La Chute

Je revoyais. La pièce avait de larges murs et un haut plafond. Cependant, les traits étaient brouillés et les contours du décor étaient flous. Une éblouissante obscurité́ avait inondé la salle et ses bordures étaient devenues abstraites. Soudain, une lumière avait scintillé. Une lumière, qui en s'illuminant d'un doré criard, avait su dessiner les formes d'une figure qui me touchait droit au cœur. Fou et virulent, mon rythme cardiaque s'était animé. J'avais reconnu ce visage. Une seconde et j'en reconnaissais chaque ligne. Ce teint inspirant un éclat fragile à l'aspect luisant et poli de la porcelaine. Ce sourire particulier, long et difforme, comme un trait sur ce visage, comme la marque visible d'une cicatrice dans son cœur. Ces extraordinaires petits yeux noirs, tant chéris et tant aimés, s'étaient embrassés d'un feu nouveau. Il était beau. Mon regard ne pouvait s'en détacher.

Une douce et agréable caresse avait semblé se promener et glisser dans mon dos. Quelques tendres sensations avaient frôlé parfois ma nuque et des frissons avaient parcouru ma colonne vertébrale. Cela m'avait agréablement chatouillé les muscles. Un frémissement continu, ondulant sous mon épiderme, avait appris à choyer des tendons durs et cagneux. Des cajoleries avaient cherché à amadouer les plus terribles nœuds. Ma chair avait trembloté sous ma peau. Mon enveloppe, pris d'un spasme irrationnel, s'était mise à trembler. Mes membres s'étaient enivrés d'une grande ardeur. Elle était née quelque part, à gauche, dans ma poitrine. Elle s'était répandue, aussitôt plus intrépide, dans tout mon corps. Elle s'était attardée plus d'un instant, ici et là. Cette tendre caresse avait roulé et mon sang s'était évaporé. Un liquide chaud avait astucieusement cheminé dans mes vaisseaux sanguins et mes organes étaient repartis de plus belle. Un plaisir qui accompagnait avait excité en moi un sentiment charmant. Un sentiment doux et familier, aux dons incroyables, qui avait su troubler mon être, m'avait saisi. Cette tendresse fluide avait stimulé un délice étrange, proche voisin du bonheur, comme après avoir bu une tasse de thé. Je m'en étais délecté.

Soudain, en face, il m'avait tendu le bras. Son bras, blanc jusqu'à l'épaule. Son bras grêle, dont l'épaisseur avait été très mince, dont l'ossature énergique avait dû transparaitre, dont un muscle fin, saillant, nerveux avait su souligner d'agréable contours, était venu soutenir une main bien accueillante. Sa main avait été longue, un peu noueuse, semblant se prolonger au loin. Cela avait été une main sublime qu'on eût cru dessiner par le plus grand des pinceaux. Les doigts contracturés, et les phalanges à demi-pliées, s'étaient serrés les uns aux autres. Le pouce s'était tenu à la verticale, gorgé d'un rouge rubis à peine distinguable sous cette obscurité, plein de la chair douce et durement blanche des hommes et à demi-cambré d'un air bavard. La main ne demandait qu'à être prise. Son message avait rapidement trouvé écho. Un autre bras, le mien, s'était préparé à se lever. La délicate, l'agréable, cette caresse d'un temps, qui avait effleuré chèrement quelques fibres tendues, s'était métamorphosée. Soudain, la chose s'était accélérée. Une charmante chaleur, qui avait emprunté toutes les nuances du bon, était devenue un brasier. Un brasier bouillant s'était consumé au milieu de son corps. Une sensation crue et mordante de brûlure passionnée avait dévoré les tissus. Des dents ardentes et si vives avaient semblé se planter dans ses muscles, déchirer la chair et entamer la viande. Une douleur avait frappé un point très sensible qui avait hurlé au désespoir. Des flammes crépitantes avaient croqué en profondeur. Ses nerfs avaient été en proie à une surexcitation. Comme si le médiator d'une guitare s'était baladé sur ses filaments. Les restes, tellement tendus, avait fini par ressembler à de la corde à boyau, si flasques et si ramollis. J'avais voulu bougé, tendre le bras et lui tenir la main. L'attraper dans cette obscurité. Le rattraper de ces démons noirs. Seulement, mes nerfs s'étaient ébranlés comme n'aurait pu le faire la plus grande des peurs. Mes bras avaient trainé le long de ses flancs. Pétrifiés à l'image de ceux des statues de bronze, mes membres n'avaient pu animé le moindre mouvement. Emporté ensuite par des manières étranges, qui étaient sortis du commun, mon âme avait pesé plus lourde et était tombé à petit eau dans les abysses de sa carcasse comme une grosse pierre coulant au fond d'un océan, attirée par la gravité. Je revoyais mes bras liés et tout mon corps forcé. Je n'avais plus voulu avoir mal. Ma raison s'était éloignée de ma douleur et avait essayé de se concentrer en amont d'autre chose. Un souffle était alors monté. Un souffle, un murmure, un chuchotis, non ! une voix, une voix rauque, courte, comme brisée, était montée. Une exclamation timide et allongée, une parole qui avait trainé, s'était entremêlée comme un chant entêtant dans mon faible esprit agité de l'ultimes remous de mes nerfs. Il avait parlé. J'avais écouté silencieusement. Des lèvres fines et pourpres, d'où un arc se dessinait au-dessus à la perfection, avait frémis avant de s'agiter. Quelques mots y étaient morts au bord. – Trop tard, avait-il asséné.

Aussitôt, il avait disparu. Mon cœur n'eût pas le temps d'être triste. Une sensation de froid cinglant, comme répandu sous la forme de cristaux de glace dans ses vaisseaux sanguins, avait immergé son corps et ses esprits. Un craquement prompt et sinistre, une sorte d'éclat sec que composent certaines choses en se brisant, était brusquement parvenu à ses oreilles. Puis, un instant plus tard. Le sol s'était abaissé. Subitement. Le choc avait été grand, si grand qu'avant d'avoir pu songer à me rattraper, j'avais compris que je tombais dans un puits profond. Un soubresaut avait fait s'envoler mes os dans son dos. Mes entrailles avaient remué une seconde pour s'étaler au fond de mon ventre. Puis, un mouvement. Un autre, plus intense. Une surprise vive et pénétrante de malaise inattendu avait piqué mon estomac, qui était allé se réfugier au milieu de son thorax, entre mes poumons et mon cœur. Suivant une fougueuse réaction de l'instinct, non de la raison, mon cœur se figea au centre de sa gorge, coincé entre mon œsophage et sa trachée. Une émotion, à cheval entre la peur et l'amertume, imitant un insecte qui déchiquetait sa nourriture, avait torturé mes creuses viscères. De violentes nausées avait secoué une douce souffrance. Aussitôt, s'était ouvert sous mes pieds un gouffre vague, rempli d'obscurité́. Un gouffre au creux duquel mon corps vide et informe s'était laissé disparaitre en bondissant de paroi en paroi, avec un bruit occulte et haché, qui avait fini par tarir dans une chute sans limites. Ma tête avait fini par rebondir mollement sur mon oreiller, si plat et si mouillé. Cette impression étrange, qui ne dure qu'un court moment ; cette impression d'être entre rêve et réalité, allant entre la conscience et l'inconscience, à demi-incompris ; elle avait coulé, elle avait coulé froide, presque gelée. Il avait fallu du temps, cependant. Je m'étais éveillé tout à fait. 

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