Le Chien

Je n'ai jamais connu un sentiment équivalent. Je n'aurais jamais pensé connaître un tel sentiment, en toute honnêteté. La mort ne m'a jamais attiré. Elle n'était pas cet oiseau noir. L'oiseau noir qui s'abat et capture l'âme entre ses serres, qui la serre et l'amène loin, très loin, vers nulle part et ailleurs, là où le monde n'est plus et où rien n'est plus. Elle ne l'a jamais été. L'idée de la mort peut paraître excitante, je le comprends. Voyage vers le néant, vers le vide qui peut être reposant. Voyage auquel je n'avais jamais pensé. J'ai pensé à des tas de choses, mais jamais à mourir. Exploser pour ne rien ressentir ou fuir pour ne jamais revenir, j'avais pensé. Seulement, ce n'était plus suffisant alors j'ai pensé à la mort.

Je me promenais, et soudain, je l'ai vu. J'ai vu ce chien. Il était grand, plein de poil, avec une mâchoire énorme. J'ai vu ce chien et j'ai pensé à la mort. C'était presque naturel. La pensée était venue à mon esprit naturellement, comme un nuage qui passe dans le ciel, comme de l'eau qui tombe d'une cascade, comme le soleil qui monte à l'horizon. La pensée avait été une évidence si belle ! si grande ! si adroite ! que je n'avais pu la rejeter. Je l'avais accueilli et, de drôles d'images avaient assailli mes esprits déjà brisés et en complète perdition.

Ce chien se tenait à quelques mètres de moi. Il s'aplatissait et s'approchait lentement. Son museau allongé frémissait, ses babines étaient retroussées et ses dents étaient découvertes. Il avait les canines longues et pointues. Un grondement sourd montait de sa gorge et il semblait résonner dans mon crâne. La peur aurait dû être mon émotion. Elle aurait dû être l'émotion qui contrôlait mon corps et mes pensées, pourtant elle ne l'était pas. Je restais immobile et je le laissais approcher. Je pourrais essayer de m'enfuir, mais à quoi bon : il serait plus rapide. Ses griffes grattaient la terre et il s'approchait toujours plus près, encore plus près, peu à peu. Une lueur sombre passa dans ses yeux. Ils étaient noirs, vitreux et reflétaient moins de vie qu'un arbre mort. Il me fallut un moment pour comprendre qu'il s'agissait du reflet des miens dans ses pupilles. Il était bien trop près à présent,  soudain ! comme guidé par l'instinct le plus animal qu'il soit, le chien me sauta à la gorge ! Je basculai en arrière, mon crâne heurta violemment le sol. Ma tête vibra un instant et je vis flou. Soudain, le monde m'apparut recouvert d'un voile blanc, nébuleux, cotonneux. Comme à travers une fenêtre sale, derrière ce voile, j'aperçus la gueule féroce de mon prédateur. Il était califourchon, au-dessus de moi et je pouvais respirer son haleine chaude et fétide. Sa patte, d'abord, se posa sur ma joue et ses griffes commencèrent à lacérer ma peau. Il laissait, derrière, se dessiner des lignes ensanglantées, irrégulières et toutes sales. Le sang avait excité sa faim. Il ouvrit la gueule et tomba sa langue, qui semblait être déjà peinte du sang, dont il aimait s'abreuver. Sa mâchoire se logea dans mon cou, ses crocs se plantèrent dans la chair. Il me mordit et je ne vis plus. Mon esprit s'était perdu et jamais il ne revint. Mes paupières tombèrent et emportèrent mon âme avec, qui s'envolait doucement dans l'air suave, dans l'air clair, dans l'air humide de ces après-midis. Je savais que c'était douloureux, c'était assurément la pire des douleurs, mais je ne sentais plus rien. Et je savais que si ce chien s'était approché, comme dans mon rêve, si ce chien m'avait sauté à la gorge, comme dans mon rêve, je l'aurais laissé faire, comme dans mon rêve.

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