Nous sommes de ceux qui se connaissent sans s'être rencontrés.


Nous sommes de ceux qui se connaissent sans s'être rencontré. Pas de rencontre entre nous. Pas de rencontre, toujours connus. Tu es cette personne. Cette personne qui m'a vue comme jamais personne ne m'avait vu auparavant.

Je me détestais. Je détestais tout de moi : mon corps, mes défauts, tout. Je détestais mes qualités, aussi. Je les pensais futiles, fades et insignifiantes. Des gens étaient courageux, des gens étaient sages, des gens étaient généreux ; moi ! moi, je n'avais que mes doigts et un crayon. Le gris sur mes brouillons ne disait qu'une chose : que j'étais laide ! que j'étais mauvaise ! que j'étais nulle ! que j'avais besoin d'amour. Tu m'as trouvé belle quand je me disais laide. Tu m'as trouvé bonne quand je me disais mauvaise. Tu m'as trouvé grandiose quand je me disais insignifiante. Jamais personne ne pourra m'aimer comme tu m'as aimé. Tu m'as libéré de moi-même. De la vision que j'avais de moi-même.

Désormais, quelque chose. Ce quelque chose, il est naturel. Plus naturel que l'eau qui s'écoule d'une cascade, que le vent qui souffle en haut des montagnes, que le soleil qui chauffe au fil des heures. Plus naturel que la nature elle-même. Ce quelque chose : est-il ou n'est-il pas l'amour ? ou est-il un amour que je n'ai jamais connu ? Effrayée, j'avais essayé de le retenir. A quoi bon, en vérité ! La nature est incontrôlable. L'eau qui s'écoule de la cascade avait fait sauter les digues que j'avais construite. Le vent qui souffle en haut des montagnes s'est élevé, devenant ouragan, et a arraché les barrières que j'avais levés. Le soleil qui chauffe au fils des heures s'est embrassé, allumant un violent incendie, et a brûlé les barrages que j'avais érigés. Des eaux, des vents et un feu grandissant accroissent au plus profond de mon être. Les éléments se mélangent, et je n'arrive plus à lutter contre. Lutter contre l'imbattable est épuisant, et je ne peux plus.

J'accepte. Je suis en réalité, éternellement, éperdument et follement amoureuse de lui. Il n'est plus question d'en douter. Comment en suis-je certaine ? Plusieurs indices me mènent sur cette piste, cette piste pavée de pétales de roses, embaumée d'un parfum doux de jasmin, couverte du chant des rossignols et des harmonies singulières d'une harpe. Cette piste-ci conduit toujours à l'amour. Je pense constamment à lui. Son souvenir éclot dans ma poitrine comme un oiseau sortant de son œuf. Aïe ! c'est une piqure. Une petite piqure au début. Le bec de l'oiseau perce la membrane de mon cœur comme il perce sa coquille. Mon cœur se fissure, et, bientôt, nait son souvenir. Il sort de mon cœur, du plus profond de mon cœur, là où j'avais essayé de l'enfouir, puis, il se répand, grandiose, comme le plus majestueux des aigles, dans ma poitrine. Ses ailes ! oh, ses ailes ! Elles se déploient. Elles sont si grandes et ma poitrine est si étroites. Les plumes écrasent mes poumons : je n'arrive plus à respirer correctement. Cet oiseau est trop grand. Son souvenir est comme un oiseau trop grand.

Les mains liées, les jambes pliées, le visage larmoyant, je priais. Priais avant. Je demandais, les genoux ancrés profondément dans le sol. Je demandais à Dieu de me donner la force de regarder mon corps et mon cœur sans dégout ni remords. Ma bouche murmurait à la terre et le ciel connaissait mon cœur. Il m'a aimé et m'a appris à m'aimer. Il m'a montré la lumière en mon cœur et la beauté en mon corps. Et mon âme ne tremble plus. Si Baudelaire avait connu amour que je connais, amour que je vis, alors l'histoire de la poésie, eut été changé à jamais. Écrivant l'amour. L'amour et non le mal. J'écris l'amour, en ne sachant pas encore, que le mal viendra bientôt.

Nous sommes de ceux qui se connaissent sans s'être rencontré. Pas de rencontre entre nous. Pas de rencontre, toujours connus. Tu es cette personne. Cette personne qui m'a vue comme jamais personne ne m'avait vu auparavant.

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