causé, la louve devait admettre qu'elle ne méritait pas beaucoup d'éloges.

— Si tu ne me revois pas, c'est que le fils du Grand Alpha aura décidé de me couper la tête pour trahison ! Cela ne devrait pas te choquer, étant donné que tes amis vampires sont adeptes de ce genre de pratiques.

Et sur ces sages paroles, elle s'en alla en claquant la porte. La jeune fille resta un instant immobile, sonnée par tout ce qui s'était produit au cours de cette soirée.

L'appréhension qu'elle avait ressentie avant de faire son entrée dans la salle de bal n'était plus qu'un vague souvenir, détrôné par le trouble qu'elle avait ressenti en voyant Marcus. Lorsqu'elle avait réalisé qui il était, elle n'avait pu en croire ses yeux.

Rien n'aurait pu lui faire oublier ce vieil ami d'enfance, qui avait embelli sa vie après la mort de son père. Elle se souvenait aussi de Clark, le Grand Alpha, dont la gentillesse et les excellentes pâtisseries l'avaient marquée. Néanmoins, jamais elle n'aurait imaginé que le petit garçon qu'elle avait connu grandisse de façon aussi... séduisante.

Et surtout, jamais elle n'aurait pensé qu'il s'adresserait un jour à elle avec une telle brutalité, teintée d'un racisme qu'il ne cherchait même pas à dissimuler.

La timidité et la peur de blesser les autres empêchaient souvent Danila de dire ce qu'elle avait sur le coeur. Mais face à cet homme qui avait changé de la pire des manières, rien n'aurait pu l'empêcher de se défendre. Elle savait qu'une fois sur la Terre des Loups, elle aurait à supporter des milliers de commentaires au sujet de son ancienne espèce. Toutefois, ces insultes proférées par un ancien ami, censé être davantage éduqué que les autres loups, l'avaient particulièrement blessée.

Si elle l'avait pu, elle aurait renversé toute une citerne remplie de limonade sur sa veste impeccable.

Alors qu'elle s'apprêtait à se coucher, on frappa à sa porte. Elle partit ouvrir à Duncan, qui se détourna prestement en la voyant.

— Oh, excusez-moi, je ne pensais pas que vous vous étiez changée. Je repasserai demain.

S'il fallait bien une preuve que les vampires n'étaient pas tous des dévergondés, Danila pouvait compter sur lui. Elle avait certes troqué sa robe de soirée contre une chemise de nuit et un peignoir bien plus confortable, mais il n'y avait rien de choquant dans sa tenue.

— Cela ne m'embête pas, ne vous inquiétez pas. Vous pouvez entrer.

Il hésita et elle songea qu'il était probablement très inconvenant qu'un homme marié vienne dans la chambre d'une femme en chemise de nuit. Si cela remontait aux oreilles d'Isabella, allait-elle la provoquer en duel ? Compte tenu de la situation, ce ne serait peut-être pas un si mauvais sort que ça...

Il dut estimer les circonstances trop graves pour faire des manières, alors il se décida à franchir le seuil de la porte. Quand Danila avait pris la fuite, il avait déjà supporté ses plaintes au sujet de Marcus. Il devait à présent être désireux d'en apprendre plus sur son entretien avec Gladis, même si peu de choses avaient dû échapper à ses oreilles.

— Vous ne devez pas écouter votre tante. Vous avez bien fait d'aller à ce bal.

— Sauf que c'était le pire moment pour faire mon retour, se désola-t-elle. Si j'avais su que les enfants du Grand Alpha étaient présents, je serais restée dans ma chambre.

— Au contraire, c'était le moment idéal. Votre tante tenait précisément à vous cacher du Grand Alpha et maintenant, il va être mis au courant de votre existence.

— Son fils me déteste et je me suis disputée avec lui... Avouez que ce n'est pas de bon augure pour la suite.

Encore une fois, sa malchance avait frappé. Elle avait renversé son verre sur la mauvaise personne et accepté l'invitation à danser de celui qu'elle aurait mieux fait d'éviter.

Comprendrait-elle un jour pourquoi la Lune lui en voulait autant ? Cela t'apprendra à devenir une vampire et à renier ton titre...

— Isabella et son père appréciaient l'actuel Grand Alpha. Je n'ai pas souvent eu l'occasion d'avoir affaire à lui, mais il n'avait rien contre les vampires. Il me semble que sa femme est une Chasseuse et...

— Oh, non ! J'avais oublié !

À présent que Duncan le disait, elle se souvenait que le Grand Alpha s'était marié deux fois. Une première avec la mère de Marcus, puis une seconde avec Eleanor du Rubis, connue pour avoir exercé en tant que Chasseuse de vampires. Gladis ne s'était jamais gênée pour critiquer cette position. Un jour ou l'autre, cela nous attirera une guerre avec les vampires, disait-elle avec fatalisme.

— Toute leur famille doit secrètement détester les vampires, ils n'accepteront jamais mon retour en tant qu'alpha ! Pire encore, ils risquent de me condamner pour avoir abandonné ma meute et m'être transformée en vampire et...

— Je ne crois pas qu'ils détestent les vampires. Adrian avait un jour dansé avec la femme du Grand Alpha et il me semble qu'ils s'étaient... bien appréciés.

Danila ne chercha pas à en savoir plus. Avec tout le respect qu'elle portait à Alisée et à l'ancien roi, elle savait que ce dernier ne se rapprochait pas toujours des personnes les plus bienveillantes du monde.

— Peu importe, le fait est que Marcus m'a traitée de "cadavre vivant". Vous vous rendez compte ? s'exclama-t-elle en piétinant dans sa chambre, comme Gladis l'avait fait un peu plus tôt.

Elle parlait davantage pour elle-même que pour Duncan, dans une vaine tentative d'évacuer toute l'agitation qui crépitait en elle. Elle avait cru que se faire insulter finirait de la mettre à terre, or étrangement, cela lui donnait envie de montrer à ce petit arrogant qu'elle ne valait pas moins que lui.

Elle ignorait comment elle s'y prendrait, mais elle prouverait à tout le monde que les ex-immortels ne méritaient pas d'être traités comme des parias.

— J'ai reconnu les enfants du Grand Alpha quand vous les avez abordés. Isabella et moi avions été invités à une fête au palais de Bois-Lunaire, il y a à peine quelques mois. J'aurais voulu pouvoir vous dissuader d'accepter son invitation à danser, j'avais peur que vous paniquiez en découvrant qui était votre cavalier.

— J'étais trop... étonnée de le retrouver ici pour vraiment paniquer. Marcus et moi nous sommes connus il y a des années, nous étions tous les deux si petits à l'époque...

Elle ne se remettait toujours pas du fait qu'il ait pu changer à ce point, aussi bien physiquement que mentalement.

— Il verra qu'il a eu tort de m'insulter. Les vampires ont peut-être disparu, mais il est quand même temps de mettre un terme aux préjugés stupides qui les accompagnent !

Duncan la fixait d'un air interdit, ne sachant sûrement pas quoi penser de ce nouvel état d'esprit.

— Je vous soutiens dans cette démarche, toutefois... Sans vouloir vous manquer de respect, je tiens à vous rappeler que les alphas, en particulier les Grands Alphas, ne font pas toujours preuve d'une grande... stabilité.

En tant que mari de la princesse la plus redoutée et imprévisible du monde, il n'était peut-être pas très bien placé pour dire cela, or il s'agissait de la vérité. On ne comptait plus le nombre de sombres histoires qui circulaient sur d'anciens dirigeants, auxquels le pouvoir était monté à la tête.

— Si cet homme est un jour amené à devenir Grand Alpha, je vous déconseille de vous le mettre à dos, acheva Duncan.

Ayant cessé de marcher, elle hocha la tête. Si elle aspirait à gouverner de manière correcte, à défaut d'être exceptionnelle, elle ne devait pas créer de scandales avec ses supérieurs.

Néanmoins, cela ne l'empêcherait pas d'être franche avec monsieur Marcus et de défendre bec et ongles son ancienne espèce.

Il en allait de la mémoire de Jae-Sun. Rien n'importait davantage.

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